Journée mondiale de la philosophie – 20 novembre 2025
LETTRE D’OPINION
Le Québec, un désert philosophique ?
Célébrée chaque année à l’échelle planétaire depuis 2002, le troisième jeudi du mois de novembre, la Journée mondiale de la philosophie passe une fois de plus sous silence au Québec cette année. J’ai nettement l’impression que le Québec est un désert philosophique avec une oasis ici et là.
Pourquoi nos professeurs de philosophie ne prennent-ils pas d’assaut la scène publique et médiatique à l’occasion de cet événement ? Pourtant, ils comptent sur la mobilisation populaire lorsque l’enseignement de la philosophie au collégial se voit remettre en cause.
Et pourquoi nos philosophes ne s’impliquent-ils pas auprès des médias pour susciter l’intérêt de la population ?
Mettre à l’avant la philosophie, ne serait-ce qu’une fois l’an, c’est insister sur l’importance du développement de l’esprit critique au sein de la société.
Trop souvent accusés de se cloîtrer dans une tour d’ivoire universitaire, les philosophes québécois demeurent des théoriciens et rebutent à l’idée de devenir des praticiens cliniciens au service de la population, comme c’est le cas ailleurs dans le monde.Aux dernières nouvelles, la philosophie est une « manière de vivre » au quotidien et non pas seulement de la théorie.
Ainsi, on parle désormais de « nouvelles pratiques de la philosophie » ou de « philosophie pratique » avec des mots nouveaux tels que « philothérapie », « philothérapeute », « philosophe clinicien » et même de « philosophe consultant » en milieu hospitalier ou spécialisé en intervention en entreprise (« philosophe du management »). Les philosophes qui incarnent ces professions agissent sur le terrain, auprès de la population. Elles offrent un débouché intéressant aux diplômés en philosophie. Des universités d’un peu partout dans le monde offrent une formation de consultant ou clinicien en philosophie. Malheureusement, rien de tel au Québec.
Heureusement, Le Devoir est là !
Serge-André Guay
Président fondateur
Observatoire de la philothérapie
581-988-7146
31, rue St-Joseph
Lévis, Québec.
G6V 1A8
(Présentation du site web de l’observatoire de la philothérapie)
(Lévis, Québec, Canada) J’expérimente les bienfaits de la philosophie dans ma vie personnelle et professionnelle depuis plus de 25 ans. La philo-sophie contribue au bien-être de mon esprit et de ma psyché. Désormais, je partage avec vous mes connaissances et mon témoignage sur ce site web dédié.
Aussi, j’offre des conférences traitant de la philo-thérapie. Vous trouverez sur ce site web la vidéo et les notes de ma toute première conférence « La philothérapie ─ Quand la philosophie nous aide » accessible gratuitement.
À titre de bibliographe amateur, je mets à votre disposition l’ensemble de mes rapports de lecture au sujet de la philothérapie dans la section «J’ai lu pour vous».
Je ne suis pas un philosophe consultant et, par conséquent, je n’offre pas de consultation philosophique privée. Je n’offre pas de formation en philothérapie. Je demeure un observateur de la naissance et du développement de la philothérapie ou, si vous préférez, du domaine de la consultation philosophique. Il n’est pas non plus question ici de coach et encore moins de gourou en philothérapie. Je me limite à la lecture de livres et autres documents traitant de la philothérapie et de faire rapport de ces lectures. Aussi, à partir de ces lectures, je prépare, offre et anime des conférences. De plus, je témoigne de l’apport de la philosophie dans ma vie personnelle et professionnelle. Enfin, je suis l’auteur d’un livre intitulé J’AIME PENSER – Comment prendre plaisir à penser dans un monde où tout un chacun se donne raison (exemplaire numérique gratuit – PDF), un essai et témoignage de gouvernance personnelle qui est le sujet de l’une de mes conférences.
Serge-André Guay
TABLE DES MATIÈRES
BIENVENUE
Avertissement
DÉDICACE
TABLE DES MATIÈRES
La lumière entre par les failles
PRÉABULE
INTRODUCTION
FRANCE
La méthode socratique
Critique de la méthode socratique
« Je sais que je ne sais rien. »
Savoir, connaissance et croyance
Croyance
De l’opinion à la croyance
Une pratique dogmatique
Répression brutale des émotions
Répression de la verbalisation
Un défaut dans la relation interpersonnelle
NORVÈGE
ITALIE
Critique de la méthode socratique
Adaptation contemporaine de l’ancien dialogue socratique
La répression des émotions
Philosophie des émotions
ÉTATS-UNIE D’AMÉRIQUE
La raison a toujours besoin d’un coup de pouce des émotions 26
FRANCE
La répression des explications
La nécessité du verbe et de la parole
Le nécessité de la verbalisation du client
ALLEMAGNE
La version originale de la nouvelle philosophie pratique 30
OPPOSITION ALLEMAGNE – FRANCE
« J’ai testé une consultation de philosophie »
FRANCE
Jugement de la clientèle
ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
Les styles interpersonnels
LE SERVICE À LA CLIENTÈLE
Le philosophe consultant dans la cité 50
Intelligence émotionnelle et sociale
UN BON PHILOSOPHE CONSULTANT
Compétences philosophiques
Qualités relationnelles et humaines
Aptitudes éthiques et pratiques
UNE CONSULTATION « PHILOSOPHIQUE » ?
LE BESOIN ORGANISATIONNEL
France
FORMATION
France (IPP)
États-Unis d’Amérique (APPA)
INTERNATIONAL
Allemagne
Roumanie
Pologne
Croatie
Autriche
Italie
Royaume-Uni
Finlande
Norvège
Suède
Pays-Bas
Suisse
Portugal
Inde
Corée du sud
Turquie
Afrique du Sud
Canada
Etats-Unis d’Amérique (USA)
Mexique
Brésil
Argentine
ÉVÉNEMETNS INTERNATIONAUX 72
Société internationale pour la pratique philosophique (IGPP
International Conference on Philosophical Counseling & Practice
Conférence internationale sur la pratique philosophique
International Conference on Therapeutic Philosophy
in Global Perspectives (TPGP 2025)
International Congress on Philosophical Counseling (NPCA Eastern) 74
MÉDIAS
International Journal of Philosophical Practice
Philosophical Practice: Journal of the APPA
The Philo-Practice Agora
La Revista Internacional de Filosofía Aplicada HASER
Journal of Applied Philosophy
Interdisciplinary Research in Counseling, Ethics and Philosophy
Filosofía en la Red
L’ÉCRITURE DANS LE CONSEIL PHILOSOPHIQUE
BÉNÉFICE DU DOUTE
La lumière entre par les failles
SATISFACTION DU CLIENT
Récit écrit de l’expérience
La conversation
La maîtrise de la conversation
Les obligations du clients
L’association Philosophie-Thérapie
Culture de la thérapie et culture de la consultation
Culture de la consultation
Les qualités d’un bon consultants
Technicien ou consultant
Les sage-femmes
ÉTONNEMENT
« Pourquoi vous ne faites pas un plus grand pas ? »
* * *
J’AI LU POUR VOUS
DOCUMENTS OFFICIELS DES L’OBSERVATOIRE DE LA PHILOTHÉRAPIE
AU SUJET DE L’AUTEUR
Serge-André Guay
Marié et père de quatre enfants, Serge-André Guay est né à Lévis (Québec, Canada) en 1957. De formation autodidacte et travailleur autonome depuis près de 50 ans, il a tout d’abord été animateur, commentateur, chroniqueur, journaliste, recherchiste et rédacteur en chef au service de différents médias québécois et ontariens.
Puis, son expérience des médias et un stage de formation en Europe font de lui un éducateur aux médias dont les interventions sont recherchées par le milieu scolaire. Ensuite, à titre de consultant, l’utilité de ses plans d’action en communication et en marketing est vite appréciée.
Depuis 1990, il développe une expertise hautement spécialisée en recherche marketing, soit l’étude des motivations d’achat des consommateurs, axée sur l’évaluation prédictive du potentiel commercial des produits et des services, nouveaux et améliorés.
Pour ce faire, il retient la méthode et l’approche indirecte proposées par le chercheur américain Louis Cheskin, à qui il accorde le titre de premier scientifique du marketing.
Depuis, il a étudié les réactions sensorielles involontaires et les réactions inconscientes de plus de 25,000 consommateurs dans le cadre de plus d’une centaine d’études des motivations d’achat pour différents manufacturiers et distributeurs canadiens.
Il a signé de nombreux articles et donné plusieurs conférences percutantes. Il a aussi publié une série de vingt-quatre études traitant du caractère scientifique du marketing sous le titre “Science & Marketing”, Prédire le potentiel commercial des biens et des services”. À ses yeux, le marketing doit renouveler son efficacité sur des bases scientifiques rigoureuses.
Il n’hésite pas à questionner les idées reçues. Animé par une profonde réflexion sur la conscience et la condition humaine, il est un « libre-penseur-entrepreneur », plutôt analytique.
En 2000, il écrit un essai de gouvernance personnel sous le titre J’aime penser – Comment prendre plaisir à penser dans un monde où tout un chacun se donne raison.
En juin 2003, il met sur pied la Fondation littéraire Fleur de Lys, premier éditeur libraire francophone sans but lucratif en ligne sur Internet (https://manuscritdepot.com/).
La philosophie se vit dans la joie voire l’euphorie de l’étonnement. Être étonné, c’est comprendre sans effort dans la lecture, dans la réflexion personnelle ou dans la discussion. Le fameux « Ah ! Là je comprends » vient alors à l’esprit pour autant que ce dernier soit libre et dans le moment présent. Je traite de la question dans le chapitre LA PENSÉE CERTAINE de mon livre J’AIME PENSER (Comment prendre plaisir à penser dans un monde où tout un chacun se donne raison – Essai et témoignage de gouvernance personnelle). Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du chapitre LA PENSÉE CERTAINE.
Essai et témoignage de gouvernance personnelle par Serge-André Guay
La pensée certaine
Pour tirer le bénéfice du doute – Il fut un temps où la pensée était certaine uniquement si les autorités religieuses la cautionnaient. Nous sommes au Moyen Age. À cette époque, un homme avait raison que si l’église lui donnait raison. Les autorités religieuses s’étaient attribuées le monopole de toute certitude en se donnant le titre de représentantes suprêmes de Dieu sur Terre.
Parlons-en de la Terre. Un homme avait beau se lever et démontrer que la Terre n’était pas au centre de l’univers d’après de savantes observations, si les autorités religieuses ne lui donnaient pas raison, il avait tort et la Terre demeurait au centre de l’univers. Un autre pouvait bien prouver que la Terre était ronde comme une orange et non pas plate comme une assiette, selon de savants calculs, si l’église préférait ses raisons de croire la Terre plate, l’homme avait tort et devait se taire.
Aussi, un homme ne s’est pas levé de bon matin avec la ferme intention d’avoir raison et de donner tort à l’église. Ce n’est pas comme cela que l’homme de cette époque en est venu à se donner raison. Mais un homme s’est effectivement levé un matin en se demandant, sans doute pour la ixième fois, pourquoi la raison toute puissante de l’église, au lieu d’engendrer le bien et l’Amour, conduisait à des guerres de religions plongeant les hommes, les femmes et les enfants de l’Europe dans les douleurs les plus terribles. Faire le mal pour faire le bien ne parut sans doute pas tout à fait logique à cet homme, d’autant plus que le bien se faisait attendre, toujours repoussé un peu plus loin. Bref, cet homme doutait de l’efficacité de la raison de l’église.
Il ne fut pas le premier à entretenir un tel doute, mais la mise à mort imposait le secret et limitait ainsi très sérieusement les discussions sur le sujet.
Cependant, cet homme médiéval fit un pas de plus que les autres : il se questionna à savoir s’il n’y avait pas une autre source que l’église pour donner raison à la connaissance. Il se mit donc silencieusement à la recherche d’une autre source de certitude. Et s’il ne fut ni le premier à douter dans l’histoire de l’Homme, ni le premier à en tirer profit, il fut le premier à y voir le bénéfice de la certitude.
Voici comment je comprends le raisonnement de cet homme, certes, modestement mais suffisamment pour m’éclairer. La vérité se manifeste quand je ne puis plus douter mais pour ce faire je dois douter de tout de peur de me tromper dans une fausse vérité.
Ainsi, la première certitude acquise par cet homme est celle de son existence: je doute mais tandis que je doute, je ne puis douter que je pense et si je pense je suis au moins en tant que je pense. Conclusion: Je pense donc je suis ou j’existe.1 Les penseurs parmi nous auront reconnu notre homme, René Descartes, philosophe, mathématicien et physicien français ayant vécu de 1596 à 1650.
René Descartes est un mathématicien, physicien et philosophe français, né le 31 mars 1596 à La Haye-en-Touraine[n 1] et mort le 11 février 1650 à Stockholm. Il est considéré comme l’un des fondateurs de la philosophie moderne. Il reste célèbre pour avoir exprimé dans son Discours de la méthode le cogito[n 2] — « Je pense, donc je suis » — fondant ainsi le système des sciences sur le sujet connaissant face au monde qu’il se représente. Source : Wikipédia.
Le cogito est initialement exposé en français par Descartes dans le Discours de la méthode (1637), quatrième partie : « Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulois ainsi penser que tout étoit faux, il falloit nécessairement que moi qui le pensois fusse quelque chose ; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, étoit si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étoient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchois[1] ».
Cette première certitude revient à dire que je ne peux pas douter de mon existence tant et aussi longtemps que je pense. Dans l’affirmative, cela nous donne : j’ai la certitude de mon existence tant et aussi longtemps que je pense. Pas besoin de l’église pour me confirmer que j’ai raison d’admettre ainsi mon existence. Je peux donc produire une connaissance certaine, avoir raison, par moi-même, indépendamment des autorités religieuses. À partir de ce moment-là, la certitude de la pensée humaine s’ajoute définitivement à la certitude de la pensée divine, que prétend posséder l’église.
Descartes va ensuite chercher à savoir s’il peut étendre cette première certitude à d’autres sujets, en dehors de son existence. Le chemin à suivre est le même : tant qu’un doute subsiste dans mon esprit, je ne puis me permettre d’être certain de quoi que ce soit. Ce faisant, je ne peux plus prendre pour vrai tout ce qui vient à ma pensée, seules mes pensées dont je ne pourrai plus douter seront certaines.
Mais la certitude ne viendra pas de n’importe quel doute qui hante mon esprit; il faut un doute systématique, « qui procède avec méthode, dans un ordre défini, pour un but déterminé »2. Descartes fera donc du doute systématique la première règle de sa méthode qu’on peut résumer ainsi : le doute systématique de tout ce que je sais, de toutes les évidences apparentes pour qu’ensuite je produise systématiquement ma connaissance à partir d’un contrôle, d’une maîtrise de chacune des opérations de pensée que j’effectue lorsque je connais. Autrement dit, douter uniquement de ce que je veux et uniquement quand cela me tente ne sera pas utile. Le risque d’erreurs demeure le même.
Pour être certain, je dois donc soumettre tout ce que je sais à un doute intentionnel et organisé. Descartes nous invite à douter de toutes les évidences apparentes, de tout ce qui apparaît à notre esprit comme une vérité. Notre esprit a le défaut de prendre pour vrai ce qu’il pense. C’est pourquoi un doute systématique de tout ce que nous pensons s’impose.
Tant et aussi longtemps que je crois penser une vérité, mon esprit ne remettra pas en cause cette vérité. Si une autre vérité se présente, plus certaine, je risque de la rejeter parce que je crois déjà détenir la vérité, parce que je ne doute pas de la vérité que je détiens. Comment éviter de passer à côté d’une vérité ou découvrir si je suis dans l’erreur ? En laissant planer un doute sur toutes les vérités que j’ai déjà acquises, sur tout ce que je sais.
Dans les faits, la certitude d’une connaissance grandit toujours en repoussant la certitude d’une autre connaissance, d’une connaissance jusque-là prise pour vraie. La certitude que la Terre est plate a cédé sa place à la certitude que la Terre est ronde. Mais pour cela, il fallut que l’homme puisse douter que la Terre était plate. Si je doute, dès le départ, de tout ce que je sais, je m’expose à la possibilité d’une plus grande certitude. Je m’accorde la possibilité d’être induit en erreur par une fausse vérité. Pour ce doute général, je n’ai besoin d’aucune raison, si ce n’est mon souci d’éviter l’erreur par une trop grande certitude. Notre affirmation « Je pense que… » devrait être reformulée en « Jusqu’ici, je pense que…. », pour exprimer le doute garant de notre ouverture d’esprit à une plus grande certitude.
Et tant et aussi longtemps que nous n’exprimons pas notre doute, nous donnons à l’autre l’impression de prendre pour vrai tout ce que nous pensons. Nous cachons notre ouverture d’esprit à l’autre et nous l’incitons à faire de même. Lorsque notre esprit constate cette absence apparente d’ouverture d’esprit chez l’autre, son attitude est différente que s’il constatait le contraire, ne serait-ce qu’une toute petite ouverture d’esprit. Cette attitude incite notre esprit à « affirmer » plutôt qu’à « proposer », c’est-à-dire à « donner (une chose) pour vraie, énoncer (un jugement) comme vrai » plutôt que de « soumettre », de « faire connaître » à l’autre une connaissance sans la prétendre nécessairement vraie dès le départ. En termes imagés, notre esprit a tendance à mettre le point sur la table plutôt qu’à tendre la main lorsque les apparences lui laissent croire que l’autre n’a aucun doute, aucune ouverture d’esprit. Il en va de même de l’autre lorsque son esprit dresse le même constat à notre égard.
Alors, ce qui est dit n’est pas vraiment discutable puisque chacun avance ce qu’il considère comme une vérité. On peut discuter uniquement lorsque la valeur de la connaissance n’est pas certaine. Comprenez-moi bien : il y a vraiment discussion uniquement dans le cas où c’est la vérité d’une connaissance qui est l’enjeu. En d’autres temps, nous devons parler d’un débat d’opinions où des vérités s’affrontent.
Nous pouvons attribuer au moins quatre grandes différences entre la discussion et le débat d’opinions :
Dans une discussion, on cherche avec la vérité d’une connaissance. Dans un débat d’opinion, on cherche à imposer sa vérité.
Dans une discussion, je m’adonne avec l’autre à l’étude de la vérité sans rien prendre pour acquis. Dans un débat d’opinions, je m’oppose à l’autre en prenant pour acquis que je détiens la vérité.
Dans une discussion, chacun s’enrichit de la recherche de la vérité. Dans un débat d’opinions, chacun se contente de défendre sa propre vérité.
Dans une discussion, l’autre peut me donner raison et je peux donner raison à l’autre. Dans un débat d’opinions, l’autre ne peut pas me donner raison et je ne peux pas donner raison à l’autre, si ce n’est pour le piéger en vue de faire triompher ma vérité sur la sienne.
Seule l’ouverture d’esprit, entretenue par le doute, détermine si nous discutons de la vérité ou si nous débattons de nos opinions.
Aussi, j’ai passablement cherché à discuter de la vérité pour conclure que la plupart des gens ont davantage l’habitude des débats d’opinions que de la discussion. Celui qui doute a tout le recul nécessaire pour s’apercevoir que la plupart des gens ont le nez collé à « leurs » vérités. Nous vivons dans un monde d’opinions ou très peu de vérités sont réellement discutées, même dans nos relations intimes. L’enfant apprend vite à défendre son opinion, très peu à en discuter. Il imite les adultes.
Dès qu’on laisse voir qu’on a un doute sur ce qu’on pense, l’esprit de l’autre y voit une faiblesse, une occasion d’imposer sa vérité toute faite. Dans un monde aussi vantard d’être certain à chaque fois qu’il ouvre la bouche, il n’est pas étonnant que le doute soit perçu comme une faiblesse. Le plus fort est certain et le plus faible doute. Ainsi, la plupart des gens apprennent vite à cacher au monde leur moindre doute, de peur de voir le loup entrer dans la bergerie.
Certaines personnes sont si profondément convaincues de la nécessité d’être certaines, face aux autres et à elles-mêmes, que le plus petit doute les rend mal à l’aise, inconfortables. Si jamais le doute persiste, la déprime les gagne. Elles perdent leur assurance, leur confiance en soi et leurs certitudes, sans différenciation. Cette indifférenciation généralise la déprime jusqu’à la dépression.
Or, l’assurance se rapporte à nos convictions, la confiance en soi à nos capacités et la certitude aux connaissances accumulées. Une pensée responsable doit faire ces différenciations (différences de fonctions) sans quoi l’assurance, la confiance et la certitude sont soumises à l’effet domino (la chute de la première entraîne celle de la deuxième et cette dernière entraîne la chute de la troisième).
Dans la pensée responsable, douter de la certitude de ses connaissances n’est pas associé à une faiblesse ou à un manque de confiance en soi mais à une force. La force de déceler ses erreurs de connaissance et ainsi de pouvoir prendre de l’expérience puisque cette dernière, après tout, est la somme de nos erreurs. La personne qui ne doute pas ne peut pas relever ses erreurs et prendre de l’expérience. Aussi, la pensée responsable limite la pratique du doute à la raison, au cerveau pensant, bref, à la conscience.
La pensée responsable peut étendre le doute à la connaissance de soi, y compris, à nos capacités en tant que personne, et à nos convictions mais uniquement sous une perspective rationnelle. Le doute recommandé par Descartes est celui organisé par la pensée rationnelle, à distinguer de la pensée émotionnelle (sous l’emprise des émotions et des passions), de la pensée spirituelle (qui sous-tend les croyances), de la pensée initiatique (qui modèle la vision de soi et du monde). Qu’importe l’objet du doute, il ne peut pas porter sur un autre aspect que l’aspect rationnel de cet objet.
Par exemple, je peux douter de l’existence de Dieu avec ma raison, c’est-à-dire examiner s’il m’apparaît raisonnable de croire en l’existence de Dieu, mais je ne peux pas douter de l’existence de Dieu avec mes émotions et mes convictions. En fait, l’existence de Dieu relève des croyances, fondées sur des connaissances révélées plutôt que rationnelles. Autrement dit, la croyance en l’existence de Dieu ne peut pas être fondée sur la raison seule, les connaissances et la compréhension raisonnable. Ainsi, je peux entretenir un doute raisonnable quant à l’existence de Dieu mais une profonde conviction (révélation personnelle) peut m’en convaincre au-delà de ce doute de la raison.
La pensée responsable est respectueuse de tout mon être dans toutes ses composantes et n’accorde pas la permission de douter de tout et de rien, à tort et à travers. Seul le doute raisonnable de ce qui est raisonnable est permis et elle sait que tout n’est pas raisonnable. Aussi, elle sépare la raison des émotions, le cerveau pensant du cerveau émotionnel, tout comme elle sépare le cœur de la raison. Et si jamais des liens sont reconnus entre le cerveau pensant et le cerveau émotionnel, la pensée responsable les respectera. Nous verrons d’ailleurs que ces liens existent.
Ainsi, je peux douter de mes convictions mais je ne peux pas permettre à la raison seule de réduire mes croyances à néant. Je peux douter de mes capacités mais je ne peux pas permettre à ma conscience de prétendre connaître et comprendre toutes mes capacités et de poser un jugement définitif sur ma personne. Il y a aussi les capacités fournies à ma personne par mon cerveau émotionnel, généralement inconscientes ou hors de portée de l’analyse de la raison.
La personne abattue au moindre doute demeure dans l’ignorance de ces différenciations. Son doute n’est pas raisonnable et ne peut que l’entraîner dans la déprime voire la dépression. Seul un doute raisonnable est utile car il permet une pensée certaine tout aussi raisonnable.
Non contrôlé par la raison, le doute devient maladif. Il court partout où il n’a pas raison (et ce n’est pas une figure de style), partout où la raison n’a pas juridiction et il fout librement le trouble, comme un virus mortel. La pensée certaine doit s’obliger à être raisonnable, autrement, elle produit l’incertitude plutôt que la certitude et les connaissances s’emballent et font chavirer le navire.
Personnellement, je doute de mes connaissances sans que cela n’enlève de la valeur à ma raison, au contraire, pour moi, la raison sans le doute n’a pas de valeur. Je doute aussi de mes capacités en tant que personne mais raisonnablement, c’est-à-dire sans jamais prétendre que toutes mes capacités sont réduites ou que mon jugement porte sur toutes mes capacités. Il y a des capacités cachées à ma conscience, souvent, insoupçonnables. Et pour que ma conscience ne puisse plus me jouer des tours de logique en me rendant incapable de tout, je lui reconnais une capacité intelligente qu’elle ne peut pas attaquer : la capacité de douter. Tant que je doute, je suis intelligent. Enfin, je doute de mes convictions mais jamais je ne laisse ma raison seule fonder mes convictions, mes croyances. Certains événements ébranlent très sérieusement mes convictions, parfois même je perds une conviction profonde dans la tourmente, mais j’ai trouvé ici encore un moyen de m’en tenir à un doute raisonnable. Je reconnais à mon cœur une capacité immuable, inattaquable par la raison : la capacité de croire en quelque chose. Ainsi, même lorsque je ne crois plus en rien, j’ai tout de même la capacité de croire en d’autres choses, d’acquérir de nouvelles croyances voire de nouvelles valeurs.
Ainsi organisé, impossible d’admettre raisonnablement : « Je n’ai plus confiance en moi ». Car mon moi s’étend bien au-delà des limites de ma raison. Si j’existe parce que je pense, la qualité de mon existence est loin de dépendre uniquement de mes pensées raisonnables, de mon cerveau pensant. Lorsqu’on a perdu confiance en soi, il faut savoir qui pense, son cœur ou sa raison.
Absolument certains de ne plus pouvoir se faire confiance, de cœur et d’esprit, certains tombent dans la pensée malheureuse.3
Revenons à l’inconfort du doute. Certaines personnes mal à leur aise refoulent leurs doutes au plus profond d’elles-mêmes dans l’espoir de ne plus jamais les voir ressurgir, convaincues qu’il faille être certain, même aveuglément. Ces personnes se privent ainsi de la possibilité de tirer le bénéfice du doute. Ainsi, parmi elles, se retrouvent les gens conservant les mêmes vérités toute leur vie. Ces gens resteront sensiblement sur les mêmes positions, souvent avec la même attitude de certitude, de l’adolescence ou du début de leur vie adulte à la vieillesse. Plus une personne est certaine, moins elle a l’opportunité d’évoluer, à tout le moins, en changeant ses idées actuelles pour de meilleures.
Dans le secret de son intimité, la personne privée de doute considère ses idées comme étant les meilleures qu’elles puissent adopter. Dans le public, deux choix s’offrent à elle pour faire bonne figure, soit elle reconnaît ses idées n’étant peut-être pas les meilleures mais que ce sont les siennes, soit elle soutient adopter une meilleure idée mais uniquement si elle la juge personnellement vraiment meilleure. Dans tous les cas et qu’importent ses dires, la personne privée de doute conserve « ses » idées. Elle en fait une affaire strictement personnelle. Nous approfondirons le sujet au chapitre de la pensée universelle à laquelle nous opposerons la pensée personnelle car il y a des gens prêts à tout pour préserver la certitude de leurs pensées personnelles même si ces dernières sont contredites par des vérités universelles, des vérités vraies pour tous les êtres humains.
La difficulté de douter apparaît dans la « simple conscience » et disparaît dans la « double conscience », reste l’effort. Oui. Je m’explique. Lorsque je dis « Je sais », c’est une question de simple conscience. Lorsque je dis « Je sais que je sais », c’est la double conscience qui intervient. Dans « Je sais que je sais », il y a une vérification de ce que je sais. Dans la simple conscience, il n’y a pas de vérification, je ne me questionne pas à savoir si je sais vraiment. Dans la simple conscience, je me réfère aux évidences apparentes ou à l’expérience immédiate, d’où que je puisse rapidement conclure « Je sais » ou « Je ne sais pas ».
L’expérience immédiate se réduit généralement à la connaissance accumulée à l’aide des sens (goût, odorat, ouïe, toucher et vue). Elle n’est pas inutile, au contraire, elle nous permet de combler nos besoins de base et de vivre en toute sécurité. Par exemple, c’est par l’expérience immédiate de l’odeur d’un aliment mauvais au goût que je garderai cette odeur en mémoire. Si jamais je fais à nouveau l’expérience immédiate de cette odeur, le souvenir aidant, je n’aurai pas besoin d’y goûter pour savoir qu’il est mauvais. Autre exemple, c’est l’expérience immédiate connue qui m’évitera de me brûler à nouveau en passant ma main dans la vapeur s’échappant d’un chaudron d’eau bouillante sur le feu de la cuisinière. C’est aussi l’expérience immédiate vécue à l’audition des crissements de pneus d’une automobile qui me fera remonter sur le trottoir sans prendre le temps de réfléchir si jamais la même expérience immédiate se présente. Somme toute, l’expérience immédiate est à toutes fines pratiques essentiellement sensorielles.
Mais nos sens peuvent nous tromper. « J’étais certain que mon camion passait aisément sous ce viaduc », dira le conducteur. « Je n’ai pas vu la marche », dira le visiteur. « J’avais pas l’impression d’écouter cette musique à un volume aussi élevé », dira le colocataire. Ce sont là des exemples terre-à-terre mais nos sens peuvent aussi induire en erreur notre appréciation d’une personne, d’un événement de grande importance voire d’un objet dangereux.
J’ai ajouté « connue » et « vécue » après « expérience immédiate » car certaines expériences immédiates semblent échapper à notre mémoire, du moins, ne pas s’y inscrire dès la première fois. En effet, il nous faut parfois plusieurs expériences immédiates similaires, par exemple, de déshydratation avant de prendre l’habitude de boire suffisamment lors d’un effort physique soutenu. Certaines personnes oublient toujours de faire le plein du réservoir d’essence de leur automobile malgré l’expérience immédiate de plusieurs pannes sèches.
Bref, nos sens peuvent nous trahir et l’expérience immédiate est loin d’être toujours suffisante pour engendrer une pensée certaine. Autrement dit, une simple conscience ne fournit pas toute la connaissance et la compréhension nécessaire pour prendre du recul et maîtriser la certitude.
Il faut une double conscience, c’est-à-dire, une conscience de la conscience. Disons-le avec d’autres mots. La simple conscience est une conscience spontanée tandis que la double conscience est une conscience réfléchie. Le professeur L. Meynar 4 parle aussi de la conscience réfléchissante et de la conscience réfléchie. La première se limite au reflet de la réalité, la seconde se veut une réflexion au sujet de ce reflet. « (…), mais au fond la conscience et la conscience de la conscience sont deux opérations de l’esprit qui ne diffèrent que par le degré d’intériorisation et de réflexion », écrit le professeur.
Par intériorisation, entendons simplement l’« aptitude mentale à s’isoler du monde extérieur » (Le Petit Robert), ce qui implique, pour nous, la capacité à nous soustraire à l’influence de nos sens, ces derniers étant responsables de nous relier au monde extérieur. Autrement dit, une fois que nous avons acquis toute la connaissance possible avec nos sens au sujet de ce à quoi nous voulons réfléchir, on ferme la porte; on ne laisse plus les sens se mêler de nos affaires.
L’opération est difficile à celui ou celle qui se demande : « Oui. Mais ne ressent-on pas toujours quelque chose ? Comment soustraire complètement ma réflexion à mes sens ? ». Évidemment, il ne s’agit pas de « débrancher » les nerfs; nous mourrions. Blague à part, nos sens alimentent constamment notre cerveau et c’est très bien ainsi. Mais il ne faut pas être comme l’élève à la merci de tout ce qu’il voit et entend au point de perdre le fil de sa propre réflexion, ce qui fait référence à un premier aspect de l’intériorisation : la capacité de concentration dans l’ambiance du monde extérieur.
Le deuxième aspect se rapporte à la capacité de contrôler la connaissance par les sens, comme s’il fallait à un moment donné la fixer, décider qu’on a la connaissance de base nécessaire pour réfléchir. Autrement, on se retrouve à réfléchir à une connaissance qui change constamment parce que toujours alimentée par les sens. En fait, il s’agit de considérer que la conscience et la conscience de la conscience ne peuvent pas travailler en même temps. Comparez-vous au chercheur en laboratoire tentant de réfléchir à un virus tout en gardant les yeux rivés sur ce virus à l’aide de son microscope. L’exercice est toujours possible, l’image du virus peut stimuler l’imagination, mais le chercheur sait fort bien que son travail au microscope (le recours à ses sens) consiste à prendre des connaissances auxquelles il réfléchira plus tard, dans un deuxième temps, à son bureau, par exemple. Ce faisant, il intériorise la connaissance, il ne lui reste plus que des notes. Il amène la connaissance sensorielle de la simple conscience dans la double conscience. Par le fait même, il s’isole lui-même et isole la connaissance du monde. Le travail de la simple conscience est terminé et celui de la double conscience commence.
Personnellement, il me semble plus aisé de différencier la simple de la double conscience en les qualifiant de conscience spontanée et de conscience réfléchie. Pour en finir avec cette différenciation, comparons l’exercice de conscience à celui de la photographie. La conscience spontanée fournit la photographie et la conscience réfléchie l’analyse. L’objet photographié, c’est le monde extérieur. L’appareil photographique représente mes sens (en tant qu’il les prolonge, comme le fait un microscope). La photographie, c’est la connaissance produite par la conscience spontanée à l’aide de mes sens. Je dispose en mon esprit d’une représentation du monde extérieur. Je n’ai plus besoin de l’appareil ou de mes sens pour me représenter le monde extérieur puisque j’en ai une représentation indépendante en mon esprit. Je puis donc me couper du monde extérieur pour réfléchir à cette représentation.
Dans cet exercice, la photographie ou la représentation du monde extérieur en mon esprit est une première connaissance, la connaissance spontanée. Ma réflexion sera une connaissance réfléchie de la connaissance spontanée, une « connaissance de la connaissance » à l’image d’une « conscience de la conscience ».
Dans ce contexte, vous comprendrez peut-être mieux que jamais la réflexion : « Retour de la pensée sur elle-même en vue d’examiner plus à fond une idée, une situation, un problème » (Le Petit Robert). Ce retour de la pensée sur elle-même est nécessaire parce que la conscience spontanée peut m’induire en erreur, produire une pensée d’une fausse certitude :
« La conscience naïve ne connaît que des choses et s’ignore elle-même comme conscience. Par exemple, je dis spontanément : « Devant moi il y a une lampe, sous mes pieds il y a un tapis, sur le balcon il y a des fleurs ». Je ne pense pas d’abord à l’acte de mon esprit par lequel j’affirme tout cela; mais ma pensée s’oublie, s’efface devant les choses qu’elle affirme. (…). Elle affirme les choses, l’être, le « il y a ».
Cependant, je fais bien vite l’expérience de l’erreur. Par exemple, je me dis : « Il y a un moineau sur le balcon »; je m’approche et ce n’est qu’un petit papier gris. Donc il n’y avait pas de moineau, mais j’avais cru voir un moineau. J’avais cru… Ici ma pensée, d’abord tournée vers les choses, revient sur elle-même; je réfléchis sur ma connaissance, je me demande quelle est sa valeur. (…). » 5
Si la conscience naïve (spontanée) se limite à « affirmer », on comprend encore mieux pourquoi les débats d’opinions ont tout pour nous induire en erreur, contrairement à la discussion qui force la réflexion sur chaque affirmation.
Cela dit, l’exemple du moineau sur le balcon est une certitude banale sans trop de conséquences. Vous n’êtes sûrement pas sans penser à des exemples plus dramatiques où de fausses certitudes peuvent conduire à des erreurs fatales. « Je peux éprouver un sentiment très fort et très sincère de certitude et pourtant être dans l’erreur », soulignent messieurs Huiman et Vergez.6 La chose sur le balcon apparaissait « de toute évidence » comme un moineau et j’accorde sur-le-champ le statut de vérité à cette évidence; j’affirme « Il y a un moineau sur le balcon ». Je ne me dis pas : « Il y a peut-être un oiseau sur le balcon » car, pour moi, il n’y a pas de doute que je vois un oiseau.
L’erreur commune de la conscience spontanée est de prendre les évidences comme des vérités sans en douter. La conscience spontanée nous donne souvent un sentiment d’évidence, une impression d’évidence. Les mots « sentiment » et « impression » sont justes parce que la conscience spontanée est directement en relation avec les sens dont l’activité débouche précisément sur des sentiments et des impressions. Or, un simple sentiment ou une simple impression ne suffit pas pour fonder une pensée certaine. Bref, il faut se méfier de toutes les évidences, en douter systématiquement, comme nous le recommande Descartes.
Plus une personne est sensible à ses sentiments et à ses impressions, plus elle devrait se méfier des évidences qui lui viennent à l’esprit. Et c’est justement parce que nous sommes tous sujets à une telle sensibilité que nous devrions tous douter systématiquement des évidences. Même lorsque nous nous vantons d’avoir réfléchi, il arrive que notre réflexion ait été induite en erreur par notre première impression, généralement la plus influente de toutes. En fait, notre réflexion consiste souvent à expliquer et à justifier notre première impression parce que nous la prenons pour vraie, du début à la fin. Or, pour découvrir si une première impression est vraie, il faut en douter. Seul un doute systématique peut produire la certitude et confirme si la première impression est vraie ou fausse. On peut être certain d’une première impression que si plus aucun doute ne persiste en notre esprit, non pas en rejetant le doute pour uniquement en justifier l’évidence.
Pour déceler si une personne n’a pas été bernée par sa première impression dans sa réflexion, il faudrait la forcer à nous exposer tous les doutes qu’elle a levés pour en arriver à être certaine. J’imagine la surprise de cette personne à la question : « Avez-vous eu des doutes ? ». Une réponse du genre « Je suis comme tout le monde, j’ai eu des doutes mais maintenant je suis certain », ne serait que de la poudre aux yeux. Il ne fut pas demandé si la personne doutait comme tout le monde mais si elle, elle avait eu des doutes. Il nous faudrait insister : « Quels ont été vos doutes ? ». Une réponse du genre « Je ne suis pas ici pour faire état de mes doutes mais pour partager ce que je sais » démontrerait définitivement que la personne est uniquement capable d’une conscience de la conscience, d’une réflexion, dont le seul but est d’imposer ses évidences, à elle-même et aux autres. Elle ne peut que nous montrer jusqu’à quel point elle a le sentiment d’être certaine de posséder la vérité. C’est comme si elle nous lançait : « Ne doutez plus, j’arrive ! » ou « Me voilà, il n’y a plus de raison de douter ». En fait, cette personne nous dit : « Je connais la vérité et j’ai la certitude de la connaître ». Or, sa fuite devant le doute prouve tout à fait le contraire. Car qui n’a pas douté, connaît mais il ne peut pas en être certain.
Descartes écrit : « L’acte par lequel on connaît une chose est différent de celui par lequel on connaît qu’on la croit ». Je connais avec ma conscience spontanée, je connais que j’y crois avec ma conscience réfléchie ou, si vous préférez, je sais, avec ma conscience spontanée, je sais que je peux y croire ou non avec ma conscience réfléchie.
Le doute systématique enseigné par Descartes deviendra la première règle de la méthode scientifique. Toute la certitude accumulée en science fut et est possible grâce à l’application, à l’exercice, du doute systématique. La première caractéristique de l’esprit scientifique est de douter systématiquement.
C’est à partir du moment où l’homme s’est mis à douter systématiquement de ses connaissances qu’il a pu qualifier ses connaissances d’exactes et d’approfondies et les réunir dans différents « corps de connaissances ayant chacun un objet déterminé et reconnu, et une méthode propre » ou, différents « ensembles de connaissances, d’études d’une valeur universelle, caractérisés chacun par un objet (domaine) et une méthode déterminés, et fondés sur des relations objectives fiables » (Le Petit Robert). Il s’agit là de la définition d’une science, des sciences. Pour le moment, retenons uniquement (nous verrons les autres aspects plus tard) que la référence à la méthode est obligée pour définir une science et que cette méthode peut varier d’une science à l’autre mais toutes ont en commun la pratique du doute systématique.
On peut donc mettre un peu de science dans sa pensée, profiter de la certitude scientifique dans sa vie, en nous prêtant au doute systématique. Et cela n’est pas aussi compliqué qu’il y paraît. Ne vous imaginez pas bloqué par le doute systématique chaque fois que vous cherchez à connaître, que vous pensez à quelque chose et chaque fois que vous vivez quelque chose, la tête en train d’exploser, dans la position du penseur de Rodin. Même le scientifique qui a fait profession de douter systématiquement des connaissances dans un domaine ou sur un objet déterminé ne s’imagine pas chercher et penser ses doutes jusqu’à la surchauffe de son cerveau au point d’en brûler des neurones et en devenir fou. Le doute systématique n’est pas paralysant, à preuve, les sciences avancent sans cesse depuis qu’elles le pratiquent. Lorsqu’un problème demeure incompréhensible et irrésolu, c’est que le doute systématique n’a pas encore produit une pensée suffisamment certaine pour comprendre et résoudre le problème.
Mais il n’est pas nécessaire de faire du doute systématique une profession pour en tirer le bénéfice d’une pensée certaine profitable à tout un chacun. Le scientifique passera des années sur les bancs d’école qu’il ne quittera pas vraiment puisqu’il est en formation toute sa vie. Il choisit un objet d’étude déterminé et passera en revue tous les doutes levés par ses prédécesseurs dans son domaine. Il se mettra au parfum des doutes et des problèmes actuels et il commencera sa recherche. Nous ne disposons pas d’autant de temps pour étudier chacun de nos problèmes. Impossible d’imaginer nous concentrer sur un seul problème toute notre vie.
En revanche, nous pouvons former quelque peu notre esprit à la pensée scientifique. Nous pouvons importer de la science les principales règles de sa méthode d’être certaine. Bien comprises, ces règles deviennent quasiment une seconde nature, si je puis dire. L’effort nous paraîtra naturel, ne serait-ce que l’effort du doute, la règle suprême. Il faut bien peser les mots « seconde nature » et « effort naturel » car, en fait, l’esprit scientifique va à l’encontre de notre nature qui, nous l’avons souligné, nous pousse à prendre pour vraie la moindre évidence. Ne pas prendre pour vrai ce que nous pensons n’est pas dans notre nature et c’est ce en quoi consiste principalement l’esprit scientifique.
J’aime bien la définition de la science donnée par l’historien philosophe des sciences et professeur de chimie et de physique, Gaston Bachelard, dont le livre La Formation de l’esprit scientifique7 fait autorité en la matière. « Il définit la science comme un combat, un refus de ses propres opinions »8, pour moi, un refus de ce qu’on prend d’emblée pour vrai, puisqu’une opinion est par définition prise pour vraie.
Aussi, la réflexion sur la connaissance proposée par Descartes est d’ordre critique plutôt que dogmatique, fondée sur un doute systématique plutôt que sur un dogme, sur des « vérités fondamentales incontestables » ou des « opinions émises comme des certitudes » (Le Petit Robert), comme on en trouve plusieurs au sein de l’église.
On peut qualifier une réflexion de critique que si elle met en doute systématiquement les connaissances acquises. Pas de doute, pas de qualité critique, pas de certitude, uniquement des dogmes. C’est la qualité critique de la démarche de mes professeurs lors de ma troisième session en sciences humaines au collège que j’ai remise en cause en demandant pourquoi leurs sources disaient sensiblement toutes la même chose sur les sujets à l’étude. « Cet auteur affirme le contraire de l’auteur que vous avez choisi. Que fait-on avec son point de vue? » demandais-je à répétition sans obtenir de réponses intelligentes pour me convaincre de poursuivre plus loin mes études avec eux.
Selon le professeur et sociologue des sciences Olivier Clain, non seulement le premier geste de la démarche critique est une mise en doute des connaissances acquises, mais la connaissance elle-même apparaît dès lors comme une réflexion critique, c’est-à-dire, comme « une démarche qui rend possible une avancée continuelle du savoir par destruction du déjà su, des évidences déjà accumulées ».9
Le professeur Nicolle formule en ces mots la démarche : « La connaissance est une lutte à la fois contre la nature et contre soi-même. On connaît contre une connaissance antérieure. La connaissance n’est pas une simple acquisition; elle est une remise en question de ce que l’on croyait savoir et qu’on savait mal ».10
N’y a-t-il pas là un nouvel élément ? Qu’est-ce que vous inspire : « par destruction du déjà su » et « contre une connaissance antérieure » ? La réponse doit préciser qu’est-ce qui peut détruire le déjà su. Seul un doute au sujet d’une connaissance déjà établie (pour vrai) peut détrôner cette dernière. Si je ne doute pas de la connaissance établie, il n’est aucune raison de croire que je sais mal. Si je doute d’une connaissance établie, mon doute détruit cette connaissance et c’est sur ces ruines que s’installera une nouvelle connaissance, plus certaine, jusqu’à ce qu’un doute vienne la détruire à son tour, pour une connaissance encore plus certaine. Lorsque je crois en une connaissance, j’accepte l’éventualité de devoir l’abandonner si un doute survient. Le bénéfice du doute, c’est la certitude… jusqu’au prochain doute !
Mais notre habitude de prendre pour vraies les évidences se pose comme un obstacle au doute assurant le développement de la connaissance. Gaston Bachelard introduit la notion d’« obstacles épistémologiques », de épistémè, savoir.
« La nouveauté de sa réflexion tient à la découverte des obstacles épistémologiques. Ce ne sont pas des obstacles extérieurs, comme la difficulté d’observer les phénomènes, de les mesurer, d’expérimenter sur eux; ni des obstacles techniques liées à la mise au point d’instruments au service de la science; ce sont des phénomènes internes à l’esprit même du chercheur. G. Bachelard a emprunté à la psychanalyse le concept de résistance. Une résistance est tout ce qui, dans les actions et les paroles d’un patient, s’oppose à l’exploration, par celui-ci, de son inconscient (ex. : fatigue, oublis, refus d’une interprétation, impatience, etc.)
L’obstacle épistémologique est une résistance au développement de la connaissance, interne à l’acte de connaître. C’est dans l’esprit du chercheur, dans sa démarche intellectuelle elle-même que l’on trouve des barrières, des obstacles au progrès de la connaissance. Ces obstacles sont bien entendu involontaires. »11
Laissons à Gaston Bachelard le soin de replacer nos dires dans la version originale de son texte :
« Quand on recherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette conviction que c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Et il ne s’agit pas de considérer des obstacles externes comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d’incriminer la faiblesse des sens et de l’esprit humain : c’est dans l’acte même de connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C’est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c’est là que nous décèlerons des causes d’inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques. La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n’est jamais « ce qu’on pourrait croire », mais il est toujours ce qu’on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l’appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d’erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à la spiritualisation.
L’idée de partir de zéro pour fonder et accroître son bien ne peut venir que dans des cultures de simple juxtaposition où un fait connu est immédiatement une richesse. Mais devant le mystère du réel, l’âme ne peut se faire, par décret, ingénue. Il est alors impossible de faire d’un seul coup table rase des connaissances usuelles. Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement offusque ce qu’on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés. Accéder à la science, c’est, spirituellement rajeunir, c’est accepter une mutation brusque que doit contredire un passé.
La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit.
Une connaissance acquise par un effort scientifique peut elle-même décliner. La question abstraite et franche s’use : la réponse concrète reste. Dès lors, l’activité spirituelle s’invertit et se bloque. Un obstacle épistémologique s’incruste sur la connaissance non questionnée. Des habitudes intellectuelles qui furent utiles et saines peuvent, à la longue, entraver la recherche. « Notre esprit, dit justement M. Bergson, a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l’idée qui lui sert le plus souvent ». L’idée gagne ainsi une clarté intrinsèque abusive. À l’usage, les idées se valorisent indûment. Une valeur en soi s’oppose à la circulation des valeurs. C’est un facteur d’inertie pour l’esprit. Parfois une idée dominante polarise un esprit dans sa totalité. Un épistémologue irrévérencieux disait, il y a quelque vingt ans, que les grands hommes sont utiles à la science dans la première moitié de leur vie, nuisibles dans la seconde moitié. L’instinct formatif est si persistant chez certains hommes de pensée qu’on ne doit pas s’alarmer de cette boutade. Mais enfin l’instinct formatif finit par céder devant l’instinct conservatif. Il vient un temps où l’esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit, où il aime mieux les réponses que les questions. Alors l’instinct conservatif domine, la croissance spirituelle s’arrête. » 12
Gaston Bachelard nous propose ces quatre exercices disciplinaires pour conduire notre intelligence avec rigueur13 :
La catharsis intellectuelle : toute culture scientifique doit commencer (…) par une catharsis intellectuelle et affective, c’est-à-dire par une véritable purification des préjugés, des idées toutes faites, des opinions admises. C’est une condition préalable pour qui veut vraiment entreprendre une recherche intellectuelle. Bachelard reprend ici la tradition philosophique, qui, depuis Socrate en passant par Descartes, exige la rupture avec la doxa (l’opinion) pour penser librement par soi-même.
La réforme de l’esprit : il faut éduquer convenablement son esprit, c’est-à-dire non pas le remplir de connaissances jusqu’à saturation, mais le former avec méthode. Plus précisément, il faut apprendre à son esprit à se réformer sans cesse, à ne jamais s’installer dans des habitudes intellectuelles qui deviennent vite des carcans; il doit être capable de renoncer à une théorie à laquelle il était attaché, il doit être capable de refondre totalement le système de son savoir chaque fois que c’est nécessaire. Il faut avoir un esprit souple
Le refus de l’argument d’autorité : comme nous l’ont appris les savants de la Renaissance, il faut savoir rompre avec le respect pour les autorités intellectuelles, quel que soit leur prestige. Un épistémologue irrévérencieux disait, il y a quelque vingt ans, que les grands hommes sont utiles à la science dans la première moitié de leur vie, nuisibles dans la seconde moitié. Effectivement, dès qu’un chercheur devient célèbre, il acquiert une autorité intellectuelle et morale qui peut gêner ses étudiants. Pour progresser, ceux-ci doivent souvent rompre avec les idées de leur maître, ce qui n’est pas toujours facile lorsque celui-ci détient le pouvoir d’orienter les travaux de recherche, les thèses, les carrières, etc. À ceux qui veulent apprendre, c’est souvent une gêne que l’autorité de ceux qui leur donnent leur enseignement, écrivait Cicéron.14
L’inquiétude de la raison : il ne faut jamais laisser sa raison en repos (quies); il faut l’inquiéter, la déranger. Il ne faut pas s’installer dans la sympathie avec une doctrine. La sympathie enlève l’esprit critique, la liberté de jugement. Il ne faut jamais se sentir à l’aise avec ses propres idées, il faut se remettre toujours en question. Celui qui ne s’interroge plus se sclérose. L’esprit qui finit toujours par dire oui s’endort. Penser, c’est dire non, pensait Alain. »15
Ces exercices prolongent fort bien notre propos. Il faudrait nous les enseigner dès notre plus jeune âge pour plus de rigueur dans l’ensemble des réflexions de tous les gens.
Pour le moment, les critères de vérité diffèrent tellement d’un individu à l’autre que le développement de la connaissance s’en trouve réduit, autant dans nos vies personnelles que publiques. Il y a prolifération de connaissances sans pour autant qu’elles soient certaines car on peut justement douter des critères de vérité retenus. Bref, il y a une multitude de raisons de croire de certitude très inégale.
Matalon, Benjamin, La construction de la science – De l’épistémologie à la sociologie de la connaissance scientifique, Delachaux et Niestlé S.A., Lausane (Switzerland) – Paris, 1996
« Lorsque quiconque avance une affirmation qu’il prétend être une vérité, lorsqu’il veut la faire reconnaître et partager comme telle (comme une vérité), on est toujours en droit de lui demander « pourquoi devrais-je vous croire? ». Selon les domaines et les circonstances, les réponses peuvent être très diverses : on peut invoquer l’expérience quotidienne, la pratique, un témoignage, l’autorité de quelqu’un de reconnu comme compétent, la tradition, une révélation, l’intime conviction, l’intuition, le raisonnement, le sentiment d’évidence, et encore bien d’autres raisons de croire. »16
La science procède autrement :
« Les affirmations scientifiques, elles, devraient en principe appuyer leur validité sur des arguments à la fois empiriques, rationnels, et publics. À la question ci-dessus, le scientifique devrait pouvoir répondre : « voilà l’expérience ou l’observation que j’ai réalisée et les raisonnements que j’ai faits pour en tirer mes conclusions. Vous pouvez les refaire, je vous donne toutes les indications nécessaires pour cela, vous verrez que vous aboutirez au même point que moi ». »17
Quelle différence remarquez-vous? Lorsqu’un scientifique avance une affirmation qu’il prétend être vraie, il doit la soumettre à l’approbation publique. Dans notre vie privée, nous nous contentons souvent de nous approuver nous-mêmes. Nous jugeons nous-mêmes si nous pouvons être certains ou non, par conséquent, notre capacité à reconnaître nos erreurs est réduite uniquement à notre propre expérience.
Le scientifique ne saurait se contenter d’une preuve personnelle, il la soumettra aux d’autres :
« Une preuve scientifique doit pouvoir s’imposer à toute personne suffisamment informée; obtenir le consensus est donc une visée de tout effort de recherche. La connaissance scientifique est, par sa nature même, partageable. (Un chimiste anglais, Ziman (1968), a forgé pour cela l’adjectif ‘ consensible ’, c’est-à-dire susceptible d’être l’objet d’un consensus, pour exprimer la même idée ».18
Les mots-clés : « à toute personne suffisamment informée ». La personne qui nous propose une vérité est-elle suffisamment informée ? Et nous, sommes-nous suffisamment informés pour juger cette vérité vraie ou fausse ? La plupart du temps, non seulement nous ne prenons pas le temps de vérifier les informations disponibles, nous n’avons pas le temps. Plus encore, la surabondance d’informations nous démotive. Même lorsqu’on se donne quelque peu la peine de fouiller un sujet, de consulter différentes sources d’informations, on a l’impression de piger au hasard.
Il faut que les informations soient loin, en dehors de la science, de former un ensemble de connaissances ordonnées, faciles à consulter. La pagaille voire l’anarchie caractérise l’autoroute de l’information et on trouve difficilement ce que l’on cherche. Or, le fouillis sur l’autoroute de l’information est à l’image de l’esprit de l’homme. L’informatique est une science, le contenu véhiculé est loin d’être soumis à la même organisation de pensée, une grave erreur qui nous laisse dans l’erreur. Si l’autoroute de l’information avait été conçue comme une gigantesque encyclopédie, le problème serait réglé mais cela ne se produira pas car les penseurs des moteurs de recherche manquent eux-mêmes de conscience de la conscience. Pressés de passer à l’action avec les évidences du bord, ils ne doutent pas suffisamment voire correctement, bref, ils manquent de réflexions.
Dans ce contexte de fouillis général, débordant amplement l’autoroute de l’information, nous ne pouvons avoir qu’une seule qualité : rester ouverts à l’idée de douter de nos pensées certaines si jamais nous en croisons une autre qui n’y corresponde pas, en tout ou en partie. N’est-ce pas la moindre des choses au lieu de rejeter instantanément toutes connaissances contredisant nos pensées certaines ?
Parler avec certitude m’apparaît prétentieux et arrogant, très peu raisonnable. Ajoutez à cela l’assurance et la confiance en soi avec lesquelles les gens renforcent l’impression de dire la vérité et vous pouvez conclure que la plupart des gens exagèrent. Il suffit d’y prêter attention lors des réunions de famille, des séances de travail au bureau, des pauses-café, des activités de loisirs, des déplacements en public, de l’épicerie au centre commercial en passant par la station-service et le cinéma, bref, partout où l’autre parle avec un autre, pour se rendre compte que les gens donnent force de vérité à ce qu’ils disent et pensent, sans entretenir le moindre doute.
J’ai commencé bien jeune à me rendre compte que je ne pouvais pas me fier aux pensées les plus certaines des gens. Même les journalistes sont trompés par l’évidence. Je ne sais plus combien d’informations de toutes sortes sur les sujets les plus variés j’ai vérifiées jusqu’à la source pour m’apercevoir que les médias m’avaient induit en erreur, faute d’avoir eux-mêmes vérifié.
À titre d’exemple, à la sortie dans les médias de l’affaire des messages subliminaux dans la musique rock, piqué au vif, j’ai entrepris une vaste vérification de l’information pour satisfaire un doute systématique. Le sujet était traité par les médias avec tellement d’erreurs que je n’ai pu faire autrement que d’intituler ma première tournée de conférences dans les écoles élémentaires, secondaires et collégiales et les maisons de jeunes du Québec, de l’Ontario et des provinces maritimes : « Le rock et la déformation de l’information ». Il me fallait un minimum de deux heures et demie par conférence pour expliquer les erreurs relevées dans cinq articles publiés par différents quotidiens parmi les plus prestigieux au Canada. Et gare aux directeurs et aux animateurs qui voulaient couper court à la conférence car les jeunes, tout comme les parents rencontrés en soirée, voulaient savoir, tout savoir; la vérité ne court pas les rues et je l’avais trouvée pour la partager.
Pire encore, l’ignorance d’un seul homme peut priver tout un peuple d’une meilleure connaissance. À titre d’exemple, j’ai vu de mes yeux vu le dossier de l’éducation aux médias foirer lamentablement au Québec dans la première moitié des années 80 alors que je revenais de la France avec toutes les informations originales du projet initié par l’U.N.E.S.C.O., expérimenté pour la première fois en plusieurs pays sous l’égide du Conseil de l’Europe parmi lesquels la France était le plus avancé. J’avais en main non seulement les informations pédagogiques nécessaires à l’implantation du projet au Québec mais même les notes ministérielles confidentielles expliquant comment promouvoir le projet en hauts lieux. Je ne parle pas ici d’une valise de documents mais de plus d’une dizaine de caisses bourrées des informations les plus précieuses étalant un savoir de grande valeur. Dès mon arrivée, je me suis mis à la recherche d’informations du côté américain pour être en mesure de comparer la vision européenne avec la vision américaine. J’ai procédé de même avec le Québec et les autres provinces canadiennes, plus pauvres que jamais sur le sujet.
Avec une équipe, qui a compté au plus fort une quinzaine de personnes, nous avons expérimenté sur le terrain pendant cinq ans, ajustant ici et là le projet aux réalités québécoises, et de façon à avoir en main une version parfaitement adaptée avant de nous rendre en commission parlementaire lors de l’étude des crédits du ministère des communications du Québec pour demander de l’aide en vue de généraliser le projet dans les écoles, les maisons de jeunes et les services de loisirs. Déjà, nous avions fait la une de plusieurs médias et été l’objet de nombreux reportages, même l’Office National du Film du Canada avait produit un documentaire sur nos ateliers dans les écoles primaires.
Mais il ne fallut même pas une minute à un politicien de l’opposition, parfait ignorant du sujet, pour faire de notre cause un dossier partisan et ainsi inciter le ministre à ignorer notre demande. Il a laissé croire que le but de l’éducation aux médias était de critiquer les médias alors qu’en réalité, il s’agit de développer le sens critique. Mais pour lui, on ne pouvait pas développer le sens critique autrement qu’en faisant des critiques engagées. On devient critique des médias en apprenant « comment ça marche » par une expérimentation pratique des médias et en cernant l’influence des médias dans nos vies. Ainsi et seulement ainsi, on peut prétendre à des critiques objectives et être en mesure d’expliquer pourquoi on aime et pourquoi on n’aime pas. Nous avons poursuivi nos expériences sur le terrain, ajoutant même une véritable escouade pour répondre aux demandes de directeurs d’écoles aux prises avec la violence, celle dans les médias étant devenue un Cheval de Troie pour aborder la question. Au bout de quelques années, nous avons dû abandonner, faute de subventions gouvernementales pour compléter le financement privé. Ailleurs, l’éducation aux médias est toujours plus évoluée qu’au Québec et largement subventionnée par le privé et le public.
Frustré ? Comment ne pas l’être lorsque l’absence d’un doute raisonnable cause autant de ravage dans tous les milieux de la société. Qu’importe la région du monde où vous habitez, vous observerez de multiples décisions prises sous la seule connaissance des évidences plutôt qu’une juste compréhension de cette connaissance brute. Une conscience respectueuse d’elle-même se compose de la connaissance et de la compréhension tirées de la connaissance par la réflexion. La connaissance seule ne suffit jamais à l’être humain conscient de lui-même. Aussi, l’être humain conscient fait preuve d’humilité dans l’énoncé de ses certitudes car il sait fort bien qu’il ne dispose pas généralement de toutes les connaissances nécessaires pour réfléchir sur un sujet au point et produire une réflexion à toute épreuve. L’être humain responsable demeure continuellement à la recherche de nouvelles connaissances, particulièrement celles pouvant mettre en doute ce qu’il sait et croit savoir.
Nous terminerons notre chapitre sur la pensée certaine en traitant du « bon sens », ce qui me permettra de tenir ma promesse de vous présenter les opérations de pensées telles qu’expliquées par le professeur Clain :
« Il y a trois moments dans toute connaissance du monde :
Moment dans lequel je fais l’expérience de l’objet avec ses qualités propres et ses déterminations empiriques.
Moment de la construction des concepts, des catégories que j’utilise pour décrire les qualités de l’objet.
Moment, en constante relation avec les deux autres et qui sert de médiation dans le rapport entre les deux autres, et qui est le moment de la formulation des énoncés à caractère théorique. »
Quand je dis « La table est jaune et rectangulaire », j’affirme une connaissance dans laquelle ces trois moments sont présents. D’abord, l’expérience de l’objet, c’est le moment où s’effectue le premier contact avec l’objet, un contact sensoriel; je vois, je sens, je touche, j’entends et/ou je goûte l’objet. Lors de ce moment l’objet agit sur mes sens, il les stimule. Chaque sens stimulé produit alors une sensation (tactile, oculaire, auditive, etc.) qui sera acheminée au cerveau sous la forme d’un influx nerveux par les nerfs. La connaissance de l’objet se limite alors à un message sensoriel en route vers le cerveau. Ce message comprend alors toutes les données nécessaires pour me représenter mentalement l’objet, en avoir une « photographie » (sensorielle), c’est-à-dire une perception.
Le message arrive au thalamus, centre de réception et de traduction des messages sensoriels en langage du cerveau. En fait, le thalamus code l’influx nerveux pour qu’il puisse circuler dans les circuits formés par les neurones, les circuits neuronaux, différents des nerfs utilisés par les sens. Le thalamus produira le message en deux copies, l’une pour le cerveau pensant (conscient) et l’autre pour le cerveau émotionnel (inconscient). On sait depuis peu que le cerveau émotionnel, centre de la perception, reçoit sa copie du message bien avant le cerveau pensant. Le fait s’explique simplement par la longueur du circuit neuronal, celui entre le thalamus et le cerveau émotionnel est plus court que celui entre le thalamus et le cerveau pensant. Ainsi, le cerveau émotionnel a souvent pris connaissance du message et agit en conséquence avant même que le cerveau pensant ait enregistré l’arrivée de sa copie du message.
Je passe alors au deuxième moment de la connaissance, le développement de la photographie, si je puis dire. Les différents concepts dont j’ai déjà l’expérience en mémoire m’y aideront. Par exemple, j’ai déjà l’expérience du concept des formes et des différentes catégories de formes, je puis donc identifier la forme de l’objet en la classant dans la catégorie des formes rectangulaires. J’ai aussi l’expérience de la catégorie de formes que j’appelle « pattes », je puis voir que la forme rectangulaire repose sur des pattes. J’ai l’expérience du concept des nombres, je puis compter quatre pattes. J’ai l’expérience du concept des couleurs, je puis identifier la couleur de l’objet comme faisant partie de la catégorie de couleurs jaune. La représentation mentale ou le développement de la photographie est complété.
Il me faut maintenant que je m’exprime cette représentation mentale en la formulant, par exemple, avec des mots : « la table est jaune et rectangulaire ». Si jamais je n’avais pas eu l’expérience de la forme spécifique de l’objet, ma formulation ressemblerait à ceci : « La table est jaune et d’une forme que je n’avais jamais vue auparavant ». D’une couleur inconnue, j’aurais affirmé : « La table est rectangulaire et d’une « drôle de couleur ». Cette formulation exige que je me réfère constamment aux deux premiers de la connaissance, à mon expérience sensorielle de l’objet et aux qualités que je peux attribuer à l’objet.
Le cerveau émotionnel disposera ainsi d’une identification précise de ce que mes sens ont perçu et toute l’opération lui aura demandé quelques millisecondes. Il communiquera au cerveau pensant l’identification de l’objet mais une fois de plus, avant même que celui-ci ait pu en prendre conscience et commencé sa réflexion, s’il y a lieu, le cerveau émotionnel nous aura commandé l’attitude et le comportement à adopter face à cette table jaune et rectangulaire. Par exemple, mon cerveau émotionnel relèvera toutes mes références à la couleur jaune. Ces références sont classées dans notre schéma de référence, dossier sur la couleur, une sorte d’échelle de valeurs où les couleurs sont classées selon les émotions, agréables et désagréables, qu’elle suscite en moi. Si le jaune est classé comme une couleur désagréable parce que trop voyante pour un meuble, le cerveau émotionnel commandera une attitude rébarbative pouvant aller jusqu’au dédain. Ici encore, le cerveau émotionnel informera le cerveau pensant de son opinion et je pourrais en prendre conscience et y réfléchir.
C’est que nous sommes généralement inconscients du travail effectué par le cerveau émotionnel qui, par expérience, juge qu’il n’y a jamais de temps à perdre pour adopter une attitude précise face aux objets, aux personnes, aux situations, question de toujours être en mesure d’assurer notre sécurité. Vous vous souvenez de ces crissements de pneus d’automobile qui m’ont fait remonter sur le trottoir sans prendre le temps de réfléchir. Le cerveau émotionnel est en constante alerte et, pour lui, il n’y a aucun objet, personne et situation anodines.
Peut-être comprendrez-vous encore mieux en apprenant que les études de l’évolution du cerveau de l’homme démontrent que le cerveau émotionnel est le premier à s’être développé. Le cerveau pensant est venu plus tard et s’est développé, non pas indépendamment du cerveau émotionnel, mais plutôt en l’entourant, en y plongeant ses racines, si je puis dire, d’où les multiples connexions entre les deux cerveaux. Plusieurs spécialistes en neurosciences déduisent de ce fait une explication logique de la domination du cerveau émotionnel sur le cerveau pensant, des émotions sur l’intelligence.
Cette domination fut longtemps analysée par la science comme un défaut auquel remédier en prenant le contrôle de nos émotions. Aujourd’hui, la science reconnaît là une erreur car elle doit conclure que la raison n’est pas fonctionnelle sans les émotions. En effet, des patients privés de leurs émotions à la suite de lésions au cerveau émotionnel, n’arrivent plus à user de leur raison, même pas pour décider l’heure d’un prochain rendez-vous avec le médecin. La raison a besoin des émotions, d’où l’idée que le cerveau pensant est loin d’avoir le monopole de l’intelligence humaine. Il faut désormais parler de l’intelligence raisonnée et de l’intelligence émotionnelle, la première ne pouvant pas être exploitée sans la seconde. La lecture de l’ouvrage L’intelligence émotionnelle de Daniel Goleman vous est recommandée, un ouvrage auquel nous reviendrons.
Revenons aux moments présents dans toute connaissance. « Dans la vie de tous les jours, ces trois moments ne se distinguent pas clairement à ma conscience », ajoute le professeur Clain. Je les traverse inconsciemment et je me rends rapidement à l’évidence de mon constat d’observation. Nous avons déjà souligné qu’une telle connaissance, somme toute uniquement perceptive, peut nous induire en erreur.
Le professeur poursuit : « Ce n’est que dans la connaissance scientifique que ces moments vont se séparer clairement, qu’ils vont être posés comme différents par la conscience, s’autonomiser les uns des autres de manière claire et qu’ils vont se constituer en moment de connaissance scientifique ». Bref, la pensée scientifique s’arrête à chaque moment pour les contrôler, comme le recommandait Descartes (maîtrise des opérations de penser). L’expérience de l’objet sera minutieusement préparée, organisée et contrôlée, c’est-à-dire, systématique. Il en sera de même de la construction des concepts, généralement soumis au consensus des confrères, avant de les adopter et les utiliser pour décrire l’objet. Pareil effort sera déployé le temps venu de la formulation des énoncés à caractère théorique. On peut aisément comprendre que la différenciation des moments présents dans la connaissance et leur contrôle serré permettent à la science de produire des connaissances plus certaines que l’homme de la rue qui n’a aucune conscience de ces moments et se rend à l’évidence sans trop la questionner, du moins dans la vie quotidienne.
Car l’homme de la rue, vous et moi, peut réfléchir aux évidences s’il s’y arrête en s’isolant de son train-train quotidien. Cependant, comparée à la connaissance qualifiable de scientifique, la nôtre sera nommée « connaissance du sens commun » (le sens communément donné par l’homme à ses connaissances), reliée au bon sens dont nous parlions.
Dans la connaissance du sens commun, je connais des lois et, dans la connaissance scientifique, j’explique les lois. À titre d’exemple, la loi de la succession et celle de l’ordination des saisons (hiver, printemps, été, automne) est une connaissance du sens commun. L’explication de la succession des saisons et l’ordre dans lequel elles défilent relèvent de la connaissance scientifique.
Il est important de comprendre ce qu’est une loi, ce que nous faisons en expliquant que « la connaissance se distingue selon le type d’objets connu. Selon le professeur Clain, il y a trois types d’objets, chacun permettant un degré de connaissance différent.
Premièrement, il y a la connaissance intuitive qui me donne une certitude sensible, relative à ce que mes sens me laissent percevoir. Cette connaissance a pour objet le simple fait d’être d’une chose en face de moi. Par cette connaissance, je reconnais l’existence des choses. C’est le « Il y a ». C’est la connaissance d’un acte d’être, la forme la plus simple de la connaissance.
Deuxièmement, il y a la connaissance de l’imagination ou de la perception. C’est « lorsque je connais un objet et que je lui attribue des qualités ». J’acquiers une connaissance de l’objet en relation avec ses qualités. Ici, non seulement j’ai la connaissance de l’existence de l’objet devant moi, par exemple, en tant que table, mais j’ai aussi la connaissance de ses qualités, jaune et rectangulaire.
Troisièmement, il y a la connaissance de l’entendement, c’est-à-dire, la connaissance de la relation elle-même entre les qualités d’un objet ou entre des objets. Dans la connaissance de l’entendement, je porte plus spécifiquement attention à la constance, à la stabilité de la relation. Par exemple, je peux relier la qualité rectangulaire et la qualité jaune pour voir s’il y a une relation constante en me demandant si toutes les tables rectangulaires sont jaunes? Parfois oui, parfois non, devrais-je admettre. Il n’y a donc pas de relation constante entre les deux qualités, si ce n’est qu’aléatoire. En revanche, année après année, je peux voir une relation constante dans l’ordre dans le nombre de saisons et leur ordre. Il y a là de quoi déduire une loi du nombre de saisons et une loi de leur ordre. « Lorsque je connais grâce à l’entendement, je connais une loi », « je connais de loi », explique le professeur.
Dans ce dernier cas, on parlera de « l’entendement naturel », pour distinguer « l’entendement scientifique ». Dans l’entendement naturel, je connais de loi, dans l’entendement scientifique, je connais l’explication de la loi.
Dans l’entendement naturel, l’objet de la connaissance est la relation entre les qualités d’un objet ou des objets, d’où je peux tirer, comme résultat, une loi. Dans l’entendement scientifique, l’objet de la connaissance est la loi formulée par l’entendement naturel, son résultat. Bref, le résultat de l’entendement naturel est une loi tandis que celui de l’entendement scientifique saura l’explication de la loi.
Évidemment, l’homme n’accorde pas à l’entendement scientifique le monopole de l’explication des lois. L’homme a tendance à risquer une explication des lois que lui inspire son entendement naturel. Dans ce cas, « la loi trouve son explication dans le mythe, la religion, la culture, la coutume,… ». Il y a ici une « interprétation d’une volonté », la volonté de prouver l’existence d’une règle universelle, d’un mythe, d’une religion,… Une telle interprétation est inadmissible dans l’entendement scientifique.
En science, l’explication recourt plutôt à « des principes théoriques à partir desquels je pourrai présenter la loi comme le résultat d’une déduction ». La formulation pratique nous donnera l’affirmation suivante : « Étant donné que (principes théoriques posés), les saisons se présentent dans cet ordre (déduction). » La loi devient une explication déduite d’un énoncé de principes. Et seuls sont admis les principes :
parfaitement impersonnels, c’est-à-dire ne résultant pas d’une volonté divine;
parfaitement abstraits, c’est-à-dire qui ne relèvent pas d’une réalité concrète, une force cosmique concrète (de l’univers matériel);
et qui font intervenir des catégories parfaitement universelles, générales, c’est-à-dire des principes qui ne font pas appel à des cas individuels, particuliers, partiels.
Si Dieu intervient dans votre explication, vous n’êtes pas scientifique mais dogmatique. Si votre explication fait appel à des réalités du monde matériel, sensibles ou qui peuvent être perçues par les sens, votre explication n’est pas scientifique. Ici, le modèle de référence pour distinguer l’abstrait du concret est le nombre et les mathématiques, d’où que la science en fasse grand usage. Jamais vous rencontrerez le nombre « 2 » sur la rue, il n’a aucune existence matérielle, il est parfaitement abstrait. En revanche, il peut décrire parfaitement une réalité concrète. Si je dis « deux arbres », votre esprit sait exactement ce que je connais. L’usage du nombre m’évite d’avoir à vous faire un dessin concret de la réalité concrète. Il n’est plus besoin d’un support matériel (dessin) pour représenter le monde matériel. Je représente parfaitement la réalité concrète par des principes parfaitement abstraits. Le mot « arbre » est aussi un concept abstrait mais il n’est pas parfaitement défini, celui qui entend ce mot est libre de sa représentation tandis que le nombre ne laisse aucune liberté.
Enfin, si votre explication utilise des catégories de concepts concernant uniquement quelques exemplaires de l’objet ou des individus à l’étude, plutôt qu’à tous les exemplaires de l’objet ou à tous les individus, votre explication n’est pas scientifique. En fait, la science s’intéresse uniquement aux lois universelles, qui s’appliquent à tous les objets ou individus. Rien n’empêche la science de se pencher sur des cas d’espèce, un cas « qui n’entre pas dans la règle générale, qui doit être étudié spécialement » (Le Petit Robert), mais ces cas sont toujours interprétés en référence à la loi générale, universelle. La science se demande alors pourquoi le cas échappe à la loi universelle établie. La science n’en démord pas, l’universel est la règle. Après tout, comparer un cas particulier à un autre cas particulier ne serait pas très fiable. C’est en comparant une cellule cancéreuse avec la cellule saine qu’on peut avoir la certitude de ce qui afflige la cellule cancéreuse. Bref, vaut mieux d’abord des catégories générales si on ne veut pas être dépourvu devant les cas particuliers.
Si jamais la science laisse à d’autres le soin de la volonté divine, elle est tout de même le résultat d’une forte volonté, « d’une volonté de connaître, d’une entreprise systématique de recherche des lois et d’une recherche systématique des explications de ces lois », ajoute le professeur Clain.
La science est loin de la « manière de juger, d’agir commune à tous les hommes », bref, du « sens commun » ou « bon sens ».19 La présence du mot « sens » dans les deux expressions devrait suffire pour mettre en doute le sens commun. Plus gros est le « bon sens », plus nous devrions en douter. En fait, dire « C’est le gros bon sens », revient à dire « C’est l’évidence même », ce qui n’a rien pour inspirer la pensée certaine.
Le fait qu’un grand nombre de personnes partagent la même évidence nous impressionne et nous incite à croire à une vérité parce que nous jugeons qu’autant de gens ne peuvent tous se tromper en même temps sur la même chose. Or, c’est bien là tout le problème avec le bon sens, il jouit de la force du nombre, tandis que la vérité tient souvent d’un seul homme, comme ce fut le cas avec Nicolas Copernic, Marie Curie, Albert Einstein et plusieurs autres hommes et femmes de science.
Dans l’esprit du gros bon sens, la raison du nombre l’emporte. Dans l’esprit de la science, la raison d’un seul homme peut l’emporter. C’est ce que j’aime de l’esprit scientifique, il permet à quiconque trouve une vérité de changer le monde. La société du sens commun vante la liberté de pensée et la liberté d’expression accordées à chaque personne mais on devient vite un cas à part si on ne pense pas comme tout le monde. On se retrouve isolé. Mais quand tout le monde pense avoir le droit d’être certain parce que tout le monde le croit, le monde résout péniblement ses problèmes parce qu’il est privé du bénéfice du doute.
Quand tout le monde est certain de la même chose, vers qui se tourner quand on n’est pas du même avis ?
Quand on ne pense pas comme tout le monde, n’est-on pas jugé comme un cas à part ? À moins de taire sa différence, la personne qui ne pense pas comme tout le monde est isolée de son groupe, jusqu’à temps qu’elle pense à nouveau comme tout le monde dans son groupe. Autrement, elle devra changer de groupe. Mais, ce faisant, elle commet souvent la même erreur qu’au départ : elle choisit encore des personnes qui pensent comme elle. Visiblement, cette personne est mal à son aise dans un groupe qui ne pense pas comme elle. D’une part, cette personne réclame le droit de ne pas penser comme tout le monde et, d’autre part, elle cherche la compagnie de gens qui pensent comme elle. Cette personne nage en pleine contradiction.
Quand tout le monde a expérimenté sans succès la même chose, où est celui ou celle qui aura une solution vraiment nouvelle ? Nulle part. En tout cas, pas parmi tout le monde, à moins qu’elle s’y soit dissimulée sans crier gare. D’une part, cette personne n’est pas comme tout le monde et, d’autre part, elle se comporte comme tout le monde. Agir ainsi, c’est vivre dans la contradiction.
Quand chaque personne se donne raison personnellement, c’est-à-dire en elle, par elle et pour elle, ne partage-t-elle pas uniquement la solitude intérieure de tout le monde ? Quand une personne se donne raison personnellement, elle se prive de la sagesse accumulée par l’Homme depuis des siècles. Elle vit comme si elle était le premier homme ou la première femme sur Terre, niant le savoir de tous les hommes et de toutes les femmes qui l’ont précédée. Elle n’a alors de bons sens que le sien, et de science que la sienne. D’une part, cette personne souffre de la solitude car il est reconnu que l’homme n’est pas fait pour vivre seul et, d’autre part, elle crée son isolement en s’enfermant dans sa raison. Cette personne vit donc en contradiction avec sa raison. Il sera difficile de la raisonner.
Quand tout le monde se rallie au gros bon sens, à la force du nombre, pour se donner raison, comment se fait-il qu’il y ait autant de gens parmi ce monde qui donnent l’impression voire affirment haut et fort se foutre de ce que les autres pensent? Quand, d’une part, tout le monde pense comme tout le monde et que, d’autre part, tout le monde dit se foutre de ce que les autres pensent, parce que tout le monde le fait, le monde étale au grand jour toute son inconscience. Il y a là une contradiction que l’absence de conscience de la conscience, de réflexion, suffit à expliquer. Si nous sommes si nombreux, ce n’était certainement pas pour nous priver de réflexions.
À force de contradictions pareilles, plusieurs personnes en arrivent à ne plus aimer penser. Dès leurs premières réflexions, elles n’ont pu faire autrement que de tourner en rond, ce qui est assez pour ne pas aimer penser. Elles finiront par nier les contradictions, souvent en les poussant hors de leur conscience pour les refiler à leur inconscient, question de les oublier profondément.
On tourne en rond dans sa raison, comme on tourne en rond en forêt, c’est-à-dire, lorsqu’on est privé de repères, de lumière. On est ainsi privé lorsque rien ne laisse pénétrer la lumière, quand la couche de nuage est si dense et étendue qu’aucune lumière de la Lune et des étoiles est visible aux yeux. Il n’y a qu’un système de pensées sans aucune faille, sans aucun doute, qui prive la raison de lumière. Dans le noir, on se donne raison aveuglément. La raison aveugle ne voit pas les contradictions, elle ne peut que les sentir et éprouver un malaise. Mais la pensée certaine de la raison aveugle ne tient à rien de suffisamment solide pour soulager le malaise de la contradiction. Alors aussi bien les réduire en importance ou les nier. Après tout, l’esprit est davantage préoccupé par le malaise, ce qu’il ressent, que par les contradictions elles-mêmes puisqu’il ne les voit pas.
Il suffirait d’un tout petit doute pour éclairer la raison. La raison éclairée n’est pas embêtée par les contradictions, au contraire, elle crie : « Contredisez-moi ! ». Pourquoi ? Parce qu’elle transforme chaque contradiction en une nouvelle faille pour être toujours plus éclairée. La raison éclairée ne cherche pas à réconcilier toutes les contradictions révélées par la lumière, une tâche qu’elle sait impossible. Elle considère la réconciliation comme exercice. Tant mieux si la réconciliation advient de cet exercice mais le plus important est d’y entraîner la raison à la rigueur d’un éclairage toujours plus pertinent. Car, plus la raison est éclairée, plus elle est en mesure de tirer le bénéfice du doute, c’est-à-dire, de produire une pensée toujours plus certaine. Contredisez-moi !
Les sept obstacles à surmonter pour acquérir un esprit scientifique selon Gaston Bachelard
L’expérience immédiate : cet obstacle consiste à s’attacher aux aspects pittoresques et spectaculaires d’un phénomène, ce qui empêche d’en voir les aspects importants. (…)
La connaissance générale : elle consiste à généraliser trop vite un concept, à tel point qu’il en cache d’autres. (…)
L’obstacle verbal : il consiste à mettre un mot à la place d’une explication. On croit avoir expliqué un phénomène alors qu’on n’a fait que cacher son ignorance par un mot généralement à la mode. Molière déjà se moquait des médecins qui, par des mots latins ou des termes compliqués, laissaient croire qu’ils étaient savants alors qu’ils ne comprenaient rien aux maladies. Par exemple, la vertu dormitive de l’opium expliquerait pourquoi l’opium fait dormir ! (…)
La connaissance pragmatique : elle consiste à vouloir expliquer un phénomène par son utilité, comme si le monde était organisé comme une gigantesque et merveilleuse machine, dans laquelle chaque pièce a une place et joue un rôle en vue du tout. Les explications les plus mythiques, mais aussi les plus bêtes, ont été données suivant ce procédé : le tonnerre serait le bruit fait par Jupiter fécondant la Terre ; les raies du potiron seraient tracées afin qu’on le découpe en parts égales en f-mille. (…)
L’obstacle substantialiste : c’est l’obstacle le plus difficile à éliminer, celui qui revient sans cesse dans les esprits et qui a peut-être constitué le frein le plus important au progrès scientifique. Il consiste à chercher un support matériel, une substance, derrière tout phénomène ou qualité d’un phénomène. En effet, la recherche d’une explication commence souvent par l’hypothèse d’une cause matérielle, d’un substrat solide dont le phénomène ne serait qu’un effet. Par exemple, on croit généralement que les sensations comme la saveur reposent sur des substances (substans, ce qui se tient et se maintient dessous). Les alchimistes croyaient que la couleur dorée de l’or était due à un certain composant chimique qu’il suffirait de lier à un autre métal, comme par exemple le plomb, pour le transformer en or. (…)
L’obstacle animiste : il consiste à attribuer à des objets inertes des propriétés des organismes vivants. (…)
La libido : cet obstacle consiste à attribuer des caractères sexuels à des phénomènes qui ne relèvent pas de la reproduction. » (…)
_____________
NOTES
1. Je reprends ici, à peu de chose près, le texte de L. Meynard, La connaissance, Librairie Classique Eugène Belin, Paris, 1963, p. 31.
2. Le Petit Robert.
3. Voir : La pensée malheureuse, p. 69.
4. Meynard, L. La connaissance, Librairie Classique Eugène Belin, Paris, 1963, p. 32.
5. Huisman, Denis et Vergez, André, Court traité de la connaissance, Classes terminales A-B, Édition Fernard Nathan, 1969, p. 309. Les mots en caractères gras sont des auteurs.
6. Ibid., p. 311.
7. Bachelard, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 1938, Seizième édition, 1999. (Disponible en livre de poche).
8. Nicolle, Jean-Marie, Histoire des méthodes scientifiques – Du théorème de Thalès à la fécondation in vitro, Bréal, 1994, p.107.
9. Clain, Olivier, cours Science, Éthique et Société, programme de formation Télé-Universitaire du département de sociologie de l’Université Laval. À voir sur Canal U.
10. Nicolle, Jean-Marie, Histoire des méthodes scientifiques – Du théorème de Thalès à la fécondation in vitro, Bréal, 1994, p.107. Les caractères ont été mis en italique par l’auteur. Le professeur Nicole traite ici de l’enseignement de Gaston Bachelard.
11. Ibid., pp. 107-108.
12. Bachelard, Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 1938, Seizième édition, 1999, pp. 13-15.
13. Tel que rapporté par : Nicolle, Jean-Marie, Histoire des méthodes scientifiques – Du théorème de Thalès à la fécondation in vitro, Bréal, 1994, pp. 115-116.
14. Homme politique et orateur latin, 106 – 43 av. J.-C. Le Petit Larousse Illustré.
15. Gaston Bachelard fait référence à Émile Chartier, dit Alain, « essayiste français » (1868 – 1951). Le Petit Larousse Illustré.
16. Matalon, Benjamin, La construction de la science – De l’épistémologie à la sociologie de la connaissance scientifique, Delachaux et Niestlé S.A., Lausane (Switzerland) – Paris, 1996, pp. 21-22.
17. Matalon, Benjamin, La construction de la science – De l’épistémologie à la sociologie de la connaissance scientifique, Delachaux et Niestlé S.A., Lausane (Switzerland) – Paris, 1996, p. 22.
18. Matalon, Benjamin, La construction de la science – De l’épistémologie à la sociologie de la connaissance scientifique, Delachaux et Niestlé S.A., Lausane (Switzerland) – Paris, 1996, p. 23.
19. Définition donnée par Le Petit Robert au « sens commun », « qui équivaut au bon sens ».
La philosophie se vit dans la joie voire l’euphorie de l’étonnement. Être étonné, c’est comprendre sans effort dans la lecture, dans la réflexion personnelle ou dans la discussion. Le fameux « Ah ! Là je comprends » vient alors à l’esprit pour autant que ce dernier soit libre et dans le moment présent. Je traite de la question dans le chapitre LA PENSÉE INITIATIQUE de mon livre J’AIME PENSER (Comment prendre plaisir à penser dans un monde où tout un chacun se donne raison – Essai et témoignage de gouvernance personnelle). Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du chapitre LA PENSÉE INITIATIQUE.
Essai et témoignage de gouvernance personnelle par Serge-André Guay
La pensée initiatique
Pour partager le sens caché – La pensée initiatique nous introduit au sens caché de la vie, du monde et des choses, visibles et invisibles. Pour ce faire, elle nous éveille à des dimensions secrètes, difficiles d’accès à la pensée quotidienne. Elle agit sur nous principalement par révélation d’une connaissance ou d’une explication jusque-là inconnue et souvent insoupçonnée. En général, cette révélation s’opère de façon brusque ou instantanée et tout à fait gratuitement, c’est-à-dire sans effort particulier de notre part. Ainsi, la nouvelle connaissance ou explication s’impose à nous et nous la comprenons sur-le-champ, comme si un éclair venait de traverser notre esprit. Grâce à cette nouvelle compréhension, nous ne verrons plus jamais la vie, le monde ou les choses de la même manière. Nous profitons désormais d’une conscience élargie.
Paru il y a 25 ans maintenant, La voie initiatique de Jacques Languirand, oeuvre majeure ayant marqué une époque, a fait l’objet d’une révision et d’une mise à jour par l’auteur, pour la présente édition. Dans un style remarquablement concis, ce livre est un incontournable pour toute personne en quête du sens de la vie, puisque l’auteur répond à de nombreuses questions sur le cheminement intérieur et la pensée ésotérique. S’il témoigne de la démarche personnelle de l’auteur, le livre invite principalement le lecteur à entreprendre ou à poursuivre la sienne, en lui fournissant des pistes de réflexion, des informations pertinentes et des connaissances profondes. Avant-gardiste, Languirand parlait déjà à cette époque d’énergie quantique et d’états de conscience, thèmes qui s’avèrent aujourd’hui très populaires chez les êtres en cheminement spirituel ou encore dans le monde de la croissance personnelle. Source : leslibraires.ca.
La révélation se limite généralement à un aspect ou une manière dont la vie, le monde ou une chose se présente à notre esprit, sûrement pour respecter notre capacité d’absorption. La révélation sur plusieurs aspects à la fois se fait donc plus rare et débouche sur une conscience éclatée, c’est-à-dire, offrant, non plus une perspective unique, mais multiple. Nous parviendrons au même résultat avec une série de révélations portant chacune sur un aspect mais sur une période de temps évidemment plus longue.
Conscience élargie ou éclatée, la pensée initiatique procède par des liaisons, à l’instar du processus normal de compréhension.
« Que se passe-t-il donc dans votre esprit lorsque vous comprenez? Pas autre chose que ceci : vous faites la liaison, vous pensez un rapport entre la proposition nouvelle qu’on vient de vous exposer et ce que vous savez déjà, vous voyez le lien qui les unit, autrement dit cette proposition nouvelle entre dans le système de vos connaissances. »1
« Au contraire, lorsque vous ne comprenez pas, c’est que vous ne faites pas de liaison entre la proposition nouvelle et vos connaissances antérieures, vous ne voyez entre elles aucun rapport. Vous comprendrez au moment précis où ce lien vous apparaîtra, mais auparavant cette proposition nouvelle flotte en dehors du système de vos connaissances. »2
L’expression succincte « Pas rapport » utilisée par les jeunes pour dire « Tu établis un rapport là où il n’y en a pas » correspond donc parfaitement à sa signification réelle : « Tu ne comprends pas ».
Dans le cours normal de la compréhension, nous déployons toujours un certain effort face à une nouvelle proposition de connaissance, soit un effort minimum lorsque nous la comprenons facilement, soit un effort maximum lorsque nous la saisissons difficilement. Autrement dit, plus nous établissons facilement un rapport entre la nouvelle connaissance et nos connaissances déjà accumulées, plus nous en tirons facilement une compréhension, et vice-versa. Ainsi, expliquer une connaissance revient à exposer son (ou ses) rapport avec ce qui est déjà su. Bien expliqué, le rapport d’une connaissance avec celles déjà connues apparaît évident, d’où une compréhension sans trop d’efforts, et vice-versa. Dans un cas comme dans l’autre, la compréhension demande un certain effort.
Or, la compréhension ne requiert aucun effort dans la pensée initiatique; non seulement la nouvelle connaissance est révélée mais son rapport avec le déjà su s’établit automatiquement et à notre insu.
Toute la puissance de la pensée initiatique se concentre alors sur la principale difficulté rencontrée lors de la recherche de sens (à la vie, au monde ou aux choses) : notre résistance en vertu de notre attachement à la connaissance et à la compréhension acquises précédemment. Autrement dit, nous tenons à ce que nous savons et le génie de la pensée initiatique est de nous prendre par surprise pour que nous n’offrions plus aucune résistance à une nouvelle compréhension (de la vie, du monde ou des choses).
Aussi, la pensée initiatique se révèle à nous à la suite d’une expérience traumatisante ou d’une découverte surprenante, les deux moments où nous offrons le moins de résistance. Dans ces moments-là, nous acceptons plus facilement de tout remettre en cause les rapports déjà faits voire tout notre système de rapports parce que nous sommes ébranlés, déstabilisés, fragilisés, perturbés.
Le traumatisme se présente comme l’« ensemble des troubles physiques ou psychiques provoqués dans l’organisme par le trauma »,3 c’est-à-dire, une lésion ou d’une blessure au corps (trauma physique) ou une émotion violente (trauma psychique – psychologique). Par exemple, un accident d’automobile peut causer une lésion à la colonne vertébrale (trauma physique) entraînant une paralysie des jambes (traumatisme physique). Ce même accident d’automobile peut causer aussi une peur si violente (trauma psychologique) qu’elle entraîne, non seulement la peur de prendre place à nouveau dans une automobile (traumatisme psychologique au 1er degré), mais aussi une hypersensibilité à toute peur – la peur de la peur (traumatisme psychologique au 2e degré).
Une découverte peut aussi causer un trauma ou un violent choc psychologique entraînant un traumatisme émotionnel. Par exemple, un père découvrant son fils pendu sera en proie à un violent choc psychologique pouvant le traumatiser pour la vie.
Aussi, les résultats stupéfiants d’une expérience peuvent causer au chercheur tout un choc et le changer à jamais, pour le meilleur ou pour le pire. Louis Cheskin, le pionnier de l’étude des motivations d’achat, sera sous le choc à la suite de sa découverte du transfert de sensations (de l’emballage au produit qu’il contient, de la couverture d’un livre à son contenu). Sa stupéfaction relève plus spécifiquement du caractère inconscient du phénomène; il parvient difficilement à croire que les gens ne rendent pas compte de juger, par exemple, un produit de par son emballage ou un livre de par sa couverture, et pis encore, que les gens soutiennent tout à fait le contraire. Il en témoigne dans son commentaire adressé à ses pairs, également traumatisés par sa découverte :
« Je peux comprendre pourquoi les gens de marketing et de publicité ne peuvent pas saisir la signification du transfert de sensations, parce que je ne pouvais pas la saisir moi-même. J’ai accepté le transfert de sensations seulement après avoir vu plusieurs tests réalisés auprès des centaines d’individus. J’avais de la difficulté à accepter le transfert de sensations parce que ce dernier était contraire à mon schéma de références; contraire à mon éducation; en opposition avec mon orientation. Le transfert de sensations était une réalité et je ne pouvais pas l’affronter. Mais en n’y faisant pas face, en ne l’acceptant pas, je n’aurais pas été capable de résoudre des problèmes de marketing. »4
Le « schéma de référence » explique en grande partie notre résistance à effectuer certains rapports. Notre schéma de référence s’affaire plus particulièrement à nous dicter nos attitudes. Ainsi, notre résistance est-elle souvent davantage une question d’attitudes que de capacité intellectuelle.
« Le comportement d’un individu se base sur son schéma de références. Le schéma de références d’un individu détermine ses attitudes. Consciemment et inconsciemment, un individu acquiert des concepts qui deviennent une partie de lui-même et qui sont la base de toutes ses attitudes. Le schéma de références est acquis des parents, des enseignants, des relations et des amis, du type d’émissions de radio que nous entendons, des émissions de télévision que nous regardons et du type de livres, magazines et journaux que nous lisons. La plupart d’entre nous croyons tirer des faits de ces sources, non pas des attitudes. Nous pensons que nous avons accumulé des informations objectives, non pas un schéma de références. »5
Pour élargir ou éclater notre conscience, la pensée initiatique se doit donc de changer aussi notre attitude. D’ailleurs, c’est souvent en raison de la nouvelle attitude d’une personne qu’on soupçonne chez elle une récente prise de conscience (de la vie, du monde, des choses).
Autrement dit, il y a presque toujours une pensée initiatique, une révélation, à l’origine de nos changements d’attitudes. Car changer d’attitude par nos propres moyens relève de l’exploit. D’abord, nous n’avons généralement pas conscience de nos attitudes; nous les adoptons sans vraiment y réfléchir ou, si vous préférez, nous vivons avec nos attitudes sans trop les connaître et les comprendre. Elles s’imposent à nous bien davantage que nous les choisissons consciemment. Bref, nous avons les attitudes que nous avons, sans plus. À preuve, nous nous y arrêterons que si une personne souligne un problème avec notre attitude plutôt qu’à l’initiative d’un effort personnel. Bref, si personne ne commente notre attitude, celle-ci ne nous préoccupe pas.
Nous sommes donc inconscients de nos attitudes tout comme nous sommes inconscients de nos émotions, du moins dans la vie courante. Cette inconscience s’étend aussi à l’influence de nos attitudes et, derrière elles, de tout notre système de référence, sur notre compréhension du sens de la vie, du monde et des choses et, par extension, sur notre comportement. Inconscients de nos attitudes et de leur influence, nous résistons aussi inconsciemment à certains rapports de compréhension. Par conséquent, le sens profond et réel de la vie, du monde et des choses demeure caché tout simplement par inconscience de certains rapports entre nos connaissances et celles proposées.
Notre résistance (inconsciente) se concrétise plus spécifiquement dans une attitude d’autodéfense de nos croyances et de notre savoir. Nous avons tendance à rejeter toutes croyances et tout savoir contredisant les rapports que nous avons déjà effectués. Bref, nous ne changeons pas d’idée facilement. Cependant, à nos yeux, nous ne sommes pas étroits d’esprit. Nous croyons simplement que nos croyances et notre savoir méritent d’être défendus parce qu’ils ne sont pas moins raisonnables que toutes autres croyances et tout autre savoir. En fait, nous tenons souvent nos croyances et notre savoir pour preuve de notre intelligence et nous sommes prêts à résister à quiconque pour la défendre. Évidemment, pour faire bonne figure, nous affichons une grande ouverture d’esprit, mais, derrière le rideau, l’étroitesse d’esprit règne, sans même que nous en soyons conscients.
Sûr, nous voulons connaître, tout connaître même, d’où la forte conviction de la réalité de notre largesse d’esprit. Mais, je peux tout connaître sans rien comprendre. Une distinction s’impose entre le fait de connaître et le fait de comprendre. Connaître, c’est avoir présent à l’esprit. Comprendre, c’est percevoir le sens. Je peux connaître un mot et ne pas en comprendre le sens. Lorsque je connais, je suis informé. Lorsque je comprends, je me fais une idée claire des causes, des motifs de l’enchaînement logique de quelque chose. Je peux donc connaître sans la nécessité d’un rapport avec ce que je comprends déjà. La connaissance flotte en mon esprit jusqu’à ce que j’y trouve un rapport pour la comprendre, c’est-à-dire, jusqu’à ce que je la relie aux autres connaissances que j’ai déjà comprises. Je « comprends » à l’image de « contenir » et de « faire entrer dans un tout ». Enfin, lorsque je connais, je n’ai pas encore tout à fait conscience car la conscience, c’est à la fois connaître et comprendre.
À titre d’exemple, les fumeurs connaissent bien les méfaits de la cigarette mais ils ne cessent pas de fumer pour autant; ils connaissent sans comprendre. Qui peut dire qu’il a vraiment compris s’il ne se comporte pas en conséquence ? Personne. Autrement, il faudrait tous admettre que comprendre ne donne aucune volonté d’agir à la conscience. Or, nous lions le fait de comprendre avec le fait d’agir dans une relation de cause à effet. Nous considérons donc qu’une personne connaissant ce qu’elle doit faire sans le faire n’a pas vraiment compris.
Est-ce légitime de lier ainsi la faculté de comprendre avec la faculté de vouloir? Certainement, si on s’en tient à cette définition de la volonté : « Faculté de vouloir, de se déterminer librement à agir ou à s’abstenir, en pleine connaissance de cause et après réflexion ».6 La liaison se justifie parce que la volonté vient « après réflexion » (après compréhension).
Mais la volonté, au sens large, est une « disposition mentale » et elle ne se limite pas à l’action. Il y a la volonté de connaître, la volonté de comprendre et la volonté d’agir. Il faut donc être disposé mentalement à connaître, à comprendre et à agir.
Dans ce contexte, la principale difficulté rencontrée lors de la recherche de sens (à la vie, au monde ou aux choses) ou notre résistance (en vertu de notre attachement à la connaissance et à la compréhension acquises précédemment) proviendrait d’une disposition mentale qui n’est pas suffisamment libre, d’une volonté privée de toute la liberté utile, sans doute en raison de nos attitudes et de notre schéma de référence, tous les deux inconscients.
Consciemment, nous voulons tous connaître et comprendre le sens de la vie, du monde et des choses, et agir en conséquence. Inconsciemment, nous ne jouissons pas toujours de la liberté d’esprit nécessaire pour concrétiser notre intention de connaître, de comprendre et d’agir. La pensée initiatique donne à la volonté toute la liberté utile pour découvrir le sens caché (de la vie, du monde et des choses).
Pour ce faire, la pensée initiatique s’adresse à la fois à notre conscience et à notre inconscience. Elle considère notre intelligence comme étant à la fois consciente et inconsciente. Si vous préférez, la pensée initiatique considère la conscience et l’inconscience comme deux formes d’intelligence. Ainsi, elle reconnaît une participation active du conscient et de l’inconscient à notre intelligence tout comme elle le fait dans le cas du cœur et de l’esprit. Bref, la pensée initiatique parvient à nous révéler le sens caché parce qu’elle intervient sur tous les plans – conscient et inconscient, raisonnable et émotionnel.
Outre la nouvelle compréhension sans effort, la pensée initiatique apporte un changement radical d’attitude, également sans effort ou, du moins, avec une facilité déconcertante. Le succès de l’opération tient au fait que la nouvelle attitude a tout pour détrôner l’ancienne et la remplacer sur-le-champ, sans délai.
Dans la vie courante, le premier défaut des appels « réguliers » aux changements d’attitudes demeure le mépris de l’attitude en place et, par ricochet, la dévalorisation de la personne aux prises avec cette attitude. En fait, les incitations aux changements d’attitudes tournent généralement en accusations et elles affectent ainsi notre amour-propre. Par conséquent, les incitations ratent généralement leur objectif car elles nous culpabilisent davantage qu’elles nous responsabilisent. Dans ce contexte, il nous apparaît tout à fait normal de résister à l’appel en rejetant les accusations en vue de contrer le sentiment de culpabilité et de protéger notre amour-propre.
Le deuxième défaut de ces appels « réguliers » aux changements d’attitudes est le manque évident d’attrait de la nouvelle attitude proposée, comparé au grand et puissant attrait de l’attitude déjà en place. Nous adoptons (inconsciemment) toujours les attitudes qui exercent sur nous l’attrait le plus influent. Nous les justifierons que si l’on nous le demande et, le cas échéant, nous les défendrons vigoureusement avec la ferme impression d’avoir de bonnes attitudes. Inconsciemment, nos attitudes se justifient parce que ce sont celles qui nous rapportent le plus.
En résumé, d’une part, lorsque l’une de nos attitudes est méprisée ou dénoncée comme étant mauvaise, nous passons automatiquement en mode défensif, d’autre part, lorsqu’une nouvelle attitude nous est proposée, nous la refuserons si nous la jugeons moins avantageuse que notre propre attitude. La situation explique pourquoi certains changements d’attitudes mettent des années à se produire.
J’aime bien donner en exemple la publicité contre la vitesse au volant visant les jeunes. Vous vous rappelez la publicité où l’on voit un jeune homme au volant de sa petite automobile sport, en compagnie de « sa blonde » lui demandant de ralentir mais, fier et sûr de lui, il accélère au-delà de la limite de vitesse pour finalement provoquer un accident dans lequel « son amie » trouve la mort le plongeant ainsi dans un profond et douloureux chagrin. Cette publicité ne propose aucune attitude alternative aussi attrayante que celle liée à la jouissance de la vitesse au volant.
Cette publicité confronte les jeunes aux dangers qui les guettent. Or, ces derniers connaissent déjà ces dangers et les risques qu’ils prennent. Après tout, ce sont leurs amis, les amis de leurs amis qui en sont victimes. Cette publicité ne les rend pas plus intelligents. Elle leur rappelle un fait connu, sans plus. Il ne fallait pas s’attendre à ce que la majorité des jeunes deviennent rationnels et changent de comportement au visionnement d’une telle publicité. Elle ne propose aucun autre plaisir contre lequel troquer celui de la vitesse au volant.
L’Opération Nez rouge est un organisme à but non lucratif qui valorise l’adoption de comportements responsables pour prévenir la conduite avec les facultés affaiblies. À travers son service de raccompagnement bénévole et diverses initiatives de sensibilisation déployées tout au long de l’année, l’organisme contribue à la sécurité routière et génère des retombées locales profitant à la jeunesse et au sport amateur. Site web.
Le succès de l’Opération Nez Rouge visant à prévenir de la conduite en état d’ébriété s’explique en grande partie en raison de l’attrait supérieur de l’attitude proposée. En contrepartie des dangers de la conduite en état d’ébriété, l’Opération Nez Rouge offre une expérience vous permettant, le lendemain de veille, de voir votre automobile à votre porte. Les gens détestent l’idée d’avoir à abandonner leur automobile sur le stationnement d’un bar, d’avoir le trouble de trouver un ami ou de payer un taxi pour y revenir le lendemain,… d’avoir à revenir en arrière. L’opération Nez Rouge vous propose d’être intelligent, de laisser un chauffeur vous ramener à la maison dans votre automobile. Ça, c’est une alternative excitante ! Imaginez, un chauffeur vous conduit à la maison : « Chauffeur ! À la maison ! »
Dans la publicité de l’Opération Nez Rouge, vous êtes loin d’être traité comme un moins que rien, insoucieux des dangers de la conduite en état d’ébriété, comme un idiot qui ne trouve rien d’autre à dire que « Je ne pensais pas en avoir pris (lire « bu ») autant » ou comme un jeune qui ne se contrôle pas au volant, qui n’écoute pas les appels à la prudence de sa bien-aimée et, plus encore, qui en provoque la mort. Au contraire, vous êtes suffisamment important, non pas pour qu’on prenne la peine de vous faire peur, mais plutôt pour qu’on se donne tout le mal nécessaire pour vous envoyer un chauffeur, vous ramener à la maison et vous éviter ainsi de courir le risque de détruire la vie des autres et la vôtre.
Il y a donc quelque chose d’initiatique dans l’appel de l’Opération Nez Rouge car elle change la compréhension ou le rapport que l’automobiliste fait entre son état d’ébriété et sa valeur personnelle, et ce, pour le mieux. En fait, l’Opération Nez Rouge livre un message suffisamment révélateur pour permettre à la nouvelle attitude de triompher de celle déjà en place.
Évidemment, ces exemples sont loin de traiter du sens caché de la vie, du monde et des choses habituellement recherchées par la pensée initiatique mais l’expérience de cette dernière commence souvent avec des situations précises de la vie courante en relation avec notre comportement, le témoin le plus éloquent de nos croyances et de notre compréhension. Si on ne parvient pas à prendre conscience de l’action de la pensée initiatique sur nos comportements habituels, il sera fort difficile de la reconnaître en des circonstances exceptionnelles, d’où que le sens caché nous passe souvent sous le nez et nous échappe souvent à notre insu.
Sans la pensée initiatique, nous accumulons tout au long de notre vie une foule de connaissances qui ne feront que flotter en notre esprit parce que nous ne leur trouvons aucun rapport avec ce que nous comprenons déjà. Ainsi, le sens caché se trouve en partie déjà en nous mais nous n’en avons pas conscience. Comme nous n’avons pas généralement la patience de méditer et l’ouverture d’esprit requises à la recherche du sens caché, seul un élément extérieur pourra alors provoquer en nous les rapports utiles à la découverte du sens.
Cet apport extérieur ne nous exempte pas de tout effort. Nous devons cultiver une meilleure disposition d’esprit, plus libre, plus ouverte. Pour ce faire, nous avons avantage à exposer notre esprit à tout élément extérieur susceptible d’être porteur d’une révélation. En fait, il s’agit d’habituer progressivement notre esprit à fréquenter des idées nouvelles, non pas en vue de les adopter toutes, mais plutôt en vue de le pratiquer à abattre tous les préjugés face à la connaissance. Dans notre recherche du sens caché, nous avons l’habitude de nous limiter à ce qui nous intéresse. Or, si nous n’avons pas encore trouvé le sens caché, c’est parce que ce dernier ne se trouve probablement pas dans ce qui nous intéresse, autrement, nous l’aurions déjà trouvé. Fréquenter des idées nouvelles revient donc à élargir nos intérêts ou à libérer notre esprit de ses seuls intérêts. Vous connaissez sûrement l’adage « Plus on cherche, moins on trouve ». Il faudrait plutôt le formuler ainsi : « Plus on cherche selon nos propres intérêts, moins on trouve ». Bref, le sens caché se trouve souvent là où nous ne nous attendons pas à le trouver, au-delà de nos propres intérêts.
En pratique, plutôt que de rejeter toute idée qui ne fait pas notre affaire, il faut l’approfondir et questionner notre réaction. C’est lorsqu’une idée ne concorde pas avec nos croyances et notre compréhension (de la vie, du monde et des choses) que nous avons l’opportunité de découvrir surtout si nous avons l’habitude de chercher à toujours avoir raison, à vivre dans un système sans faille, ce qui nous ferme à l’apport extérieur de la pensée initiatique.
Je me souviens, par exemple, de ma réaction à la nouvelle m’informant de la présence de messages subliminaux dans la musique du groupe rock Led Zeppelin, plus spécifiquement, dans la chanson Stairway To Heaven, ma pièce préférée de musique de rock progressif à l’époque. La révélation était loin de faire mon affaire car elle attaquait quelque chose que j’aimais. Je me disais candidement : « Regarde ce qu’ils ont trouvé pour me faire sentir coupable d’écouter la musique que j’aime ». La plupart des gens avec qui je discutais de la découverte la rejetaient en bloc.
Par contre, dans mon for intérieur, je ne parvenais pas à un tel rejet car une autre révélation, quelques années auparavant lors d’un stage d’initiation à la communication journalistique, m’avait appris que derrière toute information se cache un fond de vérité, si minime soit-il. Autrement dit, si une information n’est pas nécessairement vraie parce qu’elle est publiée par la presse, il n’en demeure pas moins une vérité originale, peut-être ensevelie sous une tonne d’interprétations, déformée voire mal traduite, mais tout de même une certaine vérité.
Aussi, et ce fut pour moi l’essence de cette révélation, le journaliste aguerri consacre 10 % de ses efforts à la cueillette de l’information, 10 % à la mise en forme (rédaction) de cette information et, entre les deux, 80 % à la vérification de l’information. À partir de ce jour, je ne pouvais donc plus qualifier une information de fausse tout simplement parce qu’elle m’apparaissait invraisemblable et, encore moins, parce qu’elle attaquait quelque chose que j’aime. Ma réaction initiale à l’annonce de messages subliminaux ne faisait que démontrer mon attachement à la musique en cause mais cela ne me donnait aucune autorité pour juger du bien-fondé de l’information ou la rejeter du revers de la main, sans plus de questionnement. J’entrepris donc de vérifier cette information pour ensuite partir en tournée avec une conférence intitulée « Le Rock et la déformation de l’information », dont je vous parlais (voir : La pensée certaine).
Si ma priorité avait été le plaisir de la musique, je me serais contenté de l’écouter et de rejeter toute information lui donnant mauvaise réputation. Or, ma priorité fut et demeure encore aujourd’hui la recherche de la vérité. Je crois que le sens de la vie, du monde et de toute chose se cache dans la vérité. Selon moi, qui ne recherche pas la vérité ne trouvera pas le sens caché de quoi que ce soit. Et qui se contente d’une interprétation des faits ou d’une opinion n’a pas encore trouvé le véritable sens. Aussi, qui ne sait pas distinguer une vérité d’une opinion et un fait de son interprétation est perdu.
Pis encore, celui qui n’aime pas la critique démontre qu’il n’aime pas la vérité car « la critique est cette partie de la logique (logique appliquée) qui étudie les opérations de l’esprit humain en relation avec leur objet, c’est-à-dire, la vérité ».7 Comprenez bien : la critique n’est pas autre chose que la logique appliquée au service de la vérité. Fuir la critique, c’est fuir la vérité.
Dans le contexte de la logique appliquée:
« La vérité est l’équation entre la chose connue et l’intelligence. Cette définition classique de la vérité demande quelques explications. La vérité est une équation, et donc un rapport entre l’intelligence et la chose connue. Ici, par intelligence, on n’entend pas la faculté elle-même, mais le type mental, l’idée qui représente la chose connue. Ainsi, on dit de quelqu’un qu’il est un vrai saint, c’est parce que sa manière de faire, sa conduite est conforme à l’idée, à la définition d’un saint ».8
« La vérité consiste dans un rapport. La définition de la vérité prouve suffisamment cet énoncé. Et d’ailleurs, les affirmations de la conscience et le langage le confirment davantage. Ainsi, le bureau sur lequel j’écris, je ne dis pas qu’il est vrai, mais je dis qu’il est véritablement, vraiment un bureau. Par conséquent, les attributs vrais, véritable ne sont pas affirmés du bureau en tant qu’il est considéré en lui-même, à l’état absolu, mais en tant que je le réfère, le rapporte à l’idée, à la définition d’un bureau. C’est cette référence, c’est ce rapport qui est la vérité. On ne dit pas aussi que le nombre 20 est vrai mais que 10 + 10 égalent vraiment 20. C’est le rapport entre ces deux chiffres qui est la vérité ».9
« La vérité est objet du jugement. Une chose est vraie lorsqu’elle est conforme à l’idée qui représente sa nature. Cet homme, par exemple, est vraiment un bon père de famille parce qu’il réalise l’idée, ou qu’il est conforme à l’idée de bon père de famille. Quand on affirme que vraiment, cet homme est un bon père de famille, on place le sujet homme sous l’extension de l’attribut, bon père de famille. D’un autre côté, on applique l’attribut bon père de famille au sujet homme. C’est là faire une synthèse, une composition, c’est juger. Le jugement s’appelle composition. – Donc le rapport de conformité – c’est la définition de la vérité – est objet de jugement, ou encore, n’existe que dans le jugement ».10
Bref, la vérité est une « connaissance conforme au réel ».11 Chercher une vérité, c’est chercher à savoir si une connaissance est conforme avec le réel. Trouver une vérité, c’est trouver le rapport de conformité ou en quoi une connaissance est conforme au réel. Enfin, comprendre la vérité, c’est être capable d’expliquer ce rapport de conformité, et ce, comme nous l’avons vu, en voyant le lien qui unit la proposition de connaissance conforme au réel avec les connaissances que vous avez déjà comprises. Pour comprendre, il faut donc disposer préalablement des connaissances nécessaires (de base) relatives à la nouvelle connaissance.
Votre compréhension ou votre explication d’une vérité étant elle-même un rapport, vous l’exprimerez sous la forme d’un rapport, par exemple, dans une relation entre des nombres (explication mathématique), dans une relation de cause à effet (explication physique) ou, dans le cas où la cause reste cachée, dans une relation avec une classification (explication de systématique – ex. : classement des animaux ou des plantes selon leurs genres, leurs familles, etc. – explications selon la place occupée dans un système donné – ex. : une catégorie).12
Évidemment, les connaissances, les vérités et les sens recherchés ne relèvent pas tous du réel dans son témoignage de l’existence matérielle ou physique. Le réel, de par sa définition, « qui est présent ou présenté à l’esprit et constitue la matière de la connaissance »,13 donne également à penser à l’existence immatérielle ou métaphysique, bref, au monde invisible, de la vie, du monde et des choses.
Dans le sens courant, est qualifié de réel ce « qui existe en fait », d’où qu’il puisse être question d’un « fait réel ». Personnellement, j’aime bien parler de la « vérité de fait » ou de la « connaissance conforme aux faits réellement observés ».
Aussi, le « réel » désigne « les choses elles-mêmes; les faits réels, la vie réelle, ce qui est », d’où la parenté de définition avec la réalité. Quand je doute, c’est de la réalité d’un fait. Qu’il soit question de réfléchir à la réalité de la matière associée au matérialisme (« état d’esprit caractérisé par la recherche des jouissances et des biens matériels »14 ou de la réalité de l’esprit associée au spiritualisme (« doctrine pour laquelle l’esprit constitue une réalité indépendante et supérieure » ou « doctrine reconnaissant en outre l’existence de Dieu et des valeurs spirituelles constituant la fin propre de l’activité humaine »)15 je cherche à m’inscrire dans le courant du réalisme, c’est-à-dire que je m’efforce autant que possible d’adopter l’« attitude d’une personne qui tient compte de la réalité, l’apprécie avec justesse ».16 Bref, ma recherche personnelle se concentre sur « le sens du réel ».
À l’instar de plusieurs d’entre vous, je cherche non seulement les rapports entre les faits se rapportant à chaque réalité mais aussi les rapports entre les faits des différentes réalités que je reconnais. J’aimerais bien relier la réalité de la matière, la réalité de l’esprit et la réalité de Dieu dans un seul et même système global et avoir une compréhension parfaitement unifiée par des vérités de faits tout aussi parfaites mais la perfection n’est pas de ce monde.
Dans ce contexte, la recherche de sens importe quasiment davantage que son aboutissement. Aussi, je ne considère aucune vérité comme absolue (« qui existe indépendamment de toute condition ou de tout rapport avec autre chose »)17 mais toujours comme relative. Seule ma compréhension de la réalité divine contrevient à cette considération car je crois en Dieu davantage par la foi et la révélation qu’en m’appuyant sur des vérités de fait raisonnables, logiques, critiques. À suivre dans La pensée divine.
Pour le moment, je veux tout simplement démontrer que la tendance à l’unification des vérités (dans un système global capable de tout expliquer) n’est pas une raison pour mélanger les vérités sans distinction. Il faut distinguer trois types de vérités : « La vérité ontologique est la conformité d’une chose », pour les uns, « avec l’intelligence divine »18 ou, pour les autres, « avec l’idée que nous nous faisons de cet objet ».19 « La vérité logique est la conformité de l’intelligence créée avec l’objet perçu. La vérité morale ou la véracité est la conformité du langage avec la pensée. »20 Vous trouverez des explications détaillées de chaque type de vérités dans plusieurs ouvrages spécialisés.
Pour ma part, j’insiste sur l’importance de bien définir la vérité dans laquelle vous espérez trouver le sens caché (de la vie, du monde et des choses). Souvent, la vérité est là, sous nos yeux, mais n’ayant qu’une vague idée de ce que nous cherchons, nous ne la reconnaissons pas. Il est donc important de vérifier si l’idée que nous nous faisons de la chose à laquelle nous cherchons un sens est conforme avec la chose elle-même.
Par exemple, si vous cherchez un sens à la vie, vous devez définir avec suffisamment de précisions l’idée que vous vous faites de la vie. Et vous devez vous demander si la vie est conforme avec l’idée que vous vous faites de la vie ou votre définition de la vie. Avez-vous considéré tous les aspects de la vie ? D’où provient la liste des aspects que vous reconnaissez à la vie ? De votre expérience personnelle de la vie ? De votre connaissance des enseignements de Dieu ? Chaque aspect est-il correctement défini ou considéré ? Ici, vous êtes en train de vérifier la vérité ontologique (conformité d’une chose – la vie – avec l’intelligence divine ou avec l’idée que nous nous faisons de cet objet).
La principale difficulté de cette vérification provient de la distinction à faire entre la vie elle-même et l’idée de la vie car la vie, comme plusieurs autres choses, n’est pas l’idée que l’on s’en fait. Mais comment connaître la vie autrement que par l’idée que l’on s’en fait ? Considérez ceci : la vie a une existence en dehors de l’idée que l’on en a. Autrement dit, vous n’auriez aucune idée de ce qu’est la vie qu’elle existerait tout de même. Confondre la vie avec l’idée de la vie risque de vous inciter à conclure que la vie est une idée, ce qui serait une erreur de logique. Ici, nous glissons dans la vérité logique (conformité de l’intelligence créée – votre définition de la vie – avec l’objet perçu – la vie).
Notez que toute votre compréhension de la vie se trouve réunie dans votre définition de la vie, c’est à ce titre que votre compréhension égale « l’intelligence créée » – au contact de la vie, telle que vous la percevez. Cela ne veut pas dire que la simple perception d’une chose crée en votre esprit une intelligence au sujet de cette chose. C’est plutôt et toujours les liens ou les rapports faits entre l’objet perçu et ce que vous comprenez déjà qui vous apportent une certaine intelligence au sujet de cette chose.
Cette précision faite, pour vérifier la vérité logique, il faut nous demander, non pas si la vie est conforme à l’idée que nous en avons, mais plutôt si l’idée que nous avons de la vie est conforme à la vie; le complément devient le sujet.
Nous nous retrouvons, pour la plupart, devant la question de la vérité logique sans d’abord avoir répondu à celle de la vérité ontologique. D’ailleurs, nous nous arrêtons peu à l’être des choses, au véritable état des choses, à ce qui fait l’existence des choses, à leurs caractères. Nous avons plutôt l’habitude de considérer l’idée que nous avons des choses comme vraie, poussés et satisfaits par les premières évidences, par ce qui nous saute aux yeux, et la confiance souvent aveugle en notre intelligence. Ce que nous pensons d’une chose nous importe davantage que la chose elle-même ou, pis encore, nous confondons inconsciemment l’un avec l’autre, d’où notre difficulté à vérifier si la chose est conforme à l’idée que nous en avons et d’où que nous préférions vérifier si l’idée que nous avons de la chose est conforme à la chose. Travailler à la recherche de sens à partir de notre définition d’une chose nous semble plus facile que de procéder d’abord avec la chose elle-même.
Mais dans les deux cas, nous aurons fait un premier pas en reconnaissant que les caractères propres de la réalité de la vie, du monde et de chaque chose nous dépassent, c’est-à-dire que nous ne les saisissons pas tous, pas plus que nous comprenons entièrement chaque caractère porté à notre connaissance. Il y a toujours des caractères ou des éléments de caractères qui sont loin d’être évidents à notre esprit. La confiance aveugle en notre intelligence – souvent réduite à la seule capacité de se faire une opinion − n’améliore pas la situation.
À nouveau, tout est une question d’attitudes, dans ce cas-ci, de l’esprit humain en présence de la vérité.
« Le témoignage de la conscience et l’expérience quotidienne démontrent que l’intelligence humaine, faite pour la vérité, ne s’y achemine qu’à petits pas. Ce n’est que d’une façon fort incomplète que l’esprit humain arrive tout d’abord au vrai. Et il en a la possession parfaite qu’après avoir passé par différents stades. Au reste, la nature de l’intelligence explique aussi ces différentes attitudes. Ne pouvant atteindre la vérité par intuition, immédiatement, elle a recours à des moyens termes, à des points de comparaison; elle déduit les conclusions des principes donnés, bref elle raisonne. Mais des causes d’ordre intrinsèque : passion, préjugés, un empressement trop hâtif, l’empêchent d’arriver du premier coup à la possession totale et parfaite du vrai ».21
« L’esprit humain a cinq attitudes différentes vis-à-vis de la vérité. En effet, ou il ignore la vérité, ou il la méconnaît, c’est-à-dire, ne l’admet pas comme telle. Dans le premier cas, l’attitude de l’esprit s’appelle ignorance, dans le second cas, erreur. Entre ces deux états extrêmes l’esprit peut se mouvoir. Entre l’ignorer et le méconnaître il y a le connaître avec ses différents degrés. La connaissance est initiale, possible, on l’appelle doute; de possible elle devient probable, c’est l’opinion; de probable elle devient évidente, c’est la certitude. Ainsi, donc, cinq attitudes : l’ignorance, le doute, l’opinion, la certitude et l’erreur ».22
« L’ignorance est le manque de connaissance dans quelqu’un capable de l’avoir ».23 « Quand l’esprit humain n’adhère ni à l’une ni à l’autre des deux parties qui sollicitent son adhésion, il est dans l’état de doute. Il a fait un pas de plus, il n’ignore pas, il entrevoit quelque peu la vérité, il n’y adhère pas encore ».24 « Il arrive qu’après avoir douté, l’esprit commence à adhérer à ce qu’on lui propose, il incline vers une partie plutôt que vers l’autre; c’est le soupçon. Ce n’est pas encore l’adhésion, mais un commencement d’adhésion ».25 « Si l’esprit adhère à ce qu’on lui propose, tout de même, sans crainte de se tromper, alors on dit qu’il opine. C’est l’opinion. Ce n’est pas encore la ferme adhésion qui ne laisse aucune place à la crainte de se tromper, mais cependant, c’est une adhésion basée sur des motifs qui la justifient. Dans l’opinion, la vérité n’apparaît pas encore à l’esprit sous un jour complet, dans toute sa réalité; ce n’est pas encore la pleine lumière chassant toutes les ombres; c’est une lumière, tout de même, mais vacillante; elle éclaire, mais imparfaitement. La proposition apparaît à l’esprit comme probable ».26 « » La probabilité est cette lumière imparfaite sous laquelle le vrai apparaît souvent à notre esprit ».27 « La probabilité d’une opinion varie avec la valeur des motifs qui sollicitent notre assentiment ».28 « Enfin, l’esprit arrive à la possession totale, parfaite, de la vérité. C’est la certitude. Si nous comparons cet état aux autres, nous pourrions l’appeler l’état de béatitude. Dans la certitude, en effet, la vérité se manifeste clairement à l’esprit, elle apparaît dans toute sa splendeur, en un mot, elle est évidente. Se présentant comme telle, la vérité ne peut pas ne pas solliciter l’adhésion de l’intelligence; et, comme telle, aussi, elle exclut toute possibilité d’errer. Cette adhésion ferme de l’intelligence, excluant toute crainte de se tromper, appelée certitude, est un état subjectif; je suis certain, disons-nous couramment. La splendeur de la vérité, cette lumière sous laquelle le vrai apparaît d’une façon parfaite à l’esprit, c’est une qualité de l’objet, c’est objectif. C’est l’évidence. Cela est évident ».29 « L’erreur est la méconnaissance de la vérité. Elle n’est donc pas la vérité limitée mais bien la négation complète de la vérité. Est dans l’erreur celui qui juge qu’une chose est lorsqu’elle n’est pas – et réciproquement. L’erreur et la fausseté ne doivent pas se confondre. La fausseté regarde l’objet, l’erreur se rapporte au sujet. On dit d’une chose qu’elle est fausse et de quelqu’un qu’il est dans l’erreur ».30 Mettons un bémol : « la possession totale, parfaite, de la vérité » n’est pas de ce monde, d’où qu’il est toujours une possibilité d’errer et que toute vérité demeure relative.
Si l’esprit s’achemine vers la possession de la vérité habituellement à petits pas, passant de l’ignorance au doute, du doute au soupçon, du soupçon à l’opinion, de l’opinion à la certitude, quand il ne tombe pas dans l’erreur, il en va autrement avec la vérité « révélée » à l’esprit par la pensée initiatique où l’on passe directement à la certitude par un grand pas en avant.
Cette voie rapide inquiète la plupart des observateurs de la pensée initiatique. Ces observateurs questionnent généralement la vérité morale ou la véracité de la révélation (conformité du langage – témoignage de la vérité – avec la pensée – révélation dans l’esprit). Le fait que la personne recevant une révélation soit souvent dépassée et marquée par un événement (traumatisme ou découverte) alimente le doute sur sa capacité de prendre conscience de ses pensées et d’en témoigner.
Le doute s’amenuise passablement dans le cas d’une révélation tout à fait logique, par exemple, « La lumière entre par les failles ». Le doute augmente grandement dans le cas d’une révélation d’ordre morale (certitude de bien ou de mal) et divine (certitude de foi). Même certaines révélations d’ordre essentiellement physique soulèvent de forts doutes, généralement dans les cas d’exceptions où les phénomènes échappent aux lois physiques connues (certitude d’exceptions physiques − ex. : guérison inexpliquée). Enfin, certaines révélations d’ordre scientifique laissent planer un doute, surtout dans le cas des vérités indémontrables, ces vérités comprises immédiatement, par évidences, mais dont on ne peut faire la preuve suivant la logique scientifique (certitude de science – trouver un ex. :…).31
Si la vérification de la conformité du langage avec la pensée est présentée comme une question de morale par l’abbé A. Robert, c’est sans doute pour nous inciter à éviter le mensonge et pour insister sur l’obligation de dire la vérité, du moins, d’avoir l’assurance de bien traduire sa pensée dans un langage aussi vrai que la pensée. Personnellement, je ne connais pas d’autres explications à ce lien avec la morale. Aussi, dans ce contexte vérité-mensonge, la vérification de la conformité du langage avec la pensée vise à éliminer tout doute sur la vérité, toute possibilité de mensonge. Le proverbe devient : « » Dans le doute, abstiens-toi » « car tu risques le mensonge », plutôt que de se référer au risque d’erreurs.
Quoi qu’il en soit, l’étude de la conformité du langage avec la pensée relève de la logique formelle ou de la dialectique, « la science des opérations de l’esprit humain en elle-même et des lois qui les régissent »,32 un domaine de connaissances relevant aujourd’hui de plusieurs philosophies spécialisées.
Si vous creusez le sujet, vous apprendrez que la dialectique tente, entre autres, de déterminer l’influence de la pensée sur le langage et l’influence du langage sur la pensée. Ce champ d’investigation de la dialectique rejoint en quelque sorte la pensée initiatique car cette dernière communique ses révélations oralement. En fait, la pensée initiatique peut faire de la communication orale une expérience traumatisante ou une découverte porteuse d’une double révélation, la première dévoilant la puissance de la communication orale (contenant), la seconde enseignant une vérité profonde sur le sujet même de la communication (contenu).
Si des événements peuvent être la source de traumatismes et la recherche source de découvertes à effets révélateurs, l’expérience orale de la pensée initiatique a ceci de particulier qu’elle implique une relation interpersonnelle. L’esprit qui tient la communication transforme la compréhension de celui (ou de ceux) à qui il s’adresse, et ce, avec la pleine conscience de l’exercice. C’est ici que la définition suivante du mot « initier » prend tout son sens : « Admettre quelqu’un à la connaissance d’un savoir peu répandu ».33 Voici une définition plus conforme à mon expérience personnelle de la pensée initiatique : admettre quelqu’un à la conscience d’une compréhension, nouvelle ou plus large, peu commune et/ou d’une dimension profonde de l’esprit et du cœur humain.
Les expressions « peu répandu » et « peu commune » introduisent la notion de secret, d’où qu’il soit question depuis le commencement de ce chapitre de la recherche du « sens caché » (de la vie, du monde et des choses). Or, je veux être très clair sur le sujet : la pensée initiatique n’a rien en commun avec l’occultisme,34 que j’associe personnellement à de l’escroquerie (parfois diabolique), et l’ésotérisme,35 que je considère personnellement comme une psychologie de logique douteuse déguisée une philosophie/sagesse mystique de travail sur soi en vue d’une fausse acceptation de soi consistant en fait à une négation de soi (elle incite à mourir à soi-même) par déconditionnement de l’esprit soi-disant limité par l’instinct de conservation (qui a jusqu’ici assuré la survie de l’homme) avec la promesse ultime de libérer l’esprit de son corps et de retourner à la lumière d’où l’on vient. Ouf ! Compliqué, n’est-ce pas ? C’est que l’ésotérisme prétend unifier tout ce qui bouge en une sagesse universelle, en une religion des religions sous prétexte que plus on s’élève (sur la voie dite initiatique), plus les différences s’estompent alors que les courants en apparence opposés se complètent. Désolé car pour ce faire il faut mettre de côté une foule de petits détails en apparence insignifiants mais qui se révèlent de première importance pour se rendre à destination ou, si vous préférez, pour notre Salut. À suivre dans La pensée divine.
La pensée initiatique ne vous demande pas d’entreprendre un éternel chantier de travail sur vous-mêmes pour vous changer, elle vous change en vous livrant sur un plateau une meilleure compréhension de la vie, du monde et des choses. Vous n’avez qu’à garder votre esprit ouvert, à ne pas prendre pour acquis que vous comprenez déjà la vie, le monde et les choses pour le mieux, à admettre que vous pouvez comprendre davantage, que de nouvelles connaissances peuvent élargir votre esprit et, parfois, simplement, à tendre l’oreille. Le sens de la vie, du monde et des choses n’est pas caché parce qu’il se cache lui-même mais très souvent simplement parce que nous sommes bornés à nous-mêmes, ultras concentrés sur nous-mêmes. « The truth is out there » − « La vérité est ailleurs. La vérité du sens caché n’est pas en nous si ce n’est qu’en partie et plus profondément enfouie que nous le pensons, autrement, avec une telle obsession sur nous-mêmes, nous l’aurions trouvée depuis longtemps. La vérité du sens caché est là-bas, à l’extérieur de vous.
Où ça, là-bas ? Mais partout, sur le perron de votre porte jusqu’aux confins de l’univers. À commencer par l’existence jusqu’à la finalité de la vie, du monde et de chaque chose. Qui a dit que la vie n’avait pas de sens, que le monde non plus n’avait pas de sens et que les choses avaient encore moins de sens ? Vous ? Regardez-y un peu plus près et vous verrez le sens. Bien sûr, parfois, le sens paraît tout croche mais il y a là tout de même espoir d’un sens. Quand le sens nous paraît tout croche, ne se-rait-ce pas un peu beaucoup parce que nous avons l’esprit tout croche? Nos yeux louchent sur le bout de notre nez. Il faut porter notre regard plus loin, nous intéresser à ce qui ne nous intéresse pas.
Et si nous reconnaissions que toute existence a un but, ne nous serait-il pas plus facile d’en découvrir le sens ? Quel est le but de la vie, le but du monde et le but particulier de chaque chose ? La vie, le monde et les choses font sens ou sont plus intelligibles lorsqu’on leur reconnaît un but. Après tout, le sens est une idée intelligible « qui sert à expliquer, à justifier une existence »,36 à reconnaître une raison d’être. Pourquoi ne pas trouver cette idée intelligible dans un but, une finalité ? Un sens, c’est somme toute aussi une direction.
Personnellement, ma vie n’aurait pas de sens si elle n’avait pas un but. Autrement dit, je reconnais le sens réel de ma vie dans le but que je me suis donné. Voici mon but : faire triompher l’amour et la vérité dans ma vie pour le plus grand bénéfice d’autrui. Mon intérêt personnel ne prime que dans les situations de survie où je dois laisser mon instinct de conservation veiller sur moi. Ainsi, je permets à mon instinct de survie d’avoir uniquement une portée à court terme car à moyen et à long terme il m’empêcherait de pratiquer le don de soi, le véritable don de soi, celui sans espoir de retour, si ce n’est que la satisfaction de voir l’autre heureux, dans l’amour et la vérité.
Je vis plutôt dangereusement car le court terme m’empêche d’accumuler toutes les réserves en cas de pénurie accidentelle le moindrement persistante. Mais j’ai regardé autour de moi les autres ayant privilégié le moyen et le long terme pour vivre aujourd’hui une retraite soi-disant dorée et très peu d’entre eux me semblent nager en plein bonheur, entourés de l’amour de leurs proches et éclairés par la vérité. Le moyen et le long terme obligent généralement des sacrifices, non seulement personnels mais aussi interpersonnels, comme les ressources allouées aux proches, y compris aux enfants, et le temps pour entretenir une vie de couple solide et de vraies amitiés, d’où que la richesse matérielle des aînés s’accompagne souvent d’une grande solitude et d’une vérité-sagesse trop étroite pour la briser.
Toute personne figée dans ses opinions, souvent en raison de préjugés tenaces, éloigne davantage de gens qu’elle en rassemble autour d’elle. Et à l’instar de l’empiriste37 face à la morale du don de soi, la personne cherche plutôt « son » intérêt en toute chose, d’où l’abondance de ses ressources matérielles et la pauvreté de ses ressources morales et spirituelles.
Pour tout vous dire, je méprise la poursuite d’un but strictement personnel à des fins essentiellement égocentriques car je crois qu’un tel but reconnaît à la vie un sens trop limité pour en contenir tous les aspects. Chaque être est un élément d’une composante parmi d’autres dans un vaste ensemble et le sens réel de la vie d’un être humain se révèle uniquement dans la participation active à la vie de l’ensemble des êtres humains, à commencer par celle des proches.
Bref, la vie a un sens réel que si elle se tourne vers autrui plutôt que vers soi-même, vers l’extérieur plutôt que vers l’intérieur. C’est dans sa relation avec autrui que le sens réel de votre vie se cache. Cette philosophie altruiste s’accorde avec la pensée initiatique car elle porte en elle des révélations profitables que si elles sont partagées, que si elles profitent à l’ensemble. De plus, pour disposer notre esprit à ces révélations, il faut concentrer notre attention sur les éléments extérieurs,38 non pas sur soi-même, contrairement à la pensée ésotérique privilégiant la concentration sur soi.
Autrement, nous sommes vite dépassés par l’ensemble et, par conséquent, le sens réel de la vie, du monde et des choses nous est caché. Dans ce contexte, l’idée même de Dieu apparaîtra comme insensée. À suivre dans La pensée divine.
___________________
NOTES
1. Lenoble, Robert, Conseils pratiques aux jeunes philosophes, J. De Gigor, Éditeur, Paris, 1960. p. 212.
2. Ibid.
3. Le Petit Robert.
4. Cheskin, Louis, Secrets of marketing success, Trident Press, New York, 1967, p. 150. (Voir aussi note # 171). « I can understand why marketing and advertising men can-not grasp the significance of sensation transference, because I could not grasp it. I accepted it only after I had seen several tests with hundreds of individuals. I had difficulty accepting it because it was contrary to my frame of reference ; it was contradictory to my education ; it was in opposition to my orientation. It was a reality I could not face. But without facing it, without accepting it, I would not be able to solve marketing problems. »
5. Cheskin, Louis, Basis For marketing Decision, Liveright, New York, 1961, p. 82. » An individual’s behavior is based on his frame of refer-ence. A person’s frame of reference determines his attitudes. Consciously and unconsciously one acquires concepts that become part of him and are the basis of all his attitudes. The frame of reference is acquired from parents, teachers, relatives and friends, from the type of radio pro-grams we hear, the T.V. programs we watch and from the kind of books, magazines and newspapers we read. Most of us believe we acquire facts from these sources, not attitudes. We think we have accumulated objective information, not a frame of reference. »
6. Le Petit Robert.
7. Robert, op. cit., p. 88.
8. Ibid., p. 89.
9. Ibid., p. 90.
10. Ibid., p. 91.
11. Le Petit Robert.
12. « En résumé comprendre, c’est saisir dans un ensemble, faire entrer dans un système. Le principe de systématisation peut être plus ou moins rigoureux : ce que l’on comprend le mieux ce sont les mathématiques, parce qu’elles sont fondées sur le principe d’identité, puis la physique, qui suppose le déterminisme; la classification, enfin, est le moyen de comprendre les êtres que nous ne pouvons pas produire, et dont les causes nous restent cachées. » Lenoble, Ibib. p. 215.
13. Le Petit Robert.
14. Ibid.
15. Ibid.
16. Ibid.
17. Ibid.
18. Robert, op. cit., p. 90.
19. Le Petit Robert.
20. Robert, op. cit., p. 90.
21. Ibid., p. 92.
22. Ibid., pp. 92-93.
23. Ibid., p. 93.
24. Ibid., pp. 94-95.
25. Ibid., pp. 95-96.
26. Ibid., p. 96.
27. Ibid., p. 96. Note originale de l’auteur : « Cfr. Lahr, Philosophie, T.I., p. 550. »
28. Ibid., p. 96.
29. Ibid., p. 98.
30. Ibid., pp. 99-99.
31. Trouver un exemple.
32. Ibid., p. 12.
33. Le Petit Robert.
34. Occultisme : « Croyance à l’existence de réalités suprasensibles qui seraient perceptibles par les méthodes des sciences occultes; ensemble des sciences occultes et des sciences qui s’y rattachent. » Sciences occultes : doctrines et pratiques secrètes faisant intervenir des forces qui ne sont reconnues ni par la science ni par la religion et requérant une initiation (alchimie, astrologie, cartomancie, chiromancie, divination, magie, nécromancie, radiesthésie, sorcellerie, télépathie »). Le Petit Robert.
35. Ésotérisme : « Doctrine suivant laquelle des connaissances ne peuvent ou ne doivent pas être vulgarisées, mais communiquées seulement à un petit nombre de disciples ». Ésotérique : « Se dit de toute doctrine ou connaissance qui se transmet par tradition orale à des adeptes qualifiés », « Dont le sens est caché, réservé à des initiés ». Le Petit Robert.
36. Le Petit Robert.
37. « L’empirisme est une doctrine qui prétend que toute la vie de l’esprit s’explique par la seule expérience sensible. Attention. N’oubliez pas, dans cette définition, l’adjectif : sensible. Il a plus d’importance que le substantif : l’expérience. » Dans le contexte où tout système prétend s’appuyer sur l’expérience, « ce qui caractérise l’empirisme, c’est que pour lui il n’y a qu’un type d’expérience, l’expérience sensible. L’esprit reçoit tout des sens ; il n’y a pas de principes innés capables de dépasser ce qui apparaît dans le temps et dans l’espace : il est un assemblage de données sensibles. Croire que toute la connaissance et l’esprit lui-même viennent de données sensibles, et doivent y demeurer, c’est cela l’empirisme, et cela seulement. » Lenoble, op. cit. pp. 22-23.
38. Par exemple, comme je le mentionnais, sur tout ce qui ne nous intéresse pas, sur les opinions différentes des nôtres, sur la vie d’autrui.
La philosophie se vit dans la joie voire l’euphorie de l’étonnement. Être étonné, c’est comprendre sans effort dans la lecture, dans la réflexion personnelle ou dans la discussion. Le fameux « Ah ! Là je comprends » vient alors à l’esprit pour autant que ce dernier soit libre et dans le moment présent. Je traite de la question dans le chapitre LA PENSÉE JOYEUSE de mon livre J’AIME PENSER (Comment prendre plaisir à penser dans un monde où tout un chacun se donne raison – Essai et témoignage de gouvernance personnelle). Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du chapitre LA PENSÉE JOYEUSE.
Essai et témoignage de gouvernance personnelle par Serge-André Guay
La pensée heureuse
Pour attraper le bonheur – À toutes les fois où j’ouvre vraiment mon cœur à l’autre, ce dernier saura inévitablement voir et me dire : « Tu n’es pas heureux ». C’est vrai, je ne suis pas heureux. Mais cela me rassure car je ne crois pas qu’il y ait en ce monde de quoi être plus heureux que malheureux. Il y a ici et là des occasions d’être heureux mais leur nombre et leur étendue n’assurent pas une majorité au bonheur. Pour moi, être davantage heureux que malheureux signifierait que je suis inconscient du malheur en notre monde. Bref, à mon avis, il faut en quelque sorte être inconscient, de son propre malheur et du malheur des autres, pour être heureux.
Je ne suis donc pas partisan de la pensée positive. Je ne me laisse pas souvent porter par des vents d’optimisme quoique je m’adonne au rêve d’un monde meilleur, moins malheureux, soutenu par de vives et profondes convictions d’espérance.
Le vrai bonheur, pour moi, est parfait et, puisque la perfection n’est pas de ce monde, notre bonheur a toujours quelque chose de faux, il cache toujours un certain malheur, des insatisfactions et ainsi des frustrations. Je ne suis pas pour autant un réaliste. À vrai dire, la réalité me tombe sur les nerfs depuis que j’en ai pris conscience lors de mon adolescence. La réalité me démoralise et me décourage. Si être adulte, c’est accepter la réalité, je tiens à demeurer un adolescent. En fait, la réalité est acceptable que si c’est en vue de la changer, non pas pour composer quoi que ce soit avec elle; la réalité est trop corrompue pour ne pas corrompre. Jamais la réalité ne sera, dans mon livre à moi, une alliée fiable pour bâtir un monde meilleur.
Si bonheur il y a, c’est dans le rêve, plus spécifiquement, dans les premiers rêves de jeunesse, encore insoumis. Personnellement, malgré mes 47 ans, je m’accroche toujours à l’innocence de mes rêves de jeunesse car, somme toute, je n’ai pas encore fait les compromis auxquels on nous invite à l’adolescence pour « entrer dans le système ». Mes rêves sont toujours aussi irréalistes qu’ils l’étaient à treize ans. Je n’ai toujours pas les pieds sur terre et… je n’y tiens pas du tout. C’est comme si j’avais été violé ou marqué au fer rouge par mes rêves, par le plaisir et l’espoir de mes rêves; impossible de les oublier, de les mettre de côté. Mes rêves ne sont toujours pas ceux que j’aurais dû et que je devrais avoir. Je ne rêve toujours pas à ce à quoi on souhaite que je rêve pour entrer dans le rang. Mes rêves sont fous, sans limite, sans frontière. Ils courent dans toutes les directions sans jamais se perdre, sans doute parce que chacun est orienté par un sens et une histoire voire un avenir. Mes rêves sont rebelles et irréalisables. Ils ne sont pas des buts mais des souhaits, simples, sincères et honnêtes. Si jamais ils se réalisent tout de même, c’est par défaut; je me rends compte alors être dans la réalité de mes rêves. C’est quand je rêve que je suis au meilleur de ma forme et que je suis heureux. Et c’est quand je prends mes rêves pour la réalité que je travaille le mieux.
Enfant, rêver faisait partie de la vie; je pratiquais le rêve comme un sport. Je vivais dans un monde imaginaire. Il n’y avait rien de plus amusant et captivant que d’imaginer une ville dans mon carré de sable.
Qu’elle ne fut pas ma surprise de constater à l’adolescence que l’idée que je me faisais du monde n’était qu’un rêve, qu’une illusion d’enfant. Aucune autre déception ne sera jamais plus grande que celle-là, plus destructrice de mon bonheur, jeune et sans défense.
J’aurai pu alors en vouloir à mon imagination et décider de ne plus jamais me laisser trahir par mes rêves, bref, de m’en tenir à la réalité. Mais la réalité m’était insupportable; elle tuait mes rêves et l’idée de l’accepter me répugnait et me répugne encore. « On n’accepte pas la réalité, on la change, pour soi et pour les autres », me dis-je. La réalité a de quoi décevoir tous les hommes et l’adolescence est une époque propice pour s’en rendre compte car jamais la réalité ne frappe autant aux yeux qu’à la sortie de l’enfance. J’ai alors décidé de m’accrocher à mes rêves et de refuser la réalité.
Aussi, ai-je vite tourné ma conscience vers mes rêves, ce sur quoi ils portaient, sur leur pouvoir, leur avenir, les croyances et la force de conviction dont ils témoignaient. Il m’était impossible d’affronter les désillusions vécues à l’adolescence sans rêver, sans faire de mes rêves la seule réalité qui compte. Et à mon avis, il en va de même dans le cas des déceptions de la vie adulte.
La réalité découverte à l’adolescence est loin d’être réjouissante pour chacun de nous, d’où que le rêve devienne essentiel. On ne rêve pas pour voir ce qu’on imagine se réaliser. On ne rêve pas non plus pour fuir. On ne rêve pas pour rêver. On rêve pour vivre heureux.
On rêve pour se convaincre que la vie vaut tout de même la peine d’être vécue. On rêve de changer le monde parce qu’on l’aime. Conscient soi-même que l’on change, on rêve tout autant que les autres changent, que le monde change. Mais rares sont ceux que les rêves transforment. C’est plutôt la réalité qui change la plupart d’entre nous. Les rêves deviennent terre-à-terre, individualistes et égoïstes, sans espoir pour l’autre. Pour la plupart, toute la question est de savoir comment tirer son épingle du jeu de la réalité. Difficile de rêver quand la réalité est au pouvoir, plutôt que l’imagination. Certes, on rêve mais la réalité finit toujours par rattraper le rêve, par le discipliner. Pour rêver autrement, il suffit simplement d’avaler la clé de ses rêves, de s’enfermer dans ses rêves. Bien sûr, c’est un jeu dangereux mais le risque en vaut la chandelle : le bonheur d’un monde meilleur pour tous.
Pour vivre ainsi dans le bonheur du rêve, il y a trois trucs. Premièrement, il faut rêver aux autres, non pas à soi-même, à moins que cela soit avant tout profitable aux autres. Deuxièmement, il faut rêver sans espoir de retour; rêver d’un monde meilleur en vue d’en tirer soi-même profit n’est pas un rêve gratuit. Troisièmement, le rêve doit être personnel, d’abord pour lui assurer une originalité, à soi pour autrui, et ensuite pour le rendre « partageable », de soi à autrui. Autrement dit, c’est parce que le rêve est personnel que l’autre lui reconnaîtra une originalité et celle-ci motivera le partage du rêve. Et si le rêve transpire le bonheur, qu’il rend le rêveur heureux, l’autre voudra le partager avec un autre et ce dernier avec un autre encore, chacun lui ajoutant sa touche d’originalité.
Ici, toute la question est de savoir ce que vous avez à offrir : la réalité ou le rêve. Que révèlent les pensées que vous partagez avec autrui ? La réalité cachée d’un monde malheureux ou le rêve personnel d’un monde heureux ?
Je sais, on me l’a assez dit, je suis un rêveur, j’ai la tête dans les nuages, et je cours le risque de me barrer les pieds dans la réalité et ainsi de créer non seulement mon propre malheur mais aussi de rendre autrui malheureux, surtout ceux dont je suis responsable du bonheur.
Il faut dire qu’avec le peu de respect que je manifeste pour la réalité, source de tant de malheurs, je ne suis pas enclin à faire attention où je mets les pieds. Et si j’écrase ici et là les plaisirs d’autrui, parfois avec l’intention du malheur, c’est toujours pour une leçon de vie car je hais l’esclavage du bonheur éphémère. Rares sont les plaisirs dont la satisfaction ne nous aveugle pas en nous laissant croire qu’une vie heureuse est une vie pleine de plaisirs.
« Faites-vous plaisir et vous serez heureux! », nous dit-on. Foutaise, si on ne précise pas que le bonheur visé durera uniquement le temps d’un plaisir. Ainsi, court-on d’un plaisir à l’autre, d’un bonheur à l’autre, souvent trop petit, trop court, et, par surcroît, en récompense d’avoir supporté la réalité d’un malheur à peine masqué par les soi-disant obligations d’être conforme au système (dodo, boulot,…). Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça? L’esclavage des plaisirs. Plus encore, l’esclavage des désirs.
Si au moins ces plaisirs et ces désirs étaient originaux, mais c’est très rarement le cas car ils sont dictés par le système, selon la place occupée par chacun dans la hiérarchie de la société de production et de consommation de masse. Cette société dicte aux pauvres et aux riches des désirs et des plaisirs différents, aux gens très cultivés et aux gens peu cultivés des désirs et des plaisirs différents, et ainsi de suite.
La démocratisation des désirs et des plaisirs, apparemment soutenue par une éducation et une chance égales pour tous, nous le savons, est une illusion. Dans une société aussi conformiste et sectaire que la nôtre, gare à celui ou celle qui marche hors des sentiers battus des désirs et des plaisirs imputables à son rang et à son groupe. Nous sommes tous pour la démocratisation uniquement parce que nous voulons avoir le plaisir, personnel avant tout, de dire notre mot, généralement avec la seule intention d’imposer notre point de vue, d’améliorer notre rang ou de défendre le groupe auquel on appartient. Notre solidarité se limite à ce que l’on pense personnellement, tout au plus, à ce que pense notre groupe. S’il n’en n’était pas ainsi, il n’y aurait pas un tiers de l’humanité qui crèverait de faim, y compris, 18,000 enfants par semaine.
En fait, chacun défend « son » bonheur, soi-disant pour le bonheur de l’humanité tout entière. « Si je suis heureux, je vais faire des heureux », disent certains, peut-être, mais probablement uniquement des heureux dans leur groupe respectif. Par exemple, généralement, les gens riches rendent heureux d’autres gens riches tandis que ce sont les pauvres qui rendent d’autres pauvres vraiment heureux. Vous le savez, l’argent ne fait pas le bonheur et les parents riches boudés par leurs enfants pauvres le savent aussi. Je me demande combien de pauvres n’auraient plus besoin du secours public si les gouvernements obligeaient le partage des richesses au sein des familles.
La pauvreté, un état malheureux, résulte souvent de l’esclavage des « mauvais » désirs et plaisirs. Par exemple, on dira du pauvre que « plutôt que d’aller à l’école, il a succombé à ses plaisirs, raison pour laquelle il n’a pas la formation pour se trouver un emploi ». Il y aurait donc de « mauvais » et de « bons » désirs et plaisirs, toujours dictés par notre société.
L’affirmation suivante résume bien l’argumentation : « Il faut être raisonnable car on ne peut pas être heureux tout le temps. » De quelle philosophie s’agit-il ? Est-ce à dire qu’il y a un temps pour être heureux et un temps pour être malheureux ? Dans le cas où l’on répond « Oui », on adhère à la philosophie du sacrifice. Je suis raisonnable si je sacrifie une partie de ma vie au malheur pour me mériter le bonheur de certains plaisirs. Ça, c’est quand on cherche le bonheur dans des plaisirs, des plaisirs que l’on tente de trouver partout, pour réduire le sacrifice au minimum et augmenter les plaisirs au maximum. Bref, du plaisir, même dans le malheur. Personnellement, mes malheurs me rassurent sur l’éveil de ma conscience mais je n’y trouve aucun plaisir et je ne cherche pas non plus à y voir l’opportunité d’un plaisir. Il ne faut pas confondre l’idée de joindre l’utile à l’agréable mais avec l’idée de sacrifier une part de sa vie au malheur dans la promesse d’un éventuel bonheur. Même une infime part de notre vie ne mérite pas d’être sacrifiée au malheur car nous manquons ainsi de respect au bien le plus cher.
Comme je le disais, ça, c’est quand on cherche le bonheur dans des plaisirs. Et si le bonheur, le vrai, se trouvait ailleurs que dans la maximisation des plaisirs? S’il se trouvait plutôt dans « une manière d’être déterminée à la fois par le bon ordre de l’âme et le bien agir »,1 comme certains philosophes grecs le définissaient dans leur éthique, « sous le nom d’eudaimonia »,2 « qui associe étroitement la poursuite de la moralité et celle de la félicité »,3 « Il ne s’agit aucunement du sentiment subjectif du bonheur »,4 ou du « bonheur comme la maximisation d’états subjectifs excellents ».5 Nous laisserons « le bon ordre de l’âme » à La pensée divine pour nous concentrer sur « le bien agir » et le rejet des plaisirs comme source du bonheur.
D’abord, le plus important : le bonheur est « une manière d’être ». Comprenez bien, le bonheur n’est pas le résultat d’une manière d’être mais la manière d’être elle-même. Ici, la manière d’être est le bonheur, d’où l’idée de définir le bonheur comme le « bien-être ». On parle ici de notre état d’être, du simple fait d’exister. La question du bonheur se pose ainsi : comment être ou comment exister, en tant qu’homme sur cette terre? La quête du bonheur, c’est quête du comment être bien, du comment être un homme bien. L’être qui cherche comment être cherche comment être bien, rien d’autre. Bref, le bonheur est la manière d’être bien. Comme on dit, « tout est dans la manière », tout. Dans ce cas, on ne cherche pas des plaisirs partout mais une manière de bien être partout et en tout temps, même sous la torture de la réalité du malheur.
« La définition la plus commune du bonheur est celle qui l’identifie au plaisir. Un des premiers et plus ardents défenseurs en est le Calliclès du Gorgias qui affirme que la vie heureuse est « la vie facile, l’intempérance. la licence. Socrate réfute cette thèse en soulignant le caractère insatiable des désirs physiques les plus grands (et la frustration qui se trouve ainsi toujours attachée à leur satisfaction). Mais la véritable réfutation conceptuelle de l’hédonisme se trouve dans le Philèbe. Le plaisir dans son ensemble appartient au genre de l’illimité, il n’est qu’une genèse et ne possède pas de nature propre; il ne peut donc être confondu avec le bien humain au fondement de la vie heureuse. De plus, toute perception du plaisir suppose que la pensée s’ajoute au plaisir. La pure vie de plaisir serait donc marquée d’incomplétude et condamnée à rechercher toujours, sans en avoir la moindre représentation mentale, les objets qui devraient satisfaire les désirs dont elle est habitée. »6
C’est le bien humain qui est le fondement de la vie heureuse, et le bien humain n’est égal aux plaisirs, à moins de les raisonner, non pas pour se limiter ou se récompenser, mais pour être tranquille et indépendant par rapport aux réalités extérieures :
« La vie de plaisir, comme ensemble des satisfactions éprouvées, est, selon Épicure, la seule vie heureuse, parce que c’est la seule vie qui puisse être réglée et conduise à un état de tranquillité et d’indépendance par rapport aux réalités extérieures. L’individu accède à une forme d’autosuffisance en changeant et adaptant ses désirs, car ceux-ci sont les produits de croyances que les hommes peuvent contrôler par la raison. L’état de bonheur est caractérisé par l’absence de peine dans le corps et par l’absence de trouble dans l’âme.7
Accéder au bonheur, c’est accéder à une certaine autosuffisance; le bonheur ne dépend plus des réalités extérieures mais intérieures. Autrement dit, être heureux, c’est ne plus laisser les réalités extérieures contrôler nos désirs et nos croyances. Cette coupure avec les réalités extérieures pour acquérir l’autosuffisance sera faite « en changeant et en adaptant nos désirs » et, puisque ces derniers dépendent de nos croyances, ils pourront donc être changés et adaptés en contrôlant nos croyances par la raison. Ainsi, des croyances raisonnables produiront des désirs raisonnables pour des plaisirs tout aussi raisonnables procurant l’état de bonheur, c’est-à-dire, « l’absence de peine dans le corps et de trouble dans l’âme ».
Évidemment, moi qui en veux à la réalité, cette idée d’indépendance par rapport aux réalités extérieures me plaît mais je garde une réticence face à la relation entre plaisir et bonheur.
« Les philosophes cyrénaïques semblent avoir, un siècle avant Épicure, critiqué une telle conception du bonheur-plaisir. Eux-mêmes soulignaient que le plaisir est la fin de toute action, mais refusaient pour cette raison d’assimiler bonheur et plaisir, parce que les satisfactions du plaisir ont un caractère rhapsodique et détaché que ne peut avoir le bonheur. Le bonheur ne peut donc être défini comme plaisir ou sommation de plaisirs. »8
Le bonheur n’est pas un état dont on peut se détacher et se libérer, comme on se détache et se libère des satisfactions du plaisir. En fait, nous avons face au plaisir un certain recul parce que nous distinguons notre être des satisfactions du plaisir qu’il éprouve. Nous pouvons donc parler des satisfactions du plaisir avec un certain détachement. Le simple fait de dire « J’ai plaisir à satisfaire… » témoigne de la séparation du « je » ou de l’« être » du « plaisir » et de l’action de « satisfaire ». Dans le cas du bonheur, il s’agit d’« être heureux », en un tout ou sans distinction du fait d’être du fait heureux, ce qui limite le détachement ou le recul, d’où l’idée de ne pas assimiler une chose face à laquelle nous pouvons prendre du recul (satisfactions du plaisir) à une chose face à laquelle nous pouvons difficilement prendre le même recul (bonheur). Si le bonheur n’égale pas plaisir, l’un et l’autre sont tout de même en relation, une relation à soumettre à la sagesse :
« Dans le Gorgias, Socrate évoque la vie de l’homme sage qui limite ses désirs à ceux qu’il est possible de satisfaire et connaît ainsi une forme de tranquillité qui lui garantirait le bonheur, en l’immunisant contre l’insatisfaction et la perte. Cette conception se retrouve dans la pensée cynique. Le bonheur semble y être défini comme le fait de vivre, après une forme d’ascèse physique ou mentale de ses désirs, en agrément avec la nature ou en conformité avec la raison. L’essence du bonheur est une maîtrise de soi qui se manifeste par la capacité à vivre bien en toute circonstance imaginable. »9
La sélection des désirs par la raison dans un exercice de maîtrise de soi permet d’atteindre le bonheur. La capacité à vivre bien devient la capacité à rationaliser et s’oppose à la capacité à éprouver du plaisir :
« Pour Aristote, le bonheur correspond à l’état d’actualisation le plus parfait de la plus excellente des capacités humaines. Mais une telle définition du bonheur s’oppose résolument à l’hédonisme. Aristote montre ainsi que la caractéristique la plus proprement humaine que la vie heureuse doit refléter n’est pas la capacité à éprouver du plaisir, mais l’exercice de la faculté rationnelle. »10
Où est passé le plaisir dans ce bonheur, somme toute, rationnel? Il est dans l’acte de pensée et la satisfaction de ce plaisir procure la vertu, « l’énergie morale », la « force d’âme »:11
« La définition la plus générale de l’eudaimonia est donc le fait d’accomplir certains actes, d’être une certaine personne, de mener une certaine vie. Le bon état de l’âme conduit au bonheur et la vertu est la seule récompense. C’est le sens profond de l’eudémonisme grec. À l’existence d’un lien conceptuel entre la vertu et le bonheur s’ajoute la certitude que l’une et l’autre sont toujours compatibles pratiquement. On peut être heureux tout en étant vertueux au sens où aucune souffrance ne peut déposséder l’individu de sa vertu, source objective de son bonheur. Une telle interdépendance de la vertu et du bonheur peut prendre des sens différents. La vertu peut suffire au bonheur, sans qu’on ait besoin d’y ajouter quoi que ce soit (c’est la position strictement socratique que les Stoïciens ont reprise). »12
Le plaisir subjectif a définitivement cédé sa place à une « source objective du bonheur », la vertu. Le bonheur, c’est de ne pas agir contre son meilleur jugement, poussé par le plaisir, la peine ou la peur :
« Le bonheur est donc une fin ultime qui permet d’expliquer nos actions et nos désirs. Car il n’y a que le bonheur pour lequel il n’est pas légitime de demander : « En vue de quoi avez-vous fait cela? ». Socrate faisait de la rationalité la seule source de l’action morale. En conséquence l’« incontinence » (akrasia), ou le fait d’agir contre son meilleur jugement, poussé par le plaisir, la peine ou la peur, n’existe pas. De plus, personne ne peut agir volontairement contre la vertu, car c’est là ne pas respecter ce qui importe le plus à son âme. »13
La meilleure explication de nos actes tiendra de la haute intention, le bien-être. Aussi, « l’intentionnalité de l’action est toujours liée au fait que celle-ci procède d’un jugement sur le bien »14 et seule la raison peut porter un tel jugement et ainsi motiver les actions :
« Le sage stoïcien, s’il existe, sait toujours ce qu’il est approprié de faire en toutes circonstances et doit pouvoir agir conformément à ce savoir. Les Stoïciens ont montré qu’il existait un lien direct entre les croyances relatives au bien et l’action. Seule la raison motive les actions : il suffit donc de consentir à l’impression rationnelle qui présente la description d’une action à accomplir ou à éviter. L’action est juste si la proposition qui la motive est vraie. Il n’y a pas de faiblesse de la volonté, mais il y a en revanche des erreurs de raisonnement, lorsqu’on acquiesce à des propositions qui présentent comme bon un autre objet que la vertu ou la rationalité. »15
C’est dans ce lien avec le bien que le bonheur prend véritablement tout son sens : le bien-être! Il n’est pas d’autre plaisir d’être et de vivre que le bien-être. C’est lorsque le bonheur est associé au bien que je suis à l’aise avec la quête du bonheur qui se résume en fait à la recherche de la pensée heureuse. C’est bien de se faire plaisir si le plaisir est le bien, en pensée et en acte.
« Ce n’est pas péché de se faire plaisir », répète la publicité, pour attendrir les gens qui se sentent coupables de se faire plaisir. C’est que le doute gagne le cœur et la conscience lorsque la satisfaction des plaisirs ne donne pas de résultats durables.
L’argument « Tout le monde se fait plaisir, il n’y a pas de raison pour ne pas vous aussi vous faire plaisir » nous invite à trouver le bonheur dans le conformisme :
« Il est ainsi possible de trouver le bonheur dans le conformisme, puisque celui-ci évite la punition sociale et crée les besoins acquis qu’il saura justement satisfaire. Des sociétés qui ont établi leurs échelles hiérarchiques de dominance, donc de bonheur, sur la production des marchandises, apprennent aux individus qui les composent à n’être motivés que par leur promotion sociale dans un système de production de marchandises. Cette promotion sociale décidera du nombre de marchandises auquel vous avez droit, et de l’idée complaisante que l’individu se fera de lui-même par rapport aux autres. Elle satisfera son narcissisme. Les automatismes créés dès l’enfance dans son système nerveux n’ayant qu’un seul but, le faire entrer au plus vite dans un processus de production, se trouveront sans objet à l’âge de la retraite, c’est pourquoi celle-ci est rarement le début de l’apprentissage du bonheur, mais le plus souvent celui de l’apprentissage du désespoir. »16
Où alors trouver la pensée heureuse si ce n’est pas dans la conformité à l’idée de plaisir et de bien proposée par notre système de production de marchandises ? Je vous l’ai déjà révélé : dans l’imaginaire car lui seul « crée le désir d’un monde qui n’est pas de ce monde ».17
« L’imaginaire s’apparente ainsi à une contrée d’exil où l’on trouve refuge lorsqu’il est impossible de trouver le bonheur parce que l’action gratifiante en réponse aux pulsions ne peut être satisfaite dans le conformisme socioculturel. C’est lui qui crée le désir d’un monde qui n’est pas de ce monde. Y pénétrer, c’est « choisir la meilleure part, celle qui ne sera point enlevée ». Celle où les compétitions hiérarchiques pour l’obtention de la dominance disparaissent, c’est le jardin intérieur que l’on modèle à sa convenance et dans lequel on peut inviter des amis sans leur demander, à l’entrée, de parchemin, de titres ou de passeport. C’est l’Éden, le paradis perdu, où les lys des champs ne filent, ni ne tissent. On peut alors rendre à César ce qui est à César et à l’imaginaire ce qui n’appartient qu’à lui. On regarde, de là, les autres vieillir prématurément, la bouche déformée par le rictus de l’effort compétitif, épuisés par la course au bonheur imposé qu’ils n’atteindront jamais. »18
Lié au bien, le bonheur relève plus spécifiquement de notre échelle de valeurs :
« Finalement, on peut se demander si le problème du bonheur n’est pas un faux problème. L’absence de souffrance ne suffit pas à l’assurer. D’autre part, la découverte du désir ne conduit au bonheur que si ce désir est réalisé. Mais lorsqu’il l’est, le désir disparaît et le bonheur avec lui. Il ne reste donc qu’une perpétuelle construction imaginaire capable d’allumer le désir et le bonheur consiste peut-être à savoir s’en contenter. Or, nos sociétés modernes ont supprimé l’imaginaire, s’il ne s’exerce pas au profit de l’innovation technique. L’imagination au pouvoir, non pour réformer mais pour transformer, serait un despote trop dangereux pour ceux en place. Ne pouvant plus imaginer, l’homme moderne compare. Il compare son sort à celui des autres. Il se trouve obligatoirement non satisfait. Une structure sociale dont les hiérarchies de pouvoir, de consommation, de propriété, de notabilité, sont entièrement établies sur la productivité en marchandises, ne peut que favoriser la mémoire et l’apprentissage des concepts et des gestes efficaces dans le processus de la production. Elle supprime le désir tel que nous l’avons défini et le remplace par l’envie qui stimule non la créativité, mais le conformisme bourgeois ou pseudo-révolutionnaire.
Il en résulte un malaise. L’impossibilité de réaliser l’acte gratifiant crée l’angoisse, qui peut déboucher parfois sur l’agressivité et la violence. Celles-ci risquent de détruire l’ordre institué, les systèmes hiérarchiques, pour les remplacer d’ailleurs immédiatement par d’autres. La crainte de la révolte des malheureux a toujours fait rechercher par le système de dominance l’appui des religions, car celles-ci détournent vers l’obtention dans l’au-delà la recherche d’un bonheur que l’on ne peut pas atteindre sur terre, dans une structure socio-économique conçue pour établir et maintenir les différences entre les individus. Différences établies sur la propriété matérielle des êtres et des choses, grâce à l’acquisition d’une information strictement professionnelle plus ou moins abstraite. Cette échelle de valeurs enferme l’individu sa vie durant dans un système de cases qui correspond rarement à l’image idéale qu’il se fait de lui-même, image qu’il tente sans succès d’imposer aux autres. Mais il ne lui viendra pas à l’idée de contester cette échelle. Il se contentera le plus souvent d’accuser la structure sociale de lui avoir interdit l’accès aux échelons supérieurs. Son effort d’imagination se limitera à proposer de la renverser pour, ensuite, la redresser à l’envers de façon à ce que ceux qui produisent les marchandises soient en haut et puissent en profiter. Mais ceux qui sont au haut de l’échelle aujourd’hui sont ceux qui imaginent les machines, seul moyen de faire beaucoup de marchandises en peu de temps. Si on renverse l’échelle, tout tournant encore autour de la production, l’absence de motivations chez ceux que la productivité récompensait avant, risque fort de supprimer toute productivité. Il semble bien que l’on ne puisse sortir de ce dilemme qu’en fournissant une autre motivation, une autre stratégie aux hommes dans leur recherche du bonheur.
Puisqu’il tient tant au cœur de l’individu de montrer sa différence, de montrer qu’il est un être unique, ce qui est vrai, dans une société globale, ne peut-on lui dire que c’est dans l’expression de ce que sa pensée peut avoir de différent de celle des autres, et de semblable aussi, dans l’expression de ses constructions imaginaires en définitive qu’il pourra trouver le bonheur. Mais il faudrait pour cela que la structure sociale n’ait pas, dès l’enfance, châtré cette imagination pour que sa voix émasculée se mêle sans discordance aux chœurs qui chantent les louanges de la société expansionniste. »19
S’arrêter à accuser les motivations de la société expansionniste ne me paraît pas suffisant; ces motivations en cachent bien d’autres, plus profondes et plus déterminantes encore. Aussi, pour trouver une différence réelle dans sa pensée, il faut revoir son échelle de valeurs car, pour le moment, elle semble davantage être pareille que différente des autres avec lesquelles nous vivons, au moins, en ce qui a trait à la priorité des priorités : moi, je, me, moi.
La concentration sur soi est une valeur très répandue et, sous son influence, « la quête du bonheur devient un projet malheureux » :
« J’espère que ce point est tout à fait clair. La poursuite sérieuse de la santé physique peut devenir une obsession malsaine. De la même façon, un homme ou une femme qui recherchent avec trop de sérieux la santé ou la plénitude mentale, cheminent dans la mauvaise direction. La quête sérieuse du bonheur devient un projet malheureux.
Il existe une raison principale à cela. Le bonheur et la plénitude personnelle font partie de ces choses qui ne peuvent être recherchées directement. Ils sont les résultats secondaires d’autres quêtes. Plus vous essayez de les rechercher directement, plus ils vous échappent. Nous sommes le plus heureux lorsque nous sommes pris entièrement par un jeu, un loisir ou une conversation et que nous avons, l’espace d’un instant, oublié notre quête du bonheur. C’est la raison pour laquelle l’importance donnée à la prise de conscience de soi, prescription courante pour atteindre le bonheur, mène souvent sur le chemin de l’échec personnel. Le bonheur vient plus fréquemment lorsque l’attention est concentrée sur quelque chose d’extérieur au moi. Si nous nous intéressons véritablement à la recherche du bonheur, il nous faut considérer avec sérieux presque tout, courses de chevaux, gastronomie, amour, sauf nous-mêmes.
Une autre remarque. Il existe peu de gens capables de rechercher la réalisation de leur moi sans dévaluer celui des autres. L’un des signes particuliers de l’homme qui concentre son attention sur lui-même est le peu d’intérêt qu’il manifeste à l’égard des autres individus ou autres choses. En fin de compte, il ne considère les préoccupations extérieures intéressantes que dans la mesure où elles servent la réalisation de sa propre personne. Elles deviennent de simples moyens pour parvenir à ses fins : les instruments dont on se débarrasse après utilisation. Ce type d’attitudes, bien sûr, tend en réalité à détruire toute chance de réalisation. Le moi ne devient nullement plus intéressant à mesure que décroît l’intérêt pour le monde extérieur : il ne devient que plus exigeant et plus impatient. Bien vite, l’homme qui s’est mis à poursuivre son moi y découvre un fardeau tel qu’il recherche désespérément à s’en débarrasser. Il se tourne vers la drogue ou l’alcool ou tout autre anesthésique.
Voici le problème exposé dans ses grandes lignes. Permettez-moi d’utiliser un exemple cinématographique pour lui donner plus de consistance. The Mirror Crack’d (Le Miroir Brisé), film adapté d’un roman d’Agatha Christie, met en contraste deux types de personnes. Une équipe cinématographique hollywoodienne arrive dans un village anglais pour faire un film. Les gens de Hollywood sont narcissistes au plus haut point et cependant l’anxiété les oppresse, si bien qu’ils s’en remettent aux médicaments. Ils n’ont d’intérêt qu’en eux-mêmes, tandis que les personnages du petit village anglais possèdent un regard d’amateurs pour toutes choses. Mlle Marple, par exemple, est toujours en train de jardiner, de faire du crochet, du pain, ou encore de s’enquérir des affaires des voisins. Son centre d’intérêt se porte à l’extérieur d’elle-même et ainsi fait d’elle un excellent détective amateur. Elle peut considérer objectivement toute situation parce qu’elle est profondément attachée aux réalités objectives : sa curiosité ne s’arrête pas à sa propre personne.
Un amateur, est-il besoin de le rappeler, est un ‘amoureux’. Ce mot dénote un vif intérêt pour le monde, un soin attentionné pour ce qui est extérieur à soi-même. Lorsque nous perdons notre côté amateur, nous commençons à perdre notre capacité d’aimer. C’est ce qui semble être arrivé aux gens de Hollywood dans cette histoire. Quand il s’agit de parler d’eux-mêmes, ils sont experts. Ils connaissent tous les coins et recoins de leurs besoins et préoccupations, résultat soit d’années d’analyse, soit simplement de vie dans une société psychologique. Ce qu’ils ont perdu, c’est cet amateurisme de bon aloi qui permet d’apprécier le reste de la vie.
Il y a un autre point qu’il faut remarquer au sujet du film. L’histoire se situe dans les années cinquante. D’une certaine manière, c’était il y a très peu de temps. Mais d’un autre côté, cela semble appartenir à un siècle déjà oublié. L’Angleterre rurale était encore à un stade de société pré-psychologique. En fait, il en était ainsi de certaines grandes régions rurales d’Amérique. Toutefois, à cette époque, Hollywood avait déjà été envahie de part en part par la psychologie. Ainsi, les acteurs et les villageois sont-ils séparés non seulement parce qu’ils représentent deux cultures différentes, mais aussi parce qu’ils vivent à deux époques différentes. Les villageois anglais vivent encore dans un univers préfreudien.
Une question s’impose très logiquement ici : « N’y a-t-il donc personne qui soit parvenu à la réalisation? » La réponse est : bien sûr que si. Nous connaissons tous des individus dont la vivacité et l’aisance naturelle au-dessus de la moyenne nous frappent. En outre, ils semblent posséder un intérêt authentique pour le monde au sens large du terme. Ils ont aussi la capacité de nous rendre davantage conscients de nous-mêmes. J’aimerais simplement observer que lorsque l’on rencontre cet être authentique et non pas tout bonnement un simulateur, vous pouvez parier que le chemin qu’il a parcouru n’a pas été celui de la concentration sur le moi.
L’argument jusqu’ici est triple : 1. la tentative de donner la suprématie au moi – un substitut de Dieu – fait peser sur nous un fardeau énorme; 2. la concentration sur le moi conduit à l’échec personnel puisqu’elle mène non à la réalisation du moi mais à une certaine gravité de la personne; 3. la préoccupation de sa personne conduit à une perte d’intérêt pour le monde et rend à son tour le moi moins intéressant. »20
Pour attraper le bonheur, ma pensée doit se concentrer ailleurs que sur mon moi pour ainsi porter un regard amateur sur autrui et sur le monde. Autrement, seule la pensée malheureuse vient à l’esprit.
___________________
NOTES
1. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 150.
2. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 150.
3. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 150.
4. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 150.
5. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 150.
6. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 150.
7. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 151.
8. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 151.
9. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 151.
10. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 152.
11. Disposition constante à accomplir une sorte d’actes moraux par un effort de volonté. Le Petit Robert.
12. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 152.
13. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, pp. 152-153.
14. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 153.
15. Brunschwig, Jacques et Lloyd, Geoffrey, Le savoir grec – Dictionnaire critique, Flammarion, 1996, p. 154.
La philosophie se vit dans la joie voire l’euphorie de l’étonnement. Être étonné, c’est comprendre sans effort dans la lecture, dans la réflexion personnelle ou dans la discussion. Le fameux « Ah ! Là je comprends » vient alors à l’esprit pour autant que ce dernier soit libre et dans le moment présent. Je traite de la question dans le chapitre LA PENSÉE JOYEUSE de mon livre J’AIME PENSER (Comment prendre plaisir à penser dans un monde où tout un chacun se donne raison – Essai et témoignage de gouvernance personnelle). Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du chapitre LA PENSÉE JOYEUSE.
Essai et témoignage de gouvernance personnelle par Serge-André Guay
La pensée joyeuse
Pour donner à rire à l’intelligence – « La pensée joyeuse »(1) dont je veux parler, c’est la pensée qui provoque l’euphorie, une « impression intense de bien-être général », un « sentiment de bien-être et de joie ».(2) C’est le sentiment que j’éprouve parfois lorsque j’écris et j’en ai des frissons rien qu’à y penser. Dans ces moments-là, j’ai l’impression de traduire parfaitement mes pensées et mes idées en des mots et des phrases, sans aucune distorsion. J’ai l’impression d’écrire exactement ce que je pense, ce que je comprends. Je ne suis plus embêté par mes limites de maîtrise de ma langue; je m’y accorde et je cherche des mots plus précis, sans perdre mes idées. Parfois, je laisse tomber et j’abuse des verbes « être » et « avoir » et les « qui », « que » et autres conjonctions s’accumulent parce que l’enchaînement des idées et la logique me surprennent comme si j’étais spectateur de mes écrits. Ça coule tout seul. Je suis en proie à une grande euphorie et je ne peux la contenir très longtemps : j’éclate de rire ! La pensée joyeuse m’envahit et me procure un état d’extase sans pareil. Dans ces moments-là, je n’ai même plus l’impression d’être là, d’exister. Je me lis avec étonnement et je me dis souvent : « Est-ce vraiment moi qui ai écrit ça? », sans prétention, sans même un brin de fierté, mais avec un contentement évident et une grande joie. Après coup, c’est vrai, je ressens une certaine fierté mais avec une grande prudence car j’hésite à prendre le crédit du résultat, tellement il m’apparaît dépasser mes capacités habituelles. En fait, j’ai l’impression, dans ces moments-là, que mon esprit fut guidé par un autre esprit, mais que cela reste entre vous et moi. Chose certaine, je ne suis pas d’un naturel enjoué, au contraire, je suis plutôt dépressif, quoique je garde toujours une réserve de confiance en moi. Ainsi, j’ai l’impression que la pensée joyeuse vient d’ailleurs lorsqu’elle me gagne. À l’occasion, j’éprouve la même euphorie à la lecture d’un livre, au visionnement d’un film… qui ravit ma pensée.
Jusqu’à tout récemment, en fait, avant que je lise « L’intelligence émotionnelle » de Daniel Goleman, je ne m’étais jamais interrogé sur ces euphories. Il rapporte ceci :
« Voici comment un compositeur décrit ces instants où il travaille avec le plus d’aisance :
On est dans un tel état d’extase que l’on n’a presque pas l’impression d’exister. Cela m’arrive souvent. Ma main paraît écrire toute seule, comme si je n’avais rien à voir avec ce qui se passe. Je reste assis à contempler tout cela avec admiration et étonnement. Ça coule tout seul.(3)
Cette description ressemble de près à celles de centaines d’hommes et de femmes − alpinistes, champions d’échecs, chirurgiens, joueurs de basket, ingénieurs, dirigeants d’entreprise et même documentalistes − quand ils parlent d’un de ces moments privilégiés où ils se sont surpassés. L’état qu’ils décrivent a été nommé « fluidité » par le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi, qui recueille depuis plus de vingt ans des témoignages sur ces « performances exceptionnelles ».(4) Les athlètes appellent cet état de grâce la « zone » − c’est le moment où l’excellence ne demande plus d’effort, où les spectateurs et les concurrents s’effacent dans le bonheur de l’instant. Diane Roffe-Steinrotter, médaille d’or aux Jeux olympiques d’hiver de 1994, a affirmé ensuite qu’elle ne gardait aucun souvenir de l’épreuve de descente, si ce n’est qu’elle était totalement détendue : « J’avais l’impression d’être une chute d’eau. »(5)
La fluidité, c’est le summum de l’intelligence émotionnelle : les émotions mises au service de la performance ou de l’apprentissage. Celles-ci ne sont pas seulement maîtrisées et canalisées, mais aussi positives, chargées d’énergie et appropriées à la tâche à accomplir. Quand on est aux prises avec l’ennui de la dépression ou l’agitation de l’anxiété, la fluidité est hors d’atteinte. Pourtant, tout le monde ou presque connaît de temps à autre l’expérience de la fluidité (ou d’une microfluidité plus modérée) quand on donne le meilleur de soi ou que l’on va au-delà de ses limites habituelles. C’est peut-être l’extase de l’amour physique, quand deux êtres deviennent une unité fluide, qui en cerne le mieux la nature.
C’est une expérience merveilleuse; le sceau de la fluidité, c’est le sentiment de joie spontanée, voire le ravissement. Parce que la fluidité procure un bien-être intense, elle est intrinsèquement gratifiante. Quand l’individu s’absorbe complètement dans ce qu’il fait, y consacre la totalité de son attention, sa conscience se confond avec ses actions. D’ailleurs, la fluidité est brisée si l’on réfléchit trop à ce qui se passe − le simple fait de penser « C’est merveilleux » suffit à mettre un terme à la sensation. L’attention est si focalisée que la personne n’a conscience que du champ de perception étroit lié à ce qu’elle est en train de faire et perd toute notion du temps et de l’espace. Un chirurgien, par exemple, se souvenait d’une opération délicate au cours de laquelle il s’était trouvé dans un état de ce genre; à la fin de l’intervention, il vit par terre des morceaux de plâtre et demanda d’où ils provenaient. Il fut surpris d’apprendre qu’un morceau du plafond s’était détaché, il ne s’était rendu compte de rien.
Dans l’état de fluidité, l’individu ne pense plus à lui-même. Au lieu de se laisser envahir par une anxiété nerveuse, l’individu fluide est si absorbé par ce qu’il fait qu’il perd entièrement conscience de lui-même et oublie les petits tracas de la vie quotidienne. En ce sens, dans ces moments-là, la personne est dépourvue d’ego. Paradoxalement, les gens en état de fluidité maîtrisent parfaitement ce qu’ils font, leurs réactions sont parfaitement adaptées aux besoins changeants de leur tâche. Et, bien qu’ils soient au sommet de leur performance, ils ne se demandent pas s’ils vont réussir ou échouer, c’est le pur plaisir de l’acte qui les motive. »(6)
Certes, je ne me reconnais aucune grande performance et l’excellence demeure à venir, mais rien n’empêche que si les moments de fluidité vont en grandissant, alors je ne porterai plus à terre, et moi qu’on accuse déjà d’avoir la tête dans les nuages, qu’est-ce que ce sera?
Mais je puis vous confirmer que dans ces moments de fluidité, je ne me demande pas si je vais « réussir ou échouer », être ou non édité, « c’est le pur plaisir de l’acte », penser puis écrire, qui me motive. Comment atteindre l’état de fluidité ?
« Il y a plusieurs façons d’atteindre l’état de fluidité. L’une d’elles consiste à se concentrer intensément sur la tâche à accomplir, une grande concentration est l’essence même de la fluidité. Il semble exister une boucle de rétroaction à l’entrée de cette zone, des efforts considérables peuvent être nécessaires pour parvenir à se détendre et à se concentrer, et ce premier pas réclame une certaine discipline. Mais, lorsque l’attention commence à se focaliser, elle acquiert une force propre qui permet à l’individu de s’abstraire du tourbillon des émotions et d’accomplir sa tâche sans effort.
On peut aussi atteindre l’état de fluidité lorsqu’on est engagé dans un travail pour lequel on est compétent, mais qui exige un certain effort. Comme l’a dit Csikszentmihalyi, « les gens semblent se concentrer mieux lorsque la tâche est un peu plus exigeante que d’ordinaire et qu’ils sont capables de donner davantage d’eux-mêmes. Si c’est trop facile, ils s’ennuient. Si c’est trop difficile, ils deviennent anxieux. La fluidité apparaît dans cette zone délicate délimitée par l’ennui et l’anxiété(7) ».(8)
Autrement dit, pour notre propos dans ce livre, le pur plaisir de penser ne viendra pas car, si l’acte est trop facile, penser sera ennuyeux, et si l’acte est trop difficile, penser sera angoissant. Dans ces conditions, même en tentant de faire un premier pas avec la meilleure discipline du monde; nous allons à contre-courant de la pensée joyeuse.
L’ennui crée une tension nerveuse, tout comme l’anxiété (ou l’angoisse) et cela empêche de nous oublier nous-mêmes, de nous concentrer sur autre chose et, par conséquent, de trouver du plaisir à penser. Mais, il ne s’agit pas d’éliminer complètement la tension nerveuse, d’être au neutre, mais de trouver le degré minimum pour un résultat maximum.
« La relation entre l’anxiété et les résultats obtenus, y compris les résultats intellectuels, constitue une courbe en forme de U renversé. Au sommet, la relation est optimale, un minimum de tension nerveuse amenant des résultats remarquables. Mais une tension insuffisante − la branche ascendante du U renversé − rend l’individu apathique ou ne le motive pas assez pour qu’il fournisse l’effort requis alors qu’une anxiété excessive − l’autre branche du U − réduit à néant tous ses efforts.
Un état de légère exaltation, ce que les psychologues nomment l’hypomanie, semble idéal pour les écrivains et les autres personnes engagées dans des activités créatrices qui exigent souplesse de pensée et imagination; cet état se trouve près du sommet de la courbe en U. Mais si cette euphorie échappe à tout contrôle pour devenir une véritable agitation, comme chez les maniaco-dépressifs, celle-ci empêchera de penser de manière assez cohérente pour bien écrire, même si le flot des idées circule librement − en fait trop librement pour suivre l’une d’elles assez loin et lui donner une forme achevée. »(9)
C’est la distance entre les deux pattes du U renversé qui crée la tension imagée ainsi par l’auteur. Trop rapprochées ou trop éloignées, le sommet du U cédera, vers le haut ou vers les bas, avec le même résultat : il n’y a plus rien de joyeux à l’acte de penser.
Pour trouver une solution à ce problème, ou à un autre, il faut libérer de la tension en trouvant le moyen de rire pour disposer à nouveau positivement notre esprit :
« Tant qu’elles durent, les dispositions d’esprit positives augmentent l’aptitude à penser avec souplesse et facilitent ainsi la résolution de problèmes, qu’ils soient théoriques ou interpersonnels. Une bonne façon d’aider quelqu’un à surmonter une difficulté consiste à lui raconter une histoire drôle. Le rire, comme la bonne humeur en général, libère la pensée, facilite les associations d’idées et permet ainsi de découvrir des relations qui, autrement, auraient pu passer inaperçues, et cette faculté mentale est importante non seulement d’un point de vue créatif, mais aussi parce qu’elle aide à saisir des relations complexes et à prévoir les conséquences d’une décision donnée. »(10)
Curieux à dire, mais le rire amènera à la pensée joyeuse, comme l’idée incline à l’acte. Et rien ne vaut plus que de rire de soi-même, y compris de cet état de tension dans lequel nous nous sommes nous-mêmes placés. Le surplus d’anxiété, de stress ou de trac destructeur, devrait nous chatouiller l’esprit et nous donner ne serait-ce qu’un sourire en coin. Il faut dédramatiser notre tension nerveuse. Je ne conseille pas ici de la prendre à la légère, de faire semblant de rien avec un rire nerveux, insignifiant ou carrément niaiseux. Je propose plutôt un rire sincère de soi-même. Après tout, c’est le problème qui mérite notre respect, pas la tension qu’il crée en nous.
C’est vrai, nous avons tendance à juger l’ampleur d’un problème d’après la tension qu’il nous donne à ressentir. C’est une erreur. À l’instant où j’écris ces lignes, notre laveuse est brisée et nous ne disposons pas de l’argent pour la réparer. L’idée d’avoir à nouveau à laver nos vêtements à la main dans le bain nous répugne, ne serait-ce qu’une seule fois. Le problème crée une grande tension, chez moi et chez mon épouse. Mais nous devons admettre que notre tension est plus grande que notre problème et qu’elle nous empêche sûrement d’y trouver une solution imaginative. Il n’y a pourtant pas de quoi rire, si ce n’est le conseil du réparateur au téléphone qui nous invite à utiliser notre laveuse jusqu’à ce qu’elle cesse complètement de fonctionner. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il faudrait la sortir dehors car une fumée noire s’échappe du moteur. J’imagine la laveuse sur le perron avec les voisins se demandant si elle ne carbure pas au diesel. J’y pense, je pourrais peut-être relier notre laveuse avec le moteur d’une tondeuse et un pot d’échappement à l’extérieur, comme la sécheuse. « C’est pas drôle », diront les plus dramatiques en pensant que nous n’avons même pas les moyens de réparer notre laveuse, tout en portant un jugement sur notre pauvreté. Pourtant, je suis certain que ces derniers disposent déjà d’une solution, elle est davantage théorique que pratique. Heureusement, nous avons trouvé à rire et ainsi évité d’être paralysés par notre tension pour garder le cap sur la recherche d’une solution pratique. Nous conservons notre calme et trouvons ainsi le moyen de bien dormir, malgré tout.
Aujourd’hui, je puis vous annoncer qu’une solution nous fut proposée par un organisme de charité : un prêt nous est consenti pour l’achat d’une laveuse usagée que nous pourrons rembourser selon nos moyens. Notre calme n’est pas étranger à la confiance que cet organisme nous manifeste. Si nous avions dramatisé au point de perdre les pédales, il aurait été normal de penser que nous laissions la tension prendre le dessus et, de là, qu’il en allait de même, avec notre budget.
Certes, rire de notre situation nous a permis de garder notre calme mais ce ne fut pas l’euphorie de la pensée joyeuse dont je vous parlais plus haut. En revanche, je ne vois pas comment celui ou celle qui ne vaut pas une risée pourrait accéder à la pensée joyeuse. Car cette dernière demande, non pas de se prendre au sérieux, mais plutôt de prendre au sérieux ce que l’on fait, de façon à s’y fondre, à s’oublier dans l’acte de penser ou tout autre acte de travail.
Comme je vous le disais, j’ai moi-même tendance à dramatiser et je constate que plusieurs personnes au sein de la société suivent la même tendance.
Personnellement, je dramatise par anticipation du pire si une solution n’est pas apportée à temps. Je n’ose pas avouer que cela me motive à vite trouver une solution puisque mes anticipations ont tout pour me perturber. Chose certaine, je suis très rarement surpris par le pire : ou je l’avais prévu car, comme vous, je ne contrôle pas tout, et parfois je ne peux tout simplement pas l’éviter, ou il y a toujours pire car mon imagination est passée maître dans les scénarios catastrophes. Pour moi, dramatiser, c’est prendre du recul pour situer le problème dans la perspective d’une solution qu’importe l’ampleur qu’il pourrait prendre.
Évidemment, la dramatisation ne règle pas le problème pour autant, mais elle me donne le recul utile pour distinguer très nettement la tension créée par le problème du problème lui-même. Plus je dramatise ou plus j’anticipe le pire, plus je dois me rendre à l’évidence que mon problème exerce une grande tension sur moi. Comprenez-moi bien : le fait de dramatiser ne crée pas la tension mais du recul face à la tension alors considérée comme la source de la dramatisation. Bref, la tension précède la dramatisation.
Pour me concentrer sur le problème, je dois donc évacuer cette tension. En dramatisant moins ? Non. Ça ne marche pas car je me sens insécurisé face à l’ampleur actuelle et possiblement à venir du problème. En fait, je crains qu’un aspect du problème échappe au contrôle que je peux exercer. J’ai trouvé dans le rire la seule solution pratique à effet rapide. Or, impossible de rire de soi et de son problème sans le recul acquis de la dramatisation.
Plus encore, comme le soulignait monsieur Goleman, le rire facilite les associations d’idées utiles pour dénicher des solutions à des problèmes qui demandent de l’imagination. Il donne cet exemple :
« Une étude a montré que les personnes qui viennent de voir des vidéogags résolvent plus facilement un problème utilisé depuis longtemps par les psychologues pour tester l’imagination des gens(11) : on donne aux sujets une bougie, des allumettes et une boîte de punaises, et on leur demande de fixer la bougie à un mur de sorte qu’en brûlant la cire ne coule pas par terre. La plupart des gens abordent le problème en ne considérant que l’utilisation habituelle des objets dont ils disposent. Ceux qui ont vu les vidéogags comprennent plus facilement qu’il existe une manière inhabituelle de se servir de la boîte contenant les punaises, et certains aboutissent à une solution inédite : ils fixent la boîte au mur et y placent la bougie. »(12)
Généralement, nous ne sommes pas disposés à rire lorsqu’un problème occupe notre esprit, pas même à prêter notre attention à des vidéogags. Nous sommes davantage portés à croire qu’il faut être sérieux pour trouver la solution à un problème, être sérieux pour prendre le problème au sérieux. Cette attitude sérieuse est le vrai drame car le recul ne sera que rationnel alors qu’il doit aussi et surtout être émotionnel. Nous luttons ici contre l’anxiété paralysante, une émotion de la famille de la peur, et contre la dépression, membre de la famille de la tristesse. Faire preuve de tout le sérieux du monde ne diminuera jamais la tension comme un rire sincère. Être trop sérieux peut avoir le même effet que de perdre son calme : paralyser l’imagination.
Combien de fois entendons-nous des gens témoigner de leurs quêtes de solutions à des problèmes en ces termes : « La solution était là, devant moi, mais je ne la voyais pas ». Trop sérieux ou trop énervés, ils n’ont rien vu jusqu’à ce qu’ils rient un peu, se détendent et se calment. D’ailleurs, c’est souvent avec le sourire aux lèvres qu’ils relatent les événements.
Si vous n’avez pas tendance à rire de vous-mêmes et de vos problèmes, il faut un effort pour cultiver une nouvelle attitude. D’abord, vous devez être témoin de la tension qu’un problème exerce sur vous. Un problème peut vous ennuyer au point de créer en vous une tension en raison de l’absence de défi. Difficile de supporter l’ennui, plus spécifiquement, de prêter toute l’attention nécessaire pour résoudre un problème qui nous ennuie. Dans le cas de l’anxiété, c’est le contraire; le défi semble trop grand pour notre capacité. Dans un cas comme dans l’autre, il faut déterminer d’où vient la tension, de trop d’ennui ou de trop d’anxiété, de l’absence de défi ou d’un trop grand défi ?
Le danger de se concentrer sur l’ennui ou l’anxiété est évident : être encore plus ennuyé ou anxieux. C’est sur la tension elle-même qu’il faut se concentrer, c’est elle qu’il faut évacuer. Tendu, on ne pourra pas régler le problème de l’ennui ou de l’anxiété et encore moins le problème qui cause l’ennui et l’anxiété. Ici, la solution, c’est d’évacuer la tension et, le défi, c’est d’être disposé à rire.
Comment ? En y pensant, c’est-à-dire en faisant du rire une étape du processus de recherche de solution aux problèmes, provoquant trop d’ennui ou d’anxiété. Il faut se rappeler que nous devons rire quand ça va mal. Pour ce faire, profitez des moments où ça va bien pour vous concentrer sur l’importance du rire en cas de panne et votre esprit fera le reste. Au besoin, trouvez-vous un pense-bête, comme une note à coller au réfrigérateur ou un petit objet à glisser parmi vos pièces de monnaie.
Vous pouvez aussi vous constituer une réserve d’histoires drôles ou de vidéogags ou encore, vous réserver un budget pour assister au spectacle d’un humoriste.
Personnellement, je n’attaque pas de front la nécessité de rire. Autrement dit, je ne cherche pas trop à rire, je préfère laisser le rire venir à moi. C’est bête, mais plus je cherche à rire, moins je trouve à rire. Par exemple, j’aime tirer le rire d’une boutade formulant une solution ridicule, farfelue ou absurde. Je pousse souvent la plaisanterie jusqu’à la moquerie, à l’autodérision. J’éprouve aussi une grande satisfaction à me moquer des autres, bien sûr, à leur insu, s’il faut absolument me trouver des raisons de rire, ce qui est tout un exercice, car je ne trouve pas généralement très drôles les réactions des autres à mes problèmes; elles ajoutent davantage à ma tension qu’elles les soulagent. J’aborde le sujet et les limites que je m’impose dans La pensée empathique.
J’ai observé que plus la dramatisation est personnelle, plus le rire est difficile. En fait, plus une personne prend ses problèmes de façon personnelle, comme une faiblesse, plus elle a tendance à se punir en se dévalorisant, simplement parce qu’elle a un problème, ce qui ajoute un problème de plus. Bref, avoir un problème est une faiblesse punissable chez ceux et celles qui prennent les choses de façon trop personnelle. La personne s’accuse d’avoir un problème et elle ne trouve pas le moyen d’en rire. Si elle a l’intelligence de reconnaître ne pas tout contrôler (de ne pas être la seule et unique responsable), elle a tout de même l’inintelligence d’accorder à sa responsabilité un rôle encore trop important dans sa dramatisation. Centrée sur elle-même, elle s’afflige. Il n’y a pourtant aucune solution pour retrouver le sourire dans cette démarche.
La route de la pensée joyeuse, du simple rire jusqu’à l’euphorie d’un grand bien-être, sera toujours parsemée de problèmes de toutes sortes pouvant causer l’ennui ou l’anxiété et ainsi nous inciter à concentrer notre attention sur nous-mêmes au détriment de l’acte ultime : être bien. Lorsque nous ne le sommes pas, c’est parce que nous avons manqué de donner à rire à l’intelligence, à rire de nous-mêmes et du problème qui nous a ainsi écartés du droit chemin.
__________________
NOTES
1. Pour les intéressés, c’est plutôt dans le chapitre La pensée initiatique que je traite de « la pensée sous influence de la drogue ».
2. Le Petit Robert. Je réserve le bonheur au chapitre La pensée heureuse.
« Le cinquième accord toltèque » de Don Miguel Ruiz et José Luis Ruiz, paru en édition de poche en 2024 chez Les éditions Jouvence.
L’Observatoire de la philothérapie ne référence pas de tels livres de développement personnel, celui-ci fait donc exception.
Le cinquième accord toltèque : « Soyez sceptique, mais apprenez à écouter ».
Source : Le cinquième accord toltèque, chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Don Miguel Ruiz et José Luis Ruiz, Les éditions Jouvence, Genève, Suisse, 2024, p. 103.
« Comment allez-vous changer le monde ? En changeant votre monde. Le changement commence par vous. » Don Miguel Ruiz
Le succès des Quatre Accords toltèques, best-seller mondial, ne fait que grandir. Mais quoi de plus naturel quand on sait qu’il est en mesure de transformer votre vie en pulvérisant les milliers d’accords restrictifs que vous avez conclus avec vous-même, autrui et la vie elle-même ?
Il est temps maintenant de vous faire un autre cadeau : le Cinquième Accord toltèque.
Bien que composé de mots, sa signification et son intention dépassent largement sa formulation. Avec ce dernier accord, il s’agit de vous offrir le pouvoir du doute afin de voir toute votre réalité avec les yeux de la vérité, sans mots. Vous cheminerez alors vers l’acceptation complète de vous-même, tel que vous êtes, et l’acceptation totale des autres, tels qu’ils sont. Avec pour récompense votre bonheur éternel.
Don Miguel Ruiz est fils de guérisseuse du Mexique et petit-fils de nagual (chaman). Après des études de médecine, une rencontre avec la mort (NDE) et une expérience extracorporelle ont transformé sa vie. Depuis Don Miguel Ruiz se consacre à la maîtrise de la sagesse ancestrale des toltèques. Son enseignement rencontre un immense succès dans le monde. Il est notamment l’auteur des best-sellers Les Quatre Accords toltèques et La maîtrise de l’amour, parus aux Éditions Jouvence. Don José Ruiz a grandi dans un monde où tout était possible. Dès qu’il a su parler, il a été initié par son père, don Miguel Ruiz, et sa grand-mère, Mère Sarita, guérisseuse. Il est devenu, comme son père, héritier de la lignée toltèque..
Les auteurs souhaitent exprimer leur plus profonde gratitude aux personnes suivantes : Janet Mills, mère de ce livre ; Judy Segal, pour tout son amour et son soutien ; Ray Chambers, pour avoir éclairé le chemin ; Oprah Winfrey et Ellen DeGeneres, pour avoir partagé le message des Quatre Accords toltèques avec tant de gens ; Ed Rosenberg et le major général Riemer, pour leur reconnaissance des Quatre Accords toltèques sur l’insigne de la United States Air Force ; Gails Mills, Karen Kreiger et Nancy Carleton pour avoir généreusement fait don de leur temps et de leur talent pour réaliser ce livre ; et Joyce Mills, Miya Champa, Dave McCullough, Theresa Nelson et Shkiba Samimi-Amri pour leur dévouement et leur soutien constant aux enseignements des Toltèques.
LES TOLTÈQUES
Il y a des milliers d’années, à travers tout le Sud du Mexique, les Toltèques étaient connus comme des « hommes et femmes de connaissance ». Les anthropologues les ont décrits comme une nation ou une race, mais en réalité c’était des scientifiques et des artistes formant une société vouée à explorer et à préserver la connaissance spirituelle et les pratiques des anciens. Maîtres (naguals) et étudiants se réunissaient à Teotihuacan, l’ancienne cité des pyramides situées au-delà de Mexico City, connue comme le lieu où « l’homme devient Dieu ».
Au fil des millénaires, les naguals ont été contraints de dissimuler la sagesse ancestrale et de la préserver dans l’ombre. La conquête européenne, couplée à l’abus de pouvoir personnel de quelques apprentis, a rendu nécessaire de protéger la connaissance de ceux qui n’étaient pas préparés à l’utiliser avec discernement ou qui risquaient d’en user de manière abusive, à des fins personnelles.
Fort heureusement, la connaissance ésotérique des Toltèques s’est transmise et incarnée au fil des générations à travers diverses lignées de naguals. Bien qu’elle soit restée dans le secret durant des centaines d’années, les prophéties anciennes avaient annoncé la venue d’un âge au cours duquel il serait nécessaire de redonner la sagesse au peuple. Aujourd’hui, don Miguel Ruiz et don José Ruiz, naguals de la lignée des Chevaliers de l’Aigle, ont été instruits pour partager avec nous les puissants enseignements des Toltèques.
La connaissance toltèque émane de la même unité de vérité que les traditions ésotériques du monde entier. Bien qu’elle ne soit pas une religion, elle honore tous les maîtres spirituels qui ont enseigné sur Terre. Bien qu’elle comprenne une dimension spirituelle, elle est plus justement décrite comme étant un mode de vie qui se distingue par la facilité d’accès au bonheur et à l’amour qu’il procure.
INTRODUCTION
par don Miguel Ruiz
Les Quatre Accords toltèques ont été publiés il y a de nombreuses années. Si vous avez lu ce livre, vous savez déjà de quoi ces accords sont capables. Ils sont en mesure de transformer votre vie en pulvérisant les milliers d’accords restrictifs que vous avez conclus avec vous-même, avec autrui et avec la vie elle-même.
La première fois qu’on lit Les Quatre Accords toltèques, le livre opère sa magie. Il va bien au-delà des mots imprimés. Vous avez l’impression de connaître déjà chaque mot de cet ouvrage. Vous en ressentiez le contenu, mais sans doute ne l’aviez-vous jamais formulé auparavant. Quand vous lisez ce livre pour la première fois, il remet en question ce que vous croyez et vous entraîne jusqu’aux limites de votre compréhension. Vous parvenez alors à briser de nombreux accords restrictifs et à relever bien des défis, et vous en discernez bientôt d’autres.
Quand vous lisez cet ouvrage une seconde fois, vous avez l’impression de découvrir un texte complètement différent parce que les limites de votre compréhension se sont déjà élargies. Une fois encore, il développe en vous une conscience plus profonde de vous-même et vous atteignez la limite la plus distante dont vous soyez capable à ce moment-là.
Et quand vous le relisez une troisième fois, c’est comme si vous lisiez carrément un autre ouvrage.
Comme par magie, parce qu’ils sont magiques, Les Quatre Accords toltèques vous aident progressivement à recouvrer votre moi authentique. Avec de l’entraînement, ces quatre accords tout simples vous ramènent à ce que vous êtes vraiment, et non à ce que vous prétendez être. Or c’est exactement cela que vous voulez : être qui vous êtes vraiment.
Les principes des Quatre Accords toltèques s’adressent au cœur de chaque être humain, du plus jeune au plus vieux. Ils s’adressent aux peuples des différentes cultures du monde entier, des gens qui parlent des langues différentes, des gens dont les croyances religieuses et philosophiques divergent considérablement. Ils se sont instruits dans des établissements différents, de l’école primaire à l’université, en passant par le collège et le lycée. Si les principes des Quatre Accords Toltèques s’adressent à tout le monde, c’est parce qu’ils relèvent du bon sens.
Il est temps maintenant de vous faire un autre cadeau : le cinquième accord toltèque. Si je n’ai pas inclus ce cinquième accord dans mon premier livre, c’est parce que les quatre premiers représentaient déjà un défi suffisant à l’époque. Le cinquième accord est composé de mots, bien entendu, mais sa signification et son intention dépassent largement sa formulation. Avec le cinquième accord toltèque, il s’agit en fin de compte de voir toute votre réalité avec les yeux de la vérité, sans mots. La pratique de ce cinquième accord a pour résultat l’acceptation complète de vous-même, tel que vous êtes, et l’acceptation totale de tous les autres, tels qu’ils sont. Avec pour récompense, votre bonheur éternel.
Voici de nombreuses années, je me suis mis à enseigner certains des concepts présents dans ce livre à mes apprentis, puis j’ai arrêté, car il semblait que personne ne comprenait ce que j’essayais de dire. Bien que j’eusse partagé le cinquième accord toltèque avec mes apprentis, j’avais pris conscience que personne n’était prêt à apprendre les enseignements qui sous-tendent cet accord. Des années plus tard, mon fils, don José, a entrepris de partager les mêmes enseignements avec un groupe d’étudiants, et il a réussi là où j’avais échoué. Les raisons du succès de don José étaient peut-être sa foi totale dans la transmission de ce message. Sa seule présence exprimait la vérité et remettait en question les croyances des personnes qui suivaient ses cours. Il avait un impact immense sur leur existence.
Don José Ruiz est mon apprenti depuis qu’il est enfant, depuis le jour où il a appris à parler. Dans ce livre, j’ai l’honneur d’introduire mon fils et de présenter l’essence des enseignements que nous avons donnés ensemble au cours des sept dernières années.
Pour que notre message reste aussi personnel que possible, et pour conserver la première personne utilisée dans les précédents livres de sagesse toltèque, nous avons fait le choix de présenter également ce Cinquième Accord toltèque à la première personne. Dans ce livre, nous nous adressons donc aux lecteurs d’une seule voix et d’un seul cœur.
PREMIÈRE PARTIE
Le pouvoir des symboles
CHAPITRE 1
AU COMMENCEMENT
Tout est dans le programme
Dès l’instant où vous naissez, vous adressez un message au monde. Quel est ce message ? C’est vous-même, cet enfant. C’est la présence d’un ange, d’un messager venu de l’infini dans un corps humain. L’infini, le pouvoir total, crée un programme explicitement pour vous, et tout ce dont vous avez besoin pour être qui vous êtes s’y trouve déjà compris. Vous naissez, vous grandissez, vous vous mariez, vous vieillissez et, au final, vous retournez à l’infini. Chacune de vos cellules est un univers en soi. Chacune est intelligente, complète et programmée pour être ce qu’elle est.
Vous êtes programmé pour être vous, qui que vous soyez, et pour votre programme, peu importe ce que votre mental pense que vous êtes. Le programme n’est pas dans le mental. Il est dans le corps, dans ce que l’on appelle l’ADN, et au début de votre existence, vous en suivez instinctivement la sagesse. Quand vous êtes tout petit, vous savez ce que vous aimez, ce que vous n’aimez pas, quand ça vous plaît et quand cela ne vous plaît pas. Vous vous fiez à votre plaisir et vous essayez d’éviter ce qui ne vous convient pas. Vous suivez vos instincts qui vous indiquent comment être heureux, comment profiter de la vie, comment jouer, aimer et satisfaire vos besoins. Puis que se passe-t-il ?
Votre corps commence à se développer, votre mental mûrit et vous commencez à utiliser des symboles pour exprimer votre message. De même que les oiseaux comprennent d’autres oiseaux, et que les chats se comprennent entre chats, les humains se comprennent entre eux grâce à une symbologie. Si vous aviez été emmené sur une île et que vous y aviez vécu tout seul, peut-être vous aurait-il fallu dix ans, mais vous auriez fini par donner un nom à tout ce que vous voyez et vous utiliseriez ce langage pour communiquer un message, fût-ce simplement à vous-même. Pourquoi auriez-vous fait une telle chose ? Eh bien, c’est facile à comprendre, et ce n’est pas parce que les humains sont très intelligents. C’est parce que nous avons été programmés pour nous créer un langage, pour inventer tout une symbologie pour nous-mêmes.
Comme vous le savez, tout autour du globe les hommes parlent et écrivent dans des milliers de langues différentes. Les êtres humains ont inventé toute sorte de symboles, non seulement pour communiquer entre eux, mais également avec eux-mêmes. Ces symboles peuvent être des sons que nous prononçons, des gestes que nous faisons ou encore des lettres et des signes de nature graphique. Il existe des symboles pour des objets, pour des idées, pour la musique et les mathématiques, mais l’usage des sons est la toute première étape : elle signifie que nous apprenons à utiliser des symboles pour parler.
Les humains qui nous ont précédés avaient déjà des noms pour tout ce qui existe, aussi nous ont-ils enseigné la signification de ces sons. Ils appellent ceci une table, cela une chaise. Ils ont même des noms pour des choses qui n’existent que dans notre imagination, comme les sirènes et les licornes. Chaque mot que nous apprenons est le symbole de quelque chose de réel ou imaginaire, et il y a des milliers de mots à apprendre. Quand on observe des enfants de 1 à 4 ans, on voit les efforts qu’ils font pour acquérir toute une symbologie. C’est un effort considérable dont on ne se rappelle généralement pas, parce que notre esprit n’est pas encore mûr, mais à force de répétition et d’entraînement, on apprend finalement à parler.
Sitôt que nous savons parler, les humains qui s’occupent de nous nous enseignent ce qu’ils savent, ce qui veut dire qu’ils nous programment avec leurs connaissances. Ils ont en effet beaucoup de connaissances, lesquelles comprennent notamment toutes les règles sociales, religieuses et morales de leur culture. Ils captent notre attention, nous transmettent des informations et nous apprennent à devenir comme eux. On apprend ainsi à devenir un homme ou une femme, en fonction de la société dans laquelle on est né. On apprend comment « bien » se comporter dans la société, autrement dit comment être une « bonne » personne.
En vérité, on nous domestique, exactement comme un chien, un chat ou n’importe quel animal : en ayant recours à un système de punitions et de récompenses. On s’entend dire qu’on est un gentil garçon ou une gentille fille quand on fait ce que les adultes attendent de nous ; et qu’on est un méchant garçon ou une méchante fille dans le cas contraire. Parfois, on est puni sans avoir mal agi, d’autres fois, récompensé sans avoir fait quoi que ce soit de bien. De peur d’être puni ou de ne pas être récompensé, on essaie de faire plaisir à autrui. On s’efforce d’être bon, puisque les méchants ne reçoivent aucune récompense : on les punit.
Au cours de notre domestication humaine, toutes les règles et les valeurs de notre famille et de la société nous sont imposées. Nous n’avons pas l’occasion de choisir nos croyances ; on nous dit ce qu’il faut croire ou ne pas croire. Les personnes avec qui nous vivons nous donnent leur opinion : qu’est-ce qui est bien ou mal, qu’est-ce qui est juste ou faux, qu’est-ce qui est beau ou laid. Comme dans le cas d’un ordinateur, toutes ces informations se téléchargent dans notre tête. Enfant, on est innocent ; on croit tout ce que nos parents et les autres adultes nous disent ; on leur donne notre accord, et dès lors, cette information se stocke dans notre mémoire. C’est par notre accord que ce que nous apprenons se grave dans notre esprit, et c’est par notre accord aussi que cela y reste. Mais l’information doit tout d’abord passer par notre attention.
L’attention est quelque chose de très important chez les humains, puisque c’est la partie de notre esprit qui nous permet de nous concentrer sur un seul objet ou une seule pensée parmi tout un éventail de possibilités. C’est par l’attention que l’information extérieure accède à l’intérieur, et vice versa. L’attention est le canal que nous utilisons pour émettre et recevoir des messages entre êtres humains. On peut la comparer à un pont qui va d’un esprit à un autre ; nous ouvrons ce pont à l’aide de sons, de signes, de symboles ou de gestes, avec tout ce qui peut capter l’attention. Voilà comment nous instruisons les autres, et voilà comment nous apprenons nous-mêmes. On ne peut rien enseigner à autrui si l’on n’a pas tout d’abord capté son attention ; on ne peut rien apprendre non plus sans faire preuve d’attention.
En utilisant notre attention, les adultes nous apprennent à nous créer toute une réalité dans notre esprit, à l’aide de symboles. Après nous avoir transmis toute une symbologie au moyen de sons, les adultes la renforcent avec l’alphabet et nous apprenons le même langage, mais graphiquement cette fois. Notre imagination commence à se développer, notre curiosité se renforce et nous commençons à poser des questions. Nous ne cessons d’interroger, de questionner ; nous réunissons des informations de toutes parts. Et nous savons que nous avons finalement réussi à maîtriser une langue quand nous parvenons à utiliser des symboles pour nous parler à nous-mêmes, dans notre tête. C’est le moment où nous apprenons à penser. Avant cela, nous ne pensons pas ; nous imitons les sons des autres et nous utilisons des symboles pour communiquer, mais la vie reste simple aussi longtemps que nous n’attachons pas de signification ou d’émotions à ces symboles.
Sitôt qu’on attribue un sens aux symboles, on se met à les utiliser pour tenter de donner un sens à tout ce qui arrive dans notre vie. On les utilise aussi bien pour penser à des choses réelles qu’à d’autres qui ne le sont pas, mais que nous croyons pourtant telles, comme la beauté et la laideur, la minceur et la grosseur, l’intelligence et la stupidité. Et, vous l’avez sans doute remarqué, nous ne sommes capables de penser que dans une langue que nous maîtrisons. Durant de nombreuses années, je ne parlais que l’espagnol. Il m’a fallu de nombreuses autres années avant de maîtriser suffisamment les symboles de la langue anglaise pour penser dans cette langue. Maîtriser un langage n’est pas facile, mais vient un moment où l’on se surprend à penser avec les nouveaux symboles qu’on a appris.
Quand vient le moment d’entrer à l’école, vers l’âge de 5 ou 6 ans, nous comprenons la signification de concepts abstraits, comme juste ou faux, gagnant ou perdant, parfait ou imparfait. À l’école, nous apprenons à lire et à écrire les symboles que nous connaissons déjà, et le langage écrit nous permet d’accumuler davantage de connaissances. Nous continuons de donner un sens à un nombre toujours plus important de symboles, et non seulement la pensée se fait désormais sans effort, mais aussi d’une manière automatique.
À ce stade, les symboles que nous avons appris captent d’eux-mêmes notre attention. Ce sont les choses que nous avons apprises qui s’adressent à nous, et nous écoutons donc ce que nos connaissances nous disent. J’appelle cela la voix de la connaissance, puisque la connaissance s’adresse à nous dans notre tête. Il arrive souvent que nous entendions cette voix dans diverses tonalités ; nous entendons ainsi la voix de notre mère, de notre père, de nos frères et sœurs, et cette voix n’arrête jamais de parler. Elle n’est pourtant pas réelle ; c’est nous qui l’avons créée. Mais nous croyons qu’elle l’est, puisque nous lui donnons vie par la seule puissance de notre foi, avec pour conséquence que nous croyons ce que cette voix nous dit. C’est à ce stade que les opinions des humains qui nous entourent commencent à prendre le contrôle de notre esprit.
Chacun se fait une opinion de nous et de qui nous sommes. Quand nous sommes tout petits, nous ne savons pas qui nous sommes. Nous ne pouvons nous connaître que grâce à un miroir, et les autres font précisément office de miroir. Ma mère me dit qui je suis, et je la crois. C’est totalement différent de ce que me dit mon père, ou encore mes frères et mes sœurs, mais je suis également d’accord avec eux.
Les gens nous disent également de quoi nous avons l’air, surtout quand nous sommes encore tout petits. « Regarde, tu as les yeux de ta mère et le nez de ton grand-père. » Nous écoutons donc les opinions des membres de notre famille, de nos professeurs et des enfants plus grands que nous à l’école. Nous voyons notre image dans ce miroir, nous convenons que nous sommes cela et nous y donnons notre accord, de sorte que ces opinions s’intègrent bientôt à notre système de croyances. Peu à peu, toutes ces opinions modifient notre comportement et nous finissons par nous former mentalement une image de nous-mêmes qui correspond à ce que les autres disent de nous : « Je suis beau ; je ne suis pas si beau que ça. Je suis intelligente ; je ne suis pas très intelligente. Je suis un gagnant ; je suis un perdant. Je suis bonne dans ce domaine-ci ; je suis mauvaise dans celui-là. »
À un certain point, toutes les opinions de nos parents et de nos professeurs, de notre religion et de la société, nous font croire qu’il est nécessaire de nous comporter d’une certaine manière pour être accepté. On nous dit ce qu’il faut être, l’apparence qu’il nous faut voir et la façon dont il faut nous comporter. Nous devons être comme ceci et non comme cela. Et comme il n’est pas acceptable que nous soyons tels que nous sommes, nous commençons à faire semblant d’être quelqu’un d’autre. La peur d’être rejeté finit par devenir la peur de ne pas être à la hauteur, et nous nous mettons alors en quête de ce que nous appelons la perfection. Au cours de cette quête, nous nous formons une image de la perfection, de ce que nous souhaiterions être, mais nous savons que nous n’y correspondons pas, aussi nous mettons-nous à nous juger. Nous ne nous aimons pas et nous nous disons : « Regarde combien tu as l’air idiot, combien tu es moche. Regarde à quel point tu es grosse, petite, faible, stupide. » C’est là que le drame commence, car désormais, les symboles œuvrent contre nous. Nous ne remarquons même pas que nous avons appris à les utiliser pour nous rejeter.
Avant d’être domestiqués, nous nous fichons de savoir qui nous sommes et à quoi nous ressemblons. Notre tendance naturelle est d’explorer, d’exprimer notre créativité, de rechercher le plaisir et d’éviter la douleur. Quand nous sommes petits, nous sommes encore sauvages et libres ; nous courons tout nus sans avoir conscience de nous-mêmes et sans nous juger. Nous disons la vérité, puisque nous vivons dans la vérité. Notre attention est tout entière dans l’instant présent ; nous n’avons pas peur du futur, ni honte du passé. Après notre domestication, nous essayons d’être à la hauteur, aux yeux de tout le monde, mais nous ne le sommes plus à nos propres yeux, puisqu’il nous est impossible d’atteindre notre idéal de perfection.
Toutes nos tendances humaines normales se perdent au cours de ce processus de domestication, aussi nous mettons-nous en quête de ce que nous avons perdu. Nous cherchons la liberté, puisque nous ne sommes plus libres d’être qui nous sommes ; nous cherchons le bonheur, puisque nous ne sommes plus heureux ; nous recherchons la beauté, puisque nous ne croyons plus être beaux.
Nous continuons de grandir et, à l’adolescence, notre corps est programmé pour produire une substance qu’on nomme hormones. Notre corps n’est plus celui d’un enfant et le mode de vie que nous avions jusque-là ne nous convient plus. Nous n’avons plus envie que nos parents nous disent que faire ou non. Nous voulons notre liberté ; nous voulons être nous-mêmes, mais nous avons également peur de nous. Les gens nous disent, « Tu n’es plus un enfant », mais nous ne sommes pas adultes non plus, aussi cette période est-elle difficile pour la plupart des humains. Une fois parvenu à l’adolescence, on n’a plus besoin que les autres nous domestiquent ; on a appris à se juger, à se punir et à se récompenser en fonction du même système de croyances qui nous a été transmis, et en utilisant le même système de punitions et de récompenses. Il se peut que la domestication soit plus facile pour certaines personnes, dans certaines régions du monde, et plus difficile pour d’autres, ailleurs, mais en général aucun d’entre nous n’échappe à ce processus. Aucun.
Au bout du compte, le corps atteint sa maturité et tout change à nouveau. Notre quête recommence, mais désormais, ce que nous recherchons, c’est de plus en plus nous-mêmes. Nous recherchons l’amour, parce qu’on nous a appris à croire que l’amour existait quelque part en dehors de nous ; nous recherchons la justice, car il n’en existe aucune dans le système de croyances qu’on nous a inculqué ; nous recherchons la vérité, puisque nous croyons seulement les connaissances stockées dans notre tête. Et, bien entendu, nous continuons de chercher la perfection, puisque nous sommes désormais d’accord avec le reste de l’humanité : « Personne n’est parfait ».
Don Miguel Ruiz, bien que né et élevé au Mexique par une mère curandera (guérisseuse) et un grand-père nagual (chaman), choisit de faire des études de médecine et de devenir chirurgien. Une rencontre avec la mort (NDE), au début des années 1970, a changé sa vie. li s’est dès lors consacré à la maîtrise de la sagesse ancestrale. Il est maintenant devenu un nagual de la lignée des Chevaliers de I’Aigle, voué au partage de sa connaissance des enseignements des anciens Toltèques.
Les Quatre Accords toltèques, Éditions Jouvence, traduit par Olivier Clerc, 1999 (réédition en 2012, et en Poche en 2005), paru également aux Éditions Guy Trédaniel en 2011[1],[3].
la Maîtrise de l’Amour, Éditions Jouvence, traduit par Olivier Clerc, 1999 (réédition en Poche en 2009), paru également aux Éditions Guy Trédaniel en 2011.
Vivre les quatre accords toltèques au quotidien, Éditions Jouvence, 2001 (réédition en 2018).
Pratique de la voie toltèque, Éditions Jouvence, traduit par Olivier Clerc, 2010 (épuisé).
S’ouvrir à l’amour et au bonheur Éditions Jouvence, traduit par Olivier Clerc, 2003 (réédition en 2018).
Au-delà de la peur, Éditions Jouvence, traduit par Olivier Clerc, 2004
Les croyances fondamentales des toltèques, Éditions Jouvence, 2004.
La voix de la connaissance, Éditions Guy Trédaniel, 2009.
Le Cinquième Accord Toltèque, Éditions Guy Trédaniel, traduit par Olivier Clerc, 2010.
Sagesse et magie de la Maîtrise de l’Amour, Éditions Jouvence, 2013.
Sagesse et magie des Quatre Accords Toltèques, Éditions Jouvence, 2014.
L’art de vivre et de mourir des toltèques, Éditions Guy Trédaniel, coécrit avec Barbara Emrys, 2015.
Les trois questions, Éditions Guy Trédaniel, 2018.
La sagesse des chamanes toltèques, Éditions Guy Trédaniel, 2019
J’ai lu « Le 5e accord toltèques » à la suite de « Les quatre accords toltèques » (voir mon rapport de lecture de ce dernier). Je les ai achetés ensemble, question d’avoir déjà en main la suite au cas où… Et ce, malgré que je suis très loin d’être un fan du développement personnel. « Le 5e accord toltèques » est une vraie farce, une attrape, un piège.
Ce rapport de lecture se base uniquement sur le « Chapitre 8 – Le pouvoir du doute » qui révèle le cinquième accord toltèque. Je le reproduis ci-dessous avec mes commentaires.
Le pouvoir du doute
Voici le Cinquième Accord Toltèque : Soyez sceptique, mais apprenez à écouter. Soyez sceptique, car la majeure partie de ce que vous entendez n’est pas vrai. Vous savez que les humains utilisent des symboles pour parler, or les symboles ne sont pas la vérité. Ils ne sont vrais que parce que nous nous sommes mis d’accord à leur sujet, et non parce qu’ils sont réellement la vérité. Mais la deuxième moitié de cet accord vous dit apprenez à écouter, et la raison en est simple : si vous apprenez à écouter, vous comprendrez la signification des symboles qu’utilisent les gens, vous comprendrez leur histoire et dès lors la communication s’améliorera beaucoup. Alors, il se pourrait qu’à la place de la confusion qui règne actuellement parmi les humains qui peuplent cette Terre, se manifeste un jour la clarté.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, pp. 103-104.
COMMENTAIRE
Écrire que la majeure partie de ce que nous entendons n’est pas vrai parce que nos langues se composent de symboles sur lesquels nous nous sommes mis d’accord quant à leur signification puis nous dirent que ces symboles ne sont pas réellement la vérité ne tient pas la route.
On notera un biais cognitif bien connu, celui de la généralisation à outrance, dans l’affirmation « la majeure partie de ce que vous entendez n’est pas vrai ». Les auteurs n’ont certainement pas écouté et analysé tout ce qui se dit sur Terre pour soutenir que la majeure partie de ce que nous entendons est faux.
* * *
Voici une liste de dix biais cognitifs observés par le Dr. David D. Burns et rapportés dans son livre « Être bien dans sa peau ».
Être bien dans sa peau, David D. Burns, M.D.
Le tout-ou-rien : votre pensée n’est pas nuancée. Vous classez les choses en deux seules catégories : les bonnes et les mauvaises. En conséquence, si votre performance laisse à désirer, vous considérez votre vie comme un échec total.
La généralisation à outrance : un seul événement malheureux vous apparaît comme faisant partie d’un cycle sans fin d’échecs.
Le filtre : vous choisissez un aspect négatif et vous vous attardez à un tel point à ce petit détail que toute votre vision de la réalité en est faussée, tout comme une goutte d’encre qui vient teinter un plein contenant d’eau.
Le rejet du positif : pour toutes sortes de raisons, en affirmant qu’elles ne comptent pas, vous rejetez toutes vos expériences positives. De cette façon, vous préservez votre image négative des choses, même si elle entre en contradiction avec votre expérience de tous les jours.
Les conclusions hâtives : vous arrivez à une conclusion négative, même si aucun fait précis ne peut confirmer votre interprétation.
L’interprétation indue. Vous décidez arbitrairement que quelqu’un a une attitude négative à votre égard, et vous ne prenez pas la peine de voir si c’est vrai.
L’erreur de prévision. Vous prévoyez le pire, et vous êtes convaincu que votre prédiction est déjà confirmée par les faits.
L’exagération (la dramatisation) et la minimisation : vous amplifiez l’importance de certaines choses (comme vos bévues ou le succès de quelqu’un d’autre) et vous minimisez l’importance d’autres choses jusqu’à ce qu’elles vous semblent toutes petites (vos qualités ou les imperfections de votre voisin, par exemple). Cette distorsion s’appelle aussi « le phénomène de la lorgnette ».
Les raisonnements émotifs : vous présumez que vos sentiments les plus sombres reflètent nécessairement la réalité des choses : « C’est ce que je ressens, cela doit donc correspondre à une réalité.
Les « dois » et les « devrais » : vous essayez de vous motiver par des « je devrais… » ou des « je ne devrais pas… » comme si, pour vous convaincre de faire quelque chose, il fallait vous battre ou vous punir. Ou par des « je dois ». Et cela suscite chez vous un sentiment de culpabilité. Quand vous attribuez des « ils doivent » ou « ils devraient » aux autres, vous éveillez chez vous des sentiments de colère, de frustration et de ressentiment.
L’étiquetage et les erreurs d’étiquetage : il s’agit là d’une forme extrême de généralisation à outrance. Au lieu de qualifier votre erreur, vous vous apposez une étiquette négative : « Je suis un perdant ». Et quand le comportement de quelqu’un d’autre vous déplaît, vous lui accolez une étiquette négative : « C’est un maudit pouilleux ». Les erreurs d’étiquetage consistent à décrire les choses à l’aide de mots très colorés et chargés d’émotion.
La personnalisation : vous vous considérez responsable d’un événement fâcheux dont, en fait, vous n’êtes pas le principal responsable.
* * *
Si vous concluez qu’il y a plus d’un biais cognitif dans l’affirmation « la majeure partie de ce que vous entendez n’est pas vrai », je m’accorde aisément avec vous.
Avancer l’idée que notre langage (et nos langues) se fondent sur des symboles en affirmant qu’ « Ils ne sont vrais que parce que nous nous sommes mis d’accord à leur sujet, et non parce qu’ils sont réellement la vérité », c’est croire que la réalité n’est pas accessible à l’Homme. En effet, la vérité est vérité si elle est conforme à la réalité. Or, nous devons passer obligatoirement par un langage construit de symboles pour penser et exprimer nos perceptions de la réalité. Ce n’est certainement pas la table qui nous dit « Je suis une table » mais notre accord commun sur la perception de cet objet à qui nous attribuons le nom « table », un nom qui en devient ainsi le symbole.
FIN DU COMMENTAIRE
Une fois qu’on a compris que pratiquement rien de ce que l’on a appris au moyen de symboles n’est vrai, l’injonction Soyez sceptique prend une dimension autrement plus importante. C’est un outil magistral, puisqu’il fait appel au pouvoir du doute pour discerner la vérité. Chaque fois que vous écoutez un message, qu’il soit de vous-même ou de n’importe quel autre artiste, posez-vous simplement la question : Est-ce la vérité ou non ? S’agit-il de la réalité ou d’une réalité virtuelle ? Le doute vous conduit derrière les symboles et vous rend responsable de chaque message que vous délivrez ou recevez. Pourquoi investir sa foi dans un message qui n’est pas vrai ? En vous montrant sceptique, vous ne croyez pas systématiquement chaque message ; vous ne mettez plus votre foi dans des symboles, et puisqu’elle n’est plus captive des symboles, votre foi se trouve dès lors en vous-même.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 104.
COMMENTAIRE
Ce n’est que par les symboles sur lesquels l’Homme s’est mis d’accord qu’il peut reconnaître la vérité ou la conformité de ce qu’il pense et dit avec la réalité perçue. Défendre l’idée à savoir que n’est qu’« Une fois qu’on a compris que pratiquement rien de ce que l’on a appris au moyen de symboles n’est vrai », c’est renier la vérité et détrousser tous ceux et celles qui nous l’enseignent afin que nous puissions fonctionner dans la société.
Les auteurs, face à tous ces mensonges présumés, nous enjoignent d’être sceptiques : « C’est un outil magistral, puisqu’il fait appel au pouvoir du doute pour discerner la vérité ». « Le doute, soulignent les auteurs, vous conduit derrière les symboles (…) ». Évidemment, ce n’est pas vrai puisque les symboles sont inévitables. Certes, un symbole peut certes en cacher un autre mais nous ne pouvons pas nous soustraire à la perception de la réalité et à l’interprétation de cette dernière avec des symboles.
Les auteurs se révèlent à leurs lecteurs avec un mot qui en dit long sur leur démarche, le mot « foi » : « Pourquoi investir sa foi dans un message qui n’est pas vrai ? » Croyance et vérité sont deux concepts distincts (les liens conduisent à L’Encyclopédie philosophique). Croire dans la vérité est une chose, admettre la vérité ou acquérir une connaissance conforme à la réalité en est une autre.
* * *
Croyance et Vérité
« Croire c’est avoir foi en quelqu’un ou quelque chose sans justification rationnelle, avec certitude, c’est être convaincu d’avoir accès à une vérité – idée que l’on associe bien souvent à « la » Vérité, absolue et immuable. Impossible de prouver une croyance par des faits objectifs, la foi se ressent comme une illumination intérieure.
La Vérité, elle, est l’accord de la pensée avec le réel. Même si cette vérité fut critiquée tout au long de l’histoire de la philosophie[i], les sciences ont pu mettre en avant que la Vérité n’est en fait qu’un point vers l’horizon qui ne fait que s’éloigner au fur et à mesure que l’on avance vers elle, ne faisant d’elle qu’une suite de « provisoires » qui s’améliorent.
Il est possible de considérer que les savoirs que nous dispensent les professeurs, les scientifiques, les spécialistes, les reporters sont des « preuves » du réel, mais nous ne pouvons que les « croire » car nous n’avons pas été confrontés au « réel » qu’ils montrent ou dont ils parlent. Ainsi nous voyons dans cette première approche que vérités et croyances ne sont pas si éloignées l’une de l’autre.
C’est certainement au travers de ce hiatus infime que se façonne la création des principes de vérités cachées, de fake news distillées au cœur même de certaines informations distribuées sur les réseaux « sociaux » à propos de l’Histoire et de certains événements. La place de la vérité au sein de la société actuelle, a moins de chance d’être prise pour ce qu’elle est, alors que le mensonge s’inscrit durablement. Les nouveaux « croyants » ont foi en ces « vérités » qui n’en sont pas délaissant ainsi la raison, confondant le doute avec la défiance, la réflexion avec l’opinion. La vérité devient mensonge, le mensonge la vérité. »
Quel sera les bénéfice d’être sceptique ? Les auteurs répondent : « En vous montrant sceptique, vous ne croyez pas systématiquement chaque message ; vous ne mettez plus votre foi dans des symboles, et puisqu’elle n’est plus captive des symboles, votre foi se trouve dès lors en vous-même ». Un foi délivrée des symboles ? Il n’y a rien de plus symbolique que la foi !
Personnellement, je n’ai pas besoin de croire en la vérité pour l’admettre. Que je crois ou non que cet objet est une table ne change rien au fait que ce soit en vérité une table. Je n’éprouve pas le besoin de croire dans le savoir et la connaissance; je les admets. Car le savoir et la connaissance existent indépendamment de moi. La découverte des éléments du savoir et de la connaissance en ma conscience me donne à penser, non pas à croire.
Dans mon essai et témoignage de gouvernance personnelle, J’aime penser (accessible gratuitement), je dénonce le fait que plusieurs personnes prennent pour vrai ce qu’elles pensent uniquement parce qu’elles le pensent. Le sous-titre de mon ouvrage en rajoute une couche : « Comment prendre plaisir à penser dans un monde où tout un chacun se donne raison ». Se donner raison c’est croire que l’on a raison. Pourquoi faut-il croire que l’on a raison ou non ? On ne peut fonder sa valeur dans le fait que l’on a raison ou son bonheur dans le fait qu’on détient la vérité. C’est donner à la raison et à la vérité un pouvoir dont elles n’ont nullement besoin.
FIN DU COMMENTAIRE
Donc, si avoir la foi c’est croire sans l’ombre d’un doute, et si douter signifie ne pas croire, soyez sceptique. Ne croyez pas. Et qu’allez-vous cesser de croire ? Vous cesserez de croire toutes les histoires que nous créons, nous autres artistes, grâce à nos connaissances. Vous savez que la majeure partie de nos connaissances n’est pas vraie – que toute symbologie n’est pas la vérité – alors, ne me croyez pas, ne vous croyez pas vous-même et ne croyez personne d’autre non plus. La vérité n’a pas besoin que vous y croyiez ; la vérité est, tout simplement, et elle survit, que vous y croyiez ou non. Les mensonges, en revanche, ont besoin que vous y croyiez. Si vous n’y croyez pas, ils ne survivent pas à votre scepticisme et disparaissent tout bonnement.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, pp. 104-105
COMMENTAIRE
Douter ne signifie pas ne pas croire mais plutôt remettre en question. Évidemment, si on construit sa vie sur ses croyances plutôt que le savoir et la connaissance, douter de ses croyances devient une question existentielle.
Les auteurs écrivent : « Donc, si avoir la foi c’est croire sans l’ombre d’un doute, et si douter signifie ne pas croire, soyez sceptique. Ne croyez pas. »
* * *
Scepticisme antique (GP)
Être sceptique vis-à-vis d’un problème signifie suspendre son jugement à son propos, ne souscrire à aucune opinion positive, ni dans un sens ni dans l’autre, à son sujet. L’expression « scepticisme antique » (dont la racine grecque skepsis, « enquête », renvoie à la disposition à s’interroger sur le bien-fondé de ses jugements) désigne une tendance philosophique née en Grèce antique et consistant à généraliser cette attitude ordinaire : une philosophie sceptique recommande la suspension du jugement à propos d’une partie (ou même de la totalité) des enquêtes humaines. Le scepticisme philosophique a pris deux formes : la première, pyrrhonienne, doit son nom à son fondateur Pyrrhon d’Élis et compte parmi ses adeptes Timon de Phlionte, Énésidème, Agrippa et Sextus Empiricus. La seconde, le scepticisme académique, est liée à une certaine période de l’Académie de Platon. Arcésilas de Pitane, Carnéade de Cyrène et Philon de Larissa sont ses représentants majeurs.
Les auteurs insistent : « Vous savez que la majeure partie de nos connaissances n’est pas vraie – que toute symbologie n’est pas la vérité – alors, ne me croyez pas, ne vous croyez pas vous-même et ne croyez personne d’autre non plus. » Il ne faut pas tomber dans la folie. Cette fois, c’est le mot « connaissance » qui est utilisé avec le mot « symbologie ».
* * *
Connaissance (GP)
Résumé
« Tu crois savoir mais tu sais pas » (Hugo TSR)
Pensez à toutes les choses que vous savez, toutes les choses que vous connaissez, ou du moins que vous pensez savoir et connaître. Vous savez sûrement que vous êtes en train de lire une entrée sur la connaissance, qu’après l’hiver vient le printemps, que Tintin est un personnage fictif inventé par Hergé et que le lamantin est un mammifère aquatique. Vous savez sûrement aussi lire, parler, courir et compter – mais peut être ne savez vous pas piloter un hélicoptère ou faire du Kung Fu. Vous connaissez aussi sans doute au moins une ville ou une personne, un livre et les paroles d’une chanson. Tous ces exemples sont des exemples de connaissances : ce sont des exemples dans lesquels un sujet, une personne, sait ou connaît quelque chose. Cette entrée propose un aperçu de la manière dont les philosophes ont tenté d’expliquer et de définir la connaissance.
1. Introduction
Que savez-vous ? Vous savez que vous êtes en train de lire une entrée philosophique sur la connaissance, que deux et deux font quatre. La plupart d’entre nous connaissons notre prénom, notre nom et notre date de naissance, ainsi que celles de certains de nos proches. Nous savons en fait un grand nombre de choses : que ce soit à propos de notre vie, du monde, de la culture, de l’histoire. Mais que signifie savoir ? Qu’est-ce que tous ces exemples de connaissance ont en commun ? En d’autres termes : pourquoi ces exemples seraient-ils des exemples de connaissance plutôt que des exemples de croyances, ou d’opinions ? Qu’est-ce qui distingue la connaissance des autres états mentaux tels que la croyance ou l’imagination ? Cette question est celle de la nature de la connaissance, ce que cela signifie pour un individu, une personne, de savoir quelque chose. Comme nous le verrons, il est possible de distinguer plusieurs types de connaissance, qu’on peut aussi appeler connaissance théorique et connaissance pratique. Savoir que l’or est un métal précieux par exemple, est un type de connaissance différent que de savoir lire : le premier concerne une vérité ou un fait, alors que le second concerne un savoir faire.
Ces deux types de connaissance sont au moins aussi importants l’un que l’autre. La connaissance pratique nous permet d’effectuer des tâches essentielles à notre vie quotidienne, comme se déplacer ou communiquer. Mais la connaissance théorique est aussi essentielle, car elle aussi est intimement liée à nos pratiques, à nos actions et à nos habitudes conversationnelles. Il nous arrive de blâmer celui qui agit sur la base d’une croyance irrationnelle, plutôt que sur sa connaissance des faits. Ainsi, la connaissance théorique entretient elle aussi des liens étroits avec nos pratiques quotidiennes.
Il y a cependant une seconde question soulevée par le concept de connaissance : celle du scepticisme. Est-il possible, étant donné ce qu’est la connaissance, de savoir quoi que ce soit ? Comment pouvez vous être sûr, par exemple, que vous êtes en train de lire une entrée sur la connaissance, plutôt que d’être en train de rêver que vous lisez une entrée sur la connaissance ? Nous n’aborderons pas cette question ici, et présupposerons que nous savons réellement plein de choses, bien que parfois, il nous arrive de nous tromper à propos de ce que nous croyons savoir.
Je suis d’accord avec les auteurs lorsqu’ils écrivent « La vérité n’a pas besoin que vous y croyiez ; la vérité est, tout simplement, (…) ». Par contre, je ne suis pas tout d’accord avec les auteurs lorsqu’ils ajoutent, parlant de la vérité, qu’« elle survit, que vous y croyiez ou non. (…) ». La vérité ne « surgit » pas. Elle n’apparaît pas brusquement… à moins que l’on parle alors d’une révélation et, de ce fait, on parle plus souvent qu’autrement de croyances, à l’opposée d’une compréhension raisonnable.
Aussi, je ne comprends pas pourquoi les auteurs soutiennent, par opposition à la vérité, que « Les mensonges, en revanche, ont besoin que vous y croyiez. Si vous n’y croyez pas, ils ne survivent pas à votre scepticisme et disparaissent tout bonnement. ». Pouf ! Comme par magie, si vous ne croyez pas à un mensonge, il disparaît. Il ne suffit plus de démontrer raisonnablement que l’affirmation est un mensonge; il suffit plutôt de ne pas y croire. Mais encore faut-il le reconnaître comme tel et, pour ce faire, de le remettre en question. Ce n’est pas une question de croire ou de ne pas croire.
FIN DU COMMENTAIRE
Mais le scepticisme peut s’exprimer de deux manières. L’une d’elles consiste à se montrer sceptique parce qu’on s’estime trop intelligent pour être crédule. « Regardez combien je suis intelligent. Je ne crois en rien ! » Cette attitude-là n’est pas du scepticisme. Être sceptique, c’est ne pas croire tout ce que vous entendez, et vous n’y croyez pas parce que ce n’est pas la vérité, un point c’est tout. Être sceptique consiste simplement à être conscient que toute l’humanité croit à des mensonges. Vous savez que les humains déforment la vérité, puisque nous rêvons tous et que notre rêve n’est qu’un reflet de la vérité.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 105.
COMMENTAIRE
Ouf ! C’est essoufflant ! Comment peut-on arriver à conclure : « Être sceptique consiste simplement à être conscient que toute l’humanité croit à des mensonges » ? En philosophie, cette définition du scepticisme ne tient pas la route. Être sceptique, c’est suspendre son jugement, non pas juger « que toute l’humanité croit à des mensonges ».
FIN DU COMMENTAIRE
Chaque artiste déforme la vérité, mais ce n’est pas une raison pour juger ce que dit autrui, ni pour le qualifier de menteur. Nous racontons tous des mensonges, d’une manière ou d’une autre, et pas parce que nous voulons mentir. Cela tient simplement à ce que nous croyons ; c’est dû aux symboles que nous avons appris et à la manière dont nous les utilisons. Une fois que vous avez conscience de cela, le Cinquième Accord Toltèque se révèle particulièrement significatif et peut changer beaucoup de choses dans votre vie.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 105.
COMMENTAIRE
Les auteurs jugent eux-mêmes à tour de bras.
FIN DU COMMENTAIRE
Des gens viendront vers vous et vous raconteront leur histoire personnelle. Ils vous communiqueront leur point de vue, ce qu’ils croient être la vérité. Mais vous ne jugerez pas si ce qu’ils disent est vrai ou non. Vous n’aurez aucun jugement, mais vous aurez du respect. Vous écouterez de quelle manière les autres expriment leurs symboles, sachant que ce qu’ils disent est déformé par leurs croyances. Vous saurez que ce qu’ils vous disent n’est qu’une histoire, parce que vous le sentirez. Vous le saurez, tout simplement. Mais vous saurez également quand leurs paroles sont vraies, et vous y parviendrez sans avoir besoin de mots : c’est cela qui compte.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, pp. 105-106.
COMMENTAIRE
Un point de vue, selon mon point de vue, n’est pas ce que je crois. Je ne prends pas mon point de vue, par définition, pour la vérité, ni même ma vérité, car la vérité se doit d’être universelle.
FIN DU COMMENTAIRE
Qu’elle soit vraie ou fictive, vous n’avez pas à croire l’histoire de quiconque. Vous n’avez pas besoin de vous forger une opinion quant à ce que dit autrui. Vous n’êtes pas non plus obligé d’exprimer votre opinion à vous. Pas besoin d’être d’accord ou de ne pas être d’accord. Il suffit d’écouter. Plus les propos d’un individu sont impeccables, plus son message est clair. Mais les propos qui émanent d’un autre artiste n’ont rien à voir avec vous. Vous savez qu’il n’y a rien de personnel dans ce qu’il dit. Vous écoutez et vous comprenez tous les mots, sauf que ceux-ci ne vous affectent plus, désormais. Vous ne jugez plus ce que disent les autres, parce que vous comprenez maintenant ce qu’ils font. Ils vous font simplement savoir ce qui se passe dans leur propre monde virtuel.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 106.
COMMENTAIRE
Écoutons et fermons-la. C’est comme cela que nous ferons avancer le savoir et la connaissance… l’humanité ! Tout le monde est dans son monde et ce monde est rien de plus que virtuel. Nous savons qu’il n’y a rien de personnel dans ce que dit l’homme devant vous qui exprime sa détresse. Tout n’est que mensonge et déformation de la vérité. Je ne comprends pas l’attitude des auteurs.
FIN DU COMMENTAIRE
Vous avez déjà conscience que tous les artistes vivent dans leur propre rêve, dans leur monde à eux. Dans ce monde-là, ce qu’ils perçoivent est vrai pour eux. Il se pourrait que ce soit absolument vrai pour les artistes qui expriment leur histoire, mais ce n’est pas la vérité pour vous. La seule vérité, pour vous, est ce que vous percevez dans votre monde. Une fois que vous avez conscience de cela, il n’y a plus rien à prouver à personne. Il n’est plus question d’avoir raison ou tort. Vous respectez ce que disent les autres, puisque ce sont d’autres artistes qui s’expriment. Le respect est très important. Quand vous apprenez à écouter, vous témoignez votre respect aux autres artistes, vous respectez leur art et leur création.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, pp. 106-107.
COMMENTAIRE
La vérité de l’autre (ses perceptions) n’est pas votre vérité (vos perceptions). Votre monde et le monde de l’autre. Bref, il n’y a pas de monde que soit le monde de tout le monde. Il n’y a que les mondes personnels. Adieu, le bien commun !
FIN DU COMMENTAIRE
Tous les artistes ont le droit de créer leurs œuvres comme ils veulent. Ils ont le droit de croire ce qu’ils veulent croire et de dire ce qu’ils ont à dire. Mais si vous n’apprenez pas à écouter, vous ne comprendrez jamais ce qu’ils disent. Écouter est très important, dans la communication. Si vous apprenez à écouter, vous saurez exactement ce que veulent les autres. Une fois que vous serez au courant de ce qu’ils veulent, ce que vous ferez de cette information-là ne dépendra que de vous. Vous pouvez y réagir ou non, vous pouvez être d’accord avec eux ou pas, tout dépendra de ce que vous voulez.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 107.
COMMENTAIRE
Les gens ne veulent pas toujours quelque chose lorsqu’ils s’expriment, si ce n’est d’être compris. Une bonne écoute n’implique pas à la fin ce que vous voulez, si ce n’est de comprendre l’autre dans le plus grand respect de sa différence, tout en tenant compte du biais de ma propre différence.
FIN DU COMMENTAIRE
Ce n’est pas parce que les autres veulent quelque chose que vous devez nécessairement le leur donner. Les gens essaient toujours de capter votre attention, puisque c’est par ce biais qu’ils peuvent télécharger n’importe quelle information. Il arrive souvent qu’une information ne vous intéresse pas. Vous l’écoutez, vous n’en voulez pas, vous l’ignorez et vous reportez votre attention ailleurs. En revanche, si cette information capte votre attention, alors vous avez vraiment envie d’écouter et de découvrir si ce qu’on vous dit est important à vos yeux. Ensuite, vous pouvez exprimer votre point de vue, si vous en avez envie, tout en sachant que ce n’est qu’un point de vue. C’est votre choix, mais la clé consiste avant tout à écouter.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 107.
Lorsque j’écoute je ne cherche pas à savoir s’il y a une information importante à mes yeux. J’écoute !
Si vous n’apprenez pas à écouter, vous ne comprendrez jamais ce que je suis en train de vous expliquer en ce moment même. Vous tirerez hâtivement des conclusions et vous réagirez comme s’il s’agissait de votre rêve, alors que ce n’est pas le cas. Quand d’autres artistes partagent leur rêve avec vous, ayez simplement conscience qu’il s’agit de leur rêve. Vous savez ce qu’est votre rêve, comme vous savez ce qu’il n’est pas.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 108.
Un monde de rêves… Désolé : des mondes de rêves. Chacun dans son monde de rêves. J’ai lu ce livre en sachant fort bien, à la simple lecture de la couverture chez le libraire, qu’il ne s’agissait pas de mon rêve. Je ne cherche pas mon rêve dans les rêves des autres.
En ce moment même, je partage avec vous la façon dont je perçois le monde, la manière dont je rêve. Mes histoires sont vraies pour moi, mais je sais que ce n’est pas la vérité réelle, alors, ne me croyez pas. Ce que je vous dis ne représente que mon point de vue. Bien sûr, de mon point de vue, j’ai l’impression de partager la vérité avec vous. Je fais de mon mieux pour avoir la parole la plus impeccable possible, afin que vous puissiez comprendre ce que je dis, mais même si je parvenais à vous transmettre une copie exacte de la vérité, je sais que vous déformerez mon message sitôt qu’il passera de mon esprit au vôtre. Vous l’entendrez et vous vous le répéterez d’une manière complètement différente, en fonction de votre point de vue.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 108.
COMMENTAIRE
Est-ce qu’il y a « La vérité réelle » et « la vérité irréelle » ? Les auteurs écrivent : « (…) je sais que vous déformerez mon message sitôt qu’il passera de mon esprit au vôtre ». En communication, le transmetteur doit coder son message dans le code du récepteur afin d’éviter une interprétation indue.
FIN DU COMMENTAIRE
Maintenant, ce que je dis est peut-être la vérité, peut-être pas, mais il se peut que ce que vous croyez ne soit pas davantage vrai. Je ne représente qu’une moitié du message ; vous en êtes l’autre. Je suis responsable de ce que je dis, mais pas de ce que vous comprenez. Vous êtes responsable de ce que vous comprenez et de ce que vous faites de ce que vous entendez dans votre tête, car c’est vous qui attribuez un sens à chaque mot qui vous parvient.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 109.
Non, non, Non. Vous êtes responsable de la compréhension de votre message vis-à-vis de l’autre. Vous ne pouvez pas soutenir « Je suis responsable de ce que je dis, mais pas de ce que vous comprenez. » Si je comprends bien…
En cet instant même, vous interprétez ce que je dis à l’aune de vos connaissances personnelles. Vous réarrangez les symboles et vous les transformez d’une manière qui préserve l’équilibre de tout votre système de croyances. Une fois que vous aurez atteint cet équilibre, il se peut que vous acceptiez mon histoire comme étant la vérité …ou pas. Vous pouvez également faire la supposition que ce que vous vous dites correspond à ce que j’avais l’intention d’exprimer, ce qui ne veut pas dire que votre supposition soit vraie. Vous pouvez mal interpréter ce que je dis. Vous pouvez aussi utiliser ce que je dis pour me faire des reproches, pour en faire à quelqu’un d’autre, à vous-même, à votre religion ou à votre philosophie, pour être en colère contre tout le monde, et plus particulièrement contre vous-même. Vous pouvez également utiliser ce que vous entendez pour découvrir la vérité, pour vous trouver vous- même, pour faire la paix avec vous et, peut-être, pour modifier le message que vous vous adressez à vous-même.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 109.
COMMENTAIRE
Je n’accorde pas d’importance à mes croyances. Je m’en tiens au savoir et à la connaissance. Mon opinion n’a pas plus de valeur. Je ne comprends pas la logique des auteurs de ce cinquième accord toltèque.
FIN DU COMMENTAIRE
Quoi que vous fassiez de ce que je dis, cela ne dépend que de vous. C’est votre rêve et je le respecte. Vous n’êtes pas obligé de me croire, mais si vous apprenez à écouter, vous parviendrez à comprendre ce que je dis et si l’information que je vous offre vous parle, vous pourrez alors l’intégrer à votre rêve, si vous le désirez. Vous pouvez prendre ce qui marche pour vous et vous en servir pour modifier votre rêve ; quant à ce qui ne vous convient pas, ignorez-le tout simplement. Cela ne fera aucune différence pour moi, mais ça en fera une pour vous, car je suppose – tout en sachant que c’est une supposition – que vous souhaitez devenir un meilleur artiste, et que c’est la raison pour laquelle vous remettez en question vos propres croyances.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 110.
COMMENTAIRE
Ils écrivent réellement « Cela ne fera aucune différence pour moi ». Tout doit faire une différence pour moi lorsque je tente d’aider une personne. Tout, absolument tout ! Si j’écoute ! Or, il semble bien que les auteurs n’écoutent pas leurs lecteurs puisque cela ne fera aucune différence pour eux. Ils écrivent, ils écrivent, ils écrivent… Mais écoutent-ils ?
FIN DU COMMENTAIRE
Alors, soyez sceptique. Ne me croyez pas, ne croyez personne d’autre, mais, surtout, ne vous croyez pas vous-même. Quand je dis, ne vous croyez pas vous-même, mon Dieu, en voyez-vous les implications ?… Ne croyez pas tout ce que vous avez appris ! Ne pas se croire soi-même constitue un avantage immense, puisque la majeure partie de ce que vous avez appris n’est pas la vérité. Tout ce que vous savez, toute votre réalité, ce ne sont rien que des symboles. Mais vous n’êtes pas tout ce paquet de symboles qui s’expriment dans votre tête. Vous le savez, et c’est pour cela que vous vous montrez sceptique et que vous ne vous croyez pas.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 110.
COMMENTAIRE
Les auteurs nous disent « ne vous croyez pas vous-même », pas plus que les autres. Ils ajoutent : « Ne pas se croire soi-même constitue un avantage immense, puisque la majeure partie de ce que vous avez appris n’est pas la vérité. » Selon les auteurs, nous sommes dans le faux. Cependant, croire en soi est une chose et croire en ce que l’on pense en est une autre, tout comme se remettre en question et remettre en questions nos pensées sont également deux choses différentes. Le conseil « ne vous croyez pas vous-même » implique de ne pas se faire confiance, ce qui est souvent pour plusieurs une question de bien-être existentiel.
FIN DU COMMENTAIRE
Si vos croyances vous disent : « Je suis gros. Je suis laid. Je suis vieille. Je suis un perdant. Je ne suis pas assez gentille. Je ne suis pas assez fort. Je ne m’en sortirai jamais », ne vous croyez pas, parce que ce n’est pas vrai. Ces messages sont déformés. Ce ne sont rien que des mensonges. Sitôt que vous voyez que ce sont des mensonges, vous n’êtes plus obligé de les croire. Faites appel à la puissance du doute pour remettre en question tous les messages que vous vous adressez à vous- même. « Est-il vraiment vrai que je sois laid ? Est-il vraiment vrai que je ne sois pas à la hauteur ? » Ce message est-il réel ou virtuel ? De toute évidence, il est virtuel. Aucun de ces messages n’émane de la vérité, de la vie ; ils ne sont que le résultat des distorsions de nos connaissances. En vérité, il n’y a pas de gens laids. « Être à la hauteur » n’existe pas davantage. Il n’existe aucun livre de la loi universel où le moindre de ces jugements soit vrai. Ces jugements ne sont que des accords que les humains ont conclus.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, pp. 110-111.
COMMENTAIRE
Ne pas croire que je suis laid est une affaire personnelle. Croire qu’il n’y a pas de gens laid est un jugement universel sur la beauté. Or, la beauté est avant tout une affaire personnelle, jamais universelle. Tout jugement personnel sur ma personne ne sont automatiquement des mensonges. Je ne peux certainement pas nier mes défauts.
FIN DU COMMENTAIRE
Est-ce que vous voyez quelles conséquences entraîne le fait de se croire soi-même ? Vous croire est la pire des choses que vous puissiez faire, car vous vous êtes raconté des mensonges durant toute votre vie, et c’est parce que vous y croyez que votre rêve n’est pas agréable. Si vous croyez ce que vous vous dites, vous pouvez vous servir de tous les symboles que vous avez appris pour vous faire du mal. Votre rêve personnel peut devenir un vrai cauchemar, car c’est précisément en croyant des mensonges qu’on se forge son propre enfer. Si vous souffrez, ce n’est pas parce que quelqu’un d’autre vous fait souffrir ; c’est simplement parce que vous obéissez au tyran qui gouverne votre tête. Quand ce tyran vous obéira, il n’y aura plus ni juge, ni victime dans votre tête, et vous ne souffrirez plus.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, pp. 111-112.
COMMENTAIRE
Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation : « Si vous croyez ce que vous vous dites, vous pouvez vous servir de tous les symboles que vous avez appris pour vous faire du mal ». Si plus personne ne croit en ce qu’elle dit et si nous croyons ni nous-même ni personne d’autre, dans quel monde on se retrouve. Se rabattre sur un « tyran qui gouverne votre tête » rejoint l’idée du Malin génie de Descartes.
Méditations métaphysiques
René Descartes
« Je supposerai donc, non pas que Dieu, qui est très bon, et qui est la souveraine source de vérité, mais qu’un certain mauvais génie, non moins rusé et trompeur que puissant, a employé toute son industrie à me tromper ; je penserai que le ciel, l’air, la terre, les couleurs, les figures, les sons, et toutes les choses extérieures, ne sont rien que des illusions et rêveries dont il s’est servi pour tendre des pièges à ma crédulité ; je me considérerai moi-même comme n’ayant point de mains, point d’yeux, point de chair, point de sang ; comme n’ayant aucun sens, mais croyant faussement avoir toutes ces choses ; je demeurerai obstinément attaché à cette pensée ; et si, par ce moyen, il n’est pas en mon pouvoir de parvenir à la connaissance d’aucune vérité, à tout le moins il est en ma puissance de suspendre mon jugement… »
* * *
« De sorte qu’après y avoir bien pensé, il faut conclure et tenir pour constant que cette proposition : je suis, j’existe est nécessairement vraie toutes les fois que la prononce ou que je la conçois en mon esprit. »
* * *
« Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est une chose qui doute, qui entend, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. »
— René Descartes,
Méditations métaphysiques.
Avancer « Quand ce tyran vous obéira, il n’y aura plus ni juge, ni victime dans votre tête, et vous ne souffrirez plus » nous donne comme objectif d’être neutre. Or, nous ne pouvons pas nier notre subjectivité.
FIN DU COMMENTAIRE
Votre tyran est sans pitié. Il vous maltraite sans cesse, en utilisant tous ces symboles contre vous. Il se nourrit du poison émotionnel qu’engendrent vos émotions négatives, et pour produire de telles émotions, il juge et émet des opinions. Personne ne vous juge davantage que vous-même. Bien sûr, vous essayez d’échapper à ces jugements, à cette culpabilité, à ce rejet et ces punitions. Mais comment peut-on échapper à ses propres pensées ? Si vous n’aimez pas quelqu’un, vous pouvez vous en aller. Mais si vous ne vous aimez pas, où que vous alliez, vous serez toujours là. Vous pouvez vous cacher de tout le monde, mais il vous est impossible d’échapper à vos propres jugements. Il semble qu’il n’y ait pas d’échappatoire.
Voilà pourquoi tant de gens mangent trop, prennent des drogues, boivent ou développent des dépendances à diverses substances et comportements. Ils font ce qu’ils peuvent pour éviter leur propre histoire, pour fuir leur propre création qui déforme tous les symboles qu’ils ont dans la tête. Certaines personnes ont de telles souffrances émotionnelles qu’elles en viennent à s’ôter la vie. Voilà ce que les mensonges peuvent faire. La voix de la connaissance peut se retrouver à ce point déformée et engendrer une telle quantité de haine contre soi qu’elle finit par détruire un être humain. Tout cela, parce que nous croyons toutes les opinions que nous avons apprises au fil des ans.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 112.
COMMENTAIRE
La question est posée par les auteurs : « Mais comment peut-on échapper à ses propres pensées ? » La réponse : « Il semble qu’il n’y ait pas d’échappatoire. » Nous sommes dans le chapitre « Le pouvoir du doute ». Le doute offre une porte de sortie; il contribue à la création d’une faille qui laissera entrer la lumière.
FIN DU COMMENTAIRE
Imaginez un instant que toutes vos opinions, plus toutes celles des personnes qui vous entourent, s’apparentent à un immense ouragan qui tourbillonne en vous. Imaginez que vous croyiez toutes ces opinions ! Eh bien, si vous êtes sceptique, si vous ne vous croyez pas vous-même, si vous ne croyez personne d’autre, aucune de ces opinions ne pourra vous troubler ni vous décentrer. Quand vous contrôlez votre propre symbologie, vous êtes toujours centré, toujours détendu et calme, parce que c’est votre moi réel qui prend les décisions dans votre vie, et non les symboles. Quand vous souhaitez communiquer quelque chose, vous arrangez les symboles comme vous voulez et c’est ainsi qu’ils sortent de votre bouche.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 113.
COMMENTAIRE
Le problème réel provient du mode de vie ayant pour objectif de croire ou non à tout ce qui se présente en nous et hors de nous. Or, la réalité n’appelle pas à croire ou à ne pas croire.
P.S.: Notez la référence à un « moi réel ». Or, il n’y a pas de « moi irréel ».
FIN DU COMMENTAIRE
C’est vous l’artiste et vous pouvez agencer les symboles comme vous voulez, de la façon qui vous plaît, car ils sont sous votre contrôle. Vous pouvez les utiliser pour demander que ce dont vous avez besoin, pour exprimer ce que vous voulez comme ce que vous ne voulez pas. Vous pouvez partager vos pensées, vos sentiments et vos rêves, en prose ou avec poésie. Mais ce n’est pas parce que vous employez un langage pour communiquer que vous y croyez. Quel besoin avez-vous de croire ce que vous savez déjà ? Quand vous êtes seul et que vous vous parlez à vous-même, c’est parfaitement futile. Que pouvez-vous vous dire que vous ne sachiez déjà ?
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, p. 113.
COMMENTAIRE
Grande réflexion : « Quand vous êtes seul et que vous vous parlez à vous-même, c’est parfaitement futile. Que pouvez-vous vous dire que vous ne sachiez déjà ? » L’écoute, si fortement recommander par les auteurs, commence par l’écoute de soi-même. Et s’écouter implique de s’écouter parler à soi-même pour finalement prendre du recul, douter s’il y a lieu. À la question « Que pouvez-vous vous dire que vous ne sachiez déjà ? », je réponds par l’entrée en scène de notre imagination.
FIN DU COMMENTAIRE
Si vous comprenez le Cinquième Accord Toltèque, vous saisirez pourquoi vous n’avez nul besoin de croire ce que vous voyez, ce que vous savez déjà sans l’aide de mots. La vérité ne s’exprime pas avec des mots. La vérité est silencieuse. C’est simplement quelque chose que vous savez ; vous pouvez la ressentir sans aucun mot, et on appelle cela la connaissance silencieuse. La connaissance silencieuse, c’est ce que vous savez avant d’investir votre foi dans des symboles. Quand vous vous ouvrez à la vérité et que vous apprenez à écouter, tous les symboles perdent leur valeur et la seule chose qui reste, c’est la vérité. Il n’y a rien à savoir, rien à justifier.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, pp. 113-114.
COMMENTAIRE
Là, je commence à en avoir assez des propos délirants des auteurs.
« (…) ce que vous savez déjà sans l’aide de mots. »
« La vérité ne s’exprime pas avec des mots. »
« La vérité est silencieuse. »
« Il n’y a rien à savoir, rien à justifier. »
« (…) tous les symboles perdent leur valeur et la seule chose qui reste, c’est la vérité. »
La vérité ne se cache pas derrière des symboles. Elle est faite de symboles. Les symboles, c’est tout ce que nous avons pour penser.
“Quand la vérité est remplacée par le silence, le silence est un mensonge”
― Yevgeny YEVTUSHENKO
FIN DU COMMENTAIRE
Ce que je partage avec vous n’est pas facile à comprendre et, en même temps, c’est si simple que cela paraît évident. Au final, vous réaliserez que les langues sont des symboles qui ne sont vrais que parce que vous pensez qu’ils le sont. Mais si vous les mettez de côté, que reste-t-il ? La vérité. Alors, vous verrez une chaise et vous ne saurez pas comment la nommer, mais vous pourrez vous asseoir dessus et la vérité sera là. La matière est la vérité. La vie est la vérité. La lumière est la vérité. L’amour est la vérité. Le rêve humain n’est pas la vérité, mais cela n’implique pas pour autant qu’il soit mauvais. Être mauvais, voilà encore un autre concept qui n’est pas non plus vrai.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, pp. 113-114.
COMMENTAIRE
Oh ! La, la : « Au final, vous réaliserez que les langues sont des symboles qui ne sont vrais que parce que vous pensez qu’ils le sont. Mais si vous les mettez de côté, que reste-t-il ? La vérité. Alors, vous verrez une chaise et vous ne saurez pas comment la nommer, mais vous pourrez vous asseoir dessus et la vérité sera là. » Les symboles ne sont pas vrais parce que je pense qu’ils sont vrais. Un symbole, dans le contexte de ce livre, c’est c’est sur quoi les hommes se sont entendus (le noms et les définitions) pour être capable de communiquer entre eux.
FIN DU COMMENTAIRE
Quand vous aurez compris que vous créez toute cette symbologie pour communiquer avec vos semblables, vous découvrirez du même coup que les symboles ne sont en réalité ni bons ou mauvais, ni justes ou faux. C’est vous, avec vos croyances, qui décidez qu’ils sont justes ou faux. Telle est la puissance de vos croyances, mais la vérité est au-delà de la croyance. Quand vous dépassez les symboles, vous découvrez un monde de perfection où chaque être et chaque chose sont parfaits. Même l’investissement de votre foi dans chacun de vos mots est parfait. Même votre colère, vos drames et vos mensonges sont parfaits. Même l’enfer qu’il vous arrive de vivre est parfait, car seule existe la perfection. Imaginez un instant que vous viviez toute votre vie sans jamais apprendre tous les mensonges que sont vos connaissances, sans souffrir d’avoir investi votre foi dans ces mensonges, dans ces superstitions et ces opinions. Vous vivriez alors comme tous les autres animaux, ce qui veut dire que vous conserveriez votre innocence durant toute votre vie.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, pp. 114-115.
COMMENTAIRE
Une croyance ne permet de décider si les symboles sont justes ou faux. Croire ne fait pas la vérité.
La perfection se trouve au-delà des symboles : « Quand vous dépassez les symboles, vous découvrez un monde de perfection où chaque être et chaque chose sont parfaits. » Je ne sais s’il faut rire ou pleurer. La perfection n’est pas de ce monde. La sagesse est d’apprendre à vivre avec les imperfections de notre monde.
Et que dire de cette autre affirmation qui nous dit que nous vivrons comme les autres animaux : « Vous vivriez alors comme tous les autres animaux, ce qui veut dire que vous conserveriez votre innocence durant toute votre vie » ? Vivre comme une personne qui ignore le mal, ce n’est pas l’apanage de l’Homme, de nos sociétés et de nos civilisations. Ignorez le mal et il gagnera en puissance !
FIN DU COMMENTAIRE
Au cours du processus de domestication, vous perdez votre innocence et, ce faisant, vous vous mettez à chercher ce que vous avez perdu, ce qui vous conduit à développer la conscience. Une fois que vous avez recouvré conscience, vous devenez pleinement responsable de votre propre évolution, de chacun de vos choix dans la vie.
Tant que vous êtes éduqué par le rêve de la planète, vous n’avez aucun choix ; vous apprenez tellement de mensonges. Mais peut-être est-il temps de désapprendre tous ces mensonges et de réapprendre à suivre la vérité, en vous fiant à votre propre cœur. Désapprendre, ou ce que j’appelle encore la dédomestication, est un processus très lent, mais puissant. Comme je l’ai dit auparavant, chaque fois que vous retirez votre foi à un symbole, son pouvoir vous est restitué, jusqu’à ce que votre symbologie tout entière n’ait plus aucun pouvoir sur vous.
Quand vous soustrayez tout pouvoir aux symboles pour le reprendre en vous, votre rêve se retrouve impuissant. Et une fois que tout ce pouvoir vous est revenu, vous êtes invincible. Plus rien ne peut vous vaincre. Ou peut-être devrais-je plutôt dire que vous ne pouvez plus vous vaincre vous-même, puisque c’est exactement la même chose.
Quand vous aurez récupéré tout le pouvoir que vous avez investi dans les symboles, vous ne croirez plus la moindre pensée qui se présentera à votre esprit ; vous ne croirez plus votre propre histoire. Par contre, vous l’écouterez, et comme vous la respecterez, vous l’apprécierez. Quand vous allez au cinéma ou que vous lisez un roman, vous n’y croyez pas, mais vous y prenez plaisir, n’est-ce pas ? Une fois que vous êtes capable de faire la différence entre la réalité vraie et la réalité virtuelle, vous savez que vous pouvez faire confiance à la première, mais que vous n’êtes pas obligé d’avoir confiance en la seconde, tout en étant capable de les apprécier toutes les deux. Vous pouvez à la fois apprécier ce qui est et ce que vous créez.
Même si vous savez que votre histoire n’est pas vraie, vous pouvez néanmoins élaborer le plus beau récit possible et diriger votre vie en fonction de lui. Vous pouvez créer votre paradis personnel et le vivre. Et si vous parvenez à comprendre l’histoire des autres et qu’ils parviennent à comprendre la vôtre, alors, ensemble, vous pouvez créer le plus beau de tous les rêves. Mais, pour commencer, vous avez beaucoup à désapprendre, et le Cinquième Accord Toltèque est l’outil idéal pour le faire.
Où que vous alliez dans le monde, les gens vous communiqueront toutes sortes d’opinions et d’histoires. Vous rencontrerez de merveilleux baratineurs qui voudront vous dire que faire de votre vie : « Tu devrais faire ceci, tu devrais faire cela, tu ne devrais pas faire ceci, etc. » Ne les croyez pas. Soyez sceptique, mais apprenez à écouter, puis faites votre choix. Assumez la responsabilité de chacun des choix que vous faites dans la vie. C’est votre vie ; ce n’est la vie de personne d’autre, et vous finirez par découvrir que ce que vous en faites ne regarde que vous.
Depuis des siècles, des gens ont prétendu savoir quelle était la volonté de Dieu. Ils ont parcouru le monde en prêchant la bonté et la vertu, et en condamnant tout le monde. Depuis des siècles, des prophètes ont prédit de grandes catastrophes planétaires. Il n’y a pas si longtemps, des gens ont annoncé qu’au début de l’an 2000, tous les ordinateurs tomberaient en panne et que la société, telle que nous la connaissons, allait disparaître. Certaines personnes ont même pensé que nous allions revenir à l’âge des cavernes. Le 1erb janvier 2000 est arrivé, nous avons fêté cette nouvelle année, ce nouveau siècle et ce nouveau millénaire, et qu’est-il arrivé ? Rien du tout.
Voici des milliers d’années, tout comme aujourd’hui, certains prophètes attendaient la fin du monde. À cette époque, un grand maître a dit : « Il y aura de nombreux faux prophètes qui prétendront parler au nom de Dieu. Ne les croyez pas. » Vous voyez, le Cinquième Accord Toltèque n’est pas vraiment nouveau. Soyez sceptique, mais apprenez à écouter.
Source : RUIZ, Don Miguel et RUIZ, José Luis, Le 5e accord toltèque, Chapitre 8 – Le pouvoir du doute, Les Éditions Jouvence, 2024, pp. 115-118.
COMMENTAIRE
C’est trop pour moi. Je n’arrive plus à commenter. Il me faudrait des années de travail pour démêler les propres des auteurs. J’abandonne.
« À chaque fois que vous le lisez, ce n’est pas le livre qui a changé votre vie, mais vous. »
Don Miguel Ruiz
Castaneda a fait découvrir au grand public les enseignements des chamans mexicains qui ont pour origine la tradition toltèque, gardienne des connaissances de Quetzacoatl, le serpent à plumes. Dans ce livre, Don Miguel révèle la source des croyances limi-tatrices qui nous privent de joie et créent des souffrances inutiles.
Il montre en des termes très simples comment on peut se libérer du conditionnement collectif – le « rêve de la planète », basé sur la peur – afin de retrouver la dimension d’amour inconditionnel qui est à notre origine et constitue le fondement des enseignements toltèques.
Les quatre accords proposent un puissant code de conduite capable de transformer rapidement notre vie en une expérience de liberté, de vrai bonheur et d’amour. Le monde fascinant de la Connaissance véritable et incarnée est enfin à la portée de chacun.
« Le livre de Don Miguel Ruiz trace un chemin vers l’illumination et la liberté ».
Deepak Chopra, auteur des « Sept lois spirituelles du succès »
« Dans la tradition de Castaneda, Ruiz distille la sagesse essentielle des Toltèques, exprimant avec clarté et de façon impeccable ce que signifie vivre comme des guerriers pacifiques dans le monde moderne, pour les hommes comme pour les femmes. »
Dan Millman, auteur du « Guerrier Pacifique ».
« Le livre de Don Miguel Ruiz trace un chemin vers l’illumination et la liberté. »
Deepak Chopra, auteur des Sept Lois spirituelles du succès.
« Ruiz distille la sagesse essentielle des Toltèques, exprimant avec clarté et de façon impeccable ce que signifie vivre comme des guerriers pacifiques. »
Dan Millman, auteur du Guerrier Pacifique.
Don Miguel Ruiz, bien que né et élevé au Mexique par une mère curandera (guérisseuse) et un grand-père nagual (chaman), choisit de faire des études de médecine et de devenir chirurgien. Une rencontre avec la mort (NDE), au début des années 1970, a changé sa vie. li s’est dès lors consacré à la maîtrise de la sagesse ancestrale. Il est maintenant devenu un nagual de la lignée des Chevaliers de I’Aigle, voué au partage de sa connaissance des enseignements des anciens Toltèques.
La France est historiquement célèbre pour sa révolution, qui a changé la donne dans le monde entier. La fin de la monarchie française fut une excellente nouvelle pour l’humanité. Elle inspira des changements qui eurent un impact positif majeur sur le cours de l’histoire moderne.
Aujourd’hui se produit une autre révolution, qui va également changer le monde. Je veux parler du monde personnel que nous créons, notre propre univers, et de la révolution qui se joue à l’intérieur de chacun de nous. Le seul moyen de modifier le monde qui nous entoure est de changer à titre personnel. Si nous parvenons à modifier notre propre univers, nous gagnerons la paix intérieure et retrouverons l’amour inconditionnel.
Les Quatre Accords toltèques est un guide destiné à nous ramener au cœur de ce que nous sommes vraiment, à savoir l’amour. Le véritable amour est inconditionnel, mais le problème, c’est que nous apprenons à aimer à certaines conditions. Nous aimons les autres et les autres nous aiment en posant des conditions. Voilà pourquoi nous avons besoin de contrôler tous ceux qui nous entourent, ainsi que nous-mêmes. C’est la raison pour laquelle l’injustice, la violence et même la guerre existent.
Notre façon d’aimer ne correspond pas à l’amour véritable. C’est même l’opposé de l’amour, qui doit s’exercer de manière inconditionnelle. Nous apprenons même à nous aimer nous-mêmes à certaines conditions. Il en résulte un rejet de soi et une autopunition qui nous freinent dans notre vie. Si nous pouvions simplement apprendre à aimer sans poser de conditions, c’est toute l’humanité qui se transformerait.
Les Quatre Accords toltèques nous aide à de nouveau aimer inconditionnellement, à commencer par nous-mêmes, puis tous nos frères et sœurs. Si vous savez respecter votre parole, si vous ne vous sentez jamais visé, si vous ne faites pas de suppositions et si vous faites toujours de votre mieux, vous allez transformer votre univers personnel et commencer à vous aimer de manière inconditionnelle. Il sera ensuite plus facile d’aimer les autres sans poser de conditions, vous serez plus heureux et votre entourage en tirera également profit. Vos efforts toucheront tout le monde, car lorsque vous êtes heureux, les personnes qui vous côtoient sont également heureuses et cela les incite à modifier à leur tour leur propre univers.
Lorsque The Four Agreements (version originale de l’ouvrage Les Quatre Accords toltèques) est paru en 1997, j’étais persuadé que les principes qu’il présentait changeraient la vie de tous ceux qui le liraient. Aujourd’hui, je constate avec un immense plaisir l’impact qu’il a eu sur des individus du monde entier. Je suis ravi de voir qu’il les aide à mener leur propre révolution en retrouvant et en exprimant un amour inconditionnel.
Continuez donc de lire et de mettre en pratique les principes figurant dans Les Quatre Accords toltèques. À chaque fois que vous le lisez, c’est comme si vous lisiez un nouvel ouvrage, sauf que ce n’est pas le livre qui a changé, mais celui qui le lit, à savoir vous. Merci de m’aider à changer le monde.
Avec tout mon amour et ma gratitude,
Don Miguel Ruiz
3 novembre 2015
PRÉFACE
La première rencontre physique avec don Miguel remonte à 1991. Mon amie et sœur de cœur Linda, m’avait parlé d’un chaman mexicain qui était installé depuis peu à Santa Fe (il est maintenant basé à San Diego, Californie). Elle m’avait surtout évoqué sa douceur, qualité que je n’apparentais jusque-là pas du tout avec un chaman. Les histoires de Castaneda m’avaient rendu méfiante de ce qu’on pouvait attendre d’un chaman. Ce que je n’avais pas encore compris, c’est que don Miguel n’était pas seulement un homme de pouvoir, mais un homme d’amour. Et c’est précisément son amour inconditionnel et permanent qui rend son pouvoir intangible. Mais je ne pouvais pas encore saisir cette évidence, encore prise dans la dualité du gentil/méchant, fort/faible, etc. Je n’avais pas l’expérience humaine de cette énergie-là.
Lorsque je le rencontrai dans la maison où il habitait avec Gaïa, sa femme américaine, je vis un homme assez menu, presque plus petit que moi, à la peau sombre, au visage ouvert, éclairé par un sourire franc qui disait déjà tout. Tu es un ange, furent ses premiers mots, et quelque chose en moi se mit à bondir. Enfin quelqu’un qui me reconnaît ! La suite, je l’ai oubliée, elle a dû s’installer au plus profond de moi pour que je me souvienne davantage encore de qui j’étais vraiment. Plus tard, des années après les échanges et l’apprentissage dans le monde du rêve, après l’expérience tangible de la réa- lité de cet amour inconditionnel, lorsque je fus confirmée nagual dans la tradition des guerriers ou chevaliers de l’Aigle au sommet de la pyramide du Soleil à Teotihuacan, je me suis souvenue qu’il m’avait accompagnée tout au long de mon chemin, portant dans son amour la connaissance de ma nature divine qu’il m’a fallu retrouver moi-même. Je réalisai alors que don Miguel était l’être qui était venu dans mon rêve* pour me dire qu’il venait m’enseigner le pouvoir et l’amour. Mais, à l’époque, je ne le connaissais même pas !
Maud Séjournant, fondatrice du Cercle de vie
Santa Fe, Nouveau Mexique, avril 1999
* Voir le livre Le Cercle de vie, Maud Séjournant, Albin Michel.
LES TOLTÈQUES
Il y a des milliers d’années, à travers tout le sud du Mexique, les Toltèques étaient connus comme des femmes et hommes de connaissance. Les anthropologues les ont décrits comme une nation ou une race, mais en réalité c’était des scientifiques et des artistes formant une société vouée à explorer et préserver la connaissance spirituelle et les pratiques des anciens. Maîtres (naguals) et étudiants se réunissaient à Teotihuacan, l’ancienne cité des pyramides située au-delà de Mexico City, connue comme le lieu où l’Homme devient Dieu.
Au fil des millénaires, les naguals ont été contraints de dissimuler la sagesse ancestrale et de la préserver dans l’ombre. La conquête européenne, couplée à l’abus de pouvoir personnel de quelques apprentis, rendit nécessaire de protéger la connaissance de ceux qui n’étaient pas préparés à l’utiliser avec discernement ou qui risquaient d’en user de manière abusive, à des fins personnelles.
Fort heureusement, la connaissance ésotérique des Toltèques s’est transmise et incarnée au fil des générations à travers diverses lignées de naguals. Bien qu’elle soit restée dans le secret durant des centaines d’années, les prophéties anciennes avaient annoncé la venue d’un âge au cours duquel il serait nécessaire de redonner la sagesse au peuple. Aujourd’hui, don Miguel Ruiz, nagual de la lignée des Chevaliers de l’Aigle, a été instruit pour partager avec nous les puissants enseignements des Toltèques.
La connaissance toltèque émerge de la même unité de vérité que les traditions ésotériques du monde entier. Bien qu’elle ne soit pas une religion, elle honore tous les maîtres spirituels qui ont enseigné sur terre. Bien qu’elle comprenne une dimension spirituelle, elle est plus juste- ment décrite comme étant un mode de vie qui se distingue par la facilité d’accès au bonheur et à l’amour qu’elle procure.
INTRODUCTION
Le Miroir de fumée
Il y a trois mille ans vivait un être humain comme vous et moi, habitant près d’une ville entourée de montagnes. Cet humain étudiait pour devenir homme-médecine et apprendre la connaissance de ses ancêtres, mais il n’était pas entièrement d’accord avec tout ce qu’il apprenait. Dans son cœur, il sentait qu’il devait exister quelque chose d’autre.
Un jour, alors qu’il dormait dans une grotte, il rêva qu’il voyait son propre corps endormi. Il sortit de la grotte par une nuit de nouvelle lune. Le ciel était clair et il pouvait voir des mil- lions d’étoiles. Puis quelque chose se produisit en lui qui transforma sa vie à jamais. Il regarda ses mains, sentit son corps et entendit sa propre voix dire : Je suis fait de lumière ; je suis constitué d’étoiles.
Il regarda à nouveau les étoiles et comprit que ce ne sont pas les étoiles qui créent la lumière, mais plutôt la lumière qui crée les étoiles.
Tout est fait de lumière, se dit-il, et l’espace entre toutes choses n’est pas vide. Et il sut que tout ce qui existe n’est qu’un seul être vivant, et que la lumière est le messager de la vie, parce qu’elle est vivante et contient la totalité de l’information de vie.
Puis il réalisa que, bien qu’étant constitué d’étoiles, il n’était pas ces étoiles. Je suis entre les étoiles, se dit-il. Alors il appela les étoiles le tonal et la lumière entre les étoiles le nagual, et il sut que c’est la Vie (ou l’Intention) qui crée l’harmonie et l’espace entre les deux. Sans la Vie, le tonal et le nagual ne pourraient exister. La Vie est la force de l’absolu, du suprême, du Créateur qui crée toute chose.
Voici ce qu’il découvrit : tout ce qui existe est une manifestation de ce seul être vivant que l’on appelle Dieu. Tout est Dieu. Et il en conclut que la perception humaine n’est que de la lumière percevant de la lumière. Il vit aussi que la matière est un miroir – tout est un miroir réfléchissant la lumière et créant des images de cette lumière – et que le monde de l’illusion, le Rêve, n’est que de la fumée nous empêchant de voir qui nous sommes vraiment. Le vrai moi est pur amour, pure lumière, dit-il.
Cette compréhension changea sa vie. Sachant qui il était vraiment, il regarda les autres êtres humains et le reste de la nature, et fut étonné de ce qu’il vit. Il se voyait lui-même en toute chose, dans chaque être humain, chaque animal, chaque arbre, dans l’eau, dans la pluie, les nuages et la terre. Et il voyait que la Vie unit le tonal et le nagual de différentes manières pour créer les milliards de manifestation de la Vie.
Durant ces quelques instants, il comprit tout. Il était enthousiasmé et son cœur rempli de paix. Il était impatient de partager avec les siens ce qu’il avait découvert. Mais aucun mot ne parvenait à l’expliquer. Il essaya d’en parler aux autres, mais ceux-ci ne comprenaient pas. Ils voyaient bien qu’il avait changé, que quelque chose de magnifique irradiait de ses yeux et de sa voix. Ils avaient aussi remarqué qu’il ne portait plus de jugement sur rien ni personne. Il n’était plus comme les autres.
Il comprenait très bien chacun, mais per- sonne ne pouvait le comprendre, lui. Ils croyaient qu’il était une incarnation de Dieu. Il souriait lorsqu’il entendait cela et leur disait : C’est vrai, je suis Dieu. Mais vous aussi, vous êtes Dieu. Vous et moi sommes pareils. Nous sommes des images de lumière. Nous sommes Dieu. Mais les gens ne le comprenaient toujours pas.
Il avait découvert qu’il était un miroir pour les autres, dans lequel il pouvait se voir lui- même. Chacun est un miroir, se dit-il. Il se voyait en chacun, mais personne ne le voyait, lui, comme soi-même. Et il réalisa que tous rêvaient, mais sans conscience, sans savoir vrai- ment qui ils étaient. Ils ne pouvaient le voir comme eux-mêmes, parce qu’il y avait un mur de brouillard ou de fumée entre les miroirs. Et ce mur de brouillard provenait de leur interprétation des images de lumière : le Rêve des humains.
Puis il sut qu’il allait bientôt oublier tout ce qu’il avait appris. Il voulait se souvenir des visions qu’il avait eues, aussi décida-t-il de s’ap- peler lui-même Miroir de Fumée, afin de toujours se rappeler que la matière est un miroir et que c’est la fumée entre les miroirs qui nous empêche de savoir qui nous sommes. Il dit :
Je suis Miroir de Fumée, parce que je me vois en chacun de vous, mais nous ne nous reconnais- sons pas les uns les autres à cause de la fumée qu’il y a entre nous. Cette fumée est le Rêve, et le miroir c’est nous, le rêveur.
Cet extrait est disponible sur le site web Les Éditions Jouvence (PDF)
Cet extrait est aussi disponible sur le sitw web leslibraires.ca (ePub).
Don Miguel Ruiz, bien que né et élevé au Mexique par une mère curandera (guérisseuse) et un grand-père nagual (chaman), choisit de faire des études de médecine et de devenir chirurgien. Une rencontre avec la mort (NDE), au début des années 1970, a changé sa vie. li s’est dès lors consacré à la maîtrise de la sagesse ancestrale. Il est maintenant devenu un nagual de la lignée des Chevaliers de I’Aigle, voué au partage de sa connaissance des enseignements des anciens Toltèques.
Les Quatre Accords toltèques, Éditions Jouvence, traduit par Olivier Clerc, 1999 (réédition en 2012, et en Poche en 2005), paru également aux Éditions Guy Trédaniel en 2011[1],[3].
la Maîtrise de l’Amour, Éditions Jouvence, traduit par Olivier Clerc, 1999 (réédition en Poche en 2009), paru également aux Éditions Guy Trédaniel en 2011.
Vivre les quatre accords toltèques au quotidien, Éditions Jouvence, 2001 (réédition en 2018).
Pratique de la voie toltèque, Éditions Jouvence, traduit par Olivier Clerc, 2010 (épuisé).
S’ouvrir à l’amour et au bonheur Éditions Jouvence, traduit par Olivier Clerc, 2003 (réédition en 2018).
Au-delà de la peur, Éditions Jouvence, traduit par Olivier Clerc, 2004
Les croyances fondamentales des toltèques, Éditions Jouvence, 2004.
La voix de la connaissance, Éditions Guy Trédaniel, 2009.
Le Cinquième Accord Toltèque, Éditions Guy Trédaniel, traduit par Olivier Clerc, 2010.
Sagesse et magie de la Maîtrise de l’Amour, Éditions Jouvence, 2013.
Sagesse et magie des Quatre Accords Toltèques, Éditions Jouvence, 2014.
L’art de vivre et de mourir des toltèques, Éditions Guy Trédaniel, coécrit avec Barbara Emrys, 2015.
Les trois questions, Éditions Guy Trédaniel, 2018.
La sagesse des chamanes toltèques, Éditions Guy Trédaniel, 2019
La seule et unique raison de ma lecture du livre « Les quatre accords toltèques » repose sur le podcast offert par LE PRÉCEPTEUR (Charles Robin) et consacré à cette œuvre.
Le premier accord toltèque : Que votre parole soit impeccable.
Le deuxième accord toltèque : Quoi qu’il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle.
Le troisième accord toltèque : Ne faites pas de suppositions.
Le quatrième accord toltèque : Faites toujours de votre mieux.
Source : Sommaire, Les quatre accords toltèques, Don Miguel Ruiz, Les éditions Jouvence, Genève, Suisse, 2024, pp. 3-4.
Habituellement, je ne penche pas sur tels livres de développement personnel. Je les remets en cause en donnant la parole à des auteurs et leurs oeuvres critiques de cette discipline:
L’auteur de « Les quatre accords toltèques », Don Miguel Ruiz, donne à son œuvre le sous-titre « La voie de la liberté individuelle », la voie à emprunter pour contrer « Le processus de domestication » qui nous conditionne.
Les humains rêvent en permanence. Avant notre naissance, les humains nous précédant ont créé un grand rêve extérieur que l’on appelle le rêve de la société ou le rêve de la planète. Le rêve de la planète est le rêve collectif résultant des milliards de rêves personnels plus petits qui, ensemble, forment le rêve d’une famille, le rêve dune communauté, le rêve d’une ville, le rêve d’un pays, et finalement le rêve de toute l’humanité. Le rêve de la planète comprend toutes les règles de la société, ses croyances, ses lois, ses religions, ses différentes cultures et modes de vie, ses gouvernements, ses écoles, ses événements sociaux, et ses jours fériés.
Nous naissons avec la capacité d’apprendre comment rêver, et les humains qui nous précèdent nous apprennent à le faire de la façon dont rêve la société. Le rêve de la planète a tellement de règles que lors-qu’un nouvel être humain naît, on capte son attention et on introduit ces règles dans son esprit. Le rêve de la planète se sert de papa et maman, des écoles et de la religion pour nous enseigner comment rêver.
L’attention est la capacité à être sélectif et à se concentrer exclusivement sur ce que l’on veut percevoir. Nous sommes capables de percevoir des millions de choses simultanément, mais en utilisant notre attention, nous pouvons maintenir ce que nous voulons au premier plan de notre conscience. Les adultes qui nous entouraient, lorsque nous étions enfant, ont donc capté notre attention et introduit des informations dans nos esprits par la répétition. C’est ainsi que nous avons appris tout ce que nous savons.
RUIZ, Don Miguel, Les quatre accords toltèques, Le processus de domestication et le rêce de la planète, Les éditions Jouvence, Genève, Suisse, 2024, pp. 23-24.
Nous sommes ainsi privés de « liberté personnelle » par ce conditionnement, cette domestication corps et âme. Mais il ne faut certainement pas oublier que cette liberté personnelle s’inscrit elle-même dans notre conditionnement. Certes, elle peut entrer en conflit avec d’autres composantes de notre conditionnement. C’est là une preuve de notre liberté personnelle, tout comme notre capacité à prendre du recul.
Aussi, il ne faut pas sous-estimer l’apport essentiel de notre conditionnement dans la vie collective au sein de la société, de la Cité. Se libérer de notre conditionnement peut donc nous pousser à vivre dans la marge de la société. Enrayer la machine ne nous servira pas à être libre personnellement.
Enfants, nous n’avons pas eu la possibilité de choisir nos croyances, mais nous avons donné notre accord à l’information qui nous était transmise sur le rêve de la planète. La seule façon de conserver de l’information, c’est d’être d’accord avec elle. Le rêve de la planète peut capter notre attention, mais si nous ne sommes pas d’accord, nous ne retenons pas cette information. Du moment que nous sommes d’accord, nous croyons : c’est ce que l’on appelle la foi. Avoir la foi signifie croire sans conditions.
RUIZ, Don Miguel, Les quatre accords toltèques, Le processus de domestication et le rêce de la planète, Les éditions Jouvence, Genève, Suisse, 2024, p. 26.
Don Miguel Ruiz croit que « La seule façon de conserver de l’information, c’est d’être d’accord avec elle. » C’est faux ! Une information qui nous confronte sera retenue et peut même nous libérer de fausses croyances.
Don Miguel Ruiz va trop loin en soutenant :
Les enfants sont domestiqués comme les chiens, les chats, ou tout autre animal. Pour instruire un chien, on le punit et on le récompense. De manière analogue, nous formons nos enfants, que nous aimons tant, exactement comme on dresserait un animal domestique : par un système de punitions et de récompenses.
RUIZ, Don Miguel, Les quatre accords toltèques, Le processus de domestication et le rêve de la planète, Les éditions Jouvence, Genève, Suisse, 2024, p. 27.
Il ne s’agit pas de « domestiquer » les enfants mais plutôt de les « éduquer ». Le parent aimant ne souhaite pas que son enfant suive ses directives par profit d’une récompense mais par intelligence qui facilitera sa vie dans la société de la famille, puis dans la société scolaire, la société du travail… la société dans son ensemble.
(…) Ayant peur d’être puni et peur de ne pas être récompensé, nous nous sommes mis à prétendre être qui nous n’étions pas, juste pour faire plaisir aux autres, juste pour paraître assez bien à leurs yeux. Nous nous efforcions de faire plaisir à papa et maman, nous voulions plaire aux maîtres d’école, plaire à l’église, alors nous avons commencé à jouer des rôles. Nous prétendions être autre que nous n’étions, par peur d’être rejetés. Cette peur est ensuite devenue celle de ne pas être comme il faut, assez bon. Au bout du compte nous sommes devenus quelqu’un d’autre que nous-mêmes : des copies des croyances de maman, des croyances de papa, des croyances de la société et de la religion.
RUIZ, Don Miguel, Les quatre accords toltèques, Le processus de domestication et le rêce de la planète, Les éditions Jouvence, Genève, Suisse, 2024, p. 28.
On assiste ici à la dérive de l’auteur provoquée par le biais de généralisation à outrance. Si nous jouons des rôles, ce ne certainement pas pour plaire à l’un ou l’autre mais simplement parce que nous cherchons celui qui nous convient le mieux pour le théâtre personnel et social de notre vie, notamment à l’adolescence.
Qui plus est, il n’y a pas de rôle donné par les croyances de maman, les croyances de papa, les croyances de la société et de la religion. Dans une société aussi individualiste que la nôtre, la société occidentale, à chacun son rôle, à chacun de trouver sa place. Nous jouissons d’une liberté personnelle qui ne nous engage plus à choisir le métier de nos pères ou de nos mères.
La domestication est si forte, qu’arrivés à un certain point de notre vie, nous n’avons plus besoin de personne pour nous domestiquer : ni papa et maman, ni l’école ou l’église. Nous sommes si bien dressés que nous devenons nos propres dresseurs. Nous sommes des animaux auto-domestiqués. Nous pouvons désormais nous domestiquer nous-mêmes selon le même système de croyance que l’on nous a inculqué, en utilisant le même processus de punition et de récompense. Nous nous punissons lorsque nous ne respectons pas les règles de notre système de croyances ; nous nous récompensons lorsque nous sommes un gentil garçon ou une gentille fille.
RUIZ, Don Miguel, Les quatre accords toltèques, Le processus de domestication et le rêve de la planète, Les éditions Jouvence, Genève, Suisse, 2024, p. 29.
« Nous sommes des animaux auto-domestiqués. Nous pouvons désormais nous domestiquer nous-mêmes selon le même système de croyance que l’on nous a inculqué » écrit Don Miguel Ruiz. Qu’est-ce que c’est que ça ? Nous voilà donc sans conscience et sans âme, sans moral, sans notion universelle du bien et du mal… Un animal !
4) ARISTOTE : L’ANIMAL RATIONNEL
D. Clerget-Gurnaud
II) L’Homme est un “animal rationnel”
Le projet de fonder la dignité et le privilège humains sur un dualisme métaphysique s’avère donc assez problématique. Ce projet revient à supposer que l’Homme serait certes en partie un animal… mais qu’il ne serait pas que cela. Cachée dans le recoin de son âme gîrait une étincelle divine, source de sa dignité singulière. C’est donc du fait qu’il n’est pas réductible à un animal que l’Homme tirerait son privilège. Mais n’y a-t-il pas une autre façon de justifier ce privilège ? Plutôt que d’affirmer que l’Homme est autre chose qu’un animal, ne serait-il pas plus simple de dire de lui qu’il n’est pas un animal comme les autres ? Telle est la formule d’Aristote. Chez Platon, l’idée que l’Homme est un animal rationnel signifiait la juxtaposition en l’Homme de deux substances hétérogènes : Animal + Raison. Chez Aristote, l’idée que l’Homme est un animal rationnel signifie simplement la relation d’un “genre” (Animal) et d’une “différence spécifique” (la Raison) : L’Homme est entièrement un animal; mais il est un animal d’une certaine espèce, caractérisée par la faculté rationnelle.
Source : D. Clerget-Gurnaud, (4) ARISTOTE : L’ANIMAL RATIONNEL, Cahier de prépa. (PDF)
“L’homme est un animal raisonnable.”
Aristote.
“L’homme se distingue de l’animal en ceci qu’il est doué d’arrière-pensées.”
Antoine Blondin.
Je perçois dans les propos de Don Miguel Ruiz son propre conditionnement en raison de son manque de recul devenu inutile sous la dérive du biais de généralisation à outrance.
« Philosophical Praxis — Origin, Relations, and Legacy »
par Gerd B. Achenbach,
fondateur de la philosophie pratique en 1981.
Ce recueil de textes traduit de l’allemand à l’anglais par Michael Picard est enfin disponible depuis 2024.
Ce livre est LE GUIDE ESSENTIEL de la philosophie pratique.
J’accorde à ce livre cinq étoiles sur cinq.
Pour le bénéfice de nos lecteurs francophones n’ayant pas accès à l’anglais, une traduction en français accompagne le texte original en anglais des extraits et des citations dans cet article.
Merci à Lexington Books (An imprint of The Rowman & Littlefield Punlishing Group, Inc.)
pour la copie de presse qu’il nous ont offert gracieusement !
Texte de présentation sur le site web de l’éditeur
Texte original en anglais
Gerd B. Achenbach’s Philosophical Praxis: Origin, Relations, and Legacy, translated by Michael Picard, offers unique insights into the compelling origin and development of what has been called a renaissance of philosophy: a storied trove of thought steeped in tradition, character, and experience, and redeployed in the service of understanding the individual life. Throughout this book, the author explores Philosophical Praxis not only through the tumultuous history of philosophy, but also through psychology, religion, literature, and more. Achenbach’s tone is subtle, humorous, and constantly surprising, demonstrating his intimacy with an expansive spirit of life and leaving behind the narrowness of academic disciplines. As the founder of Philosophical Praxis, Achenbach dissects the challenges faced in current philosophy and psychology and, in doing so, surpasses academic philosophy to reveal the possibility of a new profession for philosophical practitioners seeking to resist the seductions of theory, methods, or solutions, and personify the seriousness of being human.
L’ouvrage de Gerd B. Achenbach, Philosophical Praxis : Origin, Relations, and Legacy, traduit par Michael Picard, offre un aperçu unique de l’origine et du développement de ce que l’on a appelé une renaissance de la philosophie : un trésor de pensée imprégné de tradition, de caractère et d’expérience, et redéployé au service de la compréhension de la vie de l’individu. Tout au long de cet ouvrage, l’auteur explore la praxis philosophique non seulement à travers l’histoire tumultueuse de la philosophie, mais aussi à travers la psychologie, la religion, la littérature, etc. Le ton d’Achenbach est subtil, humoristique et constamment surprenant, démontrant son intimité avec un esprit de vie expansif et laissant derrière lui l’étroitesse des disciplines académiques. En tant que fondateur de Philosophical Praxis, Achenbach dissèque les défis auxquels sont confrontées la philosophie et la psychologie actuelles et, ce faisant, dépasse la philosophie académique pour révéler la possibilité d’une nouvelle profession pour les praticiens de la philosophie qui cherchent à résister aux séductions de la théorie, des méthodes ou des solutions, et à personnifier le sérieux de l’être humain.
TEXTE EN QUATRIÈME DE COUVERTURE
Texte original en anglais
“This collection of Gerd Achenbach’s most important writings on Philosophical Practice is a much-awaited milestone in the history of this field. It’s been more than forty years since Achenbach baptized Philosophical Practice and gave it a solid philosophical foundation—in German. In all these years, Philosophical Practice expanded worldwide and took many different forms, while Achenbach’s incipit remained obscure to all those who could not read German. Through his excellent translation of Achenbach’s texts into English (an almost impossible task requiring outstanding linguistic and philosophical skills), Michael Picard marks a turning point in this story and makes an invaluable gift to all those interested in and caring for Philosophical Practice.” — Donata Romizi, University of Vienna
“Achenbach at his best. Thoughtful, witty, and steeped in the European philosophical tradition, he takes us along as he reflects on the philosophical impulses underlying philosophical practice, on what needs it addresses, on what mastering it may be and require, and makes a compelling case for why it matters today. This choice selection of essays, long-awaited and masterfully translated, is a must-read for anyone interested in philosophical counseling and in the therapeutic significance of philosophical thinking more generally.” — Raja Rosenhagen, Ashoka University
« Gerd Achenbach is one of the pioneers of philosophical practice. While his reputation precedes him and some of his works have been translated into English, Philosophical Praxis captures Achenbach’s unique, formidable character, philosophy, and spirit. Michael Picard has contributed an excellent service―a labor of love that comes through in his capturing of Achenbach’s style―in making this valuable contribution to philosophical practice available in English. This is a must read for anyone interested in philosophical practice! » — Rick Repetti, Kingsborough Community College
Philosophical Praxis, launched by Gerd B. Achenbach in 1981, ushers in the first alternative to current therapeutic practices, offering unique insights into the compelling origin and development of a renaissance of philosophy.
Gerd B. Archenbach is chairman of the Society of Philosophical Praxis.
Micheal Picard teaches philosophy at Douglas College in Vancouver, Canada.
« Ce recueil des écrits les plus importants de Gerd Achenbach sur la pratique philosophique est un jalon très attendu dans l’histoire de ce domaine. Cela fait plus de quarante ans qu’Achenbach a baptisé la pratique philosophique et lui a donné une base philosophique solide – en allemand. Pendant toutes ces années, la pratique philosophique s’est développée dans le monde entier et a pris de nombreuses formes différentes, tandis que l’incipit d’Achenbach est resté obscur pour tous ceux qui ne savaient pas lire l’allemand. Grâce à son excellente traduction des textes d’Achenbach en anglais (une tâche presque impossible qui exige des compétences linguistiques et philosophiques exceptionnelles), Michael Picard marque un tournant dans cette histoire et fait un cadeau inestimable à tous ceux qui s’intéressent à la pratique philosophique et qui s’en occupent.
— Donata Romizi, Université de Vienne
« Achenbach à son meilleur. Réfléchi, plein d’esprit et imprégné de la tradition philosophique européenne, il nous emmène dans sa réflexion sur les impulsions philosophiques qui sous-tendent la pratique philosophique, sur les besoins auxquels elle répond, sur la maîtrise qu’elle peut être et qu’elle exige, et il explique de manière convaincante pourquoi elle est importante aujourd’hui. Cette sélection d’essais, attendue depuis longtemps et traduite de main de maître, est une lecture incontournable pour tous ceux qui s’intéressent au conseil philosophique et, plus généralement, à la signification thérapeutique de la pensée philosophique.
— Raja Rosenhagen, Université Ashoka
« Gerd Achenbach est l’un des pionniers de la pratique philosophique. Bien que sa réputation le précède et que certains de ses ouvrages aient été traduits en anglais, Philosophical Praxis rend compte du caractère, de la philosophie et de l’esprit uniques et formidables d’Achenbach. Michael Picard a rendu un excellent service – un travail d’amour qui transparaît dans sa façon de saisir le style d’Achenbach – en rendant disponible en anglais cette précieuse contribution à la pratique philosophique. Il s’agit d’une lecture incontournable pour quiconque s’intéresse à la pratique philosophique !
— Rick Repetti, Kingsborough Community College
Philosophical Praxis, lancé par Gerd B. Achenbach en 1981, inaugure la première alternative aux pratiques thérapeutiques actuelles, en offrant un aperçu unique de l’origine fascinante et du développement d’une renaissance de la philosophie.
Gerd B. Archenbach est président de la Society of Philosophical Praxis.
Micheal Picard enseigne la philosophie au Douglas College de Vancouver, au Canada.
Chapter 1: Short Answer to the Question: What Is Philosophical Praxis?
Chapter 2: Philosophical Praxis Boast a Long Tradition, but No Paragon
Chapter 3: Philosophical Praxis Bears the Insignia of Lebenskönnerschaft
Chapter 4: Conversational Mastery
Chapter 5: The Ground-Rule of Philosophical Praxis
Chapter 6: On Beginnings
Chapter 7: Philosophy as a Profession
Chapter 8: Education and Philosophical Praxis: Søren Kierkegaard and the Question of Who Is a Philosophical Practitioner
Chapter 9: Philosophical Praxis and the Virtues
Chapter 10: What Matters? What Is Important in Truth? What Is Crucial in the End? Guiding Perspectives in Philosophical Praxis
Chapter 11: Character and Destiny: Philosophical Praxis Has Much to Learn from Schopenhauer
Chapter 12: Philosophical Praxis as an Alternative to Psychotherapy and Pastoral Care
Bibliography
About the Author and Translator
Traduction en français avec DeepL
Remerciements
Note du traducteur
Préface
Prélude
Chapitre 1 : Brève réponse à la question : Qu’est-ce que la praxis philosophique ?
Chapitre 2 : La praxis philosophique a une longue tradition, mais pas de parangon
Chapitre 3 : La praxis philosophique porte les insignes de la Lebenskönnerschaft (savoir vivre / compétences de vie ?)
Chapitre 4 : La maîtrise de la conversation
Chapitre 5 : La règle de base de la praxis philosophique
Chapitre 6 : Les débuts
Chapitre 7 : La philosophie en tant que profession
Chapitre 8 : Éducation et praxis philosophique : Søren Kierkegaard et la question de savoir qui est un praticien de la philosophie
Chapitre 9 : Praxis philosophique et vertus
Chapitre 10 : Qu’est-ce qui compte ? Qu’est-ce qui est important dans la vérité ? Qu’est-ce qui est crucial à la fin ? Perspectives directrices de la praxis philosophique
Chapitre 11 : Caractère et destin : La praxis philosophique a beaucoup à apprendre de Schopenhauer
Chapitre 12 : La praxis philosophique comme alternative à la psychothérapie et à la pastorale
Bibliographie
A propos de l’auteur et du traducteur
____________
P.S. : le mot « Lebenskönnerschaft » peut se traduire par « savoir vivre » ou « compétences de vie ».
P.S.: Le mot « praxis » peut se traduire par « pratique ».
The last decades have witnessed a renewed interest in the power of philosophy to address everyday problems, on both an individual and a social scale. The outcome has been a theoretical and practical field called “philosophical practice,” an original approach that highlights the timely and perennial need for philosophy. This series aims to bring to the academic public the best reflections that bear on the relation of philosophy to everyday life and to the contemporary world, as grounded in experience or arguments or both. It honors the founders of this innovative field while calling for new ways of empowering philosophy by demonstrating its relevance to individual and social concerns both inside and outside academia. It thus hopes to strengthen philosophy by bringing its potency to the attention of philosophers and scholars from other disciplines, as well as to students and the general public.
Traduction en français avec DeepL
« Les dernières décennies ont été marquées par un regain d’intérêt pour le pouvoir de la philosophie dans la résolution des problèmes quotidiens, tant à l’échelle individuelle que sociale. Il en est résulté un champ théorique et pratique appelé « pratique philosophique », une approche originale qui met en évidence le besoin actuel et permanent de philosophie. Cette série vise à mettre à la disposition du public universitaire les meilleures réflexions qui portent sur la relation de la philosophie à la vie quotidienne et au monde contemporain, qu’elles soient fondées sur l’expérience ou sur des arguments ou les deux. Elle rend hommage aux fondateurs de ce domaine novateur tout en appelant à de nouvelles façons de renforcer la philosophie en démontrant sa pertinence par rapport aux préoccupations individuelles et sociales, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du monde universitaire. Il espère ainsi renforcer la philosophie en attirant l’attention des philosophes et des chercheurs d’autres disciplines, ainsi que des étudiants et du grand public sur son potentiel. »
Many are owed much and teeming thanks for all the aid that has been extended to help this book come to be. As translator, and on behalf of the author, I would like to recognize them all here. Though they cannot all be named, there are a few who must not go unmentioned.
Let me save the greatest debt of thanks for last, but to begin, no small thanks are due to Douglas College, where I work, for twice granting education leave (an academic year of half-time teaching duties), without which this project could not have gotten off the ground. Thanks are especially due to Dean Carla Hotel and VP-Academic Thor J. Borgford for supporting these semi-sabbaticals, as well as to the education leave committee for trusting in me twice. Much work accomplished during these two periods will appear in planned future publications, so that advance thanks for that are already in order.
To Jana Hodges-Kluck of Lexington Books we owe thanks for her stellar combination of patience and pressure. Thanks are certainly also due to Lydia Amir, who, although general editor of Lexington’s book series in Philosophical Practice, performed something closer to angel-overseer duties. A squad of Douglas College librarians, seemingly ever-ready to help, tracked down references, located existing English translations, painstakingly sought and got permissions to reprint this or that snippet, beleaguered neigh- boring universities with interlibrary loan requests, and more than once stayed open late a few minutes so I could get there to borrow a book. The tireless scholarly communications librarian, Gretchen Goertz; at interlibrary loans, the resourceful Christine Fojas; the persistent associate director of learning resources, Katherine E. Shipley; along with others at Douglas College libraries (e.g., Jacquie Ticknor and Rob Leeson-Stotesbury): all are very well aware of how I have overtaxed and overworked them these past few years, and strangely don’t seem to mind.
Special thanks are due to the poet Robert Gernhardt for his poem, Immer, which appears in translation in chapter 10, and also to his publishers, S. Fischer Verlag, for permission to publish that translation here, which, though lightly-amended, is due to Johannes Litger, whom we also thank.
For permission to print the chapter epigraphs, we are grateful to:
The Revue de Théologie et de Philosophie, for a translation of a line from an article by Paul Ricœur from “Philosophie après Kierkegaard”;
Efforts—unfortunately unsuccessful—were made over the course of several months to obtain permission to use as chapter epigraph my own translation of a quotation from a publication by Hartmut von Hentig.
Thanks and perhaps an appeal for pardon are due to my family: my beloved wife, Nilu Nemati, and my long-lost and late-returned son, Arya Nemati Zardalo, who bore my extended absences while my head was in a thesaurus. I thank them for their patience and for their presence.
I have left till last the greatest debt of gratitude we owe. No one did more to make this book not only come to be, but come to be as good as it could be, than did Laura V. Adrian. A resourceful go-between for both author and translator, but also a substantial presence in all our meetings and on every resulting page, Laura richly deserves the book’s dedication and a share in its fate.
____________
P.S.: The link are added by us – Les liens sont ajoutés par nous
Traduction en français avec DeepL
Nombreux sont ceux qui doivent être remerciés pour toute l’aide qu’ils ont apportée à la réalisation de ce livre. En tant que traducteur et au nom de l’auteur, j’aimerais les remercier tous ici. Bien qu’il soit impossible de les nommer tous, il y en a quelques-uns qui ne doivent pas passer inaperçus.
Permettez-moi de garder le plus grand remerciement pour la fin, mais pour commencer, je tiens à remercier le Douglas College, où je travaille, qui m’a accordé à deux reprises un congé d’études (une année académique d’enseignement à mi-temps), sans lequel ce projet n’aurait pas pu voir le jour. Je remercie tout particulièrement la doyenne Carla Hotel et le vice-président académique Thor J. Borgford pour leur soutien à ces congés semi-sabbatiques, ainsi que le comité des congés d’études pour m’avoir fait confiance à deux reprises. Une grande partie du travail accompli au cours de ces deux périodes figurera dans les futures publications prévues, et il convient donc de les remercier d’ores et déjà.
Nous devons remercier Jana Hodges-Kluck, de Lexington Books, pour son excellente combinaison de patience et de pression. Nous remercions également Lydia Amir, qui, bien que rédactrice en chef de la série de livres de Lexington sur la pratique philosophique, a exercé des fonctions plus proches de celles d’un ange surveillant. Une escouade de bibliothécaires du Douglas College, apparemment toujours prêts à aider, a recherché des références, localisé des traductions anglaises existantes, cherché et obtenu laborieusement les autorisations de réimprimer tel ou tel extrait, harcelé les universités voisines avec des demandes de prêt entre bibliothèques et, plus d’une fois, est restée ouverte quelques minutes de plus pour que je puisse emprunter un livre. L’infatigable bibliothécaire chargée des communications savantes, Gretchen Goertz ; la débrouillarde Christine Fojas, chargée des prêts entre bibliothèques ; la tenace directrice adjointe des ressources pédagogiques, Katherine E. Shipley ; ainsi que d’autres personnes des bibliothèques du Douglas College (par exemple Jacquie Ticknor et Rob Leeson-Stotesbury) : tous sont parfaitement conscients de la façon dont je les ai surchargés de travail et de travail ces dernières années, et, étrangement, ne semblent pas s’en préoccuper.
Nous remercions tout particulièrement le poète Robert Gernhardt pour son poème Immer, dont la traduction figure au chapitre 10, ainsi que son éditeur, S. Fischer Verlag, pour avoir autorisé la publication de cette traduction, qui, bien que légèrement modifiée, est due à Johannes Litger, que nous remercions également.
Pour l’autorisation d’imprimer les épigraphes des chapitres, nous sommes reconnaissants à :
The Revue de Théologie et de Philosophie, for a translation of a line from an article by Paul Ricœur from “Philosophie après Kierkegaard”;
Standford University Press, for use of Adrian Del Caro’s translation of a line by Friedrich Nietzsche;
Reclam, for a quotation I translated from Odo Marquard’s Der Einzelne. Vorlesungen zur Existenzphilosophie;
Christopher Janaway and Cambridge University Press, for a quotation from the translation by Judith Norman, Alistair Welchman, and Christopher Janaway of volume 1 of Arthur Schopenhauer’s The World as Will and Representation;
Henry W. Pickford, for permission to quote from his translation of Adorno’s Critical Models: Interventions and Catchwords;
Polity Books, for permission to quote from Wieland Hoban’s translation of Peter Sloterdijk’s God’s Zeal: The Battle of the Three Monotheisms;
Frederick Ungar, for a quotation from the Walter D. Morris translation of Thomas Mann’s, Reflections of a Nonpolitical Man;
Princeton University Press, for a quotation from the David F. Swenson and Lillian Marvin Swenson translation of volume 1 of Søren Kierkegaard’s Either-Or.
Des efforts—malheureusement infructueux—ont été déployés pendant plusieurs mois afin d’obtenir l’autorisation d’utiliser, en guise d’épigraphe de chapitre, ma propre traduction d’une citation tirée d’une publication de Hartmut von Hentig.
Des remerciements, voire une demande de pardon, sont sans doute dus à ma famille : ma chère épouse, Nilu Nemati, et mon fils longtemps perdu puis tardivement retrouvé, Arya Nemati Zardalo, qui ont supporté mes longues absences alors que mon esprit était plongé dans un thésaurus. Je les remercie pour leur patience et leur présence.
J’ai gardé pour la fin la plus grande dette de gratitude qui nous incombe. Nul n’a fait davantage pour que ce livre non seulement voie le jour, mais atteigne toute la qualité dont il était capable, que Laura V. Adrian. À la fois intermédiaire ingénieuse entre l’auteur et le traducteur et présence essentielle à chacune de nos rencontres et sur chaque page de ce livre, Laura mérite amplement la dédicace qui lui est adressée ainsi qu’une part de son destin.
Preface
Texte original en anglais
To ‘Upper America’—as I would like to call the northern half of the American continent—belongs the honor in the last century of having originated, within the wide, perhaps over-extended terrain of the schools of psychotherapy, certain essential inspirations and innovations which were later taken up in Europe and adapted to the old European way. This is not to deny that Vienna (above all) and Switzerland are the birthplace of the original forms of all later therapies—Freud’s psychoanalysis, C. G. Jung’s analytical psychology, and Adler’s individual psychology. Significant further developments from this triple root then spread to North America; it is enough to recall the innumerable variants of so-called “humanistic psychology.”
And now it looks as if this back-and-forth inter-continental movement is swinging back again. This time it is the renewal of the practice of philosophy, which in 1981 I called into being as Philosophical Praxis1 in Germany, but which very quickly gained a foothold in the neighboring European countries—first of all in Austria and the Netherlands—and then very soon spread from the old continent across the pond into the ‘New World.’ There it gained attention and recognition in its own right, first in Vancouver, Canada (where in 1994 the First International Congress for Philosophical Practice2 took place at the University of British Columbia), and then shortly thereafter in New York by Lou Marinoff,3 who in 1999 wrote Plato, Not Prozac! Applying Philosophy to Everyday Problems. Thanks in no small part to English being the current lingua franca, this in turn bolstered the presence of Philosophical Praxis worldwide.
It is therefore all the more urgent to make a small selection of writings available in the language now advanced to a near universal idiom—texts that, while founding Philosophical Praxis, initiated a revival of the oldest philosophical impulses. The significance of this latest rebirth of philosophy out of the spirit of its original endeavor to create an exemplary form of life—as understood in antiquity and made contemporary by Pierre Hadot4 and Michel Foucault5—is by no means limited to a mere return in practical terms to the original mission and aspiration of philosophy. Rather, the proper task of this new configuration of philosophy is to establish itself as the first real alternative to ‘therapy-culture.’ Those who might hitherto have gone into therapy will more and more turn to the philosopher-practitioner in their distress. Thus, the practice of philosophy, for the first time ever, opens up the possibility of establishing itself as a proper profession.
From amongst my publications6 devoted to this rebirth of philosophy, or intellectually paving the way for it, I have endeavored to select pieces that would offer philosophically interested people in the Anglo-American world some insight into this pioneering project. And now I am sending these texts, accompanied by friendly greetings, to the Western continent, from which the call to Philosophical Praxis may go out to all parts of the world.
However, I must not hand over the typescript of this book without expressly thanking three people.
First and foremost, to my friend—and companion since we met at the International Congress of Philosophical Praxis in Mexico—Michael Picard, the philosophical practitioner and professor of philosophy at Douglas College in Vancouver, who devoted himself with never-flagging love and veritably angelic patience to the extraordinarily daunting task of translating the texts collected here into subtly tempered English of equal rank. This required not only an extremely sensitive knowledge of the language, but at the same time also confronted him as translator with the almost insurmountable task of bridging—if at all possible, even partially overcoming—the peculiar gulf that separates Anglo-American cultural space and understanding from that of continental Europe. Such a task could hardly be accomplished by even a Hermes. Secondly—and in the same breath, so to speak—my heartfelt thanks go to my wife, Laura V. Adrian, who has been equally tireless in her support of Michael during this months-long translation marathon. In countless meetings, most of which lasted many hours, they jointly wrangled to determine the best rendering in each case. Thanks to her extraordinary expertise in Philosophical Praxis, as well as her truly sublime sense of language, she was called upon to do this as no one else could have.
Last but not least, we would all like to thank our American-Israeli colleague Professor Lydia Amir, both generally for her unparalleled contributions to Philosophical Practice—with worldwide impact—but also particularly for her editorship of this Lexington Books series in Philosophical Practice, which this book, but for unavoidable delays, was to inaugurate.
5 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, vol. 1: La volonté de savoir, 1976, vol. 2: L’usage des plaisirs, 1984, and especially vol. 3: Le souci de soi, 1984. These volumes appeared respectively in English (translated by Robert Hurley) as: The History of Sexuality (New York: Vintage, 1980); The Use of Pleasure (Vintage, 1985); Care of the Self (Vintage, 1986). See the bibliography for full details.
6 Gerd B. Achenbach, Philosophische Praxis (Köln: Verlag für Philosophie/Dinter, 1984, 2nd ed., 1987); with T. H. Macho, Das Prinzip Heilung (Köln: Verlag für Philosophie/Dinter, 1985); Das kleine Buch der inneren Ruhe (Freiburg: Herder, 2000; rev. and exp., 2016); Lebenskönnerschaft (Freiburg: Herder, 2001; Köln: Dinter, 2010); Vom Richtigen im Falschen (Freiburg: Herder, 2003; Köln: Dinter, 2014); Zur Einführung der Philosophischen Praxis (Köln: Dinter, 2010); On Right in Wrong. Trans. by Michael Picard (Lanham, MD: Lexington Books, forthcoming). See the bibliography for full details.
Traduction en français avec DeepL et ChatGPT
C’est à la « Haute Amérique » – comme j’aimerais appeler la moitié nord du continent américain – que revient l’honneur d’avoir été à l’origine, au siècle dernier, sur le vaste terrain, peut-être trop étendu, des écoles de psychothérapie, de certaines inspirations et innovations essentielles qui ont été reprises plus tard en Europe et adaptées à l’ancienne manière européenne. Il ne s’agit pas de nier que c’est à Vienne (surtout) et en Suisse que sont nées les formes originales de toutes les thérapies ultérieures – la psychanalyse de Freud, la psychologie analytique de C. G. Jung et la psychologie individuelle d’Adler. Des développements significatifs de cette triple racine se sont ensuite répandus en Amérique du Nord ; il suffit de rappeler les innombrables variantes de ce que l’on appelle la « psychologie humaniste ».
Or, il semble que ce mouvement intercontinental de va-et-vient soit en train de repartir dans l’autre sens. Cette fois, il s’agit du renouveau de la pratique de la philosophie, que j’ai instaurée en 1981 en Allemagne sous le nom de Praxis philosophique. Celle-ci s’est rapidement implantée dans les pays européens voisins—d’abord en Autriche et aux Pays-Bas—avant de traverser l’Atlantique pour gagner le « Nouveau Monde ». Elle y a suscité attention et reconnaissance, d’abord à Vancouver, au Canada (où s’est tenu en 1994 le premier Congrès international de pratique philosophique à l’Université de la Colombie-Britannique), puis peu après à New York, grâce à Lou Marinoff, qui publia en 1999 Plato, Not Prozac! Applying Philosophy to Everyday Problems. Grâce, en grande partie, au fait que l’anglais est aujourd’hui la lingua franca, cet essor a contribué à la diffusion mondiale de la Praxis philosophique.
Il devient donc d’autant plus urgent de rendre disponible une sélection de textes dans cette langue qui tend désormais à s’imposer comme un idiome quasi universel—des textes qui, tout en fondant la Praxis philosophique, ont initié une renaissance des plus anciennes impulsions philosophiques. L’importance de cette dernière renaissance de la philosophie, conçue comme un art de vivre exemplaire—ainsi qu’elle était comprise dans l’Antiquité et que Pierre Hadot et Michel Foucault l’ont réactualisée—ne se limite en aucun cas à un simple retour aux aspirations originelles de la philosophie sous une forme pratique. La véritable mission de cette nouvelle configuration philosophique est plutôt de s’établir comme la première véritable alternative à la « culture thérapeutique ». Ceux qui, jusqu’ici, se seraient tournés vers la thérapie se tourneront de plus en plus vers le praticien-philosophe dans leur détresse. Ainsi, la pratique de la philosophie ouvre, pour la première fois, la possibilité de se constituer en véritable profession.
Parmi mes publications consacrées à cette renaissance philosophique, ou intellectuellement préparatoires à celle-ci, j’ai tenté de sélectionner des écrits susceptibles d’offrir aux esprits philosophiquement curieux du monde anglo-américain un aperçu de ce projet novateur. Et c’est ainsi que j’envoie aujourd’hui ces textes, accompagnés de salutations amicales, vers le continent occidental, d’où l’appel à la Praxis philosophique pourra se propager aux quatre coins du monde.
Cependant, je ne saurais remettre le manuscrit de ce livre sans exprimer ma gratitude envers trois personnes.
En tout premier lieu, à mon ami et compagnon de route depuis notre rencontre au Congrès international de pratique philosophique au Mexique, Michael Picard, praticien-philosophe et professeur de philosophie au Douglas College de Vancouver. Il s’est consacré avec un amour inlassable et une patience quasi angélique à la tâche redoutable de traduire ces textes dans un anglais finement nuancé et d’égale dignité. Cela exigeait non seulement une connaissance extrêmement sensible de la langue, mais aussi d’affronter le défi quasi insurmontable de combler—ou du moins d’atténuer—le gouffre singulier qui sépare l’espace culturel et intellectuel anglo-américain de celui de l’Europe continentale. Une tâche qu’à peine même un Hermès aurait pu accomplir.
Ensuite—et dans le même souffle, pour ainsi dire—mes plus sincères remerciements vont à mon épouse, Laura V. Adrian, qui a tout autant soutenu Michael au cours de ce marathon de traduction de plusieurs mois. À travers d’innombrables séances de travail, souvent longues de plusieurs heures, ils ont lutté ensemble pour déterminer la meilleure formulation en chaque cas. Grâce à son expertise exceptionnelle en Praxis philosophique ainsi qu’à son sens véritablement sublime de la langue, elle était la personne toute désignée pour ce rôle.
Enfin, nous souhaitons tous exprimer notre gratitude à notre collègue américano-israélienne, la professeure Lydia Amir, tant pour sa contribution inégalée à la pratique philosophique—dont l’impact est mondial—que pour son rôle particulier de directrice de cette collection en Praxis philosophique chez Lexington Books, laquelle devait être inaugurée par cet ouvrage, n’eussent été des retards inévitables.
Prelude
Texte original en anglais
With dubious persistence, voices here and there are raised calling for a ‘theory of Philosophical Praxis.’ And I have made a habit of ignoring such voices with equal and opposite persistence. For what should we say to them, if pre-educated people—nota bene: their pre-education is their problem1—if scientifically trained people think that they cannot know what Philosophical Praxis is until they are in possession of a ‘theory’ of it? These unfortunate friends of theory are like those who find themselves in a most beautiful land- scape, take a look around, then declare that they see nothing because they possess no map of it.
Perhaps we do yet better to construe such persistence as the contemporary rule over our minds of the algorithm, if indeed its reign has not already been instituted within them. Thereunder it holds true: one ‘understands’ only in knowing the schema according to which processes run. We can do no better than the telling analogy of process engineering.
Yet I feel like asking those askers: have any of you who demand a ‘theory’ of Philosophical Praxis ever heard tell of a ‘theory of philosophy’? Unlikely, I should think. Still, it is possible—after all, one does read all sorts of things! In that case, the one who poses the question (and—even more so—the one who is subjected to it) would do us all a favor by leaving such ‘contributions to research’ on the dusty library shelves where they may be abandoned without causing any harm.
No—in the spheres of philosophy the contrary has always held true: the philosopher thinks and at the same time bethinks his thinking and even, within his thinking, the very possibility of thinking as such. Thus not only has he no need of the well-worn rut that keeps the theory-driven man in his predetermined path; on the contrary, such constraints would lie upon him as a yoke, and he would feel as if bound in fetters by the head and limbs. Let us not shy away from one of the leading ideas of the philosophical tradition: whereas others fancy themselves safe and secure at the end of the leash of a chosen theory, the philosopher suffers from the loss of that freedom, without which thinking wastes itself away in mere correctness until it degenerates at last into dull routine, and finally dies.
In order to forestall a widespread misunderstanding: the responsibility of the philosopher is not only, possibly not even primarily, to what he ‘thinks’ but instead to rethink, to become thoughtful, or—to resort to quaint old terms—to become judicious. Under this mandate, wherever possible, he rescues thoughts trapped under rubble, and pries open new springs of dried-up thinking, that they may once again begin to flow.
What’s more: taken in its widest scope, such thinking is not a ring-fenced nature park in which the philosopher would let himself be confined. On the contrary: he feels; senses; looks; detects; suspects; sees coming; distrusts and believes; fears, trembles and hopes; remembers the forgotten; calls attention to the overlooked; insists where others are ‘already further along’; irritates the questions whose answers are already known; keeps calm when the armies march; makes a fuss where others look aside—in sum: he lives, and it does not elude him that, or how, he lives. That is his base, that is where he gathers experiences. But here I break off, though clearly enough this list could be extended ad libitum.
Only one more point to be noted at this juncture: the domain of philosophy is no longer that of ‘knowledge’ [Wissens]—or, as one would say today to preserve generality, ‘putative’ knowledge. It is this that accounts for why it no longer misconceives itself as sister to the sciences, but rather is to be found in the neighborhood of the arts, of music, and of a literature that in its own way aspires to be knowledge [Erkenntnis].
So, instead of glorying in conquests within the narrow, stipulatory quarters of Knowledge,2 a philosophy that must stand the test of practice, in which the figure of the philosopher-practitioner attends to the cares and needs of the people who turn to us—such a philosophy at least comes down to deliberate bearing, learned kindness,3 and a self-wrought constitution; in other words: to being granted entry into the realm of education where we can come to be at home, as well in the here-and-now as in past ages.
What this means in relation to the guest in our practice is that we are challenged to do what the typical academically refined seminar graduate is least able to do. Even as Orpheus once followed his Eurydice, so too the philosophical practitioner must find his way to, and then within, the world in which his guest has entangled himself, or has been entangled, and in which he endures, hoping for a way out.
There we find him and take him with us to where doors are open to him, if he dares to go with us and is able to do so. So we ourselves become for him what, according to Schopenhauer’s deeply thought image, Death is to every rigorous, non-indulgent philosophizing: namely, Apollo Musagetes, Apollo as Leader of the Muses. He, however, does not lead us down into the lightless realm of shadows, but awakens us as one and guides us up into the well-woven vivifying spirit realm, which awaits and now warmly welcomes and receives the philosophers.
What, finally, will I then say, if there continues to be a demand for a ‘theory of Philosophical Praxis,’ as can be assumed with sad certainty?
I will say: The reply must be efforts toward a philosophy of Philosophical Praxis, the pieces of which are nothing but essays (in the literal sense) put together to form a polyphonic fugue.
It may also be said, however, that the essays I gather here are harvest bounty, as they certainly did not fall by chance to one who over a period of forty years labored to harrow, sow, and reap, which has been both an honor and a limitation. The individual—to speak exactly, the unique—preconditions that I as a particular being bring forward have bathed the newly opened terrain in a light, the color of which is completely tempered personally. This rules out that any training in theory could suffice for a subordinate practice, or for the creation of application-oriented methods as a helping hand to zealous ‘practitioners.’
At the same time, the texts in this book are so many contributions to a conversation that has already been going on for decades, first in the form of a series of colloquia organized with international participation by the Gesellschaft für Philosophische Praxis founded in 1982 in Bergisch Gladbach;4 but then above all in the ever-expanding context of the (so far) seventeen international congresses on Philosophical Praxis.5
It was to be expected that straight away—as per usual: as soon as academics meet on the public scene—‘trends’ emerged, in the worst case even so-called ‘schools,’ which may offer a certain identity-insurance to those who find shelter there, even if a truly independent, self-responsible, especially philosophically imbued thinking has always eschewed such comforts.6
With fitting seriousness, however, it ought at least to be noted that Philosophical Praxis is attracting attention in seemingly philosophically distant but practically engaged, scientifically ambitious circles; for instance, when it comes to providing a ‘philosophical foundation’ for the ‘counseling professions’7 or entering into conversation with psychotherapeutically oriented practitioners.8
Most significantly, however, the importance of Philosophical Praxis is now increasingly being perceived in medical circles, where doubts about the ‘scientific turn’ that occurred in the nineteenth century are emerging and, in the wake of this, a renewed insistent interest in philosophy in practical terms is emerging.9
It remains to be seen to what extent Philosophical Praxis will succeed in being taken up with prestige at high schools—as is already the case at numerous universities worldwide,10 though so far not yet in its ‘home country.’
The conviction may even be argued for: however much Philosophical Praxis has to learn from academic philosophy, there is very likely far more that university-established philosophy has to learn to its own benefit from the experiences in Philosophical Praxis, if only it opens itself to them. Undoubtedly there are already plenty of confidence-building examples. For it suffices only to recall Montaigne, Pascal, Spinoza, Schopenhauer, Kierkegaard, and Nietzsche, to show that the fire of philosophy often first blazed outside the walled-in academy before advancing as a revitalizing force into the well-kept fortress of higher learning.
And it is the spirit that scales all walls.
From Vienna, May 2023
____________
NOTES
1 Pre-education—Vorbildung; pre-educated—vorgebildete. This mocking concept ought to be understood over against the central role in Achenbach (and in this book) of Bildung (education, culture, self-formation); see especially chapter 8, notes 3, 8 and 30–33. The notion may also be profitably juxtaposed with Vorbild, the paragon, standard-bearer or role model, the existence of which for the philosophical practitio- ner Achenbach denies (as for example in the very title of chapter 2).
2 Narrow, stipulatory quarters of Knowledge—ausbedungenen Wissensquartieren.
3 Kindness—Gesonnenheit. An Achenbach construction derived from the expression, “wohl gesonnnen,” meaning well-disposed. It is a benevolent solicitude toward a situated individual. “Self-wrought constitution” is “erlangte Verfassung.”
4 See the documentation of the early years in the Kleine Chronik der Philosophische Praxis, 1981–1995, which is available online at https://www.achenbach-pp.de.
5 In Vancouver (1994), Leusden/Netherlands (1996), New York (1997), Bergisch Gladbach (1998), Oxford (1999), Oslo (2001), Copenhagen (2004), Seville (2006), Carloforte/Italy (2008), Leusden (2010), Chuncheon/Korea (2012), Athens (2013), Belgrade (2014), Bern (2016), Mexico City (1018), Petersburg (2021), and Timisoara/ Romania (2023); see the website at https://icpp.site/.
6 Donata Domizi, Philosophische Praxis. Eine Standortbestimmung, Information Philosophie, Heft 4 (2019), 86–94.
7 See, for example: Luitgard Brem-Gräser, Handbuch der Beratung für helfende Berufe, 3 vols. (Munich-Basel: 1993), most notably volume 1, pages 121–131.
8 See psycho-logik. Jahrbuch für Psychotherapie, Philosophie und Kultur. Pub- lished since 2006 in Freiburg-München by Karl Alber Verlag.
9 A representative selection: Klaus Dörner, Der gute Arzt. Lehrbuch der ärztli- chen Grundhaltung, 2nd ed. (Stuttgart: Schattauer, 2003), therein especially: Sorge um mich selbst. / Das gute Leben / Medizin als Philosophie / Philosophische Grundhaltung des Arztes. But see also the volumes edited by Giovanni Maio, Auf den Menschen hören. Für eine Kultur der Aufmerksamkeit in der Medizin (Freiburg- Basel-Vienna: Herder, 2017) and Vertrauen in der Medizin. Annäherungen an ein Grundphänomen menschlicher Existenz (Freiburg-Basel-Vienna: Herder, 2023). One may also consult G. B. Achenbach, “Aussichten auf ein Ende des kalten Krieges im Reich der Medizin. Philosophisches Plädoyer für eine praktische Weisheit, die den Streit der Theorien schlichtet,” in Patientenorientierung und Professionalität, edited by Peter F. Matthiessen, 2nd expanded ed. (Bad Homburg: Verlag Akademishe Schriften, 2011); and G. B. Achenbach, “Der Patient und sein Arzt,” in Ärztekammer Nordrhein: Kommunikation, 117. Deutscher Ärztetag (Düsseldorf: 2014), 67–92.
10 Thus, among others, in the University of Tokyo, Kyungpool National Uni- versity, Korea Counseling Graduate University, Catholic University of Portugal, Ca’Foscari University for Venice, University of Roma 3, Université de Liège, Uni- versity of Vienna, Timisoara University/Romania, Institute of Psycoanalysis/Russia, Milkwaukee School of Engineering/USA, Universidad Vasco de Quiroga/Mexico, National University of Buenos Aires, Universidad de Chile, and University of the State of Rio de Janeiro. (List incomplete.)
Traduction de l’anglais au français avec ChatGPT
Avec une persistance douteuse, des voix s’élèvent ici et là pour réclamer une « théorie de la Praxis philosophique ». Et j’ai pris l’habitude d’ignorer ces voix avec une persistance tout aussi résolue. Que devrions-nous leur répondre, si des personnes préformées—nota bene : leur préformation est leur problème—si des personnes formées scientifiquement estiment qu’elles ne peuvent savoir ce qu’est la Praxis philosophique tant qu’elles ne disposent pas d’une « théorie » à son sujet ? Ces malheureux amis de la théorie ressemblent à ceux qui, se trouvant dans un paysage des plus magnifiques, regardent autour d’eux et déclarent ne rien voir parce qu’ils ne possèdent aucune carte du lieu.
Peut-être vaut-il mieux encore interpréter une telle persistance comme le signe de la domination contemporaine de l’algorithme sur nos esprits, si tant est que son règne n’y soit pas déjà établi. Selon cette logique, on ne « comprend » qu’en connaissant le schéma selon lequel les processus s’exécutent. Nous ne saurions trouver meilleure analogie que celle de l’ingénierie des processus.
J’ai pourtant envie de demander à ceux qui réclament une « théorie » de la Praxis philosophique : l’un d’entre vous a-t-il jamais entendu parler d’une « théorie de la philosophie » ? J’en doute fort. Il se peut, bien sûr—après tout, on lit de tout ! Mais dans ce cas, celui qui pose la question (et—plus encore—celui qui en est la cible) nous rendrait à tous service en laissant ces « contributions à la recherche » sur les rayonnages poussiéreux des bibliothèques, où elles peuvent être abandonnées sans causer le moindre dommage.
Non—dans le domaine de la philosophie, c’est l’inverse qui a toujours prévalu : le philosophe pense et, en même temps, réfléchit à sa pensée et même, dans sa pensée, à la possibilité même de penser. Ainsi, non seulement il n’a nul besoin de l’ornière qui maintient l’homme obsédé par la théorie sur son chemin prédéterminé, mais, bien au contraire, un tel carcan serait pour lui un joug, une entrave qui le lierait tête et membres. N’hésitons pas à rappeler l’une des idées directrices de la tradition philosophique : tandis que d’autres se croient en sécurité, attachés à la laisse d’une théorie choisie, le philosophe souffre de la perte de cette liberté, sans laquelle la pensée se réduit à une simple conformité jusqu’à dégénérer en routine stérile, puis s’éteindre.
Afin de prévenir tout malentendu répandu : la responsabilité du philosophe ne réside pas uniquement, et peut-être même pas principalement, dans ce qu’il « pense », mais dans sa capacité à repenser, à devenir réfléchi, ou—pour reprendre d’anciens termes devenus rares—à faire preuve de jugement. Sous cette exigence, il secourt, chaque fois que possible, les pensées ensevelies sous les décombres, et rouvre de nouvelles sources de pensée taries, afin qu’elles recommencent à couler.
Mieux encore : pris dans son acception la plus large, un tel penser n’est pas un parc naturel délimité dans lequel le philosophe se laisserait enfermer. Au contraire, il ressent ; il perçoit ; il observe ; il détecte ; il soupçonne ; il anticipe ; il se méfie et il croit ; il craint, tremble et espère ; il se souvient de l’oublié ; attire l’attention sur ce qui a été négligé ; insiste là où d’autres « sont déjà plus loin » ; perturbe les questions dont les réponses sont déjà établies ; garde son calme quand les armées marchent ; fait du bruit là où d’autres détournent le regard—en somme : il vit, et il ne lui échappe ni le fait qu’il vit, ni la manière dont il vit. Voilà son socle, c’est là qu’il puise son expérience. Mais je m’arrêterai ici, bien que cette liste puisse manifestement être poursuivie ad libitum.
Une dernière remarque s’impose cependant à ce stade : le domaine de la philosophie ne relève plus de la « connaissance » (Wissen)—ou, pour parler en termes contemporains plus généraux, de la « pseudo-connaissance ». C’est précisément pour cette raison qu’elle ne se méprend plus elle-même comme une sœur des sciences, mais qu’elle se situe désormais dans le voisinage des arts, de la musique et d’une littérature qui, à sa manière, aspire à être une forme de connaissance (Erkenntnis).
Ainsi, au lieu de s’enorgueillir de conquêtes dans l’étroite enceinte de la Connaissance, une philosophie qui doit faire ses preuves dans la pratique, où le praticien-philosophe s’occupe des préoccupations et des besoins de ceux qui viennent à lui, repose au moins sur une posture délibérée, une bienveillance cultivée et une constitution forgée par soi-même ; en d’autres termes : sur une entrée accordée dans le domaine de l’éducation, où l’on peut véritablement se sentir chez soi, autant dans le présent que dans les âges passés.
Appliqué à l’invité de notre pratique, cela signifie que nous sommes mis au défi d’accomplir ce dont le diplômé académique raffiné est le moins capable. Tout comme Orphée suivait jadis son Eurydice, le praticien-philosophe doit, lui aussi, retrouver le chemin du monde dans lequel son invité s’est embourbé, ou a été embourbé, et dans lequel il demeure, espérant une issue.
C’est là que nous le trouvons et l’emmenons vers un lieu où des portes lui sont ouvertes, s’il ose nous suivre et s’il en est capable. Ainsi, nous devenons pour lui ce que, selon l’image profondément méditée de Schopenhauer, la Mort est pour tout philosophe rigoureux et intransigeant : à savoir, Apollon Musagète, Apollon chef des Muses. Cependant, celui-ci ne nous mène pas vers l’obscur royaume des ombres, mais nous éveille un à un et nous guide vers le lumineux royaume de l’esprit vivifiant, qui attend les philosophes et les accueille chaleureusement.
Que dirai-je enfin, si la demande d’une « théorie de la Praxis philosophique » persiste, comme on peut tristement le présumer ?
Je dirai : La réponse doit être un effort vers une philosophie de la Praxis philosophique, dont les fragments ne sont rien d’autre que des essais (au sens propre du terme) formant ensemble une fugue polyphonique.
On peut également dire que les essais que je rassemble ici sont le fruit d’une récolte, puisqu’ils ne sont certainement pas tombés par hasard entre les mains de celui qui, pendant quarante ans, a labouré, semé et moissonné—ce qui a été à la fois un honneur et une contrainte. Les conditions individuelles—ou, pour être exact, uniques—que j’apporte en tant qu’être singulier ont baigné ce terrain nouvellement ouvert d’une lumière dont la teinte est entièrement marquée par ma personne. Cela exclut qu’une formation théorique puisse suffire à une pratique subordonnée ou à la création de méthodes applicatives mises à la disposition de praticiens zélés.
En même temps, les textes de ce livre constituent autant de contributions à une conversation qui dure depuis des décennies, d’abord sous la forme d’une série de colloques internationaux organisés par la Gesellschaft für Philosophische Praxis, fondée en 1982 à Bergisch Gladbach ; puis, surtout, dans le cadre toujours plus large des dix-sept congrès internationaux (jusqu’à présent) sur la Praxis philosophique.
Il était à prévoir que, dès l’instant où des universitaires se rencontrent sur la scène publique, des « tendances » émergent, voire, dans le pire des cas, des « écoles », offrant un certain refuge identitaire à ceux qui s’y abritent, même si une pensée véritablement indépendante, responsable et surtout philosophique a toujours fui ces conforts.
Cependant, il convient au moins de noter avec le sérieux approprié que la Praxis philosophique attire l’attention de cercles a priori éloignés de la philosophie, mais engagés dans la pratique et ambitieux scientifiquement.
Et c’est bien l’esprit qui franchit tous les murs.
Vienne, mai 2023
Chapter 1
Texte original en anglais
Short Answer to the Question: What Is Philosophical Praxis?
One must make something new to see anything new.
—Lichtenberg1
I started the world’s first Philosophical Praxis in 1981,2 and coined the term that same year.3 In 1982 the Society for Philosophical Praxis was instituted in Bergisch Gladbach near Cologne; later it became the international umbrella organization for numerous national societies. So much for the institutional part. Now for the question: What, in short, is Philosophical Praxis?
The philosophical life-counseling that takes place in Philosophical Praxis establishes itself as an alternative to psychotherapies. It is an adaptation for those who, tormented by their sorrows or problems, and unable to ‘come to terms’ with their lives, find themselves somehow ‘stuck.’ Philosophical Praxis is for people beset by life-questions that they can neither solve nor get rid of, or for those who are able to prove themselves equal to everyday life, but nevertheless feel ‘under-burdened,’ perhaps because they suspect that their reality does not correspond to their potential. Others turn to Philosophical Praxis when they are not satisfied merely to exist or muddle through, but demand instead to examine their life, to see clearly its contours, its whence and why and whither-to.
Their need is often simply to reflect on the unique circumstances, the peculiar entanglements, and the often oddly ambiguous course of our lives. Briefly put, people seek out practicing philosophers because they want to understand and to be understood. They almost never arrive with the Kantian question “What ought I do?”4 but rather with the question of Montaigne, which runs: “What am I doing?”5 Perhaps in the background, operative as an insight, lurks that most ancient philosophical wisdom—namely the maxim of Socrates, that only the examined life is worth living. It may make its presence felt as a shadowy fear that a life so ‘lifeless’ is hardly even lived at all, and instead somehow ‘wasted,’ ‘forfeit,’ ‘squandered’—a life about to undo itself. Schopenhauer:
Most people, when they look back at the end, find that they have lived their whole life through provisionally, and are amazed to see that what they allowed to pass by so unappreciated and unenjoyed was their very life, the very thing in whose expectation they lived. And so the course of one’s life, as a rule, is such that, made a fool of by hope, one dances into the arms of death.6
Whoever has shared this terrifying prospect may through philosophical reflection find the burden of life appear like a promise [Verheißung]; for the philosophical attitude to life is in fact—like a promise—a respectful overburdening that lends gravity to our existence, a sense to our being here, and a meaning to our present.
Usually there are distinctive occasions which bring the guest to the decision to consult the philosophical practitioner. Commonly they involve disappointments, unforeseen or at least unexpected experiences, clashes with other people, strokes of fate, the experiences of failure, importunate or just plain blah life-outcomes. In such circumstances, one assumes (however unclearly) the task of Philosophical Praxis, as outlined by Sir Karl Popper before the practice even existed:
We all have our philosophies, whether or not we are aware of this fact, and our philosophies are not worth very much. But the impact of our philosophies upon our actions and our lives is often devastating. This makes it necessary to try to improve our philosophies by criticism. This is the only apology for the continued existence of philosophy which I am able to offer.7
If we are to be concise here, we must ask: in what way do practicing philosophers help their visitors along? The usual way to frame the question is con- fusing: ‘what method do practical philosophers follow?’ To speak correctly, philosophy works not with, but at best upon methods. Obedience to method is the pride of the sciences, not the point of philosophy. Philosophical thinking does not move along ready-made paths; it looks anew in each case for the ‘right way.’ Rather than deploy well-worn thought-routines, it sabotages them to clarify itself.
It is not a matter of leading guests of Philosophical Praxis on a philosophically predetermined course, but rather of helping them along their own way. Incidentally, this presupposes on the part of the philosopher the ability to appreciate others without necessarily agreeing with them; indeed, as Goethe said, in a way that “neither approves nor censures.”8
Philosophy cannot simply be ‘applied,’ as if the concerns brought by the guest could be ‘treated’ with a dose of Plato, or Hegel or whomever else. Philosophical readings are not remedies to be prescribed. Does the patient go to the doctor to take in a medical lecture? Nor should the visitor to Philosophical Praxis be taught by the philosopher, still less deceived by clever words, and certainly not served up with theories. The question is whether the philosopher, through their own reading, has become wise and understanding and attentive, whether they have acquired in this way a sensitivity for the otherwise well-overlooked, and learned to become at home in wayward and offbeat thinking, feeling, and judgment. For only as co-thinker and sympathizer can one liberate visitors from their loneliness—or forlornness—and thus perhaps to move them to other appraisals of life and its circumstances.
Isn’t it the same for psychologists and psychotherapists? For the pastor, too? The question inevitably arises—a sign of our yet blooming therapeutic culture—as to the boundary between Philosophical Praxis and psychotherapies. The psychologist and psychotherapist are specialists, specially trained to perceive the specific in a special way, specifically psychogenic or psycho- logically conditioned disorders. Where they are not specialists, they are dilettantes. Paradoxically, the philosopher is a specialist in the non-special, both the general and the plain (as well as in the rich tradition of reasoned thought), but also in the contradictory and the deviant, with particular emphasis on the individual and the unique.
In this way, the philosopher in practice takes visitors seriously: not in the grips of any theory (that is, not through schematic understanding) and not as a mere ‘instance of a rule,’ but as this very one. No value scale is held over above the visitor, not even that of health. The question is whether visitors are living up to themselves or, to paraphrase Nietzsche’s famous words, whether they have become who they are.
It should be added that Philosophical Praxis by no means only takes the form of individualized consultations. It also supports companies, organizations and associations in their attempts to find their mission, sound principles and orienting guidelines.
____________
NOTES
1 Georg Christoph Lichtenberg, Sudelbücher, Heft J, 1756–1770, No. 1770. Picard Translation.
2 See Odo Marquard, “Praxis, Philosophische.” In the Historischen Wörterbuch der Philosophie, ed. Joachim Ritter et al., Vol. VII (Basel, 1989), 1307f.
3 This chapter was previously translated by Dr. Patrick Neubauer. That translation was consulted but little used and not relied upon.
4 “1) What can I know? 2) What should I do? And 3) What may I hope?” Imman- uel Kant, The Critique of Pure Reason. Trans. by Paul Guyer and Allen W. Wood. (CUP, 1998), A805/B833.
5 What Achenbach calls “the question of Montaigne” is not the question “Que sçais-je?” or, “What do I know?” that Montaigne took “as a motto, inscribed over a pair of scales” (Apology for Raymond Sebond, in The Complete Essays of Mon- taigne, Donald Frame translation [Standford University Press, 1958], 392–393), and which is often called ‘the question of Montaigne.’ That question, as Montaigne tells us, expresses his dalliance with “the Pyrrhonian philosophers.” But the ques- tion Achenbach considers to be far more characteristic of Montaigne than even his motto arises often enough in the Essays, and is decidedly less epistemic; it asks after self-understanding in action: ‘What am I actually doing?’ (“Was tue ich eigentlich?”). Montaigne: “I do not make it my business to tell the world what it should do—enough others do that—but what I do in it.” Essays, I, 142. Look also to “On some verses of Virgil,” Essays, III for illustration: “My philosophy is in action, in natural and present practice, little in fancy” (639–640); or “I am hungry to make myself known, and I care not to how many, provided it be truly” (643); and “I owe a complete portrait of myself to the public. The wisdom of my lesson is wholly in truth, in freedom, in real- ity; disdaining, in the list of its real duties, those petty, feigned, customary, provincial rules, altogether natural, constant, and universal; of which propriety and ceremony are daughters, but bastard daughters” (677).
6 Arthur Schopenhauer, On the doctrine of the nothingness of existence, §145. In Parerga and Paralipomena: Short Philosophical Essays, 2. Trans. by Adrian Del Caro and Christopher Janaway (CUP: 2014), 304.
7 Karl Popper, Objective Knowledge: An evolutionary Approach (Clarendon, 1972), 33. The passage, Popper’s “excuse” for doing philosophy, is preserved in the Revised edition of 1979, reprinted 1994. Achenbach cites the German translation, Objektive Erkenntnis. Ein evolutionärer Entwurf (Hamburg: Hoffmann Und Campe Verlag, 1973), 44.
8 Achenbach Note: With regard to his novel, Die Leiden des jungen Werther, which some of his contemporaries had expected to display a “didactic purpose,” Goethe notes: “the true work of art has none. It neither approves nor censures, but instead develops sentiments and actions in sequence, and thereby illuminates and instructs.” Goethe, From My Life: Poetry and Truth, Part 3. Vol. 4 of Goethe: Col- lected Works (Princeton, NJ: Princeton University Press, 1994), 433. Thus does Goethe describe what is also the mission of Philosophical Praxis.
Traduction de l’anglais au français avec ChatGPT
Chapitre 1
Réponse brève à la question : qu’est-ce que la Praxis philosophique ?
Il faut créer du nouveau pour voir du nouveau.
— Lichtenberg
J’ai fondé la première Praxis philosophique au monde en 1981, et j’ai forgé ce terme la même année. En 1982, la Société pour la Praxis philosophique fut instituée à Bergisch Gladbach, près de Cologne ; elle devint plus tard l’organisation faîtière internationale de nombreuses sociétés nationales. Voilà pour l’aspect institutionnel. Passons maintenant à la question : en bref, qu’est-ce que la Praxis philosophique ?
Le conseil philosophique de vie qui se pratique dans la Praxis philosophique se présente comme une alternative aux psychothérapies. Il s’adresse à ceux qui, tourmentés par leurs peines ou leurs problèmes, et incapables de « s’accommoder » de leur existence, se retrouvent d’une manière ou d’une autre dans une impasse. La Praxis philosophique concerne ceux qui se débattent avec des questions existentielles qu’ils ne parviennent ni à résoudre ni à écarter, ou encore ceux qui, bien que capables de faire face au quotidien, se sentent « sous-chargés », peut-être parce qu’ils pressentent que leur réalité ne correspond pas à leur potentiel. D’autres encore s’adressent à la Praxis philosophique non pas parce qu’ils se satisfont simplement d’exister ou de se débrouiller tant bien que mal, mais parce qu’ils exigent d’examiner leur vie, d’en voir clairement les contours, l’origine, la raison d’être et la destination.
Leur besoin est souvent simplement de réfléchir aux circonstances uniques, aux enchevêtrements singuliers et au cours souvent étrangement ambigu de nos existences. En résumé, les gens consultent les philosophes praticiens parce qu’ils veulent comprendre et être compris. Ils n’arrivent presque jamais avec la question kantienne : « Que dois-je faire ? », mais plutôt avec celle de Montaigne : « Que fais-je ? » Peut-être, en arrière-plan, opère une intuition qui relève de la plus ancienne sagesse philosophique—à savoir la maxime socratique selon laquelle seule une vie examinée mérite d’être vécue. Celle-ci peut se manifester sous la forme d’une peur diffuse, celle qu’une vie trop « inerte » ne soit en réalité qu’à peine vécue, qu’elle soit en quelque sorte « gaspillée », « abandonnée », « dilapidée »—une vie en train de se défaire elle-même.
Schopenhauer l’exprime ainsi :
La plupart des hommes, lorsqu’ils regardent en arrière à la fin de leur vie, réalisent qu’ils l’ont vécue entièrement à titre provisoire et s’étonnent de voir que ce qu’ils ont laissé passer sans l’apprécier ni en jouir, c’était précisément leur propre existence, cette chose même dont ils avaient toujours attendu l’avènement. Ainsi, en règle générale, le cours de la vie est tel que, dupé par l’espoir, on danse dans les bras de la mort.
Quiconque a éprouvé cette perspective terrifiante peut, par la réflexion philosophique, voir le poids de la vie se transformer en promesse (Verheißung), car l’attitude philosophique envers l’existence est en effet — comme une promesse — une charge respectueuse qui confère à notre existence une gravité, un sens à notre présence ici-bas et une signification à notre présent.
Il y a souvent des circonstances marquantes qui amènent l’invité à prendre la décision de consulter un praticien-philosophe. Ce sont généralement des déceptions, des expériences inattendues, des conflits avec autrui, des coups du sort, des échecs, des désillusions ou encore des résultats de vie qui laissent un sentiment de vide. Dans de telles situations, on suppose — bien que confusément — que la mission de la Praxis philosophique pourrait être celle qu’évoquait Karl Popper avant même que cette pratique n’existe :
Nous avons tous une philosophie, que nous en soyons conscients ou non, et nos philosophies ne valent souvent pas grand-chose. Mais l’impact de nos philosophies sur nos actions et sur nos vies est souvent dévastateur. C’est pourquoi il est nécessaire d’essayer d’améliorer nos philosophies par la critique. Voilà la seule justification que je puisse offrir à l’existence continue de la philosophie.
Si nous voulons être concis ici, nous devons poser la question suivante : comment les philosophes praticiens aident-ils leurs visiteurs ? La façon habituelle de poser cette question est source de confusion : « Quelle méthode suivent les philosophes praticiens ? » Or, il faut parler avec justesse : la philosophie ne travaille pas avec des méthodes, mais tout au plus sur elles. L’obéissance à une méthode est l’apanage des sciences, non de la philosophie. La pensée philosophique ne suit pas des chemins tout tracés ; elle cherche, à chaque fois, la voie juste. Plutôt que de s’appuyer sur des routines intellectuelles toutes faites, elle les sabote pour mieux se clarifier.
Il ne s’agit donc pas de conduire les invités de la Praxis philosophique sur un itinéraire philosophique prédéterminé, mais bien de les aider à avancer sur leur propre chemin. Cela suppose chez le philosophe la capacité d’apprécier autrui sans nécessairement être d’accord avec lui ; en effet, comme le disait Goethe, « ni n’approuver ni condamner ».
La philosophie ne peut être simplement « appliquée », comme si les préoccupations de l’invité pouvaient être « traitées » par une dose de Platon, de Hegel ou de tout autre penseur. Les lectures philosophiques ne sont pas des remèdes à prescrire. Un patient va-t-il voir un médecin pour assister à une conférence médicale ? De même, l’invité de la Praxis philosophique ne doit pas être instruit par le philosophe, encore moins être trompé par des jeux de mots habiles, et certainement pas être servi en théories.
La véritable question est de savoir si le philosophe, à travers ses propres lectures, est devenu sage, compréhensif et attentif, s’il a acquis une sensibilité pour ce qui est habituellement ignoré, et s’il a appris à se sentir chez lui dans les pensées, sentiments et jugements atypiques ou marginaux. Car seul un co-penseur et un sympathisant peut libérer les visiteurs de leur solitude — ou de leur isolement intérieur — et peut-être ainsi les amener à une nouvelle appréciation de leur vie et de leur situation.
Philosophie et psychothérapie : une frontière ?
N’est-ce pas le cas aussi des psychologues et des psychothérapeutes ? Et des pasteurs ? Cette question surgit inévitablement — signe de notre culture encore largement dominée par le paradigme thérapeutique — et interroge la frontière entre la Praxis philosophique et les psychothérapies.
Le psychologue et le psychothérapeute sont des spécialistes, spécialement formés à percevoir le spécifique d’une manière spécialisée, c’est-à-dire les troubles d’origine psychogène ou psychologique. Lorsqu’ils ne sont pas spécialistes, ils sont des dilettantes. Paradoxalement, le philosophe est un spécialiste du non-spécifique, du général et du simple (ainsi que d’une tradition riche de pensée raisonnée), mais aussi du contradictoire et du singulier, avec une attention particulière portée à l’individuel et à l’unique.
En ce sens, le philosophe praticien prend ses visiteurs au sérieux : non pas à travers le prisme d’une théorie (c’est-à-dire non pas par une compréhension schématique), ni comme un simple « cas » illustratif d’une règle, mais en tant qu’individu en soi. Aucune échelle de valeur ne lui est imposée, pas même celle de la santé. La question n’est pas de savoir si l’invité est « normal », mais s’il est fidèle à lui-même—ou, pour paraphraser Nietzsche, s’il est devenu ce qu’il est.
Enfin, la Praxis philosophique ne se limite pas aux consultations individuelles. Elle accompagne également des entreprises, des organisations et des associations dans leur quête de mission, de principes fondateurs et de repères orientants.
Dr. Gerd B. Achenbach was born 1947 in Hameln, Germany, and is the founder of the Philosophical Praxis as well as the founder and chairman of the first Society of Philosophical Praxis (GPP e.V., 1982). He is author of several books (Die reine und die praktische Philosophie, Das Prinzip Heilung, Vom Richtigen im Falschen, Lebenskönnerschaft, Liebe—der göttliche Wahn, Das kleine Buch der inneren Ruhe, Philosophie der Philosophischen Praxis), taught at numerous universities, and has been a keynote speaker on various international congresses.
Traduction en français avec DeepL
Gerd B. Achenbach est né en 1947 à Hameln, en Allemagne. Il est le fondateur de la Praxis philosophique ainsi que le fondateur et le président de la première société de Praxis philosophique (GPP e.V., 1982). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages (Die reine und die praktische Philosophie, Das Prinzip Heilung, Vom Richtigen im Falschen, Lebenskönnerschaft, Liebe-der göttliche Wahn, Das kleine Buch der inneren Ruhe, Philosophie der Philosophischen Praxis), a enseigné dans de nombreuses universités et a été l’orateur principal de divers congrès internationaux.
TRANSLATOR
Michael Picard teaches philosophy at Douglas College in Vancouver, Canada. He holds an MSc and PhD in philosophy from Massachusetts Institute of Technology and is a longtime animator of public participatory philosophy, as well as creator of the web app and game Tug of Logic. Picard is author of This Is Not a Book (2007) and How to Play Philosophy (2022).
Traduction en français avec DeepL
Michael Picard enseigne la philosophie au Douglas College de Vancouver, au Canada. Il est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en philosophie du Massachusetts Institute of Technology et est un animateur de longue date de la philosophie participative publique, ainsi que le créateur de l’application web et du jeu Tug of Logic. Picard est l’auteur de This Is Not a Book (2007) et de How to Play Philosophy (2022).
About Dr. Gerd B. Achenbach
(German-to-English translation with DeepL)
Dr. Gerd B. Achenbach is the Founder of Philosophical Practice, which he established in 1981 and which has since developed into a worldwide movement.
Born in Hameln in 1947. Doctorate in 1981 [“Selbstverwirklichung oder: Die Lust und die Notwendigkeit”] with Odo Marquard.
Married to Laura Achenbach, father of eight children: Alef, Hanne, Friederike, Alma, Cara, Valentin, Anna and Otto.
1981 Founds the world’s first philosophical practice in Bergisch Gladbach/Refrath.
1982 Founding of the Gesellschaft für Philosophische Praxis GPP e.V., the later International Society for Philosophical Practice, of which he is a teaching practitioner and from its founding in 1982 onwards its Chairman of the Board, until he gave up this position in the fall of 2003 to make way for younger people.
2004: Founding of the “Gesellschaft für Philosophische Praxis” (GPP) in Bergisch Gladbach, whose board he has chaired ever since.
2006-2009: Scientific Advisory Board of the German Mining Museum Bochum.
Since 2007: Scientific Advisory Board of the journal “psycho-logik” – Yearbook for Psychotherapy, Philosophy and Culture (Alber-Verlag)
Since 2015: Scientific Advisory Board of the “University Course Philosophical Practice” at the University of Vienna.
Teaches at various universities, including in Klagenfurt, Vienna and Berlin.
2018: Awarded the “Reconocimiento por la travectoria en la práctica filosófica, Ira edicion, Mexico 2018”/“Acknowlegdment for the trayectory in philosophical practice; 1st edition 15th ICPP, Mexico 2018” (translated: “In recognition of the achievement of having put philosophical practice on track” [ICPP = International Conference on Philosophical Practice].
On Wisdom in Philosophical Pracice Lecture for the „Third International Conference on Philosophical Practice”, New York, July 1997, published in: Inquiry: Critical Thinking Across the Disciplines, Spring, 1997. Vol. XVII, No. 3, p. 5 – 20
Les numéros de page des citations dans ce rapport de lecture sont celles de la version originale anglaise imprimée
D’entrée de jeu, Gerd D. Archenbach reconnaît à l’Amérique du Nord l’origine « des écoles de psychothérapie, de certaines inspirations et innovations essentielles qui ont été reprises plus tard en Europe et adaptées à l’ancienne manière européenne ». Il est question d’un premier mouvement intercontinental de « la « Haute Amérique » – comme j’aimerais appeler la moitié nord du continent américain – » vers l’Europe. Il note un deuxième mouvement, cette fois, de l’Europe à l’Amérique du Nord.
Il ne s’agit pas de nier que c’est à Vienne (surtout) et en Suisse que sont nées les formes originales de toutes les thérapies ultérieures – la psychanalyse de Freud, la psychologie analytique de C. G. Jung et la psychologie individuelle d’Adler. Des développements significatifs de cette triple racine se sont ensuite répandus en Amérique du Nord ; il suffit de rappeler les innombrables variantes de ce que l’on appelle la « psychologie humaniste ».
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Préface, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. xvii.
Enfin, écrit Gerd B Archenbac, « (…) il semble que ce mouvement intercontinental de va-et-vient soit en train de repartir dans l’autre sens. »
Cette fois, il s’agit du renouveau de la pratique de la philosophie, que j’ai instaurée en 1981 en Allemagne sous le nom de Praxis philosophique. Celle-ci s’est rapidement implantée dans les pays européens voisins—d’abord en Autriche et aux Pays-Bas—avant de traverser l’Atlantique pour gagner le « Nouveau Monde ». Elle y a suscité attention et reconnaissance, d’abord à Vancouver, au Canada (où s’est tenu en 1994 le premier Congrès international de pratique philosophique à l’Université de la Colombie-Britannique), puis peu après à New York, grâce à Lou Marinoff, qui publia en 1999 Plato, Not Prozac! Applying Philosophy to Everyday Problems. Grâce, en grande partie, au fait que l’anglais est aujourd’hui la lingua franca, cet essor a contribué à la diffusion mondiale de la Praxis philosophique.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Préface, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. xvii.
Il n’en demeure pas moins que les textes de Gerd B. Archenbach annonçant et explicitant ce « renouveau de la pratique de la philosophie » sont demeurés, à quelques exceptions près, dans sa langue maternelle, l’allemand. La traduction formelle en anglais ne viendra qu’en 2024. Gerd B. Archenbach écrit :
Il devient donc d’autant plus urgent de rendre disponible une sélection de textes dans cette langue qui tend désormais à s’imposer comme un idiome quasi universel—des textes qui, tout en fondant la Praxis philosophique, ont initié une renaissance des plus anciennes impulsions philosophiques. L’importance de cette dernière renaissance de la philosophie, conçue comme un art de vivre exemplaire—ainsi qu’elle était comprise dans l’Antiquité et que Pierre Hadot et Michel Foucault l’ont réactualisée—ne se limite en aucun cas à un simple retour aux aspirations originelles de la philosophie sous une forme pratique. La véritable mission de cette nouvelle configuration philosophique est plutôt de s’établir comme la première véritable alternative à la « culture thérapeutique ». Ceux qui, jusqu’ici, se seraient tournés vers la thérapie se tourneront de plus en plus vers le praticien-philosophe dans leur détresse. Ainsi, la pratique de la philosophie ouvre, pour la première fois, la possibilité de se constituer en véritable profession.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Préface, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), pp. xvii-xviii.
Dans cet citation, Gerd B. Archenbach, parlant de la praxis philosophique qu’il a initiée en 1981, précise que « L’importance de cette dernière renaissance de la philosophie, conçue comme un art de vivre exemplaire (…) ne se limite en aucun cas à un simple retour aux aspirations originelles de la philosophie sous une forme pratique. »
Il est donc question d’une « nouvelle configuration philosophique » dont la « mission » est de « s’établir comme la première véritable alternative à la “culture thérapeutique” ».
Parmi mes publications consacrées à cette renaissance philosophique, ou intellectuellement préparatoires à celle-ci, j’ai tenté de sélectionner des écrits susceptibles d’offrir aux esprits philosophiquement curieux du monde anglo-américain un aperçu de ce projet novateur. Et c’est ainsi que j’envoie aujourd’hui ces textes, accompagnés de salutations amicales, vers le continent occidental, d’où l’appel à la Praxis philosophique pourra se propager aux quatre coins du monde.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Préface, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. xvii.
Dans son « Prelude » (anglais à traduire en français par « Introduction », ce qui vient habituellement à la suite de la préface), Gerd B. Archenback dénonce vivement la quête d’une théorie de la pratique philosophique.
Avec une persistance douteuse, des voix s’élèvent ici et là pour réclamer une « théorie de la Praxis philosophique ». Et j’ai pris l’habitude d’ignorer ces voix avec une persistance tout aussi résolue. Que devrions-nous leur répondre, si des personnes préformées—nota bene : leur préformation est leur problème—si des personnes formées scientifiquement estiment qu’elles ne peuvent savoir ce qu’est la Praxis philosophique tant qu’elles ne disposent pas d’une « théorie » à son sujet ? Ces malheureux amis de la théorie ressemblent à ceux qui, se trouvant dans un paysage des plus magnifiques, regardent autour d’eux et déclarent ne rien voir parce qu’ils ne possèdent aucune carte du lieu.
Peut-être vaut-il mieux encore interpréter une telle persistance comme le signe de la domination contemporaine de l’algorithme sur nos esprits, si tant est que son règne n’y soit pas déjà établi. Selon cette logique, on ne « comprend » qu’en connaissant le schéma selon lequel les processus s’exécutent. Nous ne saurions trouver meilleure analogie que celle de l’ingénierie des processus.
(…)
Non—dans le domaine de la philosophie, c’est l’inverse qui a toujours prévalu : le philosophe pense et, en même temps, réfléchit à sa pensée et même, dans sa pensée, à la possibilité même de penser. Ainsi, non seulement il n’a nul besoin de l’ornière qui maintient l’homme obsédé par la théorie sur son chemin prédéterminé, mais, bien au contraire, un tel carcan serait pour lui un joug, une entrave qui le lierait tête et membres. N’hésitons pas à rappeler l’une des idées directrices de la tradition philosophique : tandis que d’autres se croient en sécurité, attachés à la laisse d’une théorie choisie, le philosophe souffre de la perte de cette liberté, sans laquelle la pensée se réduit à une simple conformité jusqu’à dégénérer en routine stérile, puis s’éteindre.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Prelude, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. xxi.
Personnellement, j’ai observé chez certains philosophes praticiens une approche fondée sur différentes théories dont la mise en pratique témoigne de cette perte de liberté relevée par Gerd B. Archesbach : « (…) tandis que d’autres se croient en sécurité, attachés à la laisse d’une théorie choisie, le philosophe souffre de la perte de cette liberté, sans laquelle la pensée se réduit à une simple conformité jusqu’à dégénérer en routine stérile, puis s’éteindre ».
Afin de prévenir tout malentendu répandu : la responsabilité du philosophe ne réside pas uniquement, et peut-être même pas principalement, dans ce qu’il « pense », mais dans sa capacité à repenser, à devenir réfléchi, ou — pour reprendre d’anciens termes devenus rares— à faire preuve de jugement. Sous cette exigence, il secourt, chaque fois que possible, les pensées ensevelies sous les décombres, et rouvre de nouvelles sources de pensée taries, afin qu’elles recommencent à couler.
Mieux encore : pris dans son acception la plus large, un tel penser n’est pas un parc naturel délimité dans lequel le philosophe se laisserait enfermer. Au contraire, il ressent ; il perçoit ; il observe ; il détecte ; il soupçonne ; il anticipe ; il se méfie et il croit ; il craint, tremble et espère ; il se souvient de l’oublié ; attire l’attention sur ce qui a été négligé ; insiste là où d’autres « sont déjà plus loin » ; perturbe les questions dont les réponses sont déjà établies ; garde son calme quand les armées marchent ; fait du bruit là où d’autres détournent le regard — en somme : il vit, et il ne lui échappe ni le fait qu’il vit, ni la manière dont il vit. Voilà son socle, c’est là qu’il puise son expérience. Mais je m’arrêterai ici, bien que cette liste puisse manifestement être poursuivie ad libitum.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Prelude, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. xxii.
Bref, à l’instar du philosophe, le philosophe praticien se doit de chérir sa liberté, de ne pas se laisser formaté par une quelconque théorie ou, pis encore, une méthodologie donnée.
J’insiste : « (…) la responsabilité du philosophe ne réside pas uniquement, et peut-être même pas principalement, dans ce qu’il “pense” ». On ne consulte donc pas un philosophe praticien pour savoir ce qu’il pense.
À la question en titre du premier chapitre de son recueil de textes, Réponse brève à la question : qu’est-ce que la Praxis philosophique, Gerd B. Archenbach écrit :
Le conseil philosophique de vie qui se pratique dans la Praxis philosophique se présente comme une alternative aux psychothérapies. Il s’adresse à ceux qui, tourmentés par leurs peines ou leurs problèmes, et incapables de « s’accommoder » de leur existence, se retrouvent d’une manière ou d’une autre dans une impasse. La Praxis philosophique concerne ceux qui se débattent avec des questions existentielles qu’ils ne parviennent ni à résoudre ni à écarter, ou encore ceux qui, bien que capables de faire face au quotidien, se sentent « sous-chargés », peut-être parce qu’ils pressentent que leur réalité ne correspond pas à leur potentiel. D’autres encore s’adressent à la Praxis philosophique non pas parce qu’ils se satisfont simplement d’exister ou de se débrouiller tant bien que mal, mais parce qu’ils exigent d’examiner leur vie, d’en voir clairement les contours, l’origine, la raison d’être et la destination.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 1 – Réponse brève à la question : qu’est-ce que la Praxis philosophique, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 1.
Depuis, la création de cette Observatoire de la philothérapie en 2020, j’ai souvent remarqué la crainte quasi-systématique de certains philosophes praticiens à confronter la philothérapie à la psychychothérapie. Gerd B. Archenbach est pourtant très clair à ce sujet : « Le conseil philosophique de vie qui se pratique dans la Praxis philosophique se présente comme une alternative aux psychothérapies ». Le livre de Lou Marinoff, avec lequel j’ai découvert la pratique philosophique à l’aube des années 2000, est tout aussi clair et sans équivoque face à la psychologie : « Platon, pas Prozac! ».
Il décrit le besoin des personnes en consultation philosophique en ces termes :
Leur besoin est souvent simplement de réfléchir aux circonstances uniques, aux enchevêtrements singuliers et au cours souvent étrangement ambigu de nos existences. En résumé, les gens consultent les philosophes praticiens parce qu’ils veulent comprendre et être compris. Ils n’arrivent presque jamais avec la question kantienne : « Que dois-je faire ? », mais plutôt avec celle de Montaigne : « Que fais-je ? » Peut-être, en arrière-plan, opère une intuition qui relève de la plus ancienne sagesse philosophique—à savoir la maxime socratique selon laquelle seule une vie examinée mérite d’être vécue. Celle-ci peut se manifester sous la forme d’une peur diffuse, celle qu’une vie trop « inerte » ne soit en réalité qu’à peine vécue, qu’elle soit en quelque sorte « gaspillée », « abandonnée », « dilapidée »—une vie en train de se défaire elle-même.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 1 – Réponse brève à la question : qu’est-ce que la Praxis philosophique, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), pp. 1-2.
J’insiste aussi sur ce point : « En résumé, les gens consultent les philosophes praticiens parce qu’ils veulent comprendre et être compris ».
À la question « Pourquoi consulte-t-on un philosophe praticien ? » Gerd B. Archenbach donne cette réponse.
Il y a souvent des circonstances marquantes qui amènent l’invité à prendre la décision de consulter un praticien-philosophe. Ce sont généralement des déceptions, des expériences inattendues, des conflits avec autrui, des coups du sort, des échecs, des désillusions ou encore des résultats de vie qui laissent un sentiment de vide. Dans de telles situations, on suppose — bien que confusément — que la mission de la Praxis philosophique pourrait être celle qu’évoquait Karl Popper avant même que cette pratique n’existe :
Nous avons tous une philosophie, que nous en soyons conscients ou non, et nos philosophies ne valent souvent pas grand-chose. Mais l’impact de nos philosophies sur nos actions et sur nos vies est souvent dévastateur. C’est pourquoi il est nécessaire d’essayer d’améliorer nos philosophies par la critique. Voilà la seule justification que je puisse offrir à l’existence continue de la philosophie.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 1 – Réponse brève à la question : qu’est-ce que la Praxis philosophique, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 2.
La personnes en consultation philosophique a déjà une philosophie, qu’elle en soit ou non consciente, il ne s’agit donc pas de la nier mais d’en dresser les contours pour la soumettre à une critique constructive. Vouloir lui imposer une autre philosophie ne contitue pas une démarche souhaitable. Aucune méthode n’est de mise :
Si nous voulons être concis ici, nous devons poser la question suivante : comment les philosophes praticiens aident-ils leurs visiteurs ? La façon habituelle de poser cette question est source de confusion : « Quelle méthode suivent les philosophes praticiens ? » Or, il faut parler avec justesse : la philosophie ne travaille pas avec des méthodes, mais tout au plus sur elles. L’obéissance à une méthode est l’apanage des sciences, non de la philosophie. La pensée philosophique ne suit pas des chemins tout tracés ; elle cherche, à chaque fois, la voie juste. Plutôt que de s’appuyer sur des routines intellectuelles toutes faites, elle les sabote pour mieux se clarifier.
Il ne s’agit donc pas de conduire les invités de la Praxis philosophique sur un itinéraire philosophique prédéterminé, mais bien de les aider à avancer sur leur propre chemin. Cela suppose chez le philosophe la capacité d’apprécier autrui sans nécessairement être d’accord avec lui ; en effet, comme le disait Goethe, « ni n’approuver ni condamner ».
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 1 – Réponse brève à la question : qu’est-ce que la Praxis philosophique, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), pp. 2-3.
Il faut donc au philosophe praticien « la capacité d’apprécier autrui sans nécessairement être d’accord avec lui ; en effet, comme le disait Goethe, « ni n’approuver ni condamner ». Bref, éviter de juger ! Cette capacité d’apprécier autrui repose, à mon humble avis, sur l’amour de son prochain et l’empathie.
La philosophie ne peut être simplement « appliquée », comme si les préoccupations de l’invité pouvaient être « traitées » par une dose de Platon, de Hegel ou de tout autre penseur. Les lectures philosophiques ne sont pas des remèdes à prescrire. Un patient va-t-il voir un médecin pour assister à une conférence médicale ? De même, l’invité de la Praxis philosophique ne doit pas être instruit par le philosophe, encore moins être trompé par des jeux de mots habiles, et certainement pas être servi en théories.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 1 – Réponse brève à la question : qu’est-ce que la Praxis philosophique, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 3.
Ce passage du livre PHILOSOPHICAL PRAXIS de Gerd B. Archenbach est l’un des plus importants de son recueil de textes. La consultation philosophique ne consiste pas en un cours de philosophie, pas qu’en en exercice visant à prendre en défaut de contradiction ou de logique l’invité.
La véritable question est de savoir si le philosophe, à travers ses propres lectures, est devenu sage, compréhensif et attentif, s’il a acquis une sensibilité pour ce qui est habituellement ignoré, et s’il a appris à se sentir chez lui dans les pensées, sentiments et jugements atypiques ou marginaux. Car seul un co-penseur et un sympathisant peut libérer les visiteurs de leur solitude—ou de leur isolement intérieur—et peut-être ainsi les amener à une nouvelle appréciation de leur vie et de leur situation.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 1 – Réponse brève à la question : qu’est-ce que la Praxis philosophique, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 3.
Wow ! Nous sommes loin, très loin, à l’opposé de la majorité des propos de la littérature francophone européenne au sujet de la philosophie pratique. En témoigne ces extraits de l’article « J’ai testé une consultation de philosophie » de Psychologie Magazine :
J’ai testé une consultation de philosophie
La consultation philosophique est l’occasion d’une mise à l’épreuve de vos idées reçues. Le manque d’écoute, l’incapacité à dérouler lentement le fil d’une réflexion cohérente, le malaise face aux questions que vous posez indiquent que vous avez frappé à la mauvaise porte.
(…)
Il existe très peu de véritables consultants en philosophie ; en revanche, certains animateurs de cafés philo reçoivent en « cabinet ». L’un d’eux m’a reçue gentiment. Après avoir pris quelques notes sur ce qui m’a conduit à le consulter, son verdict est tombé : « Dans votre cas, je préconise Epictète et Spinoza ! » Le temps d’un bref topo sur leur pensée, il m’a abreuvée d’exemples pour tenter d’éclaircir mon problème. J’ai eu l’impression d’assister à un cours de philo du lycée, en plus brouillon. A la fin, j’ai eu droit à quelques devoirs : « Prendre cinq maximes du “Manuel” d’Epictète, les reformuler avec vos mots. Justifier tout, puis contredire tout. » Cinquante euros pour cela me paraît excessif… N’est pas « philosophe libéral » qui veut.
(…) Pour le philosophe Oscar Brenifier, elle (consultation philosophique) s’adresse aux personnes qui ont accès à la « rationalité ». » Il y a des gens que je renvoie vers une thérapie au bout de dix minutes, car il y a trop de douleur. Il y a aussi ceux qui veulent se raconter, or ce n’est pas le principe de la consultation philosophique « , explique-t-il, en précisant qu’il ne » soigne pas une pathologie « , contrairement aux médecins. » Quand vous vous demandez quel est le sens de votre vie, vous n’êtes pas malade « , tempête-t-il.
Quand Oscar Brenifier affirme « Il y a aussi ceux qui veulent se raconter, or ce n’est pas le principe de la consultation philosophique », il se prive de la contextualisation de la question ou de la situation à laquelle son client veut trouver une réponse.
Un tel philosophe praticien se prive aussi de la prise recul que permet très souvent le simple fait de s’entendre mettre des mots sur nos idées en cours de verbalisation. Les uns entendent pour la toute première fois l’expression de leurs idées sur leur question ou sur leur situation dans leur propre langage. Les autres s’apperçoivent que leurs idées ne tiennent pas la route lorsqu’ils s’écoutent parler. L’écoute revet une importance capitale dans une consultation philosophique.
Dans le deuxième chapitre, La praxis philosophique a une longue tradition, mais pas de parangon, Gerd B. Archenbach situe la pratique philosophique dans notre présent plutôt que dans le passé de sa tradition.
Bien entendu, ici comme ailleurs, ce n’est pas le passé qui nous enseigne le présent, mais plutôt le présent qui nous éclaire sur le passé — de même que la galerie des ancêtres de la praxis philosophique ne nous montre pas le chemin, mais (bien au contraire) la praxis philosophique s’étend en arrière et, avec de nouveaux et d’autres intérêts, ravive les perspectives de la préhistoire philosophique. (…)
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 2 – La praxis philosophique a une longue tradition, mais pas de parangon, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 6.
Nous avons « de nouveaux et d’autres intérêts ». Ce n’est pas le passé qui éclaire le présente mais le présent qui éclaire le passé. Reconnaître l’apport historique de la tradition va de soi mais s’y ancrer en mimant l’apport des philosophes du passé sera une erreur… méthodologique.
Et pourtant, après avoir été libérée de la stricte adhésion au monopole chrétien sur le salut, une philosophie a émergé, précurseur de la praxis philosophique. Je fais ici référence à l’intelligence sceptique de Montaigne et à son raffinement de vie auto-réflexif. Ici, la philosophie est entièrement réinstallée : au lieu d’aller de l’avant comme une sorte de commandant sur le chemin de notre vie (nous ordonnant le bon chemin en aboyant toutes sortes d’ordres, de règles et de devoirs incontournables, avec comme point d’arrivée rien de moins que la perfection), la philosophie, pour Montaigne, suit plutôt derrière, généralement tranquillement et sans se faire remarquer. Il est rare que l’homme la recherche, et encore, uniquement pour essayer de clarifier la vie avec son aide. « Mes mœurs sont naturelles » 14, écrit Montaigne dans l’« Apologie de Raymond Sebond » :
Je n’ai fait appel à aucune discipline pour les ériger; mais, si faibles qu’elles soient, quand il m’est venu à l’esprit de les exposer à la vue du monde, et que pour les exposer à la lumière dans un habit un peu plus décent, je suis allé les orner de raisons et d’exemples, j’ai été étonné par hasard de les trouver conformes à tant de discours et d’exemples philosophiques. Je n’ai jamais su quel était le régime de ma vie jusqu’à ce qu’elle soit presque usée et dépensée; une nouvelle figure — un philosophe non prémédité et accidentel.15
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 2 – La praxis philosophique a une longue tradition, mais pas de parangon, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), pp. 8-9.
Ce passage entre parenthèses nous en dit très long : « (nous ordonnant le bon chemin en aboyant toutes sortes d’ordres, de règles et de devoirs incontournables, avec comme point d’arrivée rien de moins que la perfection) ». La philosophie n’est pas là pour nous ordonner comment vivre, nous imposer des règles à respecter et des devoirs à accomplir et encore de nous dicter un objectif de perfection. La liberté de l’invité (du client) importe tout autant que celle du philosophe praticien. Le philosophe praticien doit faire preuve de sagesse et, à ce titre, il est un seul accomplissement, être un sage responsable de sa liberté. Il se doit de donner l’exemple.
« La galerie des ancêtres de la praxis philosophique n’est aujourd’hui ni complète ni fermée » sur l’Antiquité et « (…) depuis au moins le début de l’époque moderne, les pionniers et les prédécesseurs de la praxis philosophique sont nombreux et peuvent être nommés. » « Et ils sont intéressants précisément parce qu’ils constatent que les calculs de leur vie ne fonctionnent plus rondement et sans reste, de sorte qu’ils sont devenus gênés même pour donner des conseils. »
Il faut citer Karl Philipp Moritz, le jeune ami de Goethe, qui a publié de 1783 à 1793 le « Magazin zur Erfahrungsseelenkunde » sous le titre Gnothi Sauton (ΓΝΩΘΙ ΣΑΥΤΟΝ) — encore aujourd’hui un trésor d’observations pour le praticien de la philosophie. Vient ensuite, de Copenhague, le Danois Søren Kierkegaard qui, dans son livre Either-Or, a romancé une longue et exemplaire consultation philosophique, menée au nom de B, magistrat du tribunal et de la ville, sur un ton tout à fait distinct de celui de la droiture grossière de la bourgeoisie ou de la complaisance spirituelle du personnel clérical au sol, mais avec une « Liberté du Chrétien “24 jusqu’alors inouïe contre toutes les ordonnances supérieures, sous la devise ”la seule chose salutaire, c’est toujours qu’une personne par rapport à sa propre vie n’est pas son oncle, mais son père. « 25
Schopenhauer a également sa place dans ce spectacle. Malgré ses efforts pour couler une fois de plus une métaphysique globale dans un moule unique, il n’a pas seulement regardé de près, mais a réorienté le regard lui-même d’un point de vue pratique (et avec une intention sotériologique subtile), ce qui a donné lieu à des fragments d’une philosophie populaire de premier ordre.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 2 – La praxis philosophique a une longue tradition, mais pas de parangon, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 10.
Les références à Arthur Schopenhauer se multiplient sous la plume de Gerd B. Archenbach.
À tout le moins, nous devons à Schopenhauer le fait que la philosophie n’ait pas été complètement oubliée en dehors des cercles académiques — à lui et à Nietzsche, qui, malgré tous les doutes soulevés par son large impact, a été une véritable tempête de feu (qui fait toujours rage, comme nous le voyons encore aujourd’hui), et pas seulement de la cendre savante.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 2 – La praxis philosophique a une longue tradition, mais pas de parangon, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 10.
De son analyse de la tradition et son influence, Gerd B. Archenbach écrit :
Il faut donc admettre que les idées aussi sont mortelles. Et si un projet de vie philosophique, arraché à son contexte temporel, s’efforçait de se revêtir du pathos de la validité éternelle, il serait instantanément déshonoré.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 2 – La praxis philosophique a une longue tradition, mais pas de parangon, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 11.
Permettez-moi de revenir sur l’importance de l’écoute par le sage.
(…) Il faut veiller à ce que la vie, qui se comprend en parlant et en s’exprimant, même si c’est de façon provisoire et ténue, ne se laisse pas contaminer par le silence mou, le désintérêt arrogant des intellectuels distants ou l’ignorance apparemment supérieure, qui se la joue cool, comme si tout était dans le rétroviseur.
C’est là que résident les dangers auxquels les personnes prétendument expérimentées succombent trop facilement. La philosophie, qui s’oppose à cette posture critique, n’abandonne pas le questionnement, même lorsque les réponses ne viennent pas. Mais la philosophie ne « cherche » pas non plus sans raison des réponses qu’elle n’espère secrètement plus trouver, comme l’affirme un autre cliché; elle s’attache plutôt à la question, afin de la révolutionner si possible. Elle dédaigne de servir les besoins tels qu’ils se présentent, mais s’efforce plutôt de différencier les besoins eux-mêmes — dans le vieux vocabulaire — pour les « cultiver ».
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 2 – La praxis philosophique a une longue tradition, mais pas de parangon, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 14.
Gerd B. Archenbach propose une autre question en fin de chapitre :
Enfin, la Praxis philosophique soulève une nouvelle question philosophique : ne serait-il pas possible, voire nécessaire, que la philosophie ravive sa communauté séculaire d’intérêt et d’action avec la médecine ? En ce qui concerne cette question, j’ai l’impression qu’elle est plus souvent abordée par des médecins qui ont reconnu la signification philosophique de leurs évaluations et de leurs interventions que par des philosophes qui comprennent comment la maladie, ou une maladie particulière, et finalement le patient individuel, représentent un défi pour la compréhension philosophico-médicale et pour la mise en pratique de la philosophie.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 2 – La praxis philosophique a une longue tradition, mais pas de parangon, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 16.
Aujourd’hui, on retrouve des philosophes en milieu hospitalier auprès des patients et du personnel. Un pas en avant.
Jérôme Bouvy, Philosophe hospitalier
Après des études en philosophie à l’UNamur et quelques années en tant qu’enseignant, Jérôme Bouvy est devenu le premier philosophe hospitalier au sein du Grand Hôpital de Charleroi. Ses missions : faire entrer la philosophie en tant que pratique vivante au cœur du quotidien de son institution et accompagner les travailleurs en quête de sens dans leur travail.
Omalius : Vous êtes philosophe hospitalier, pouvez-vous nous en dire plus sur ce métier ?
Jérôme Bouvy : Il y a trois ans, le Grand Hôpital de Charleroi a souhaité travailler sur la perte de sens à l’hôpital. De nombreuses questions agitent ce milieu depuis toujours, et cela s’est accentué plus récemment suite à la pandémie qui a notamment révélé beaucoup de souffrance éthique chez les soignants. Le rôle d’un philosophe hospitalier, face à ces nombreux questionnements, est alors d’ouvrir des espaces de réflexion au sein de l’institution. Mon travail vise donc à déployer des pratiques réflexives, en particulier dans un environnement où la recherche de sens peut être prégnante, comme c’est souvent le cas dans le domaine de la santé. Mon objectif est d’encourager les membres du personnel hospitalier à prendre le temps de penser de manière critique et à partager leurs préoccupations afin de favoriser un dialogue constructif. Une des spécificités de ma fonction est que je ne m’adresse pas directement aux patients. Je suis engagé pour travailler avec les membres du personnel, qu’ils soient soignants, informaticiens, comptables… cela représente plus de 200 métiers.
On trouve aussi une « Chaire de Philosophie à l’Hôpital ».
Chaire de Philosophie à l’Hôpital
Depuis janvier 2016, la Chaire de Philosophie à l’Hôpital se déploie, après avoir été créée à l’Hôtel-Dieu de Paris, dans différents lieux hospitaliers et de soin, et aujourd’hui au sein du GHU-Paris, Psychiatrie et Neurosciences. Cette chaire hospitalo-académique, liée à la Chaire Humanités du Conservatoire National des Arts et Métiers et dirigée par la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, a pour but la diffusion des connaissances scientifiques et philosophiques à destination des étudiants, des professionnels de santé, des patients et du grand public, au travers d’activités d’enseignement, de formation, de recherche, d’expérimentation et d’organisation d’évènements. La Chaire de Philosophie à l’Hôpital fonctionne en « creative commons », en mettant à disposition ses travaux, pour mieux inventer la fonction soignante en partage et l’alliance efficiente des humanités et de la santé.
A l’hôpital se croisent des existences singulières, des histoires ordinaires et des destins parfois bouleversants. Face aux choix cruciaux que nous imposons le réel, il s’agit toujours de préserver notre liberté. Plus que du soin, on vient y trouver du sens. Faut-il s’acharner à vouloir vivre ou accepter de partir ? Peut-on supporter de voir les yeux de son fils, donneur d’organes, dans le regard d’un autre ? Aujourd’hui plus que jamais, les questions se complexifient : que répondre à cette jeune femme qui désire se faire ligaturer les trompes pour raisons écologiques ? Faut-il aider les couples abstinents sexuels à devenir parents ? Pour être au cœur de ces dilemmes, Guillaume Durand a choisi de diriger la consultation d’éthique clinique au Centre hospitalier de Saint-Nazaire. Son expérience unique nous prouve que soigner est l’un des plus forts enjeux de notre humanité.
La philosophie peut-elle jouer un rôle dans l’accompagnement du malade ?
Par Éric Delassus
Aujourd’hui, pour aider tous ceux de nos semblables qui traversent une épreuve pénible et sont plongés soudainement dans un malheur qui peut leur paraître tout aussi absolu qu’absurde, le recours à la psychologie est devenu une pratique courante et, il est vrai, apportant le plus souvent un soutien non négligeable aux personnes ayant subi un traumatisme important ou vivant une situation dont le caractère traumatisant s’inscrit dans la durée, ce qui est le cas de celui qui est atteint d’une maladie grave, pouvant être handicapante et dont l’issue peut être incertaine voire fatale.
Cependant, si un soutien psychologique peut indéniablement aider le malade à mieux supporter sa condition et à mieux lutter contre l’affection dont il est victime, ne serait-il pas envisageable également d’apporter au patient un soutien par la philosophie ?
En effet, la souffrance morale à laquelle est confronté le malade relève-t-elle toujours d’une réelle pathologie pouvant donner lieu à une démarche psychothérapeutique ?
Alors que la psychologie aide le malade à mieux se situer et à mieux comprendre sa manière de réagir par rapport à son histoire particulière, la philosophie ne pourrait-elle pas lui permettre de mieux appréhender sa condition du point de vue de l’universel, afin de mieux affronter la question du sens d’une existence dont le caractère fragile vient soudain s’imposer en mettant le sujet, de manière souvent brutale, en face de la finitude de l’existence humaine ?
Le recours à la philosophie dans le cadre d’un soutien aux malades ne peut cependant être envisagé sans qu’auparavant ait été développée une réflexion sur le sens même de la philosophie et sur la place qu’occupe l’éventualité de la maladie dans la condition humaine en général.
Reste à savoir comment cette pratique philosophique
en milieur hospitalier se réalise concrètement.
Dans le titre du troisième chapitre de son recueil de textes, Gerd B. Archenbac introduit un mot de son cru : « La praxis philosophique porte l’insigne de la Lebenskönnerschaft ». « (…) je peux facilement relier Lebenskönnerschaft à la notion de vertu (…) » souligne-t-il.
Pendant ce temps, la question essentielle reste exclue, celle-là même qui nous invite à un malaise philosophique salutaire. Il s’agit de la question de savoir à quoi se résume d’abord et finalement la vie, ce que serait une vie prise au sérieux. Seuls ceux dont la vie prend la forme d’une réponse à cette question trouvent la gaieté qui naît du calme, la souplesse qui naît d’une compréhension judicieuse. C’est à ces personnes que se consacre la Praxis philosophique. Elle les accueille sous le signe de la Lebenskönnerschaft.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 3 – La praxis philosophique porte l’insigne de la Lebenskönnerschaft, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 25.
J’ai demandé à ChatGPT de me traduire le mot allemand « Lebenskönnerschaft » en français et voici les réponses.
Le mot allemand « Lebenskönnerschaft » est un terme assez rare et poétique, composé de :
Donc, « Lebenskönnerschaft » peut se traduire en français par :
👉 « la maîtrise de la vie » ou « l’art de savoir vivre », selon le contexte.
Il évoque l’idée d’une compétence ou d’un savoir profond pour bien vivre, pour naviguer avec sagesse, créativité ou sérénité à travers les défis de la vie.
Souhaitez-vous une traduction plus littéraire, philosophique ou pratique ?
OUI
Parfait, en optant pour une traduction philosophique, on peut approfondir le sens du mot « Lebenskönnerschaft » en le reliant à une idée plus existentielle et humaniste.
Une bonne traduction philosophique serait :
👉 « l’art de vivre avec maîtrise »,
ou encore :
👉 « la sagesse pratique de la vie »
👉 « la virtuosité dans l’existence »
Il s’agit de bien plus que de simplement « savoir vivre » : c’est une forme de compétence existentielle, une capacité à habiter sa vie avec intelligence, sens, justesse et profondeur, dans l’esprit des philosophies antiques (comme l’eudaimonia chez les Grecs) ou de penseurs comme Nietzsche ou Michel de Montaigne.
Ce mot évoque une maîtrise intuitive, expérimentée et incarnée de la vie, non pas technique ou académique, mais forgée par l’expérience, la réflexion et le courage d’être soi.
Souhaites-tu que je développe ça dans un petit texte philosophique ou une citation originale ?
OUI
La Lebenskönnerschaft, ou l’art de vivre avec maîtrise
Il est des savoirs que l’on n’enseigne pas dans les livres. La Lebenskönnerschaft — cette maîtrise de la vie — n’est pas une compétence que l’on acquiert par diplômes ou par recettes. Elle est un art subtil, une forme de sagesse incarnée, forgée lentement à travers les épreuves, les joies, les chutes et les recommencements.
Celui qui possède la Lebenskönnerschaft ne cherche pas à tout contrôler, mais sait danser avec l’incertitude, embrasser l’imprévisible, et reconnaître dans chaque instant un lieu possible de vérité. Il ne fuit pas l’absurde, mais le transfigure en sens. Il ne cherche pas la perfection, mais la justesse — dans ses gestes, ses paroles, ses silences.
C’est une virtuosité existentielle, discrète et profonde, comme un art de vivre sans masque, au plus près de soi, au plus proche des autres. Une philosophie vécue, à mi-chemin entre Montaigne, Nietzsche et le stoïcisme, où chaque jour devient une page blanche à habiter pleinement.
Maîtriser sa vie, non pas pour en faire une réussite selon les critères extérieurs, mais pour en faire une œuvre fidèle à son être — voilà peut-être le véritable sens de la Lebenskönnerschaft.
Qu’elle est votre source ?
Après quelques recherches, il apparaît que le terme « Lebenskönnerschaft » a été introduit par le philosophe allemand Gerd B. Achenbach, fondateur de la première pratique philosophique en 1981 . Il utilise ce terme pour décrire une forme de maîtrise de la vie, une compétence pratique et existentielle visant à vivre avec sagesse et authenticité . Ce concept est central dans son ouvrage intitulé « Lebenskönnerschaft », publié en 2001 .
Il me semble que la meilleure trauction de « Lebenskönnerschaft », est « compétences de vie ». Gerd B. Archenbach insiste sur la distinction de « Lebenskönnerschaft » à ne pas confondre avec « art de vivre ».
The aim of the art of life is happiness; Lebenskönnerschaft aims at being
worthy of happiness.
Life-artists shape their lives; the Lebenskönner prove themselves in life. Artists of life win over; the Lebenskönner stands upon what is right.
Artists of life are flexible; the Lebenskönner is upright.
Artists of life attach a meaning to their life; the Lebenskönner lives up to one.
The art of living seeks joy in life; Lebenskönnerschaft seeks to survive a vain, pale and wrongful life.
The one knows to makes virtue out of necessity; the other proves virtue in need.
The art of life flees shadow and seeks light; Lebenskönnerschaft flees twi- light, seeks both light and shadow.
Artists of life give an answer to life’s questions; the Lebenskönner seeks the question to which life is the answer.5
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 3 – La praxis philosophique porte l’insigne de la Lebenskönnerschaft, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 25.
Traduction en français avec DeepL
Le but de l’art de vivre est le bonheur; la Lebenskönnerschaft vise à être digne du bonheur.
Les artistes de la vie façonnent leur vie, les Lebenskönner font leurs preuves dans la vie. Les artistes de la vie séduisent; les Lebenskönner s’en tiennent à ce qui est juste.
Les artistes de la vie sont flexibles; le Lebenskönner est droit.
Les artistes de la vie donnent un sens à leur vie; le Lebenskönner en donne un.
L’art de vivre recherche la joie de vivre; la Lebenskönnerschaft cherche à survivre à une vie vaine, pâle et erronée.
L’un sait faire de la vertu par nécessité, l’autre prouve la vertu par besoin.
L’art de la vie fuit l’ombre et cherche la lumière; Lebenskönnerschaft fuit le crépuscule, cherche à la fois la lumière et l’ombre.
Les artistes de la vie donnent une réponse aux questions de la vie; le Lebenskönner cherche la question à laquelle la vie est la réponse.5
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 3 – La praxis philosophique porte l’insigne de la Lebenskönnerschaft, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 25.
Gerd B. Archenbach consacre le quatrième chapitre de son recueil à la communication sous le titre « La maîtrise de la conversation ». Ce sujet revêt une très grande importance à mes yeux depuis mon adolescence. Je m’inscris dans cette génération croyant que tout problème peut être solutionner avec une meilleure communication. Gerd B. Archenback introduit ce chapitre en ces mots :
Parler de maîtrise de la conversation [Gesprächskönnerschaft], c’est d’abord en introduire l’idée même dans la conversation. En effet, j’entends ici introduire ce terme — calqué sur celui de Lebenskönnerschaft, avec lequel il a un air de famille évident — comme une entrée dans la conversation sur la conversation. Tel est l’objet de l’étude qui suit.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 4 – La maîtrise de la conversation, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 35.
Parler avec aisance ne signifie que l’on sait communiquer et encore moins converser avec l’Autre. Étudier la communication interpersonnelle m’apparaît essentiel dans la philosophie pratique. Gerd B. Archenbach écrit « l’écoute doit être maîtrisée », « elle n’est pas un don naturel ».
L’ÉCOUTE EST L’ÂME DE LA CONVERSATION
Un proverbe allemand dit : « On apprend à parler plus tôt qu’à écouter ». Et, d’ailleurs, à entendre plus tôt qu’à écouter. L’ouïe est un don de la nature; la capacité d’écoute, en revanche, est une ressource dont peu de gens disposent. En effet, elle n’est pas un don naturel, mais doit être cultivée pour devenir une compétence. En d’autres termes, l’écoute doit être maîtrisée, être capable d’écouter [zuhören zu können] est l’essence même de la maîtrise de la conversation.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 4 – La maîtrise de la conversation, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 36.
« Ce qui importe, ajoute Gerd B. Archenbach, c’est de comprendre l’écoute non pas comme une pure passivité ou une simple réception, mais, comme une activité ». Mais encore faut-il en avoir le désir et la volonté.
Gerd B. Archenbach appelle à la prudence « car, pour parler exactement, on ne peut pas savoir comment l’autre se comprend lui-même; même dans le meilleur des cas, c’est plutôt une question de conjecture. »
Pourquoi une telle prudence ? N’y a-t-il pas des tas de théories prêtes à décoder l’être humain ? Certes, mais ne perdons pas de vue qu’au mieux, c’est « L’être humain » que nos théories décodent, et non pas et jamais celui-là même avec lequel nous conversons. Dans tous les cas, ce n’est qu’avec lui que la conversation est possible. On ne peut pas converser avec l’humanité, mais seulement avec un humain.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 4 – La maîtrise de la conversation, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 38.
Gerd B. Archenbach parle de « conversation en quête de conseils » dont il cerne les contours en donnant la parole à Blaise Pascal et à Walter Benjamin.
Quand on veut corriger avec avantage, et faire voir à un autre qu’il se trompe, il faut remarquer de quel côté il regarde la chose, car de ce côté elle est ordinairement vraie, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté où elle est fausse. Il en est satisfait, car il voit qu’il ne s’est pas trompé, et qu’il a seulement manqué de voir tous les côtés.
Blaise Pascal, Pensées. Traduites par W.F. Trotter
(New York : E. P. Dutton, 1958), n° 9.
Ne cherchez pas à dissuader. Quiconque se voit demander son avis ferait bien de commencer par découvrir l’opinion de son interlocuteur, puis de l’approuver. Personne n’est facilement persuadé de la plus grande intelligence d’un autre, et peu de gens demandent des conseils avec l’intention de suivre ceux d’un autre. Le fait est qu’ils ont déjà [pris leur décision dans l’intimité de leur esprit] et qu’ils souhaitent maintenant l’entendre de l’extérieur, l’accepter comme le « conseil » d’un autre. C’est cette confirmation qu’ils recherchent, et ils ont raison de le faire. En effet, il est très risqué d’entreprendre de mettre en œuvre ses propres décisions sans les faire passer par les échanges de la conversation, comme à travers un filtre. C’est pourquoi celui qui demande conseil est déjà à mi-chemin d’une décision; et si ce qu’il projette de faire est une erreur, il vaut mieux lui apporter un soutien sceptique que de le contredire avec conviction.
Walter Benjamin
Légèrement adapté de Walter Benjamin, Selected Writings, vol. 2, part 2, 19311934. Ed. par Michael W. Jennings, Howard Eiland et Gary Smith (Cambridge, MA : Belknap, 1999), 588. Voir la Séquence d’Ibiza, avril-mai 1932. J’ai (le traducteur Michael Picard) dû ajouter les mots « prendre leur décision dans l’intimité de leur propre esprit » pour souligner l’intention de « im Stillen schon gefaßt », une phrase à laquelle Achenbach fait spécifiquement référence plus tard, mais qui n’est pas rendue littéralement dans la traduction existante. Achenbach cite les Gesammelte Schriften, vol. IV/1, 403.
Blaise Pascal et Walter Benjamin cités par : ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 4 – La maîtrise de la conversation, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 41.
La confrontation dans la pratique philosophique de conseil n’a pas sa place : « (…) il vaut mieux lui apporter un soutien sceptique que de le contredire avec conviction » (Walter Benjamin).
Si ces citations de conseils attirent et retiennent mon attention depuis les premières ligne de mon rapport de lecture, c’est en raison de mon expérience avortée de formation au conseil philosophique avec Oscar Brenifier. Je vous réfère donc à mon article « Article # 12 – Fin du chapitre : Oscar Brenifier, philosophe praticien ».
Article # 41 La philothérapie – Un état des lieux par Serge-André Guay Observatoire québécois de la philothérapie
8. Un peu de psychothérapie dans la philothérapie
L’histoire révèle un lien étroit entre la psychologie et la philosophie, la première ayant été longtemps considérée comme une branche de la seconde. Malheureusement, ce lien est plutôt ténu entre la philothérapie et la psychothérapie. Or, le philothérapeute doit être un fin psychologue lors de la consultation avec son client, non seulement pour établir une relation de confiance et prouver sa bienveillance, mais aussi et surtout pour identifier les biais cognitifs chez son client. Or, rare trouve-t-on en philothérapie une attention portée à ces biais cognitifs, principal obstacle à la logique nécessaire à la quête de sens.
Les chercheurs Xiaojun Ding (Xi’an Jiaotong University) et Feng Yu (Wuhan University) écrivent :
Le quatrième aspect est la relation entre la pratique philosophique et d’autres disciplines ou professions d’aide telles que le conseil psychologique et la thérapie. Une mission importante de la pratique philosophique contemporaine au début de son émergence était de remettre en question les présupposés théoriques ainsi que les méthodes et les effets du conseil et de la thérapie psychologiques. La plupart des chercheurs considèrent le conseil philosophique comme une alternative au conseil et à la thérapie psychologiques, visant à fournir aux personnes des conseils pour une vie rationnelle de manière autonome et à éviter l’utilisation de tout moyen psychothérapeutique (Achenbach 1998 ; Marinoff 2002 ; Raabe 2010). Cependant, Russell (2001) soutient qu’il n’y a pas de distinction claire et sans ambiguïté entre le conseil philosophique et la psychothérapie, ne serait-ce qu’en comparant ce que font les conseillers philosophiques et les psychothérapeutes et pourquoi ils le font. Amir (2004) souligne également qu’une partie décisive du conseil philosophique est la connaissance et l’expérience psychologiques pertinentes des conseillers philosophiques ; sinon, les conseillers philosophiques seront très probablement perdus dans leur propre labyrinthe philosophique.
Source : Ding, X.; Yu, F. Philosophical Practice as Spiritual Exercises towards Truth, Wisdom, and Virtue. Religions 2022, 13, 364. https://doi.org/10.3390/rel13040364. Les auteurs : Xiaojun Ding, Department of Philosophy, School of Humanities and Social Sciences, Xi’an Jiaotong University, China. Feng Yu, Department of Psychology, School of Philosophy, Wuhan University, China. Article distributed under the Creative Commons Attribution License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/).
Le philothérapeute se doit de disposer d’une connaissance psychologique des relations interpersonnelles pour servir adéquatement son client en consultation. Dans leurs propos ci-dessous, le chercheurs Xiaojun Ding (Xi’an Jiaotong University) et Feng Yu (Wuhan University) parle aussi de l’expérience psychologique pertinente des philothérapeutes.
Entreprendre une consultation philosophique exige donc de prendre grand soin de ne pas éveiller les mécanismes de défense du client, plus souvent qu’autrement de nature psychologique. La provocation tout comme la répression des émotions et des justifications poussent ces mécanismes de défense à entrer en action et engendrer des frustrations ne facilitant pas le dialogue.
Le chapitre 5, « La règle du jeu de la praxis philosophique », Gerd B. Archenback nous introduit à son sujet en ces mots :
La praxis philosophique est confrontée à une exigence qui a été étrangère à la philosophie académique : au lieu de présenter aux gens les problèmes de base qui préoccupent le philosophe académique, la praxis philosophique doit se calibrer sur les thèmes, les problèmes et les formulations de questions qui accablent les autres, ceux qui, dans leur besoin, se sont tournés vers la philosophie pour obtenir de l’aide. Ce n’est donc pas la philosophie qui ouvre le bal, mais les questions posées au philosophe.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 5 – La règle du jeu de la praxis philosophique, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 51.
Plus loin, Gerd B. Archenbac nous invite a porter attention au philosophe Bertrand Russel et à son livre « Problèmes de la philosophie » et, plus particulièrement au chapitre “La valeur de la philosophie” :
(…) Intitulé « La valeur de la philosophie », ce chapitre (en contradiction louable avec le ton initial, dans lequel nous reconnaissons le pathos de la philosophie fondationnaliste) expose une philosophie si peu prétentieuse, si sceptiquement sage, si vivement orientée vers la vie, qu’il est difficile d’en imaginer une qui soutiendrait mieux les aspirations de la Praxis philosophique.
Sans prétendre examiner le chapitre dans son intégralité, je soulignerai au moins quelques passages particulièrement mémorables, passages que j’admets joyeusement avoir trouvés inspirants. Son tout premier point décrivant l’utilité unique et caractéristique de la philosophie suppose déjà qu’elle est totalement distincte du profit que nous tirons avant tout de la recherche scientifique et technique. La philosophie, affirme-t-il, tire son efficacité, à la différence des autres sciences, « de ses effets sur la vie de ceux qui l’étudient ». 25
____________
NOTE
25. Russell, Problems, 89. Russell conclut : « L’utilité n’appartient pas à la philosophie », bien que, comme nous le verrons plus tard, il parle de “son utilité pour montrer des possibilités insoupçonnées” (91).
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 5 – La règle du jeu de la praxis philosophique, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 60.
Il revient donc au philosophe praticien de pouvoir confesser les effets de la philosophie sur sa propre vie, le moment conversationnel venu. Et on parle des effets « sur la vie », non pas seulement en sa conscience, son intellect, son esprit, mais aussi et surtout dans son comportement dans son quotidien. L’invité (le client) doit se trouver en conversasion avec un philosophe, un philosophe lui-même philosophe, un exemple de ce qu’est un vrai philosophe. Il ne suffit pas de philosopher pour être philosophe mais d’ÊTRE philosophe dans son âme et son corps, dans ses idées, certainement, dans son compotement, nécessairement. Et cela dès le premier contact avec l’invité (le client).
Gerd B. Archenbach cite donc un passage du chapitre “La valeur de la philosophie” du livre « Problèmes de la philosophie » de Bertrand Russel :
L’homme qui n’a aucune teinture de philosophie traverse la vie emprisonné dans les préjugés dérivés du sens commun, des croyances habituelles de son âge ou de sa nation, et des convictions qui ont grandi dans son esprit sans la coopération ou le consentement de sa raison délibérée. Pour un tel homme, le monde tend à devenir défini, fini, évident; les objets communs ne suscitent aucune question et les possibilités inconnues sont rejetées avec mépris. Dès que nous commençons à philosopher, au contraire, nous découvrons que même les choses les plus quotidiennes conduisent à des problèmes auxquels on ne peut donner que des réponses très incomplètes. La philosophie, bien qu’incapable de nous dire avec certitude quelle est la vraie réponse aux doutes qu’elle soulève, est en mesure de suggérer de nombreuses possibilités qui élargissent notre pensée et la libèrent de la tyrannie de la coutume. Ainsi, tout en diminuant notre sentiment de certitude quant à ce que sont les choses, elle augmente considérablement notre connaissance de ce qu’elles peuvent être; elle supprime le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui n’ont jamais voyagé dans la région du doute libérateur, et elle entretient notre sens de l’émerveillement en montrant des choses familières sous un aspect peu familier.27
____________
NOTE
27. Russell, Problèmes, 91.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 5 – La règle du jeu de la praxis philosophique, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), pp. 60-61.
Le chapitre 6, « Sur les commencements » traite de l’amorce de la conversation.
Dans la praxis philosophique, ce n’est pas la philosophie qui commence. Dans la praxis philosophique, c’est l’invité qui fait le commencement. Pour illustrer cette relation par une image tirée du jeu d’échecs, je dirais que le visiteur choisit les pièces blanches. C’est-à-dire que celui qui vient à nous commence.
Mais si nous devions penser cela comme une règle, la première chose et l’ouverture ne serait précisément pas le visiteur, mais au début il y aurait la règle, cette direction, ou — pour le dire formellement — le cadre. N’y a-t-il pas là une contradiction ? C’est évident. Mais on peut y remédier.
Je modifie la phrase d’introduction et je dis : Moi, le praticien de la philosophie, je dois faire le début pour que le visiteur puisse commencer. Ou encore : je commence par lui faciliter le début en lui rendant le début possible. Je n’ouvre pas la conversation, mais j’ouvre l’espace qui doit être ouvert à l’invité, afin qu’il puisse à son tour entamer la conversation.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 6 – Sur les commencements, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 65.
Consacrer tout un chapitre aux commencements avec l’invité démontre à quel point il faut l’accueillir avec bienveillance et une solidarité exemplaire.
REMARQUES FINALES
Le commencement ne se fait pas par la compréhension d’un problème. Ce qui est montré au début, c’est plutôt si nous avons compris le problème du début, si, dès le début, nous nous comprenons nous-mêmes. (C’est ce que nous appelons la connaissance de soi [Umgangswissen]).
Le commencement ne se fait pas non plus à partir du problème que l’autre personne est censée avoir. Nous commençons par notre invité, et seulement ensuite, en second lieu, par ses problèmes.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 6 – Sur les commencements, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 78.
L’invité devant vous est d’abord un individu et non pas d’abord le problème qu’il porte à votre attention. La maxime « Vous n’aurez jamais une deuxième chance de faire une bonne première impression » (David Swanson) s’applique en tout temps, en tout lieu et en toute circonstance. Pour les commencements, le philosophe praticien doit prendre garde de ne pas déclencher les mécanismes de défense de son invité.
Dans le huitième chapitre, « La philosophie comme professions », Gerd B. Archenbach affirme d’entrée de jeu et sans dérour que « Non seulement la praxis philosophique n’est pas une nouvelle thérapie, mais elle n.est absolument pas une thérapie.3 » « (3. Note d’Achenbach : je ne propose ici qu’un court extrait d’une première conférence sur la praxis philosophique que j’ai donnée à l’université d’Osnabrück en 1982. Pour la version complète, voir Gerd B. Achenbach, Zur Einführung der Philosophischen Praxis (Cologne : Dinter, 2010), 147-159.) » Voilà qui m’interroge sur le nom que j’ai donné à cette observatoire « Observatoire de la philothérapie ». Mais le débat au sujet de l’aspect thérapeutique de la philosophie pratique reste ouvert.
Pour le dire brièvement, en une phrase qui, amplifiée philosophiquement, ferait jaillir toute la philosophie de la Praxis philosophique : La praxis philosophique est une conversation libre.
Mais qu’est-ce que cela signifie ? Ou du moins : Qu’est-ce que cela signifie, si une amplification complète de cette affirmation ne peut être réalisée pour le moment ? Cela signifie que la praxis ne s’embarrasse pas de systèmes philosophiques, ne construit pas de philosophie, n’administre pas d’idées philosophiques, ne prescrit pas de philosophe. Elle se contente de mettre la pensée en mouvement : elle philosophe.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 7 – La philosophie comme profession, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 84.
Là, je suis ravi ! Une conversation LIBRE. J’entends OUVERTE, NON DIRIGÉE ! Il ne s’agit d’une conversation sur tout et n’importe quoi pour le défoulement de l’invité et du philosophe praticien.
En journalisme, une seule question est de mise et sera servie en commencement de l’entrevue par l’intervieweur à l’interviewé. Un entretien dit professionnel ne portera donc pas sur tout et n’importe. Quoi, les questions s’enchaineront toujours à partir des réponses données librement.
Évidemment, cette procédure ne s’applique pas à conversion de la philosophie pratique mais il faut ici en retenir un lien avec le dialogue socratique.
Malheureusement, certains philosophes praticiens se lancent dans le dialogue socratique avec une grande violence qui tue toute les possibilités d’une conversation. Personnellement, j’ai eu l’impression, lors d’ateliers tenus en ligne à l’initiative de philosophes praticiens, que ces derniers voulaient prendre en défaut de contradiction chacun des participants, comme s’il était question pour eux de remporter un trophée. Donner une telle impression devrait préoccuper haut plus point le philosophe praticien comme l’obstétricien devrait se préoccuper de la première impression qu’il donne à sa patiente lors de l’accouchement.
L’art du questionneur
François Renaud, professeur, département de philosophie, Université de Moncton (Nouveau-Brunswick, Canada)
Extrait
Le dialogue, conçu par Socrate lui-même comme un échange entre égaux, apparaît comme un idéal qui n’est pas réalisé dans les dialogues (dits socratiques). Le principe de réciprocité des rapports dialectiques, qui permet à chaque interlocuteur de questionner et de répondre, reste purement formel. En réalité, seul Socrate connaît l’art du questionnement et ses diverses stratégies. Le dialogue socratique constitue d’abord et avant tout un dialogue pédagogique. Le but ultime du dialogue, soit la pleine formation philosophique (et donc la pleine indépendance) de l’interlocuteur n’est jamais atteint: l’interlocuteur reste au stade de l’apprenti, dépendant (et souvent récalcitrant) par rapport au maître (Szlezk 1987). En remplissant les deux rôles à la fois, celui de questionneur et de répondeur, Socrate démontre qu’il peut au besoin se passer de l’interlocuteur malgré ses déclarations contraires à cet effet (cf. 519d7-el). De plus, en formulant et la question et la réponse, Socrate prédétermine les propos de l’autre (cf. Loraux 1998). À cet égard, la méthode de Socrate peut apparaître manipulative, voire autocratique. Certains commentateurs n’hésitent pas à opposer le dialogue socratique à la discussion ouverte et équilibrée, qu’ils associent par exemple à Protagoras (cf. Havelock 1958).
Les intéressés peuvent se référer aux propos de Gerd B, Archenbach au sujet de dialogue socratique au sous titre « OBSTETRIQUES : UN BREF RETOUR SUR SOCRATE » (OBSTETRICS: A BRIEF LOOK BACK AT SOCRATES) au chapitre 4 « La maîtrise de la conversation », page 43.
Le huitième chapitre du receuil de Gard B. Archenbach, « Éducation et praxis philosophique — Søren Kierkegaard et la question de savoir qui est un praticien de la philosophie ». En introduction, il cite Nietzsche et ajoute :
La seule critique possible d’une philosophie, et la seule qui prouve quelque chose, est d’essayer de voir si l’on peut vivre selon cette philosophie, et cela n’a jamais été enseigné dans aucune université. La seule pensée qui y est enseignée est la critique des mots sur les mots.
― Friedrich Nietzsche3
« La question qui se pose à nous4 est de savoir si — et si oui, de quelle manière — la praxis philosophique est une pratique d’éducation [Bildung].
Puisque cette question est posée à Copenhague, nous pourrions tout aussi bien nous interroger sur la relation entre la praxis philosophique et Søren Kierkegaard lui-même. Dans ce contexte, nous pourrions même justifier le titre « Praxis philosophique sur les traces de Søren Kierkegaard », puisque le Danois est certainement appelé à devenir l’une des principales sources d’orientation de notre philosophie pratique, si ce n’est pas déjà le cas. J’ajoute : Pour moi, il compte en effet parmi les plus importants contributeurs et incitateurs d’idées.
____________
NOTES
2. Friedrich Nietzsche, Unfashionable Observations. Dans les Œuvres complètes de Friedrich Nietzsche, II. Traduit par Richard T. Gray (Stanford, CA : Stanford University Press, 1995), 246. Utilisé avec l’autorisation de l’auteur.
3. Le mot allemand Bildung est notoirement impossible à traduire; c’est pourquoi, dans les travaux universitaires, il est parfois laissé sans traduction. Ici, malgré ses limites, le mot « éducation » est utilisé pour Bildung tout au long du texte, à quelques exceptions près, notamment dans les citations de traductions existantes de sources qui utilisent d’autres mots (tels que « culture » ou « image » ou « forme »). Les termes « autoformation », « éducation » ou « enculturation » ont des connotations plus appropriées dans de nombreux contextes, mais la cohérence semblait importante. Ces interprétations alternatives valides montrent clairement ce qui devient évident dans ce chapitre, à savoir que le terme « éducation » ne doit en aucun cas être considéré comme une éducation formelle ou une accréditation. Voir également le chapitre 7 ci-dessus sur la « Praxis philosophique en tant que profession ».
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 8 – Éducation et praxis philosophique, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 89.
Le neuvième chapitre, « La praxis philosophique et les vertus », Gerd B. Archenbach présente la vertu comme un « art de vivre » dont le philosophe praticien doit lui-même faire l’expérience.
Ainsi, pour résumer ces premières considérations, je dirai que la vertu est un art qui s’acquiert et se développe tout au long de la vie : La vertu, en tant qu’art de vivre acquis tout au long de la vie, est au centre même de la praxis philosophique. Car c’est ce que les visiteurs de la pratique recherchent pour eux-mêmes — le savoir-faire pour bien mener sa vie, ou au moins mieux — que le philosophe-praticien recherche également, si cette recherche ne constitue pas déjà la philosophie en tant que telle dans son plus grand sérieux. Il en est ainsi depuis Socrate. Il en a été ainsi (historiquement à mi-chemin entre Socrate et nous) pour mon ami Michel de Montaigne : « Notre grand et glorieux chef-d’œuvre est de vivre convenablement. Toutes les autres choses — gouverner, amasser, construire — ne sont que de petits appendices et des accessoires, tout au plus ».4 Et, pour citer un témoin contemporain très respecté, il en est encore ainsi aujourd’hui, comme l’atteste avec désinvolture le philosophe Hilary Putman : « la question philosophique centrale est de savoir comment vivre »5.
____________
4. Michel de Montaigne, Les Essais complets de Montaigne, traduits par Donald M. Frame (Standford, Standford University Press, 1958), 851. La citation originale est la traduction allemande de Tietz (Zürich : Diogenes, 1992), vol. 3, 428.
5. Le contexte immédiat est remarquable et contient une qualification, plus précisément une attribution, qu’Achenbach supprime. Putnam écrit : « pour James, comme pour Socrate, la question philosophique centrale est de savoir comment vivre » (italiques dans l’original). Mais le contexte plus large montre clairement que Putnam lui-même approuve le point de vue qu’il attribue ici à d’autres. La suite mérite également d’être citée : « Mais pour James, comme pour Socrate et ses successeurs, l’opposition entre la philosophie qui s’intéresse à la façon de vivre et la philosophie qui s’intéresse à des questions techniques difficiles est une fausse opposition ». Hilary Putnam, Pragmatisme : An open question (Oxford : Blackwell, 1995), 22.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 9 – La praxis philosophique et les vertus, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 104.
Le dixième chapitre pose trois questions en titre : « Qu’est-ce qui est important ? Qu’est-ce qui est important dans la vérité ? Qu’est-ce qui est crucial en fin de compte ? ». Une seule citation s’impose :
Voici donc la thèse selon laquelle l’important n’est pas ce que Socrate a dit aux gens, mais ce qui compte, c’est ce qu’il était lui-même. J’ai affirmé cette thèse afin d’en élucider une autre, à savoir : ce que nous disons à ceux qui viennent nous rendre visite dans notre pratique est secondaire; bien plus crucial est ce que nous avons nous-mêmes « laissé dire ».22
____________
NOTE
22. Il y a une allusion à l’Eingelassenheit; voir chapitre 4.
ARCHENBACH, Gerd B., Philosophical praxis, Chapitre 10 – Qu’est-ce qui est important ? Qu’est-ce qui est important dans la vérité ? Qu’est-ce qui est crucial en fin de compte ?, Lexington Books (An imprint of Rowman & littlefield), p. 119.
Le onzième chapitre, « Caractère et destin – La pratique philosophique a beaucoup à apprendre de Schopenhauer », et le douzième chapitre, « La praxis philosophique comme alternative à la psychothérapie et à la pastorale » ferment la marche proposée par cet ouvrage.
Les propos du fondateur d’une innovation, en l’occurence ici ceux de Gard B. Archenbach sur la Paxis pilosophique, et dans ce cas sur des dizaines d’années d’expérimentation, offre aux lecteurs de boire à la source une eau pure avant toute autre interprétation et misinterprétation.
Tout ce que j’ai lu dans ce livre, je ne le retrouve pas dans la littérature francophone. Aussi, je me demande si la praxis philosophique dans le monde francophone n’évolue pas dans un ghetto en raison de la barrière de la langue, dans ce cas, celle entre l’allemand et le français. Aujourd’hui, la traduction de l’allemand à anglais d’une douzaine d’interventions de Gerd B. Archenbach, fondateur de la praxis philosophique, ouvre une porte à une plus grande diffusion de son expérience auprès de la population maîtrisant l’anglais.
Pour ma compréhension personnelle et puisque je ne me maîtrise pas l’anglais suffisamment pour en capter toutes nuances, j’ai traduit de l’anglais au français ce recueil de texte avec des logiciels spécialisés, d’où les extraits et les citations traduits dans ce rapport de lecture pour le bénéfice du monde francophone.
Ma lecture de « Philosophical Praxis – Origin, Relations, and Legacy » de Gerd B. Achenbach me donne beaucoup à penser. Il s’agit, pour moi, d’une nouvelle compréhension de la pratique philosophique dans sa version originale.
Mon premier contact avec la pratique philosophique a lieu en l’an 2000 lors de la parution de la traduction de l’anglais au français du livre « Platon, pas Projac ! » de Lou Marinoff. Je comprends alors que la philosophie peut nous aider à mieux vivre en se proposant comme piste de résolution de nos problèmes personnels et professionnel. La découverte m’enchante.
Puis, en 2020, je découvre la « philothérapie » dans la francophonie européenne à de nombreux livres portant en titre cette nouvelle appellation de la philosophie pratique. La théorie exposée dans ces publications me semble presque parfaite. Seules quelques propos soulèveront des appréhensions et seront l’objet de mes critiques, notamment, le copinage avec la psychologie qui sera le sujet de mon deuxième article le 11 octobre 2020.
J’ai déjà une dent contre la psychologie en raison de son manque d’efficacité depuis ma lecture en 1989 du livre « Séduction psychologique – Échec de la psychologie moderne » du psychologue américain William Kirk Kilpatrick. On peut imaginer ma réaction à la lecture du livre « Happycratie » en 2018.
Notez que l’appellation « philothérapie » dispraîtra presqu’entièrement de la bibliographie francophone européenne au fil des ans. On ne veut plus associer la pratique philosophique à une « thérapie »; un débat fait rare à savoir si la philosophie possède ou non un aspect thérapeutique.
Ce débat restera et demeure encore aujourd’hui ouvert mais il cédera sa place à une confrontation directe de la pratique philosophique avec le développement personnnel, du moins dans la francophonie européenne :
J’observe que la pratique philosophique dans le monde francophone européen souffre d’un manque de balises parce qu’elle éjecte les émotions de l’invité (le client) et lui manque ainsi de respect.
Mais cet accident ne m’empêche pas de conserver mon intérêt pour la philosophie pratique et je poursuis mes lectures et la publication de mes rapports de lecture.
De temps à autre, je consulte le site web de Gerd B. Archenbach jusqu’au jour, eurêka, j’apprends la publication en anglais de son livre « Philosophical praxis ». Ma lecture de ce recueil de texte me réconcilie avec la philosophie pratique parce qu’il place la personne (l’invité – le client) en priorité avec le plus grand des respects.
Je conseille à tous le livre Philosophical Praxis, Origin, Relations, and Legacy de Gerd B. Achenbach , traduit par Michael Picard, et paru chez Lexington Books – An imprint of The Rowman & Littlefield Punlishing Group, Inc. en 2024. Ce livre mérite cinq étoiles sur cinq.
« La liberté, c’est notre destin ! – La philosophie antique au cœur des débats actuels » de Pierre Laurendeau et paru aux Presses de l’Université Laval (PUF) en 2013. Cet ouvrage exprime fort bien comment la philosophie nous aide à mieux vivre.
Pourquoi les propos des philosophes de l’Antiquité grecque et latine, de même qu’asiatique, sont-ils toujours aussi actuels ? C’est en lisant douze extraits de ces penseurs sur la nature, la connaissance, la cité, la morale et le sens de la vie que vous le découvrirez. Mais précisons tout de suite au moins une chose : ces penseurs n’ont cessé de réfléchir à la liberté en lien avec les nécessités de la vie, ce qui demeure un des grands défis du XXIe siècle.
Pierre Laurendeau enseigne la philosophie au cégep. Il a publié quelques ouvrages, dont deux romans philosophiques et un essai intitulé Victor-Lévy Beaulieu en six temps (PUL, 2012).
Texte de présentation sur le site web de l’éditeur
Pour concevoir ce manuel de philosophie, Pierre Laurendeau a réuni des penseurs de l’Antiquité autour d’un questionnement sur la liberté et le déterminisme. Pourquoi les propos des philosophes de l’Antiquité grecque et latine, de même qu’asiatique, sont-ils toujours aussi actuels ? C’est en lisant douze extraits de ces penseurs sur la nature, la connaissance, la cité, la morale et le sens de la vie que vous le découvrirez.
«Il existait deux opinions sur lesquelles se partageaient les anciens philosophes, les uns pensant que cout se produit par le destin, en sorte que ce destin apportait la force de la nécessité (Démocrite, Héraclite, Empédocle, Aristote étaient de cet avis), les autres pour qui les mouvements volontaires de l’âme existaient sans aucune intervention du destin; Chrysippe, en position d’arbitre officieux, me paraît avoir choisi la position intermédiaire; mais il se rattache plutôt à ceux qui veulent voir les mouvements de l’âme libérés de la nécessité. Or quand il utilise ses propres expressions, il tombe dans des difficultés qui l’amènent à confirmer malgré lui la nécessité du destin.»
– (Cicéron, Du destin, §392)
Tout au long de l’histoire de l’humanité, des êtres humains se sont battus contre la nature, les dieux, l’oppression, l’ignorance, et même contre eux-mêmes afin de conquérir leur liberté. Cette conquête de la liberté semble être l’une des motivations fonda mentales de la vie humaine. Mais, face à la liberté, se sont toujours imposées des idées contraires, entre autres celle de la nécessité ou encore celle du déterminisme. L’idée de destin en fut une autre, elle se définissait principalement de la façon suivante: une force plus ou moins occulte, obscure et mystérieuse obligeant les êtres humains à suivre un chemin les menant à une réalité incontournable. À partir de cette vision du destin, la liberté apparaissait, pour beaucoup, comme une illusion.
En partant du fait que les idées de liberté et de destin ont toujours habité l’esprit des hommes, nous proposons une troisième voie, une espèce de duel inhérent à leur réalité. Encore aujourd’hui, ce duel d’idées, déterminant pour l’ensemble de nos choix et de nos actions, exprime, selon nous, le mouvement même de la vie.
Pour comprendre la dynamique de ce duel, remontons à l’Antiquité3 grecque, latine et même asiatique. C’est à cette époque qu’il a pris une tournure décisive: la quête de liberté se faisait alors plus consciente et plus systématique, et ce pour de plus en plus de gens.
Lorsque les premiers penseurs grecs ont remis en question l’ordre du cosmos établi par les dieux, ils cherchaient à comprendre les phénomènes naturels sans avoir recours à des explications surnaturelles. Ils se donnaient ainsi la liberté de penser le monde autrement. Ils remettaient aussi en question le sens et la place de l’être humain dans l’univers afin de mieux délimiter ses marges de manœuvre. De plus, ils instaurèrent la cité démocratique afin d’assurer les conditions de vie nécessaires aux hommes libres. Ils apprirent à débattre et à dialoguer, traçant les voies de la liberté d’expression. Ils visèrent à élargir leur liberté de penser et d’agir, comme si elle seule pouvait donner un sens à leur vie. Mais le duel n’était pas clos pour autant: aux yeux de plusieurs des penseurs et des gens d’action de l’Antiquité, le fait que la liberté soit plus grande ne signifiait pas nécessairement la disparition du destin, et encore moins celle des dieux, vus souvent comme les maîtres de ce destin.
En interrogeant le passé réflexif des êtres humains, c’est une façon de prendre un certain recul face aux enjeux contemporains de l’humanité et, par contraste, d’en dégager une perspective nouvelle. Prenons un seul exemple: les débats et les combats «violents» concernant la religion. Dieu est toujours présent pour la grande majorité des êtres humains et justifie bien des actions, parfois absurdes, sinon cruelles; mais, avec Dieu, il en va aussi du sens que les êtres humains donnent à la vie! Quand on se débarrasse de Dieu, que met-on à sa place?
Les recherches contemporaines en génétique et en psychologie nous font prendre conscience que nous sommes plus ou moins conditionnés, programmés, déterminés. Si une large part de ce que nous sommes est inconsciente, comme le croyait le docteur Freud, père de la psychanalyse, et si la société et les conditions sociales déterminent ce que nous sommes, comme le croyait le philosophe-économiste Karl Marx, que nous reste-e-il comme liberté? L’ONU a défini, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, des principes universels qui semblent valables pour la conduite de tous les humains. En ce sens, n’y a-t-il pas un but, un destin commun à toute vie humaine? Le souci pour l’humanité aurait-il remplacé la sollicitation de Dieu? Finalement, nous constatons que la liberté est au cœur de nos réalités quotidiennes, et que nous sommes constamment amenés à réfléchir à nos propres limites à son sujet.
Globalement, ce duel liberté/destin soulève toujours la question de l’avenir de l’humanité: toujours plus de liberté ou la reconnaissance d’un destin commun à l’espèce vivante que nous sommes? Deux poids à mettre dans la balance de notre conscience personnelle, car il semble bien que le futur humain repose sur la responsabilité de chacun.
Dans ce duel, que nous présentons comme une dualité liberté/destin, nous retenons cinq angles de réflexion qui ont prévalu au cours de l’Antiquité et qui demeurent encore pertinents: la nature, la connaissance, la cité, l’action et le sens de la vie. Pour ce qui a trait au sens de la vie, nous l’avons d’abord présenté sous l’aspect de la pensée occidentale, et ensuite sous l’aspect de la pensée orientale, étant convaincu de la complémentarité de ces deux aspects pour bien comprendre ce que nous sommes, nous, les êtres humains.
Pour chacun des angles de réflexion, nous vous proposons deux extraits de textes en duel: l’un nous apporte des arguments favorables au destin et l’autre à la liberté. Mais on peut souvent sentir que la frontière est bien mince entre les deux positions, car la pensée humaine ne semble pas pouvoir faire abstraction ni de l’une ni de l’autre. Alors, où trouver l’équilibre sinon en explorant les deux pôles et en les gardant vivants, afin de se faire « une tête » sur ce duel profondément humain. En ce sens, nous terminons la présentation de chaque angle de réflexion par un encadré dans lequel nous imaginons une certaine perspective des choses, perspective qui nous semble pertinente pour le XXIe siècle. De plus, nous vous suggérons quelques questions à réflexion après chaque extrait de texte, et finalement une mise en débat ou en dialogue des deux penseurs vus.
Nous osons croire que cette présentation des penseurs de l’Antiquité vous fera voir leur intarissable actualité, comme s’ils demeuraient des sources d’inspiration profondes pour nous, les êtres humains du XXIe siècle.
« En plus d’enseigner la philosophie au collégial depuis plusieurs années, je suis aussi auteur, conférencier, formateur et animateur. J’ai publié 3 romans Jeunesse, un manuel de philosophie et deux essais. Un de mes romans Jeunesse s’intitule Les mots de mon père. Pour les essais, j’en ai un sur l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu et un en Philosophie pour enfants intitulé Des enfants pensent l’avenir. Mon manuel de philosophie porte le titre La liberté, c’est notre destin.
Comme conférencier, je propose présentement une conférence sur Victor-Lévy Beaulieu et une sur le Bonheur.
Comme formateur, j’ai donné récemment un atelier à des enseignants sur le développement d’une relation éducative satisfaisante avec les étudiants basée sur l’écriture.
Comme animateur, j’anime depuis trois ans des Cafés philo. Je propose aussi un atelier sur L’initiation à la vie philosophique et un autre sur l’écriture. »
De l’intuition à une philosophie de l’éducation : vers l’humain
Résumé
Dans notre travail, nous avions deux objectifs majeurs: rendre l’intuition plus présente au fonctionnement de l’éducateur; montrer l’importance de la philosophie, pour une action consciente. De fait, nous cherchions une philosophie de l’éducation découlant directement d’un approfondissement de l’intuition. Cet approfondissement s’est réalisé par une problématique ouverte sur trois champs d’exploration: pédagogie, psychologie et sociologie. Dans chacun d’eux, nous avons cherché la place de l’intuition, afin de bâtir une structure constituée de l’ensemble des éléments liés à sa présence en éducation. Cette façon de procéder, pour définir l’intuition de manière plus dynamique, nous a permis de la comprendre, non plus uniquement comme état, mais insérer dans un processus. Nous voulions comprendre l’apport de l’intuition, sans en faire l’apologie au détriment des autres composantes essentielles dans un fonctionnement éducatif. Nous voulions démontrer ainsi la nécessité de l’intuition en éducation et indiquer ce qui lui était complémentaire. Nous devions alors nommer sa particularité, la rendant si indispensable. L’intuition, depuis les études en phénoménologie, est devenue essentielle à une action consciente, impliquant une intention claire; ce qui nous a attiré, c’est l’unification active de trois facettes d’une même réalité. Elle agissait simultanément à trois niveaux différents: par la synthèse, au niveau de la connaissance (pédagogique); par la réciprocité, au niveau relationnel (psychologique): par la solidarité, au niveau de l’adaptation (sociologique). L’intuition rendait pour nous, l’apport de chacun d’eux nécessaire, pour une action consciente.
La philosophie antique aux cœur des débats actuels
Pierre Laurendeau
Presse de l’Université Laval, 2013
Ce livre s’inscrit en lien direct avec la philosophie pratique appliquées à notre vie de tous les jours, à notre mode de vie ou notre manière de vivre, et, plus spécifiquement à notre implication dans les débats actuels, en remontant aux philosophes de l’Antiquité.
Le titre, « La liberté, c’est notre destin ! » projette à l’avant scène la dualité de nos vies. Sommes-nous à la fois libres et déterminés ? Au premier abord, la liberté exclue que nous soyons entièrement déterminés et le destin exclue que nous soyons entièrement libres.
«Il existait deux opinions sur lesquelles se partageaient les anciens philosophes, les uns pensant que cout se produit par le destin, en sorte que ce destin apportait la force de la nécessité (Démocrite, Héraclite, Empédocle, Aristote étaient de cet avis), les autres pour qui les mouvements volontaires de l’âme existaient sans aucune intervention du destin; Chrysippe, en position d’arbitre officieux, me paraît avoir choisi la position intermédiaire; mais il se rattache plutôt à ceux qui veulent voir les mouvements de l’âme libérés de la nécessité. Or quand il utilise ses propres expressions, il tombe dans des difficultés qui l’amènent à confirmer malgré lui la nécessité du destin.»
– (Cicéron, Du destin, §392)
Tout au long de l’histoire de l’humanité, des êtres humains se sont battus contre la nature, les dieux, l’oppression, l’ignorance, et même contre eux-mêmes afin de conquérir leur liberté. Cette conquête de la liberté semble être l’une des motivations fonda mentales de la vie humaine. Mais, face à la liberté, se sont toujours imposées des idées contraires, entre autres celle de la nécessité ou encore celle du déterminisme. L’idée de destin en fut une autre, elle se définissait principalement de la façon suivante: une force plus ou moins occulte, obscure et mystérieuse obligeant les êtres humains à suivre un chemin les menant à une réalité incontournable. À partir de cette vision du destin, la liberté apparaissait, pour beaucoup, comme une illusion.
En partant du fait que les idées de liberté et de destin ont toujours habité l’esprit des hommes, nous proposons une troisième voie, une espèce de duel inhérent à leur réalité. Encore aujourd’hui, ce duel d’idées, déterminant pour l’ensemble de nos choix et de nos actions, exprime, selon nous, le mouvement même de la vie.
Pour comprendre la dynamique de ce duel, remontons à l’Antiquité3 grecque, latine et même asiatique. C’est à cette époque qu’il a pris une tournure décisive: la quête de liberté se faisait alors plus consciente et plus systématique, et ce pour de plus en plus de gens.
Globalement, ce duel liberté/destin soulève toujours la question de l’avenir de l’humanité: toujours plus de liberté ou la reconnaissance d’un destin commun à l’espèce vivante que nous sommes? Deux poids à mettre dans la balance de notre conscience personnelle, car il semble bien que le futur humain repose sur la responsabilité de chacun.
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Introduction, Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), pp. 1-2.
Pierre Laurendeau oppose la liberté et le destin dans un duel d’idées, et ce, conformément aux penseurs de l’Antiquité. Or, personnellement, je n’adhère pas l’idée de « destin » reconnu par l’auteur comme : « une force plus ou moins occulte, obscure et mystérieuse obligeant les êtres humains à suivre un chemin les menant à une réalité incontournable ».
DESTIN nom masculin
Étymologie : XIIe siècle. Déverbal de destiner.
1. Puissance supérieure et inconnaissable à laquelle on attribue le pouvoir de gouverner l’ordre des choses et la succession des évènements. L’ordre, les arrêts du destin. Le destin aveugle, implacable. Les anciens tenaient le destin pour une puissance à laquelle les dieux mêmes étaient soumis. Spécialement. Cette puissance divinisée. Le Destin. Litt. Au pluriel. Au-dessus des dieux, il y a les destins. Les destins ennemis. Les destins favorables.
▪ Expr. Forcer le destin, s’élever contre une apparente fatalité. C’est le destin ! la fatalité contre laquelle on ne peut rien faire.
2. Le cours de la vie humaine, considéré comme relevant de la fatalité. Un heureux destin. Un destin funeste, tragique. Il était promis à un destin glorieux. Accomplir son destin. Se soumettre à son destin.
3. Le cours de la vie personnelle ou collective, regardé comme modifiable par la volonté, les décisions, les choix personnels. Être maître de son destin. Prendre en main son destin. Être responsable de son destin. Agir sur son destin. Manquer son destin.
4. Par analogie. Ce qu’il advient de quelque chose. Le destin, les destins d’un empire. Les destins d’un combat, d’une campagne militaire. Tel est le destin des dictatures, la fin qu’on peut leur prédire.
5. Finalité, vocation, orientation, avenir d’un être, d’une espèce, d’une société, d’une discipline, etc. Le destin de l’homme est de dépasser la condition animale. Le destin d’une découverte.
6. Class. Vie, existence. Il a terminé son destin. Trancher, abréger le destin de quelqu’un.
Il y a eu trop d’aléas décisionnels dans ma vie pour que je puisse me reconnaître un destin, une destinée, même au sens imagé. Je ne m’imagine pas destiné à quoi que ce soit. Le seul point auquel je peux me rallier librement et par compromis dans la définition donnée du « destin » dans le Dictionnaire de l’Académie française est le point numéro 3 : « Le cours de la vie personnelle ou collective, regardé comme modifiable par la volonté, les décisions, les choix personnels. Être maître de son destin. Prendre en main son destin. Être responsable de son destin. Agir sur son destin. Manquer son destin. »
Mon refus de l’idée de destin ne repose pas sur une quête de liberté. Avoir un destin préétablit, dit-on, fait de la liberté une pure illusion. Notre chemin étant déjà tracé, on n’a plus rien à décider que de l’emprunter.
Je me demande si l’idée de destin ne vient pas rescousse de celui ou celle qui cherche à se reconnaître une valeur propre dans une association avec « une force plus ou moins occulte, obscure et mystérieuse ».
Globalement, ce duel liberté/destin soulève toujours la question de l’avenir de l’humanité: toujours plus de liberté ou la reconnaissance d’un destin commun à l’espèce vivante que nous sommes? Deux poids à mettre dans la balance de notre conscience personnelle, car il semble bien que le futur humain repose sur la responsabilité de chacun.
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Introduction, Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), p.3.
Le notion de responsabilité de chacun ( « car il semble bien que le futur humain repose sur la responsabilité de chacun ») dans ce « ce duel liberté/destin » soulève la question de l’individualisme face à l’idée « d’un destin commun à l’espèce vivante que nous sommes ». Je m’oppose à la sur-responsabilisation de l’individu dans le contexte mondial du « futur humain ». Il m’apparaît improbable que nous changions tous individuellement pour influer sur le futur collectif, sur l’humanité dans son ensemble. Un seul espoir m’anime et il repose sur le statut de l’individu comme citoyen, comme membre actif de la Cité.
Mais cet espoir demeure dans les limites civilisationnelles. De toute l’histoire de l’Homme, ce n’est pas l’Homme qui perd pied, mais les civilisations : « Ensemble des connaissances, des croyances, des institutions, des mœurs, des arts et des techniques d’une société. Les civilisations primitives. La civilisation chinoise, égyptienne. La civilisation grecque, hellénistique, romaine, arabe. Les civilisations précolombiennes. La civilisation chrétienne. La civilisation occidentale. La Méditerranée a été le berceau de nos civilisations. Une civilisation agraire. La civilisation industrielle. Une brillante civilisation. Le déclin, la fin, les vestiges d’une civilisation. Une civilisation moribonde, disparue. L’aire de diffusion d’une grande civilisation. » (Civilisation, Dictionnaire de l’Académie française).
Les destin commun de l’humanité est d’abord civilisationnel. La prise de conscience d’un destin commun ne peut se faire qu’entre ceux et celles de même civilisation.
Car aux limites de la liberté s’impose le conditionnement civilisationnel et des sociétés qui la compose. Il n’y a que dans ce conditionnement que je puisse me reconnaître un certain déterminisme, une certaine destinée, un certain destin, couplés d’une certaine liberté de penser et d’action, elle-même conditionnée. Même les instincts innés que je partage avec tous les hommes demeurent sous le conditionnement de la civilisation où je suis né.
Au Chapitre 1, « Cultive le naturel… », entre en scène Marc-Aurèle (stoïcien) (121-180)
Contrairement à Épicure, Marc-Aurèle n’a pas fondé d’école de philosophie. Il appartient à l’école stoïcienne de pensée, dite aussi école du Portique. Le stoïcisme privilégie le respect, tout à la fois, de sa propre nature et de la nature universelle : chacun a un destin qui lui est propre, mais tous les destins conduisent à se reconnaître dans une Intelligence universelle. Selon les stoïciens, on ne choisit pas ce qui nous arrive, mais on choisit les pensées qui les accompagnent. Autrement dit, chaque chose qui nous arrive, on peut la voir positivement ou négativement. Si l’on vit, par exemple, un échec amoureux, on a le choix entre se sentir démoralisé ou décider d’apprendre de son échec, ce qui oriente positivement nos amours futurs. Globalement, il faut retenir de cette philosophie que nous sommes naturellement des être de raison et des êtres sociables, faisant partie d’un tout immuable et harmonieux.
Chez les stoïciens prime donc le destin, mais ce sort n’exclut pas totalement toute forme de liberté, car nous pouvons, avec notre raison, développer une maîtrise de nos pensées, nos croyances et nos jugements. Dans ce contexte, la liberté individuelle, cadeau du divin, sert essentiellement à réaliser notre destin d’être humain, qui lui est universel. En d’autres mots, notre bonheur ne peut faire fi de celui des autres.
Aujourd’hui, de quelqu’un qui adopte cette philosophie, on dit qu’il est un stoïque, c’est-à-dire courageux, ferme, imperturbable, inébranlable, affrontant la souffrance et l’adversité avec détermination. La pensée positive, qui consiste à se convaincre que tout va bien aller, irait peut-être dans le sens du stoïcisme. Notre sens d’une responsabilité face à l’humanité, qui se concrétise par notre engagement dans des causes humanitaires, rejoint de même cette philosophie.
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 1 – Cultive le naturel…, Marc-Aurèle (stoïcien) (121-180), Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), pp. 14-15.
Selon les stoïciens, on ne choisit pas ce qui nous arrive, mais on choisit les pensées qui les accompagnent.
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 1 – Cultive le naturel…, Marc-Aurèle (stoïcien) (121-180), Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), p. 15.
Évidemment, si « on ne choisit pas ce qui nous arrive », on ne peut pas être sur-responsabilisé. Or, j’ai connu au cours de ma vie une époque où, selon mes proches, tout ce qui m’arrivait était de ma faute. Ma réponse intérieure : « J’ai fait de mon mieux au meilleur de mes connaissances et de mon expérience ». J’ai souffert de cette sur-responsabilisation jusqu’au jours où un observateur compréhensif m’a dit, sans détour : « Cesse de porter le monde sur tes épaules ». Mais il me fallait comprendre que je ne contrôlais pas tout ce qui m’arrivait. Et pour y parvenir, je devais prendre conscience d’un problème que je ne soupçonnais pas du tout : un problème de rigidité. Ce qui fut réglé. Dès lors, je ne pouvais que prendre la responsabilité et intervenir sur ce que je contrôlais.
Mais je demeure persuadé de ma part de responsabilité dans ce qui m’arrive. Je ne parviens pas à me percevoir que comme une victime de ce qui m’arrive parce que je suis un acteur de ce qui m’arrive. Il y a parfois des pensées décisionnelles, des choix, qui provoquent ce qui nous arrive. Et de la justesse de nos choix tient la connaissance.
Dans nos pays occidentaux, on a même démocratisé la connaissance à travers nos systèmes d’éducation afin que de plus en plus d’humains acquièrent un pouvoir sur leur vie. A-t-on obtenu le résultat escompté ? En partie peut-être, mais une question de fond demeure, héritée de l’Antiquité : nos connaissances sont-elles toujours mises à profit pour le meilleur de l’être humain ? Il parait évident que certains usent de la connaissance pour dominer et manipuler et, en ce sens, elle favorise la discrimination, l’exploitation et l’exclusion. L’humanité est donc de plus en plus appelée à garder vivante le but de la connaissance : ne doit-elle pas toujours nous conduire vers le bonheur, la liberté, et ultimement la sagesse ? À ce sujet, il semble bien que Platon et Aristote tomberaient d’accord. Et beaucoup d’humains sont aussi convaincus que le but de la connaissance, c’est l’épanouissement de notre humanité. Tel serait notre destin comme espèce vivante !
La dualité entre liberté et destin, face à la connaissance, se passe entre l’Idée innée de Platon, aux allures de destin, et l’idée construite d’Aristote, aux figures de liberté. Personne aujourd’hui ne peut nier l’importance de la connaissance pour notre avenir, mais il faut savoir à quelles sources s’abreuver et dans quel sens il faut l’orienter pour le meilleur de l’humanité…
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 2 – Connaissance – Allume tes lumières…, Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), pp. 24-25.
Si « Personne aujourd’hui ne peut nier l’importance de la connaissance pour notre avenir, mais il faut savoir à quelles sources s’abreuver et dans quel sens il faut l’orienter pour le meilleur de l’humanité », le problème demeure dans sa définition.
CONNAISSANCE nom féminin
Étymologie : XIIe siècle, conoisance, « acte de connaître, idée, notion de quelque chose ». Dérivé du radical du participe présent de connaître.
I. Exercice de la faculté par laquelle on connaît et distingue les objets, ainsi que les actes ou états du sujet.
1. Acte de l’esprit par lequel on se représente, définit ou comprend un objet. Les voies de la connaissance. Connaissance intuitive, rationnelle, empirique, sensible. Une connaissance claire et distincte. La connaissance scientifique. Théorie de la connaissance. Critique de la connaissance.
2. Le fait d’être informé ou de s’informer, d’apprendre quelque chose. Cela est venu à la connaissance des autorités. Porter un règlement à la connaissance du public. J’ai eu, je n’ai pas eu connaissance de cet évènement, de cette affaire. On m’a donné connaissance des dernières conclusions de l’enquête.
▪ Expr. À ma connaissance, autant que je sache. À ma connaissance, il est déjà de retour.
3. Idée, notion que l’on a d’une personne ou d’une chose, représentation que l’on s’en fait. La connaissance de Dieu. La connaissance du bien et du mal. La connaissance des hommes, du cœur humain. La connaissance de l’avenir.
4. Sentiment de sa propre existence ; plein exercice de ses facultés. Perdre connaissance, tomber sans connaissance, s’évanouir. Elle est restée longtemps sans connaissance. Il a repris rapidement connaissance. Il a conservé toute sa connaissance.
5. Ce que l’on connaît par l’étude, l’expérience ou par tout autre moyen d’information. Avoir une connaissance théorique, pratique. Avoir d’un sujet une connaissance approximative, vague, fragmentaire, précise, exhaustive, exacte. Il n’a qu’une connaissance superficielle du dossier. Il a une grande connaissance des langues, une solide connaissance de la musique.
▪ Au pluriel. Ensemble de ce que l’on a appris ; savoir, acquis. Avoir de grandes, de profondes, de vastes connaissances. Des connaissances sommaires, élémentaires, fragmentaires. Acquérir, amasser, accumuler les connaissances. Il a, dans ce domaine, des connaissances précises, étendues. Savoir tirer parti de ses connaissances. Faire montre de ses connaissances et, péj., étaler ses connaissances. Marque de domaine : enseignement. Contrôle continu des connaissances, mode d’évaluation des acquisitions de l’élève par des contrôles partiels et fréquents.
Titre célèbre : Connaissance de l’Est, de Paul Claudel (1900 et 1907).
6. Spécialement. Marque de domaine : droit. Le droit de connaître de certaines affaires, le droit de juger. Attribuer à un tribunal la connaissance de certaines causes. Expr. En connaissance de cause, voir Cause. – Marque de domaine : marine. Avoir connaissance d’une côte, d’une île, l’apercevoir et l’identifier. – Marque de domaine : vènerie. Avoir connaissance d’une bête, en apercevoir les traces. Au pluriel. Traces laissées par le pied de l’animal, donnant des indications sur son âge, sa taille, etc. – Marque de domaine : astronomie. Connaissance des temps, volume de tables, publié chaque année par le Bureau des longitudes, et donnant à l’avance les éléments variables des différents astres.
Observez l’absence du mot « opinion » dans cette définition de la « connaissance ». Or, de nos jours, l’opinion qu’on a de la connaissance est devenue plus importante que la connaissance elle-même. Penser la connaissance, c’est s’en faire une opinion. Et de là la dérive qui conduit une personne à prendre pour vrai ce qu’elle pense uniquement parce qu’elle le pense.
Il y avait donc, pour Platon, un ordre du monde préexistant à notre existence. Une fois que nous étions conscients de ce déterminisme, de ce destin, nous étions sur la bonne voie. Nous pouvions voir progressivement l’essentiel des choses, que Platon appelait connaissance intelligible et qu’il opposait à la connaissance sensible. En ce sens, « Platon prétendait s’attaquer aux connaissances fondées sur la sensation et l’empirisme et opposait la stabilité du véritable savoir aux changements de l’opinion (…) » 5. L’opinion, considérée comme un point de vue non remis en question sur quelque chose, ne nous permettait pas d’acquérir un savoir certain sur la chose perçue.
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 2 – Connaissance – Allume tes lumières…, Platon (-428 -348), Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), p. 27.
Bref, la connaissance n’est pas une opinion prise pour vraie. « Il est vrai que je pense », ça va. « Ce que je pense est vrai », ça ne va pas.
Je ne m’accorde pas avec l’idée de réminiscence mise de l’avant par Platon, d’un « ordre du monde préexistant à notre existence ». Je ne crois que nous savons tout par nos vie passées et qu’il suffit de s’en souvenir.
Je ne m’accorde pas non plus avec l’opposition de Platon à la connaissance sensible. Je préfère celle d’Aristote.
Pour Aristote, ce sont nos sensations qui sont à la base de nos connaissances. Autrement dit, la connaissance sensible est au fondement de toute connaissance. Il faut d’abord s’intéresser au monde des choses avant de regarder du côté du monde des idées. Aristote parle alors d’induction : pour connaître, il faut partir des choses concrètes, des cas particuliers avant d’arriver à l’idée ou concept. Nous construisons notre idée au lieu de la trouver toute faite en nous, et ce grâce à notre puissance de juger. La sensation est un préliminaire à la connaissance, mais n’est pas suffisante ; il faut à partir de plusieurs sensations, de plusieurs cas particuliers, bâtir la connaissance, qui elle est universelle. C’est ce que vise d’ailleurs la démonstration qui, si elle est bien faite, entraîne l’assentiment de tous. En ce sens, « Aristote, (…), va emprunter à Socrate et à Platon l’idée que la connaissance doit être la recherche du nécessaire et de l’universel et dépasser la sphère de l’opinion changeante et incertaine »9. Par contre, il n’y a pas d’opposition entre la sensation et l’idée, comme chez Platon, mais continuité de l’une à l’autre.
____________
9Jacqueline Russ, Panorama des idées philosophiques. De Platon aux contemporains, Armand Colin, 2000, p. 26.
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 2 – Connaissance – Allume tes lumières…, Aristote (-384 -322), Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), p. 27.
La connaissance sensible, acquise par les sens, révèle beaucoup sur nous mêmes en nous informant ce qui attire et retient notre attention. Notre subjectivité influence la connaissance sensible.
Le pouvoir de la « chose », de l’objet de la connaissance qui, par ses stimulus, appelle notre subjectivité. Un objet, quel qu’il soit, n’est jamais neutre en soi :
Nous aimons croire que nous sommes objectifs, que nous nous intéressons à des informations objectives. En réalité, si l’on ne devient pas subjectif face à une nouvelle information objective, on ne s’y intéresse pas et on n’est pas motivé par elle. Nous disons que nous jugeons objectivement, mais en réalité nous réagissons subjectivement.
Nous faisons continuellement des choix dans la vie quotidienne. Nous choisissons les « choses » qui nous attirent subjectivement, mais nous considérons ces choix comme objectifs.
« Le comportement d’un individu se base sur son schéma de références. Le schéma de références d’un individu détermine ses attitudes. Consciemment et inconsciemment, un individu acquiert des concepts qui deviennent une partie de lui-même et qui sont la base de toutes ses attitudes. Le schéma de références est acquis des parents, des enseignants, des relations et des amis, du type d’émissions de radio que nous entendons, des émissions de télévision que nous regardons et du type de livres, magazines et journaux que nous lisons. La plupart d’entre nous croyons tirer des faits de ces sources, non pas des attitudes. Nous pensons que nous avons accumulé des informations objectives, non pas un schéma de références. »
TEXTE ORIGINAL EN ANGLAIS
We like to believe that we are objective, that we are interested in objective information. Actually, unless one becomes subjective about a new objective information, he is not interested in it and is not motivated by it. We say we judge objectively, but actually we react subjectively.
We continually make choices in daily life. We choose the « things » which appeal to us subjectively, but we consider the choices objective. »
An individual’s behavior is based on his frame of refer-ence. A person’s frame of reference determines his attitudes. Consciously and unconsciously one acquires concepts that become part of him and are the basis of all his attitudes. The frame of reference is acquired from parents, teachers, relatives and friends, from the type of radio pro-grams we hear, the T.V. programs we watch and from the kind of books, magazines and newspapers we read. Most of us believe we acquire facts from these sources, not attitudes. We think we have accumulated objective information, not a frame of reference.
Source : Cheskin, Louis, Basis For marketing Decision, Liveright, New York, 1961, p. 82.
Voilà l’entrée en scène de la pensée scientifique dans le traitement de la connaissance sensible. « C’est ce que vise d’ailleurs la démonstration qui, si elle est bien faite, entraîne l’assentiment de tous » écrit Pierre Laurendeau au sujet d’Aristote. Il faut ici parler d’une démonstration scientifique, soumise aux règles de la pensée scientifique pour être dite « bien faite ». Elle permet alors de dégager une connaissance qui soit universelle par la mise à l’épreuve de la connaissance sensible : « La sensation est un préliminaire à la connaissance, mais n’est pas suffisante ; il faut à partir de plusieurs sensations, de plusieurs cas particuliers, bâtir la connaissance, qui elle est universelle » écrit Pierre Laurendeau. Par exemple, il me faut une connaissance sensible de plusieurs arbres de différentes essences pour parvenir à une connaissance universelle de l’arbre, ainsi je peux déduire la définition d’un arbre dans chacune des composantes que les arbres partagent pour être un arbre.
Il faut aussi prendre en considération le déterminisme de la connaissance sensible en nous livrant à une catharsis intellectuelle pour ainsi conduire notre intelligence avec rigueur.
CITATION
De la psychanalyse du sujet connaissant à l’objectivité scientifique dans l’épistémologie Bachelardienne, Merleau NSIMBA NGOMA
L’exigence de la catharsis intellectuelle et affective
« Toute culture scientifique doit commencer (…) par une catharsis intellectuelle et affective, nous dit Bachelard »174(*).
Par cette exigence, Bachelard pense que pour donner vraiment à la raison d’évoluer, il nous faut en toute permanence nous purifier des préjuges, des idées toutes faites, des opinions admises. La culture scientifique doit, dans ses mots, se défaire de tout narcissisme intellectuel et de tout vain optimisme. « Une tète bien faite est malheureusement, une tête fermée. C’est un produit de l’école »175(*).
La catharsis intellectuelle et affective est ce combat contre nous-mêmes. Elle est une condition préalable pour quiconque qui veut vraiment entreprendre une recherche intellectuelle.
Elle nous donne cette conviction que « pour que nous ayons quelque garantie d’être du même avis, sur une idée particulière, il faut, pour le moins que nous n’ayons été du même avis. Deux hommes, s’ils veulent s’entendre vraiment, ont du d’abord se contrarie. La vérité est la fille de la discussion, non pas fille de la sympathie »176(*).
____________
174(*) G. BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique, p.18.
Gaston Bachelard. La formation de l’esprit scientifique, Académie de Grenoble
CHAPITRE I : La notion d’obstacle épistémologique
Dans l’acte même de connaître, la connaissance scientifique doit faire face à des obstacles épistémologiques qui sont causes de lenteur, d’inertie, de stagnation.
La science doit accepter son passé faits d’erreurs dans un véritable « repentir intellectuel ». Mais elle doit aussi détruire ces obstacles qui sont « des connaissances mal faites » et qui font obstacle à l’abstraction et à la « spiritualisation ». Accéder à la science, c’est, spirituellement rajeunir, c’est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé.
La science s’oppose donc à l’opinion. L’opinion de Bachelard sur l’opinion est sans appel :
« l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances ! En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. »
Ce qui manque à l’opinion, c’est le « sens du problème ».
« La notion d’obstacle épistémologique peut être étudiée dans le développement historique de la pensée scientifique et dans la pratique de l’éducation. Dans l’éducation, la notion d’obstacle pédagogique est également méconnue. J’ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c’est possible, ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas. s’agit alors, non pas d’acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne. »
« Ainsi toute culture scientifique doit commencer, comme nous l’expliquerons longuement, par une catharsis intellectuelle et affective. Reste ensuite la tâche la plus difficile : mettre la culture scientifique en état de mobilisation permanente, remplacer le savoir fermé et statique par une connaissance ouverte et dynamique, [19] dialectiser toutes les variables expérimentales, donner enfin à la raison des raisons d’évoluer. Un éducateur n’a pas le sens de l’échec précisément parce qu’il se croit un maître. »
Revenons au livre « La liberté, c’est notre destin ! » de Pierre Laurendeau. Il conclut en ces mots et et avec ces questions le deuxième chapitre traitant de la connaissance :
Aujourd’hui, lorsque l’on parle de CONNAISSANCE, on pense pour beaucoup à la connaissance scientifique qui vise l’objectivité, c’est-à-dire qu’à partir de faits concrets elle élabore des théories. Et ces théories sont valables lorsqu’elles permettent de résoudre des problèmes concrets. Au quotidien, chacun d’entre nous fonctionne à partir de connaissances pratiques, à savoir comment faire cuire un œuf ou comment se comporter avec les autres pour se faire des amis. Sur le plan professionnel, on développe des compétences dans un champ de connaissance afin de pouvoir travailler avec efficacité. Puis la société a besoin de connaissances qui font consensus afin que les différentes tendances et les différentes croyances puissent cohabiter ensemble. Il y aurait donc des connaissances individuelle et des connaissances collectives, des connaissances scientifiques et des connaissances philosophiques.
Nos deux philosophes, Aristote et Platon, visaient, par une réflexion sur la connaissance, à rendre l’être humain raisonnable et meilleur, donc plus sage. Se pourrait-il que ce but philosophique soit toujours aussi valable ?
En s’inspirant de Platon et Aristote,
qui ont défini les bases de la connaissance humaine,
ne faut-il pas continuer à réfléchir
à qui nous sommes comme êtres humains
pour comprendre le sens à donner
à notre recherche de connaissance ?
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 2 – Connaissance – Allume tes lumières…, Aristote (-384 -322), Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), p. 38.
Pierre Laurendeau nous parle de quatre types de connaissance : les connaissances individuelle et les connaissances collectives, les connaissances scientifiques et les connaissances philosophiques. Ces connaissances représentent pour moi les différentes branches de l’arbre et leur le feuillage. Dans ce contexte, il faut tenir compte du tronc et des racines de l’arbre afin de comprendre comment je connais, comment nous pensons (voir mon rapport de lecture : Article # 24 – Comment nous pensons, John Dewey, Les empêcheurs de penser en rond/Seuil).
Du troisième chapitre, « Cité – Arrive en ville… », je retiens cette citation de Cicéron :
DES BIENS ET DES MAUX (DE FINIBUS)6
C’est la nature qui nous pousse à vouloir rendre service au plus grande nombre possible, particulièrement en instruisant les autres et en leur transmettant les règles de la sagesse. Aussi n’est-il pas facile de trouver un homme qui ne transmette à autrui les connaissances qu’il a lui-même acquises ; et nous sommes portés non seulement à apprendre, mais à enseigner. Comme la nature a donné aux taureaux de lutter contre les liens de toutes leurs forces et de tout leur élan pour défendre leurs veaux, elle pousse également les hommes valeureux et capables d’agir, (…), à sauver le genre humain. (…) Donc, de même que nous nous servons de nos membres avoir d’avoir appris pour quel usage nous les possédons, de même c’est la nature qui nous a liés et associés en vue d’une communauté politique : s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait place ni pour la justice ni pour l’honnêteté. (…) puisque la nature humaine est telle qu’il y a entre chaque homme et le genre humain une sorte de droit civil, le juste est celui qui observe ce droit, l’injuste celui qui le transgresse, Mais de même que, au théâtre, on peut dire justement, bien qu’il appartienne à tous, que la place qu’un spectateur a occupé est bien à lui, ainsi, dans la cité ou le monde qui est commun à tous, le droit ne s’oppose pas à ce que chaque chose appartienne en propre à chacun. Puisque nous voyons que l’homme est né pour la protection et le salut de ses semblables, il est conforme à cette nature que le sage veuille s’occuper des affaires publiques et administrer.
____________
6 Cicéron, Des biens et des maux (De finibus), traduction par Émile Brehier, Livre III, chap. XX, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1962, P. 286-287
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 3 – Cité – Arrive en ville…, Cicéron (-106 -43), Aristote (-384 -322), Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), p. 46.
Cicéron écrit : « C’est la nature qui nous pousse à vouloir rendre service au plus grande nombre possible » et il ajoute « (…) de même c’est la nature qui nous a liés et associés en vue d’une communauté politique ». Je me demande si la société individualiste occidentale ne va pas contre-nature en s’attardant avant tout et quasi exclusivement à la personne et freine ainsi la volonté naturelle à rendre service au plus grand nombre. Les maigres taux de participation aux élections dans la Cité ne démontrent-ils pas que nos liaisons et nos associations en vue d’une communauté politique s’effritent ?
Est-ce vraiment dans notre nature de vouloir rendre service au plus grand nombre ? J’en doute. Il me semble plutôt que c’est une question d’éducation à la solidarité. Quand ma mère me demandait d’aller porter un plat de soupe à notre voisin de 98 ans, elle m’enseignait l’importance de la solidarité.
Aussi, je me demande si les individus sont encore motivés à instruire les autres et leur transmettent les règles de la sagesse. Les individus ne se désengagent-ils pas personnellement de leur volonté naturelle à rendre service au plus grand nombre possible, et ce, au profit de la Cité (de l’État). Si l’entraide s’inscrit dans la nature même de l’homme, elle revenait davantage à quelques individus et institutions religieuses. Au Québec, lorsque les citoyens rejetèrent la religion catholique, jusque-là dominante sur tous les aspects de la vie et même du travail et de la politique, lors de la Révolution tranquille dans les années 1960, les institutions religieuses furent déclassées par l’État en matière de charité. La charité n’était plu désormais une affaire interpersonnelle mais une affaire politique.
CITATION
L’histoire du droit à l’aide sociale au Québec (1969-2011)
Avant 1969
Il existait un éventail de programmes d’aide:
Assistance aux mères nécessiteuses
Allocations aux personnes aveugles
Aide aux personnes invalides
Allocations sociales
Allocations scolaires
Assistance aux personnes âgées
Assistance publique
Chaque programme avait ses critères d’admissibilité et prévoyait des prestations différentes. La gestion relevait des municipalités, des églises et des communautés religieuses. La distribution de l’aide était principalement basée sur des motifs « dits » charitables, sur la valeur morale et non sur des principes de justice et de droit. On étiquetait les personnes soit de «bons pauvres méritants» soit de «mauvais pauvres». Les individus se devaient d’avoir des comportements répondant aux mentalités de l’époque pour avoir accès à de l’aide. Par exemple, pour avoir accès aux programmes destinés aux mères nécessiteuses, les femmes devaient obtenir du clergé un certificat de bonne conduite. Le clergé décidait alors si les femmes qui faisaient une demande d’aide étaient de bonnes mères et avaient des mœurs de « bonnes chrétiennes ». Les femmes qui n’allaient pas assez souvent à l’église ou étaient soupçonnées d’avoir des relations avec plusieurs hommes pouvaient se voir refuser de l’aide.
(…)
1969 : première Loi sur l’aide sociale (bill 26)
Pour faire suite aux recommandations du Rapport Boucher, le gouvernement du Québec adopte la première loi d’aide sociale (bill 26) en 1969. À cette époque, le chèque d’aide sociale pour les personnes âgées de plus de 30 ans était de 217$ par mois. Si l’on avait indexé ce montant chaque année au même taux que les différents régimes de pension (RRQ, CSST, Pension du Canada), le chèque d’aide sociale serait aujourd’hui de 1299,87$ par mois. Ce montant était pour couvrir ce que le gouvernement qualifiait de besoins ordinaires (logement, nourriture, vêtement, besoins personnels et domestiques). Toutefois, le gouvernement accordait des montants supplémentaires pour les personnes ayant des besoins spéciaux, tels que diète prescrite, aide pour déménagement, prothèses, frais dentaires ou auxiliaires familiales6.
En dépit des tensions au sein même du gouvernement libéral d’alors, entre le droit à l’aide sociale et la norme relative à l’obligation de travailler, « le droit à l’aide sociale a constitué l’objet principal de la Loi sur l’aide sociale adoptée en 19697 ». « Dans le cadre de cette loi seront désormais unifiés tous les programmes d’assistance catégorielle […] ([ex.] aveugles, invalides, mères seules, assistance publique, etc.)»8. Toutefois, une nouvelle division se crée entre les sans emploi et les moins de 30 ans.
Pierre Laurendeau adresse des questions à la fin de chaque chapitre de son ouvrage. Voici celles à la fin du troisième chapitre « Cité – Arrive en ville… » :
Est-ce vrai, comme le pensait Cicéron, que les hommes sont naturellement portés à « sauver le genre humain » ?
Quand Cicéron parle de la cité, il parle essentiellement de justice et d’honnêteté : ces deux valeurs guident-elles encore les hommes pour répondre à la nécessité de vivre ensemble dans une communauté politique ?
Êtes-vous d’accord avec Cicéron lorsqu’il écrit que l’être humain de qualité est naturellement bon, qu’il est bâti pour faire le bien, et que tel est son destin ?
Les conflits entre les êtres humains sont inévitables : ne faut-il pas enseigner les règles de sagesse à tous pour les régler ?
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 3 – Cité – Arrive en ville…, Cicéron (-106 -43), Aristote (-384 -322), Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), p. 47.
Le quatrième chapitre, « Action -Lance-toi.. », met en vedette Épictète et Plutarque et traite de l’éthique.
L’éthique (morale) s’intéressait à l’action des êtres humains et aux répercussions que celle-ci avant sur eux-mêmes et sur les autres. Elle remettait en question leurs actions sur le monde et leurs réactions face aux situations qui s’imposaient à eux. Les êtres humains avaient une nature humaine qui appelait une morale réfléchie afin de bien encadrer leurs actions et leurs réactions, et ce vers le bien.
Sur le plan de l’action, comme quatrième angle de réflexion, la question centrale .tait alors, pour beaucoup, dans la distinction entre le bien et le mal, au niveau tant personnel qu’universel. Les penseurs de l’Antiquité étaient amenés à se demander si tout était permis à l’être humain, au nom de notre liberté, ou si notre appartenance au genre humain nous créait des limites et des devoirs, comme une certaine forme de destin. (…)
Pour explorer davantage cet angle de réflexion touchant l’action, nous avons fait appel à deux penseurs de l’Antiquité que sont Épictète et Plutarque : le premier nous oriente plus particulièrement vers la liberté et le second vers le destin. Les deux donnent des repères pour développer notre sens moral, morale que certains définissent de la manière suivante : « La morale est un élément essentiel de l’éducation, qui un “art d’incliner la volonté libre vers le bien2”3».
Épictète considérait qu’il ne fallait pas se laisser écraser par notre destin, mais plutôt faire preuve de liberté en maîtrisant nos pensées. De la sorte, la bonne façon d’agir était basé sur notre liberté intérieure, qui nous permettait de ne pas être à la merci des événements sur lesquels nous avions si peu de contrôle. Quand à Plutarque, il visait l’équilibre entre la raison et la passion, en se basant sur des lois fiables comme la décence et la modération. Ces lois s’imposaient à l’être humain, comme des déterminations favorable à la réussite de notre vie, un peu comme un destin relié à notre nature humaine.
____________
2 Citation tirée d’un article, Laïcité, de Ferdinand Buisson.
3 Anne-Marie Drouin-Hans, La laïcité à l’épreuve du relativisme, dans Repères pour l’éthique professionnelles des enseignants, Presses de l’Université du Québec, 2009, p. 221.
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 4 – Action – Lance-toi…, Cicéron (-106 -43), Aristote (-384 -322), Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), pp. 59-60.
« Par là même l’enseignement moral se meut dans une tout autre sphère que le reste de l’enseignement. La force de l’éducation morale dépend bien moins de la précision et de la liaison logique des vérités enseignées que de l’intensité du sentiment, de la vivacité des impressions et de la chaleur communicative de la conviction. Cette éducation n’a pas pour but de faire savoir, mais de faire vouloir ; elle émeut plus qu’elle ne démontre ; devant agir sur l’être sensible, elle procède plus du cœur que du raisonnement ; elle n’entreprend pas d’analyser toutes les raisons de l’acte moral, elle cherche avant tout à le produire, à le répéter, à en faire une habitude qui gouverne la vie. A l’école primaire surtout, ce n’est pas une science, c’est un art, l’art d’incliner la volonté libre vers le bien.»
Pierre Laurendeau nous informe qu’Épictète invitait à « faire preuve de liberté en maîtrisant nos pensées ». Est-ce une invitation à devenir libre-penseur ? Il va sans dire que nos pensées, dans la vision d’Épictète, vont dans tous les sens pendant que nos actions sont « à la merci des événements sur lesquels nous avions si peu de contrôle ». Ainsi, « la bonne façon d’agir était basé sur notre liberté intérieure ».
Pour faire preuve de sa liberté, il nous faut être conscient de cette liberté et cela implique plus souvent qu’autrement d’être d’abord conscient de notre conditionnement par la famille, nos proches et nos amis(es), l’école, la société… Il me semble qu’on se croit libre sans pour autant l’être vraiment. À mon humble avis, si la liberté s’inscrit dans la nature de l’homme, elle doit aussi être libérée de son conditionnement.
Quant à la liberté intérieure, le professeur de philosophie Olivier Verdun au Lycée franco-costaricien, San José (Costa Rica) demande « Peut-on parler d’une liberté intérieure ? »
CITATION
Peut-on parler d’une liberté intérieure ?
Olivier Verdun, professeur de philosophie
La notion de liberté intérieure semble d’abord renvoyer à une expérience commune et fruste de la pensée ou de la subjectivité qui, en son for intérieur, se conçoit comme indépendance, c’est-à-dire capacité de se déprendre des contraintes extérieures et d’agir en vertu d’une causalité purement interne au sujet. Ainsi la liberté intérieure désignerait-elle, en premier lieu, par opposition au monde des choses et des nécessités, cet espace intime que le sujet se donne ou découvre lorsqu’il croit tout bonnement faire ce qu’il veut. Ce qui apparaît, dès lors, dans l’idée ou l’expérience naïve de la liberté intérieure, c’est l’opposition tranchée entre le sujet et le monde, dans la mesure où l’adjectif « intérieur » évoque ce qui est au-dedans d’un être, ce qui se passe dans l’esprit et délimite une sphère d’intimité. Liberté toute spirituelle, en somme, interne au sujet, repliée sur elle-même, et qui passerait pour la liberté authentique.
Or, lorsque l’idée de liberté est convoquée, le concept d’action ou d’activité apparaît également et, avec lui, celui d’extériorité. Par liberté, il conviendrait d’entendre l’intervention transformatrice de l’agent dans le monde tentant de s’approprier et de façonner l’univers des choses. Il n’y aurait alors d’action et de liberté qu’extérieures, si l’action désigne la réalisation ou l’exécution d’un projet, c’est-à-dire l’objectivation, dans une réalité externe au sujet, de dispositions internes comme la volonté, l’intelligence, l’esprit, etc. L’extériorité en question ne s’identifierait plus uniquement avec le dehors, le monde ou l’objet dans lesquels le sujet pourrait se perdre ou s’aliéner, mais coïnciderait avec le mouvement de projection de soi vers les choses qui semble au fondement de la conscience créatrice et libre. Ici c’est la notion de liberté intérieure qui fait pâle figure et apparaît bien creuse, en ce qu’elle semble instaurer une coupure artificielle et stérile entre la volonté et l’action, la subjectivité et l’ordre phénoménal.
(…)
On aboutit alors à cette idée que l’on peut et doit parler de liberté intérieure, afin de penser l’idée même de sagesse, c’est-à-dire d’une existence singulière à la recherche du sens, de la plénitude, du bonheur. Et c’est précisément à cela que nous conduisent conjointement les démarches stoïcienne et spinoziste. L’idée de sagesse traduit, en effet, l’aspiration profonde de l’homme à la joie et au bonheur, à la maîtrise du mal et des passions, c’est-à-dire à la liberté. La sagesse se fonde sur une ontologie où le savoir de la nécessité introduit ordre et bien-être et constitue une forme d’action authentique ; la pensée devient une forme d’action et l’action une pensée, ce qui est la caractéristique de la philosophie en tant qu’amour de la sagesse. La sagesse est plutôt une éthique, un questionnement sur le sens à donner à notre existence, l’effort pour passer à une modalité neuve de l’existence et pour construire la liberté.
On peut donc bien parler d’une liberté intérieure, si l’on entend par cette expression, non pas une volonté creuse et solitaire se repliant sur elle-même et ignorant toute intervention dans le monde ou dans l’espace public, mais le mouvement par lequel un sujet tente de se hausser au niveau d’une existence signifiante et comblée par son propre pouvoir de réflexivité. Parler de liberté intérieure, c’est évoquer le pouvoir créateur du sujet (« intérieur » voulant désormais dire « subjectif ») qui, en constante relation avec le monde et les autres, constitue le sens du monde et les déterminations par lesquelles ce monde agit sur le sujet, se libérant ainsi des souffrances imaginaires. Le risque de dualisme est évacué puisque la volonté désirante n’est plus opposée au monde mais le réfléchit d’une manière neuve et significative. Du coup, le sujet n’est plus comme à distance du monde, l’individu n’est pas à opposer au citoyen, la liberté du sage n’est pas en contradiction avec celle du citoyen ou de l’homme de l’action, quelle que soit par ailleurs la scène sur laquelle se déploient les différentes figures possibles de l’action. La liberté intérieure renvoie à cette dimension fondamentale de la conscience humaine qui est aspiration à la liberté et au bonheur. Si la démocratie constitue la forme la plus parfaite de la liberté politique, elle est d’abord à chercher au cœur même de cette aspiration fondamentale qui est précisément celle du désir.
Dans le cinquième chapitre de « La liberté, c’est notre destin ! », le professeur de philosophie Pierre Laurendeau nous instruit du « Sens de la vie à l’occidentale » et met en vedette deux autres philosophes de l’Antiquité, Sextus Empiricus (IIe-IIIe s.) et Lucrèce (-95 -55). Il nous rapporte d’abord les positions de Platon, Socrate, Plotin Aristote et celle des sophistes.
Les philosophes de l’Antiquité, prenant peu à peu leur distance face à un destin jusqu’alors coulé dans le béton, étaient en quête de liberté. Pour aller dans cette direction, ils devraient revoir la place allouée aux dieux. Si les dieux avaient auparavant donné un sens à notre vie, il fallait maintenant apprendre aussi à le façonner comme homme, à même notre vie terrestre. Mais alors, sur quoi fallait-il mettre l’accent ? Que fallait-il chercher ? Le bonheur était-il à la portée de tous ? Vers quoi fallait-il aller pour que la vie y trouve tout son sens ? Toutes ces interrogations sur le sens de la vie faisaient partie du domaine de la philosophie que l’on appelait la métaphysique.
Pour Platon et Socrate, une vie ne valait pas la peine d’être vécue si elle n’était pas analysée, examinée, justifiant ainsi la pratique de la philosophie ; et c’est ainsi que l’être humain réalisait que le sens de sa vie, c’est de faire le bien. Plotin, philosophie du IIIe siècle après J.-C., cherchait à concilier destin et liberté. Pour lui, la liberté venait de l’âme ; quant au corps, il était plutôt déterminé. Il fallait donc se mettre à l’écoute de ce que nous pensions et ressentions pour trouver le véritable sens de la vie. Il espérait nous faire voyager d’une vérité relative, propre à chacun d’entre nous, à une vérité absolue, c’est-à-dire vers un sens valable pour tous les êtres humains. Pour Plotin, si nous savions bien regarde la vie, nous ne pouvions que constater chez l’être humain une quête d’unité à même la diversité des hommes : c’était, selon lui, cette quête d’unité qui, faisant vibrer depuis toujours le cœur des hommes, nous avait conduit à « inventer » dieu. Mais fallait-il vraiment en rester là ? Il voulait aussi nous amener à développer une conscience cosmique, ce sentiment d’appartenir au tout de l’univers.
Les sophistes, eux, proposaient le succès politique et la réussite sociale et, en cela, ils étaient proches des valeurs que beaucoup d’Athéniens privilégiaient dans leur vie : richesse, bonheur et pouvoir. Quant à Aristote, il prenait soin de préciser que le bonheur était propre à l’homme, qu’il donnait un sens à sa vie et qu’il reposait sur la conformité à la raison et à la vertu.
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 5 – Sens de la vie à l’occidentale – Suis ta route…, Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), pp. 74-75.
Façonner soi-même le sens de notre vie plutôt que de laisser la tâche à/aux dieu/x. Se mettre au service du bien, est-ce là le sens universel de la vie ? On le voudrait… bien. Mais dans la civilisation occidentale, le sens de notre vie supplante le sens universel de la vie. Notre individualisme nous ramène sans cesse à ce qui nous est personnel. Ainsi va notre vite. La question « Quel sens tu donnes à ta vie ? » dit tout.
La vie a-t-elle un sens en soi ? Faut-il nous mettre à la recherche du sens caché de la vie ? Évidemment, je ne peux répondre que pour moi ou, si vous préférez, personnellement, et à mon humble avis : la vie n’a pas de sens en soi, il faut lui en donner un.
Curieusement, je crois aussi que c’est l’expérience de la vie qui nous permet de lui donner un sens. Mais ne me questionnez pas au sujet du sens de ma vie car je ne le connais pas encore, même à 67 ans et malgré mes expériences intenses de la vie. Ce n’est pas que je n’ai pas analysé et examiné ma vie, mais l’exercice demeurera ouvert jusqu’à ma mort.
Aussi, le sens de ma vie me semble intimement lié à mon identité, cette dernière étant modelée sur mes expériences de vie. Et à la lumière de ces dernières, tout ce que je puis affirmer, c’est que je suis « un gars de cause » ; j’épouse des problèmes soumis à mon attention et, de préférence, touchant le plus grands nombre de personnes, dans un domaine ou un autre, pour leur trouver des solutions. Est-ce cela tendre vers le bien ?
Je suis un « Problem-Directed Men » comme le dirait le chercheur américain Louis Cheskin, pionnier des études de motivation d’achat.
Our Greatest Need In Business and Governement, 1964, The Bobbs-Merrill Company Inc., New York, 320 pages. Ce livre s’inscrit à la suite du témoignage de Louis Cheskin devant deux comités du Congrès américain, soit le comité du Sénat sur l’emballage (Anti-Trust and Monopoly) et le comité de la Chambre des Représentants sur la promotion de l’American Way (“Winning the cold war : The US Ideological Offensive” − Foreign Affairs). Louis Cheskin traite des principaux problèmes socio-économiques. Dans son intervention, Louis Cheskin se porte à la défense des plus faibles. Louis Mariano, Éditeur Associé du World Book, écrira : “In his testimony, he has made our leaders aware of the fact that in our affluent society over 90 percent of our income is spent on psychological satisfactions − fashionable clothes, not overalls; decorated homes, not mere shelters; tasteful foods, not only the necessities of life.” LE CONTEXTE : Le passage d’une société de pénurie à une société d’abondance soulève de nombreuses préoccupations socio-économiques alors que l’establishment en place éprouve des difficultés à évoluer vers des raisonnements plus actuels. Voir le site web : Comment motiver les consommateurs à l’achat avec Louis Cheskin.
La position d’Aristote m’intéresse. Si j’ai bien compris, Aristote trouve le sens de sa vie dans le bonheur et ce bonheur repose « sur la conformité à la raison et à la vertu ». Tout est dit si et seulement si le bonheur s’imprime dans ma nature humaine. Je suis heureux lorsque je suis satisfait de ma contribution à la résolution d’un problème avec ma raison et par bonté d’âme.
Afin de poursuivre notre réflexion sur le sens de la vie à l’occidental, nous vous proposons Sextus Empiricus, sceptique, qui doutait de tout, et Lucrèce, épicurien, qui regardait du côté des plaisirs simples de la vie terrestre. Pour Sextus Empiricus, le sens de la vie ne se trouvait dans la recherche de la vérité, comme chez Platon, Aristote et bien d’autres, mais plutôt en apprenant à ne plus la chercher. C’est en doutant de toute vérité, que les autres tentaient souvent de nous imposer, que nous accédions à l’ataraxie, à la paix de l’esprit, qui était le but véritable de la vie. Pour Lucrèce, le sens de la vie se trouvait dans la reconnaissance et l’acceptation de notre condition de mortel. Nous n’étions que matière, tout autant d’esprit que de corps, et il ne servait à rien de chercher plus loin. Il fallait savoir jouir de notre nature corporelle et vivre le plus simplement du monde. Si Sextus Empiricus misait sur notre destin lié à notre état d’esprit, Lucrèce misait sur la reconnaissance de notre liberté purement matérielle. Matérialisme et spiritualisme, voici les deux grandes options que nous proposaient les philosophes pour trouver un sens à notre vie.
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 5 – Sens de la vie à l’occidentale – Suis ta route…, Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), p. 75.
Je doute avec nécessité et grand plaisir pour garantir ma paix d’esprit mais je reconnais pas là le sens de ma vie. Quand j’écris « La lumière entre par les failles », je confesse implicitement que la lumière vient de l’extérieur de moi. Et quand je précise que « Le doute est la faille qui permet à la lumière de m’éclairer », je mets de l’avant le bénéfice du doute. Le doute fait donc mon bonheur. Mais mon bonheur n’est pas ce qui donne sens à vie. Si je cherche le bonheur, c’est involontairement et inconsciemment.
La vie aurait bien un sens, mais chacun aurait à travailler pour le trouver ou l’inventer, en fonction de notre nature humaine ou de notre condition humaine. (…)
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 5 – Sens de la vie à l’occidentale – Suis ta route…, Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), p. 76.
« Donner un sens à sa vie, à la vie » ne doit pas devenir une charge au point de pousser à l’abandon d’y réfléchir sereinement. Aussi, je me permets de croire que le sens de la vie peut changer au fil de notre vie, surtout si nous associons le sens de la vie à ce qu’il y a de plus important pour soi. La valeur de la vie dépasse le sens qu’elle a ou qu’on lui donne.
Quant au sixième et dernier chapitre, « Sens de la vie à l’orientale – Éclaire l’univers », je l’ai lu avec une certaine appréhension et beaucoup de préjugées. Dans ces régions du monde, il me semble que tout va de travers quant à la liberté des hommes, la vie dans la Cité et dans l’État. Leurs philosophies religieuses bouddhiques et taôismes tout comme leurs philosophies sociales ne donnent pas aux hommes les moyens de leur liberté de penser et de mouvement. À ces peuples, il ne reste plus que la vie intérieure comme refuge et la méditation pour y entrer… dans le plus grand des silences.
Un jour, un homme m’a affirmé que l’Occident était le plus bel hommage que l’homme puisse rendre aux valeurs historiques qui inspirèrent les Droits de l’Homme. Et je suis depuis de cet avis.
À l’Orient, je n’ai plus qu’une seule question à poser : « Où est votre Descartes ? » J’ai déjà demandé « Où est le René Descartes de la société musulmane ? » Ne serait-il pas temps que le soleil se lève sur l’Orient ? Certes, je respecte les différences entre les civilisations, les sociétés et les peuples mais la noirceur demeure la noirceur peu importe la culture. « C’est la faute de l’Occident » diront certains. Mais il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui est un autre jour.
Dans le dernier chapitre de son livre, Pierre Laurendeau se réfère au fameux « Village global » du sociologue canadien Marshall McLuhan.
Aujourd’hui, en Occident, on parle abondamment de mondialisation, et il est évident qu’elle passe par l’Orient : c’est vrai sur le plan commercial, mais aussi sur les plans culturel, spirituel et humain. La terre devient de plus en plus un village global, comme l’annonçait, à la fin des années 1960, le penseur canadien Marshall McLuhan, et notre quête de sens de la vie humaine ne peut en faire abstraction. N’aurions-nous pas, nous les êtes humains, un destin commun à penser ? Une réalité devient de plus en plus évidente : l’Occident ne peut plus voir l’Orient comme ce qui s’oppose à lui, mais plutôt comme son complément d’humanité. Il semble bien qu’il en va de notre destin comme espèce vivante, et de l’extension de notre liberté, qui ne peut être ultimement que partagées. Jean-Paul Sartre, philosophe français contemporain, écrivait qu’il ne serait jamais totalement libre aussi longtemps que des êtres humains ne le seraient pas, et que chacune de nos actions engageait toute l’humanité : l’Occident a besoin de l’Orient !
LAURENDEAU, Pierre, La liberté, c’est notre destin !, Chapitre 6 – Sens de la vie à l’orientale – Éclaire l’univers…, Presses de l’université Laval (PUL), Québec (Québec), p. 93.
En Occident, nous croyons que tout un chacun à droit à la liberté. Nous croyons même que cette liberté s’inscrit dans la nature humaine, une réalité que nous qualifions ainsi d’universelle. Mais est-ce réellement le cas ? Peut-on en douter. N’y a-t-il pas des hommes qui ne cherchent pas l’émancipation sur cette Terre ? Depuis le temps où l’Occident se donne en exemple d’émancipation des uns et des autres, ne devrions-nous pas nous attendre à un raz-de-marée planétaire si la liberté s’inscrit bel et bien dans la nature humaine ? Dans ce Village global, des quartiers demeurent barricadés et seul le commerce (l’argent) avec les autres quartiers semblent les intéresser. Dans ce Village global, il n’y a pas de mairie… de Cité, pas plus que d’État global. Nous sommes proches de loin.
Une mondialisation « sur les plans culturel, spirituel et humain » ? Est-ce réaliste de penser une telle mondialisation, une mondialisation au-delà du commercial ? N’est-il pas dans la nature humaine d’être différent, et insoluble dans ses différences ? Mondialisation ne signifie certainement pas fusion.
Je ne peux pas nier que le livre LA LIBERTÉ, C’EST NOTRE DESTIN ! de PIERRE LAURENDEAU me donne à penser encore et encore. Ce livre est un bijoux, un ouvrage essentiel. J’accorde à ce livre cinq étoiles sur cinq.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.