Article #123 – Dans quelle mesure la philosophie est pratique, Fichte, Hegel, sous la direction de Myriam Bienenstock et Michèle Crampe-Casnabet, ENS Éditions, 2022

Bienenstock, Myriam, et Michèle Crampe-Casnabet, éditeurs. Dans quelle mesure la philosophie est pratique. ENS Éditions, 2000, https://doi.org/10.4000/books.enseditions.25403.
Bienenstock, Myriam, et Michèle Crampe-Casnabet, éditeurs. Dans quelle mesure la philosophie est pratique. ENS Éditions, 2000, https://doi.org/10.4000/books.enseditions.25403.

Dans quelle mesure la philosophie est pratique

Fichte, Hegel

Sous la direction de Myriam Bienenstock et Michèle Crampe-Casnabet


Éditeur : ENS Éditions

Lieu d’édition : Lyon

Publication sur OpenEdition Books : 10 mars 2022

ISBN numérique : 979-10-362-0370-1

DOI : 10.4000/books.enseditions.25403

Collection : Theoria

Année d’édition : 2000

ISBN (Édition imprimée) : 978-2-902126-70-5

Nombre de pages : 263


RÉSUMÉ

Dans quelle mesure la philosophie est-elle pratique ? Formulée par Hegel dans ses tout premiers cours d’Iéna, au début du XIXe s., la question renvoie d’abord au débat bien connu sur la thèse, classiquement rapportée à Fichte, d’un primat du pratique : lorsque Fichte affirme que « tout est issu de l’agir et de l’agir du moi », revendique-t-il simplement le primat de la loi morale sur la raison théorique ? N’est-ce pas plutôt le rapport de la philosophie à la vie qu’il veut souligner, comme Hegel quelques années plus tard ? C’est le statut même de la philosophie pratique, placée par Fichte au fondement même du savoir, qui est en question dans ces débats.

Ils sont d’une grande actualité : la philosophie pratique contemporaine se cherche en effet des ancêtres, des « pères fondateurs ». L’attention se porte sur Hegel, mais aussi, de plus en plus, sur Fichte, considéré comme l’un des fondateurs de la théorie dite de la « reconnaissance». Aux études de fond traitant de la philosophie pratique dans l’idéalisme allemand s’ajoutent ainsi, dans ce volume, plusieurs études consacrées à la théorie de la reconnaissance, au droit et à l’économie ; ainsi qu’un examen circonstancié des débats contemporains.

AUTEURS

Myriam Bienenstock (dir.)

Professeur de philosophie à l’université de Tours. Parmi ses publications : Politique du jeune Hegel (1992) ; Fichte/ Schelling : Correspondance (1991) ; Herder, Dieu (1996) ; Hegel, Le Premier Système. La philosophie de l’esprit (1999).

Michèle Crampe-Casnabet (dir.)

Crampe-Casnabet, Michèle (1936-2012), philosophe. Maître de conférence à l’École normale supérieure de Fontenay (en 1987).


EXTRAIT

Présentation

Myriam Bienenstock

« […] Pour ce qui concerne le besoin de la philosophie dans ce qu’il a d’universel, nous tenterons de l’élucider sous forme d’une réponse à la question de savoir quelle relation la philosophie a avec la vie ; une question qui ne fait qu’une avec celle de savoir dans quelle mesure la philosophie est pratique. Car le véritable besoin de la philosophie ne porte tout de même, en fin de compte, sur rien d’autre, que sur le fait d’apprendre à vivre d’elle, et par elle1… »

G.W.F. Hegel, « Introductio in philosophiam », Fragmente aus Vorlesungsmanuskripten (1801/02 : manuscrits de conférences, fragments), in Schriften und Entwürfe (1799-1808), Gesammelte Werke, vol. 5, éd. par M. Baum et K.R. Meist avec la collaboration de T. Ebert, Hamburg, Meiner, 1998, p. 261. – Le texte manuscrit, très fragmentaire, de ces conférences de Hegel fut découvert il y a une vingtaine d’années seulement. Il fut publié pour la première fois en mai 1998, dans le volume cité ci-dessus.

Dans quelle mesure la philosophie est-elle pratique ? Cette question posée par Hegel à Iéna, au tout début du xixe s., semble au premier abord renvoyer à la discussion sur la thèse bien connue d’un « primat du pratique » (Primat des Praktischen) : une thèse que l’on rapporte classiquement à Fichte, pour souligner cependant qu’elle se trouve déjà chez Kant, et même peut-être chez Descartes : à en croire ce grand interprète du kantisme que fut Ernst Cassirer, il serait en effet possible d’attribuer à Descartes lui-même un « primat du pratique2 ». Descartes, déjà, aurait affirmé que la vérité ne nous est pas simplement donnée de l’extérieur, mais qu’elle doit être trouvée, et qu’elle ne peut l’être que par celui qui sait ou, plutôt, par celui qui veut chercher la vérité : par celui qui veut se débarrasser du doute, et qui prend la décision – une décision libre – d’atteindre la vérité. Selon Cassirer, Descartes aurait donc déjà accordé la primauté, et même la « suprématie », au sens défini par Kant3, à la « pratique », c’est-à-dire ici à la détermination de la volonté, par rapport à l’usage théorique de la raison.

La thèse, pourtant, mérite d’être examinée de plus près – comme, d’ailleurs, le lien de filiation, apparemment si simple et si direct, établi de Descartes à Kant, et de Kant à Fichte. En quel sens, en effet, le terme de « pratique » est-il utilisé ici ? La question se pose non pas seulement dans l’étude du cartésianisme, mais aussi, et surtout, pour ce qui concerne la philosophie de Fichte, auquel la thèse fameuse d’un « primat du pratique » est le plus souvent identifiée. Fichte lui-même, certes, se réclama explicitement de Kant, et proclama haut et fort le « primat » de la raison pratique4. Il serait pourtant bien insuffisant de se limiter, dans l’interprétation de sa pensée, à de telles affirmations ; et de conclure sur cette base, comme on le fit souvent, que nous sommes ici en présence d’un « idéalisme éthique » ou « moral » : comme le souligne fort justement Claudio Cesa dans sa belle étude sur « Le concept du pratique chez Fichte5 », dans la pensée de cet auteur la notion de « pratique » n’est qu’indirectement en rapport avec le monde moral. Cesa montre aussi – et c’est là le point le plus important – que, chez Fichte, le sens propre de la distinction entre « théorique » et « pratique » ne peut être élucidé sans référence à une distinction tout aussi importante, et aussi profondément enracinée dans sa pensée : la distinction entre la « philosophie » et la « vie »…– S’impose alors, immédiatement, le rapprochement avec Hegel : lorsque, dans le passage cité ci-dessus, Hegel identifie la question de savoir « dans quelle mesure la philosophie est pratique » à la question de savoir « quel rapport la philosophie a avec la vie », il semble être très proche de Fichte, et d’une problématique fichtéenne.


Source et lire la suite en ligne : Bienenstock, Myriam, et Michèle Crampe-Casnabet, éditeurs. Dans quelle mesure la philosophie est pratique. ENS Éditions, 2000, https://doi.org/10.4000/books.enseditions.25403.