Article #127 -Le philosophe Ludwig Wittgenstein et la philosophie pratique

Wittgenstein et le pouvoir thérapeutique de la philosophie

Par Robert Tirvaudey

L’Enseignement philosophique, 2014

TIRVAUDEY, Robert. Wittgenstein et le pouvoir thérapeutique de la philosophie. L’Enseignement philosophique, 2014/2 64e Année, p.53-85. DOI : 10.3917/eph.642.0053. URL : https://shs.cairn.info/revue-l-enseignement-philosophique-2014-2-page-53?lang=fr.

Étrange paradoxe de la pensée philosophique wittgensteinienne que d’affirmer, d’une part, que la philosophie n’explique rien, ne découvre rien, ne donne aucune réponse, ne formule aucune thèse, ne peut proposer aucune théorie [1] ; et d’autre part, d’assigner à celle-ci un pouvoir thérapeutique jamais démenti. Que pense, que fait donc réellement la philosophie ? Que peut authentiquement la philosophie face aux cas pathologiques puisque la philosophie est radicalement impuissante ? En quoi la philosophie aurait-elle une dimension thérapeutique ? Il faut donc de prime abord comprendre la vision hautement complexe de la philosophie wittgensteinienne pour tenter de cerner son pouvoir thérapeutique, d’autant que l’auteur du Tractatus prétend offrir « sur tous les points essentiels la solution finale des problèmes de la philosophie » [2]. Car l’idée que nous maintiendrons est que cette capacité pour la philosophie de soigner sinon de guérir l’esprit humain de questionnements captieux en raison de sa structure logique et de sa teneur linguistique reste l’un des rares acquis de la pensée wittgensteinienne. Et que sur cette question de la thérapie philosophique se condense la cohérence interne et profonde de sa pensée par-delà les méandres de ses investigations. C’est pourquoi nous nous devons de parcourir la pensée des Notes sur la logique de 1913, des Carnets 1914-1916 aux Investigations philosophiques (1936-1949) que nous pouvons considérer comme le parachèvement de ses recherches. Si Wittgenstein a ébauché une réelle thérapie philosophique, celle-ci, contrairement à la psychanalyse existentielle sartrienne, n’a jamais, à notre connaissance, été mise en pratique, malgré la répercussion de ses œuvres posthumes [3]. Aussi des questions se posent immanquablement. Comment a-t-on fait pour oblitérer la pratique thérapeutique de Wittgenstein, si ce n’est en l’abordant d’une manière allusive, presque comme une coquetterie intellectuelle ? Comment a-t-il été possible de verser dans un contresens historique qui a fait de lui un déconstructeur de toute philosophie ? Pourquoi les plus grands exégètes de Wittgenstein ont-ils pu ignorer ou minimiser la part incontestable de la dimension thérapeutique de la pensée wittgensteinienne [4] ? Pourquoi et comment son projet programmatique d’une philosophie thérapeutique, présente dans toute son œuvre, n’a-t-il pas été pris au sérieux, alors que nous avons là un point décisif au sein de la pensée wittgensteinienne ? Wittgenstein ne se pose-t-il pas comme praticien du philosopher sur le mode d’un déni, pour ne pas dire d’un mépris, de la philosophie théorique ? Comment peut-on souffrir de « maladies philosophiques » ? Et est-il suffisant de les identifier pour les surmonter ? Les maladies philosophiques peuvent-elles recevoir une thérapie linguistique ? Qu’est-ce qui garantit que l’effacement des difficultés de nature intellectuelle puisse recevoir une solution par voie d’une « vue synoptique » ? Par quel miracle sortir des mirages, des sortilèges du pouvoir séducteur du langage ? Par le langage lui-même ?

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Wittgenstein : Philosophie et pratique de la philosophie

Archives Henri Poincaré, Nancy – France

La notion de non sens est au cœur de la conception wittgensteinienne de la philosophie. Toutefois, elle n’a pas, loin s’en faut, toujours été mise au centre des préoccupations des exégètes. On a pu estimer, peut-être avec raison, que sa conception de la philosophie n’était pas un aspect fondamental, fécond, de sa pensée. Depuis une trentaine d’années, elle s’est trouvée peu à peu projetée sur le devant de la scène. On peut penser, par exemple, au livre de Peter Hacker, Insight and Illusion (1972) ou à celui de A.Kenny intituléWittgenstein (1973). On peut penser ensuite à l’élaboration du grand commentaire des Recherches en quatre volumes par Peter Hacker et Gordon Baker, qui a contribué à instaurer une certaine orthodoxie, quoique relative puisque de nombreux désaccords sur des questions cruciales se posent encore (Ex : Problèmes des objets dans le Tractatus, Suivre une règle dans les Recherches). Le livre de C.Diamond, L’esprit Réaliste (1990), et les travaux de S.Cavell, J.Conant, R.Read, et d’autres dont certains sont réunis dans l’ouvrageThe new Wittgenstein (2002), plaident pour une nouvelle vision de l’œuvre en rupture avec l’interprétation orthodoxe. Cette nouvelle interprétation a fait beaucoup d’émules en France. Aujourd’hui le débat fait rage. Un des enjeux fondamentaux est de savoir comment il est possible de mettre au centre de la philosophie l’idée que la philosophie se compose de non sens sans se placer dans l’impossibilité de rien dire du tout. Cela peut-il avoir la moindre cohérence ? Y a-t-il une (ou plusieurs) pratique ou méthode philosophique en accord avec cette conception de la philosophie ?

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Réflexions en marge de Wittgenstein

L’Agoraune agora, une encyclopédie

La plupart (sinon tous) les exemples que l’on pourrait donner de la critique wittgensteinienne nous ramènent d’un usage sophistiqué (bien que naïf, souvent) à un usage courant du langage ordinaire. Wittgenstein n’était pas du camp de ceux qui considèrent que les solutions sont à chercher du côté d’une plus grande sophistication de nos méthodes, mais plutôt du camp de ceux qui recherchent les solutions les plus simples. Il peut même arriver qu’on ait l’impression qu’il pose les problèmes de manière trop simpliste. Qui a jamais vraiment cru à l’existence des significations (meanings, Bedeutungen)? Qui a pensé que toutes les étapes de l’application d’une règle devaient y être contenues d’avance, implicitement? On pourrait sans doute mettre des noms, mais mieux vaut considérer que Wittgenstein caricature les conceptions philosophiques qu’il veut critiquer (y compris celles du Tractatus). Le procédé est très dynamique, car il nous permet de reconnaître à peu près n’importe qui dans ses exemples de « mauvaise philosophie », et un exemple traité dans un domaine pourrait souvent être éclairant dans un autre domaine (psychologie et mathématiques par ex., sont traitées par les mêmes méthodes (1)). Malheureusement, la plupart du temps, on a tendance à commenter Wittgenstein en se contentant de le reprendre à la lettre, et les « descriptions » qui en résultent ne peuvent pas facilement prouver leur utilité en dehors du cercle des spécialistes. Ce qui amène facilement un auteur comme R.J. Ackermann (il n’est pas le premier à le faire), à affirmer que Wittgenstein aurait rejeté une bonne part de ce qui a été écrit pour tenter de l' »expliquer ». Dans ce qui suit, j’ai tenté de me faire l’écho d’interprétations de Wittgenstein qui sont généralement acceptées, sans perdre de vue que ce philosophe a tiré une bonne partie de son dynamisme de son opposition à la philosophie universitaire.

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Wittgenstein ou la philosophie comme activité critique

par Evelyne Rogue, 2014, Académie de Versailles

Sans doute, pour Wittgenstein, la tâche de la philosophie consiste avant tout à dénoncer les mauvais usages que nous faisons des termes, de telles sorte que cette dernière se définit essentiellement dans la théorie qui est celle de notre auteur comme « critique du langage. » En effet, si l’on sait d’une part que pour l’auteur des Leçons sur l’esthétiques, la théorie de la signification est subordonnée à l’exigence apocritique, ou encore à l’exigence de résolution de problèmes; la conséquence directe en est que le problème insoluble n’est pas réellement un problème.

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Les maladies philosophiques

Ou la consultation philosophique éclairée par Wittgenstein

Claude Lupu, DEA de philosophie

Diotime, n°28 (01/2006)

Les années 90 ont été le théâtre d’une explosion de la  » demande philosophique  » sous diverses formes : édition grand public, cafés-philo, universités populaires, ateliers de philosophie pour enfants… Ainsi, depuis une quinzaine d’années environ, la philosophie déborde de son cadre institutionnel, scolaire et universitaire. Certains ont interprété ce phénomène comme le symptôme d’un profond malaise sociétal : à une époque où les figures de la transcendance sont brouillées et où le sentiment dominant est la peur face à une montée des périls en tout genre, la philosophie apparaît comme un succédané de religion à même d’apporter sens, valeurs et croyances à l’individu occidental en errance dans un self-service normatif.

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Ludwig Wittgenstein, un Platon sans platonisme

Elisabeth Rigal

Contre Platon, vol. 2

Les Recherches philosophiques distinguent, dans le corpus resté à l’état de chantier que nous a légué Wittgenstein, deux grandes constellations de questions1. La première, ordonnée au problème de la règle et de l’inférence, renvoie à des préoccupations qui entrent dans le cadre de recherches sur les fondements des mathématiques et ont servi de matrice à l’élaboration de la conception de la Sprache. C’est en effet au cours de l’exploration de cette constellation que s’est imposé le philosophème central, les jeux de langage, définis comme des « objets de comparaison » que le philosophe doit se donner s’il veut faire apparaître la logique de notre langage, telle que la découvrent les différentes figures de son usage. La seconde constellation, à la fois plus diffuse et plus ramifiée, regroupe une série de recherches sur les fondements de la psychologie. Elle contient la micro-analyse des concepts psychologiques les plus variés, ainsi que quelques esquisses de classification de ces mêmes concepts. Dans les notes fragmentaires – et quelque peu désordonnées – qui consignent cette recherche restée à l’état d’ébauche, deux concepts reviennent obsessionnellement : celui de Seherlebnis et celui de Bedeutungserlebnis. La façon dont Wittgenstein les aborde, en montrant l’irréductibilité définitive de la vue de l’aspect au simple voir et celle du « prendre-en-tel-sens » à la compréhension sous sa forme primaire, indique clairement que les recherches dans lesquelles il était ici engagé visaient prioritairement à explorer les sédimentations toujours multiples des formes de vie marquées du sceau du rapport à la langue.

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Rigal, Elisabeth. « Ludwig Wittgenstein, un Platon sans platonisme ». In Contre Platon, vol. 2, édité par Monique Dixsaut. Paris: Vrin, 1995. https://doi.org/10.4000/books.vrin.9087.


Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de Maître es arts (M.A.) en philosophie

et essai expose la conception de la philosophie et la méthode philosophique du Wittgenstein de la deuxième période. Wittgenstein s’oppose à ce que la philosophie soit une science, n distingue clairement la recherche philosophique de la recherche scientifique : la science fournit des théories dans le but d’expliquer la nature des phénomènes et nous permet d’accumuler des connaissances qui peuvent être confirmées ou réfutées par la suite; la philosophie, quant à elle, n’est pas une discipline qui peut apporter de nouvelles connaissances, eUe n’explique rien et ne peut avancer de théories, car elle est purement descriptive. Elle porte sur les normes de représentation qui nous sont imposées par le langage, et donc sur le langage lui-même, et non sur des faits empiriques. Nous ne pouvons donc rien apprendre de nouveau par la recherche philosophique. La philosophie ne saurait découvrir de nouveaux faits, puisque les problèmes dont elle s’occupe ne sont pas des problèmes empiriques, mais des problèmes conceptuels résultant d’une mauvaise compréhension de la nature et du fonctionnement du langage. La philosophie décrit les normes de représentation que nous avons instaurées (par exemple en mathématique) ou qui nous sont imposées par le langage que nous avons appris. Ces normes déterminent notre représentation du monde et ce que nous considérons comme une représentation intelligible et cohérente de la réalité. Wittgenstein appelle ces normes des « règles de grammaire ». Les propositions mathématiques sont de telles nonnes et le langage est ainsi constitué de normes de représentation ou « règles de grammaire » qui déterminent — du moins en partie — notre vision du monde.

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Livre de Ludwig Wittgenstein en libre accès

Tractatus logico-philosophicus

Ludwig Wittgenstein (trad. G. G. Granger), Tractatus logico-philosophicus, Gallimard, 2001, 121 p. (ISBN 978-2-07-075864-7) « Tractatus logico-philosophicus (trad. G. G. Granger) » [PDF].


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