
La philosophie se vit dans la joie voire l’euphorie de l’étonnement. Être étonné, c’est comprendre sans effort dans la lecture, dans la réflexion personnelle ou dans la discussion. Le fameux « Ah ! Là je comprends » vient alors à l’esprit pour autant que ce dernier soit libre et dans le moment présent. Je traite de la question dans le chapitre LA PENSÉE INITIATIQUE de mon livre J’AIME PENSER (Comment prendre plaisir à penser dans un monde où tout un chacun se donne raison – Essai et témoignage de gouvernance personnelle). Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du chapitre LA PENSÉE INITIATIQUE.

J’aime penser
Essai et témoignage de gouvernance personnelle par Serge-André Guay
La pensée initiatique
Pour partager le sens caché – La pensée initiatique nous introduit au sens caché de la vie, du monde et des choses, visibles et invisibles. Pour ce faire, elle nous éveille à des dimensions secrètes, difficiles d’accès à la pensée quotidienne. Elle agit sur nous principalement par révélation d’une connaissance ou d’une explication jusque-là inconnue et souvent insoupçonnée. En général, cette révélation s’opère de façon brusque ou instantanée et tout à fait gratuitement, c’est-à-dire sans effort particulier de notre part. Ainsi, la nouvelle connaissance ou explication s’impose à nous et nous la comprenons sur-le-champ, comme si un éclair venait de traverser notre esprit. Grâce à cette nouvelle compréhension, nous ne verrons plus jamais la vie, le monde ou les choses de la même manière. Nous profitons désormais d’une conscience élargie.

La révélation se limite généralement à un aspect ou une manière dont la vie, le monde ou une chose se présente à notre esprit, sûrement pour respecter notre capacité d’absorption. La révélation sur plusieurs aspects à la fois se fait donc plus rare et débouche sur une conscience éclatée, c’est-à-dire, offrant, non plus une perspective unique, mais multiple. Nous parviendrons au même résultat avec une série de révélations portant chacune sur un aspect mais sur une période de temps évidemment plus longue.
Conscience élargie ou éclatée, la pensée initiatique procède par des liaisons, à l’instar du processus normal de compréhension.

« Que se passe-t-il donc dans votre esprit lorsque vous comprenez? Pas autre chose que ceci : vous faites la liaison, vous pensez un rapport entre la proposition nouvelle qu’on vient de vous exposer et ce que vous savez déjà, vous voyez le lien qui les unit, autrement dit cette proposition nouvelle entre dans le système de vos connaissances. »1
« Au contraire, lorsque vous ne comprenez pas, c’est que vous ne faites pas de liaison entre la proposition nouvelle et vos connaissances antérieures, vous ne voyez entre elles aucun rapport. Vous comprendrez au moment précis où ce lien vous apparaîtra, mais auparavant cette proposition nouvelle flotte en dehors du système de vos connaissances. »2
L’expression succincte « Pas rapport » utilisée par les jeunes pour dire « Tu établis un rapport là où il n’y en a pas » correspond donc parfaitement à sa signification réelle : « Tu ne comprends pas ».
Dans le cours normal de la compréhension, nous déployons toujours un certain effort face à une nouvelle proposition de connaissance, soit un effort minimum lorsque nous la comprenons facilement, soit un effort maximum lorsque nous la saisissons difficilement. Autrement dit, plus nous établissons facilement un rapport entre la nouvelle connaissance et nos connaissances déjà accumulées, plus nous en tirons facilement une compréhension, et vice-versa. Ainsi, expliquer une connaissance revient à exposer son (ou ses) rapport avec ce qui est déjà su. Bien expliqué, le rapport d’une connaissance avec celles déjà connues apparaît évident, d’où une compréhension sans trop d’efforts, et vice-versa. Dans un cas comme dans l’autre, la compréhension demande un certain effort.
Or, la compréhension ne requiert aucun effort dans la pensée initiatique; non seulement la nouvelle connaissance est révélée mais son rapport avec le déjà su s’établit automatiquement et à notre insu.
Toute la puissance de la pensée initiatique se concentre alors sur la principale difficulté rencontrée lors de la recherche de sens (à la vie, au monde ou aux choses) : notre résistance en vertu de notre attachement à la connaissance et à la compréhension acquises précédemment. Autrement dit, nous tenons à ce que nous savons et le génie de la pensée initiatique est de nous prendre par surprise pour que nous n’offrions plus aucune résistance à une nouvelle compréhension (de la vie, du monde ou des choses).
Aussi, la pensée initiatique se révèle à nous à la suite d’une expérience traumatisante ou d’une découverte surprenante, les deux moments où nous offrons le moins de résistance. Dans ces moments-là, nous acceptons plus facilement de tout remettre en cause les rapports déjà faits voire tout notre système de rapports parce que nous sommes ébranlés, déstabilisés, fragilisés, perturbés.
Le traumatisme se présente comme l’« ensemble des troubles physiques ou psychiques provoqués dans l’organisme par le trauma »,3 c’est-à-dire, une lésion ou d’une blessure au corps (trauma physique) ou une émotion violente (trauma psychique – psychologique). Par exemple, un accident d’automobile peut causer une lésion à la colonne vertébrale (trauma physique) entraînant une paralysie des jambes (traumatisme physique). Ce même accident d’automobile peut causer aussi une peur si violente (trauma psychologique) qu’elle entraîne, non seulement la peur de prendre place à nouveau dans une automobile (traumatisme psychologique au 1er degré), mais aussi une hypersensibilité à toute peur – la peur de la peur (traumatisme psychologique au 2e degré).
Une découverte peut aussi causer un trauma ou un violent choc psychologique entraînant un traumatisme émotionnel. Par exemple, un père découvrant son fils pendu sera en proie à un violent choc psychologique pouvant le traumatiser pour la vie.
Aussi, les résultats stupéfiants d’une expérience peuvent causer au chercheur tout un choc et le changer à jamais, pour le meilleur ou pour le pire. Louis Cheskin, le pionnier de l’étude des motivations d’achat, sera sous le choc à la suite de sa découverte du transfert de sensations (de l’emballage au produit qu’il contient, de la couverture d’un livre à son contenu). Sa stupéfaction relève plus spécifiquement du caractère inconscient du phénomène; il parvient difficilement à croire que les gens ne rendent pas compte de juger, par exemple, un produit de par son emballage ou un livre de par sa couverture, et pis encore, que les gens soutiennent tout à fait le contraire. Il en témoigne dans son commentaire adressé à ses pairs, également traumatisés par sa découverte :
« Je peux comprendre pourquoi les gens de marketing et de publicité ne peuvent pas saisir la signification du transfert de sensations, parce que je ne pouvais pas la saisir moi-même. J’ai accepté le transfert de sensations seulement après avoir vu plusieurs tests réalisés auprès des centaines d’individus. J’avais de la difficulté à accepter le transfert de sensations parce que ce dernier était contraire à mon schéma de références; contraire à mon éducation; en opposition avec mon orientation. Le transfert de sensations était une réalité et je ne pouvais pas l’affronter. Mais en n’y faisant pas face, en ne l’acceptant pas, je n’aurais pas été capable de résoudre des problèmes de marketing. »4
Le « schéma de référence » explique en grande partie notre résistance à effectuer certains rapports. Notre schéma de référence s’affaire plus particulièrement à nous dicter nos attitudes. Ainsi, notre résistance est-elle souvent davantage une question d’attitudes que de capacité intellectuelle.
« Le comportement d’un individu se base sur son schéma de références. Le schéma de références d’un individu détermine ses attitudes. Consciemment et inconsciemment, un individu acquiert des concepts qui deviennent une partie de lui-même et qui sont la base de toutes ses attitudes. Le schéma de références est acquis des parents, des enseignants, des relations et des amis, du type d’émissions de radio que nous entendons, des émissions de télévision que nous regardons et du type de livres, magazines et journaux que nous lisons. La plupart d’entre nous croyons tirer des faits de ces sources, non pas des attitudes. Nous pensons que nous avons accumulé des informations objectives, non pas un schéma de références. »5
Pour élargir ou éclater notre conscience, la pensée initiatique se doit donc de changer aussi notre attitude. D’ailleurs, c’est souvent en raison de la nouvelle attitude d’une personne qu’on soupçonne chez elle une récente prise de conscience (de la vie, du monde, des choses).
Autrement dit, il y a presque toujours une pensée initiatique, une révélation, à l’origine de nos changements d’attitudes. Car changer d’attitude par nos propres moyens relève de l’exploit. D’abord, nous n’avons généralement pas conscience de nos attitudes; nous les adoptons sans vraiment y réfléchir ou, si vous préférez, nous vivons avec nos attitudes sans trop les connaître et les comprendre. Elles s’imposent à nous bien davantage que nous les choisissons consciemment. Bref, nous avons les attitudes que nous avons, sans plus. À preuve, nous nous y arrêterons que si une personne souligne un problème avec notre attitude plutôt qu’à l’initiative d’un effort personnel. Bref, si personne ne commente notre attitude, celle-ci ne nous préoccupe pas.
Nous sommes donc inconscients de nos attitudes tout comme nous sommes inconscients de nos émotions, du moins dans la vie courante. Cette inconscience s’étend aussi à l’influence de nos attitudes et, derrière elles, de tout notre système de référence, sur notre compréhension du sens de la vie, du monde et des choses et, par extension, sur notre comportement. Inconscients de nos attitudes et de leur influence, nous résistons aussi inconsciemment à certains rapports de compréhension. Par conséquent, le sens profond et réel de la vie, du monde et des choses demeure caché tout simplement par inconscience de certains rapports entre nos connaissances et celles proposées.
Notre résistance (inconsciente) se concrétise plus spécifiquement dans une attitude d’autodéfense de nos croyances et de notre savoir. Nous avons tendance à rejeter toutes croyances et tout savoir contredisant les rapports que nous avons déjà effectués. Bref, nous ne changeons pas d’idée facilement. Cependant, à nos yeux, nous ne sommes pas étroits d’esprit. Nous croyons simplement que nos croyances et notre savoir méritent d’être défendus parce qu’ils ne sont pas moins raisonnables que toutes autres croyances et tout autre savoir. En fait, nous tenons souvent nos croyances et notre savoir pour preuve de notre intelligence et nous sommes prêts à résister à quiconque pour la défendre. Évidemment, pour faire bonne figure, nous affichons une grande ouverture d’esprit, mais, derrière le rideau, l’étroitesse d’esprit règne, sans même que nous en soyons conscients.
Sûr, nous voulons connaître, tout connaître même, d’où la forte conviction de la réalité de notre largesse d’esprit. Mais, je peux tout connaître sans rien comprendre. Une distinction s’impose entre le fait de connaître et le fait de comprendre. Connaître, c’est avoir présent à l’esprit. Comprendre, c’est percevoir le sens. Je peux connaître un mot et ne pas en comprendre le sens. Lorsque je connais, je suis informé. Lorsque je comprends, je me fais une idée claire des causes, des motifs de l’enchaînement logique de quelque chose. Je peux donc connaître sans la nécessité d’un rapport avec ce que je comprends déjà. La connaissance flotte en mon esprit jusqu’à ce que j’y trouve un rapport pour la comprendre, c’est-à-dire, jusqu’à ce que je la relie aux autres connaissances que j’ai déjà comprises. Je « comprends » à l’image de « contenir » et de « faire entrer dans un tout ». Enfin, lorsque je connais, je n’ai pas encore tout à fait conscience car la conscience, c’est à la fois connaître et comprendre.
À titre d’exemple, les fumeurs connaissent bien les méfaits de la cigarette mais ils ne cessent pas de fumer pour autant; ils connaissent sans comprendre. Qui peut dire qu’il a vraiment compris s’il ne se comporte pas en conséquence ? Personne. Autrement, il faudrait tous admettre que comprendre ne donne aucune volonté d’agir à la conscience. Or, nous lions le fait de comprendre avec le fait d’agir dans une relation de cause à effet. Nous considérons donc qu’une personne connaissant ce qu’elle doit faire sans le faire n’a pas vraiment compris.
Est-ce légitime de lier ainsi la faculté de comprendre avec la faculté de vouloir? Certainement, si on s’en tient à cette définition de la volonté : « Faculté de vouloir, de se déterminer librement à agir ou à s’abstenir, en pleine connaissance de cause et après réflexion ».6 La liaison se justifie parce que la volonté vient « après réflexion » (après compréhension).
Mais la volonté, au sens large, est une « disposition mentale » et elle ne se limite pas à l’action. Il y a la volonté de connaître, la volonté de comprendre et la volonté d’agir. Il faut donc être disposé mentalement à connaître, à comprendre et à agir.
Dans ce contexte, la principale difficulté rencontrée lors de la recherche de sens (à la vie, au monde ou aux choses) ou notre résistance (en vertu de notre attachement à la connaissance et à la compréhension acquises précédemment) proviendrait d’une disposition mentale qui n’est pas suffisamment libre, d’une volonté privée de toute la liberté utile, sans doute en raison de nos attitudes et de notre schéma de référence, tous les deux inconscients.
Consciemment, nous voulons tous connaître et comprendre le sens de la vie, du monde et des choses, et agir en conséquence. Inconsciemment, nous ne jouissons pas toujours de la liberté d’esprit nécessaire pour concrétiser notre intention de connaître, de comprendre et d’agir. La pensée initiatique donne à la volonté toute la liberté utile pour découvrir le sens caché (de la vie, du monde et des choses).
Pour ce faire, la pensée initiatique s’adresse à la fois à notre conscience et à notre inconscience. Elle considère notre intelligence comme étant à la fois consciente et inconsciente. Si vous préférez, la pensée initiatique considère la conscience et l’inconscience comme deux formes d’intelligence. Ainsi, elle reconnaît une participation active du conscient et de l’inconscient à notre intelligence tout comme elle le fait dans le cas du cœur et de l’esprit. Bref, la pensée initiatique parvient à nous révéler le sens caché parce qu’elle intervient sur tous les plans – conscient et inconscient, raisonnable et émotionnel.
Outre la nouvelle compréhension sans effort, la pensée initiatique apporte un changement radical d’attitude, également sans effort ou, du moins, avec une facilité déconcertante. Le succès de l’opération tient au fait que la nouvelle attitude a tout pour détrôner l’ancienne et la remplacer sur-le-champ, sans délai.
Dans la vie courante, le premier défaut des appels « réguliers » aux changements d’attitudes demeure le mépris de l’attitude en place et, par ricochet, la dévalorisation de la personne aux prises avec cette attitude. En fait, les incitations aux changements d’attitudes tournent généralement en accusations et elles affectent ainsi notre amour-propre. Par conséquent, les incitations ratent généralement leur objectif car elles nous culpabilisent davantage qu’elles nous responsabilisent. Dans ce contexte, il nous apparaît tout à fait normal de résister à l’appel en rejetant les accusations en vue de contrer le sentiment de culpabilité et de protéger notre amour-propre.
Le deuxième défaut de ces appels « réguliers » aux changements d’attitudes est le manque évident d’attrait de la nouvelle attitude proposée, comparé au grand et puissant attrait de l’attitude déjà en place. Nous adoptons (inconsciemment) toujours les attitudes qui exercent sur nous l’attrait le plus influent. Nous les justifierons que si l’on nous le demande et, le cas échéant, nous les défendrons vigoureusement avec la ferme impression d’avoir de bonnes attitudes. Inconsciemment, nos attitudes se justifient parce que ce sont celles qui nous rapportent le plus.
En résumé, d’une part, lorsque l’une de nos attitudes est méprisée ou dénoncée comme étant mauvaise, nous passons automatiquement en mode défensif, d’autre part, lorsqu’une nouvelle attitude nous est proposée, nous la refuserons si nous la jugeons moins avantageuse que notre propre attitude. La situation explique pourquoi certains changements d’attitudes mettent des années à se produire.
J’aime bien donner en exemple la publicité contre la vitesse au volant visant les jeunes. Vous vous rappelez la publicité où l’on voit un jeune homme au volant de sa petite automobile sport, en compagnie de « sa blonde » lui demandant de ralentir mais, fier et sûr de lui, il accélère au-delà de la limite de vitesse pour finalement provoquer un accident dans lequel « son amie » trouve la mort le plongeant ainsi dans un profond et douloureux chagrin. Cette publicité ne propose aucune attitude alternative aussi attrayante que celle liée à la jouissance de la vitesse au volant.
Cette publicité confronte les jeunes aux dangers qui les guettent. Or, ces derniers connaissent déjà ces dangers et les risques qu’ils prennent. Après tout, ce sont leurs amis, les amis de leurs amis qui en sont victimes. Cette publicité ne les rend pas plus intelligents. Elle leur rappelle un fait connu, sans plus. Il ne fallait pas s’attendre à ce que la majorité des jeunes deviennent rationnels et changent de comportement au visionnement d’une telle publicité. Elle ne propose aucun autre plaisir contre lequel troquer celui de la vitesse au volant.

Le succès de l’Opération Nez Rouge visant à prévenir de la conduite en état d’ébriété s’explique en grande partie en raison de l’attrait supérieur de l’attitude proposée. En contrepartie des dangers de la conduite en état d’ébriété, l’Opération Nez Rouge offre une expérience vous permettant, le lendemain de veille, de voir votre automobile à votre porte. Les gens détestent l’idée d’avoir à abandonner leur automobile sur le stationnement d’un bar, d’avoir le trouble de trouver un ami ou de payer un taxi pour y revenir le lendemain,… d’avoir à revenir en arrière. L’opération Nez Rouge vous propose d’être intelligent, de laisser un chauffeur vous ramener à la maison dans votre automobile. Ça, c’est une alternative excitante ! Imaginez, un chauffeur vous conduit à la maison : « Chauffeur ! À la maison ! »
Dans la publicité de l’Opération Nez Rouge, vous êtes loin d’être traité comme un moins que rien, insoucieux des dangers de la conduite en état d’ébriété, comme un idiot qui ne trouve rien d’autre à dire que « Je ne pensais pas en avoir pris (lire « bu ») autant » ou comme un jeune qui ne se contrôle pas au volant, qui n’écoute pas les appels à la prudence de sa bien-aimée et, plus encore, qui en provoque la mort. Au contraire, vous êtes suffisamment important, non pas pour qu’on prenne la peine de vous faire peur, mais plutôt pour qu’on se donne tout le mal nécessaire pour vous envoyer un chauffeur, vous ramener à la maison et vous éviter ainsi de courir le risque de détruire la vie des autres et la vôtre.
Il y a donc quelque chose d’initiatique dans l’appel de l’Opération Nez Rouge car elle change la compréhension ou le rapport que l’automobiliste fait entre son état d’ébriété et sa valeur personnelle, et ce, pour le mieux. En fait, l’Opération Nez Rouge livre un message suffisamment révélateur pour permettre à la nouvelle attitude de triompher de celle déjà en place.
Évidemment, ces exemples sont loin de traiter du sens caché de la vie, du monde et des choses habituellement recherchées par la pensée initiatique mais l’expérience de cette dernière commence souvent avec des situations précises de la vie courante en relation avec notre comportement, le témoin le plus éloquent de nos croyances et de notre compréhension. Si on ne parvient pas à prendre conscience de l’action de la pensée initiatique sur nos comportements habituels, il sera fort difficile de la reconnaître en des circonstances exceptionnelles, d’où que le sens caché nous passe souvent sous le nez et nous échappe souvent à notre insu.
Sans la pensée initiatique, nous accumulons tout au long de notre vie une foule de connaissances qui ne feront que flotter en notre esprit parce que nous ne leur trouvons aucun rapport avec ce que nous comprenons déjà. Ainsi, le sens caché se trouve en partie déjà en nous mais nous n’en avons pas conscience. Comme nous n’avons pas généralement la patience de méditer et l’ouverture d’esprit requises à la recherche du sens caché, seul un élément extérieur pourra alors provoquer en nous les rapports utiles à la découverte du sens.
Cet apport extérieur ne nous exempte pas de tout effort. Nous devons cultiver une meilleure disposition d’esprit, plus libre, plus ouverte. Pour ce faire, nous avons avantage à exposer notre esprit à tout élément extérieur susceptible d’être porteur d’une révélation. En fait, il s’agit d’habituer progressivement notre esprit à fréquenter des idées nouvelles, non pas en vue de les adopter toutes, mais plutôt en vue de le pratiquer à abattre tous les préjugés face à la connaissance. Dans notre recherche du sens caché, nous avons l’habitude de nous limiter à ce qui nous intéresse. Or, si nous n’avons pas encore trouvé le sens caché, c’est parce que ce dernier ne se trouve probablement pas dans ce qui nous intéresse, autrement, nous l’aurions déjà trouvé. Fréquenter des idées nouvelles revient donc à élargir nos intérêts ou à libérer notre esprit de ses seuls intérêts. Vous connaissez sûrement l’adage « Plus on cherche, moins on trouve ». Il faudrait plutôt le formuler ainsi : « Plus on cherche selon nos propres intérêts, moins on trouve ». Bref, le sens caché se trouve souvent là où nous ne nous attendons pas à le trouver, au-delà de nos propres intérêts.
En pratique, plutôt que de rejeter toute idée qui ne fait pas notre affaire, il faut l’approfondir et questionner notre réaction. C’est lorsqu’une idée ne concorde pas avec nos croyances et notre compréhension (de la vie, du monde et des choses) que nous avons l’opportunité de découvrir surtout si nous avons l’habitude de chercher à toujours avoir raison, à vivre dans un système sans faille, ce qui nous ferme à l’apport extérieur de la pensée initiatique.

Je me souviens, par exemple, de ma réaction à la nouvelle m’informant de la présence de messages subliminaux dans la musique du groupe rock Led Zeppelin, plus spécifiquement, dans la chanson Stairway To Heaven, ma pièce préférée de musique de rock progressif à l’époque. La révélation était loin de faire mon affaire car elle attaquait quelque chose que j’aimais. Je me disais candidement : « Regarde ce qu’ils ont trouvé pour me faire sentir coupable d’écouter la musique que j’aime ». La plupart des gens avec qui je discutais de la découverte la rejetaient en bloc.
Par contre, dans mon for intérieur, je ne parvenais pas à un tel rejet car une autre révélation, quelques années auparavant lors d’un stage d’initiation à la communication journalistique, m’avait appris que derrière toute information se cache un fond de vérité, si minime soit-il. Autrement dit, si une information n’est pas nécessairement vraie parce qu’elle est publiée par la presse, il n’en demeure pas moins une vérité originale, peut-être ensevelie sous une tonne d’interprétations, déformée voire mal traduite, mais tout de même une certaine vérité.
Aussi, et ce fut pour moi l’essence de cette révélation, le journaliste aguerri consacre 10 % de ses efforts à la cueillette de l’information, 10 % à la mise en forme (rédaction) de cette information et, entre les deux, 80 % à la vérification de l’information. À partir de ce jour, je ne pouvais donc plus qualifier une information de fausse tout simplement parce qu’elle m’apparaissait invraisemblable et, encore moins, parce qu’elle attaquait quelque chose que j’aime. Ma réaction initiale à l’annonce de messages subliminaux ne faisait que démontrer mon attachement à la musique en cause mais cela ne me donnait aucune autorité pour juger du bien-fondé de l’information ou la rejeter du revers de la main, sans plus de questionnement. J’entrepris donc de vérifier cette information pour ensuite partir en tournée avec une conférence intitulée « Le Rock et la déformation de l’information », dont je vous parlais (voir : La pensée certaine).
Si ma priorité avait été le plaisir de la musique, je me serais contenté de l’écouter et de rejeter toute information lui donnant mauvaise réputation. Or, ma priorité fut et demeure encore aujourd’hui la recherche de la vérité. Je crois que le sens de la vie, du monde et de toute chose se cache dans la vérité. Selon moi, qui ne recherche pas la vérité ne trouvera pas le sens caché de quoi que ce soit. Et qui se contente d’une interprétation des faits ou d’une opinion n’a pas encore trouvé le véritable sens. Aussi, qui ne sait pas distinguer une vérité d’une opinion et un fait de son interprétation est perdu.
Pis encore, celui qui n’aime pas la critique démontre qu’il n’aime pas la vérité car « la critique est cette partie de la logique (logique appliquée) qui étudie les opérations de l’esprit humain en relation avec leur objet, c’est-à-dire, la vérité ».7 Comprenez bien : la critique n’est pas autre chose que la logique appliquée au service de la vérité. Fuir la critique, c’est fuir la vérité.
Dans le contexte de la logique appliquée:
« La vérité est l’équation entre la chose connue et l’intelligence. Cette définition classique de la vérité demande quelques explications. La vérité est une équation, et donc un rapport entre l’intelligence et la chose connue. Ici, par intelligence, on n’entend pas la faculté elle-même, mais le type mental, l’idée qui représente la chose connue. Ainsi, on dit de quelqu’un qu’il est un vrai saint, c’est parce que sa manière de faire, sa conduite est conforme à l’idée, à la définition d’un saint ».8
« La vérité consiste dans un rapport. La définition de la vérité prouve suffisamment cet énoncé. Et d’ailleurs, les affirmations de la conscience et le langage le confirment davantage. Ainsi, le bureau sur lequel j’écris, je ne dis pas qu’il est vrai, mais je dis qu’il est véritablement, vraiment un bureau. Par conséquent, les attributs vrais, véritable ne sont pas affirmés du bureau en tant qu’il est considéré en lui-même, à l’état absolu, mais en tant que je le réfère, le rapporte à l’idée, à la définition d’un bureau. C’est cette référence, c’est ce rapport qui est la vérité. On ne dit pas aussi que le nombre 20 est vrai mais que 10 + 10 égalent vraiment 20. C’est le rapport entre ces deux chiffres qui est la vérité ».9
« La vérité est objet du jugement. Une chose est vraie lorsqu’elle est conforme à l’idée qui représente sa nature. Cet homme, par exemple, est vraiment un bon père de famille parce qu’il réalise l’idée, ou qu’il est conforme à l’idée de bon père de famille. Quand on affirme que vraiment, cet homme est un bon père de famille, on place le sujet homme sous l’extension de l’attribut, bon père de famille. D’un autre côté, on applique l’attribut bon père de famille au sujet homme. C’est là faire une synthèse, une composition, c’est juger. Le jugement s’appelle composition. – Donc le rapport de conformité – c’est la définition de la vérité – est objet de jugement, ou encore, n’existe que dans le jugement ».10
Bref, la vérité est une « connaissance conforme au réel ».11 Chercher une vérité, c’est chercher à savoir si une connaissance est conforme avec le réel. Trouver une vérité, c’est trouver le rapport de conformité ou en quoi une connaissance est conforme au réel. Enfin, comprendre la vérité, c’est être capable d’expliquer ce rapport de conformité, et ce, comme nous l’avons vu, en voyant le lien qui unit la proposition de connaissance conforme au réel avec les connaissances que vous avez déjà comprises. Pour comprendre, il faut donc disposer préalablement des connaissances nécessaires (de base) relatives à la nouvelle connaissance.
Votre compréhension ou votre explication d’une vérité étant elle-même un rapport, vous l’exprimerez sous la forme d’un rapport, par exemple, dans une relation entre des nombres (explication mathématique), dans une relation de cause à effet (explication physique) ou, dans le cas où la cause reste cachée, dans une relation avec une classification (explication de systématique – ex. : classement des animaux ou des plantes selon leurs genres, leurs familles, etc. – explications selon la place occupée dans un système donné – ex. : une catégorie).12
Évidemment, les connaissances, les vérités et les sens recherchés ne relèvent pas tous du réel dans son témoignage de l’existence matérielle ou physique. Le réel, de par sa définition, « qui est présent ou présenté à l’esprit et constitue la matière de la connaissance »,13 donne également à penser à l’existence immatérielle ou métaphysique, bref, au monde invisible, de la vie, du monde et des choses.
Dans le sens courant, est qualifié de réel ce « qui existe en fait », d’où qu’il puisse être question d’un « fait réel ». Personnellement, j’aime bien parler de la « vérité de fait » ou de la « connaissance conforme aux faits réellement observés ».
Aussi, le « réel » désigne « les choses elles-mêmes; les faits réels, la vie réelle, ce qui est », d’où la parenté de définition avec la réalité. Quand je doute, c’est de la réalité d’un fait. Qu’il soit question de réfléchir à la réalité de la matière associée au matérialisme (« état d’esprit caractérisé par la recherche des jouissances et des biens matériels »14 ou de la réalité de l’esprit associée au spiritualisme (« doctrine pour laquelle l’esprit constitue une réalité indépendante et supérieure » ou « doctrine reconnaissant en outre l’existence de Dieu et des valeurs spirituelles constituant la fin propre de l’activité humaine »)15 je cherche à m’inscrire dans le courant du réalisme, c’est-à-dire que je m’efforce autant que possible d’adopter l’« attitude d’une personne qui tient compte de la réalité, l’apprécie avec justesse ».16 Bref, ma recherche personnelle se concentre sur « le sens du réel ».
À l’instar de plusieurs d’entre vous, je cherche non seulement les rapports entre les faits se rapportant à chaque réalité mais aussi les rapports entre les faits des différentes réalités que je reconnais. J’aimerais bien relier la réalité de la matière, la réalité de l’esprit et la réalité de Dieu dans un seul et même système global et avoir une compréhension parfaitement unifiée par des vérités de faits tout aussi parfaites mais la perfection n’est pas de ce monde.
Dans ce contexte, la recherche de sens importe quasiment davantage que son aboutissement. Aussi, je ne considère aucune vérité comme absolue (« qui existe indépendamment de toute condition ou de tout rapport avec autre chose »)17 mais toujours comme relative. Seule ma compréhension de la réalité divine contrevient à cette considération car je crois en Dieu davantage par la foi et la révélation qu’en m’appuyant sur des vérités de fait raisonnables, logiques, critiques. À suivre dans La pensée divine.
Pour le moment, je veux tout simplement démontrer que la tendance à l’unification des vérités (dans un système global capable de tout expliquer) n’est pas une raison pour mélanger les vérités sans distinction. Il faut distinguer trois types de vérités : « La vérité ontologique est la conformité d’une chose », pour les uns, « avec l’intelligence divine »18 ou, pour les autres, « avec l’idée que nous nous faisons de cet objet ».19 « La vérité logique est la conformité de l’intelligence créée avec l’objet perçu. La vérité morale ou la véracité est la conformité du langage avec la pensée. »20 Vous trouverez des explications détaillées de chaque type de vérités dans plusieurs ouvrages spécialisés.
Pour ma part, j’insiste sur l’importance de bien définir la vérité dans laquelle vous espérez trouver le sens caché (de la vie, du monde et des choses). Souvent, la vérité est là, sous nos yeux, mais n’ayant qu’une vague idée de ce que nous cherchons, nous ne la reconnaissons pas. Il est donc important de vérifier si l’idée que nous nous faisons de la chose à laquelle nous cherchons un sens est conforme avec la chose elle-même.
Par exemple, si vous cherchez un sens à la vie, vous devez définir avec suffisamment de précisions l’idée que vous vous faites de la vie. Et vous devez vous demander si la vie est conforme avec l’idée que vous vous faites de la vie ou votre définition de la vie. Avez-vous considéré tous les aspects de la vie ? D’où provient la liste des aspects que vous reconnaissez à la vie ? De votre expérience personnelle de la vie ? De votre connaissance des enseignements de Dieu ? Chaque aspect est-il correctement défini ou considéré ? Ici, vous êtes en train de vérifier la vérité ontologique (conformité d’une chose – la vie – avec l’intelligence divine ou avec l’idée que nous nous faisons de cet objet).
La principale difficulté de cette vérification provient de la distinction à faire entre la vie elle-même et l’idée de la vie car la vie, comme plusieurs autres choses, n’est pas l’idée que l’on s’en fait. Mais comment connaître la vie autrement que par l’idée que l’on s’en fait ? Considérez ceci : la vie a une existence en dehors de l’idée que l’on en a. Autrement dit, vous n’auriez aucune idée de ce qu’est la vie qu’elle existerait tout de même. Confondre la vie avec l’idée de la vie risque de vous inciter à conclure que la vie est une idée, ce qui serait une erreur de logique. Ici, nous glissons dans la vérité logique (conformité de l’intelligence créée – votre définition de la vie – avec l’objet perçu – la vie).
Notez que toute votre compréhension de la vie se trouve réunie dans votre définition de la vie, c’est à ce titre que votre compréhension égale « l’intelligence créée » – au contact de la vie, telle que vous la percevez. Cela ne veut pas dire que la simple perception d’une chose crée en votre esprit une intelligence au sujet de cette chose. C’est plutôt et toujours les liens ou les rapports faits entre l’objet perçu et ce que vous comprenez déjà qui vous apportent une certaine intelligence au sujet de cette chose.
Cette précision faite, pour vérifier la vérité logique, il faut nous demander, non pas si la vie est conforme à l’idée que nous en avons, mais plutôt si l’idée que nous avons de la vie est conforme à la vie; le complément devient le sujet.
Nous nous retrouvons, pour la plupart, devant la question de la vérité logique sans d’abord avoir répondu à celle de la vérité ontologique. D’ailleurs, nous nous arrêtons peu à l’être des choses, au véritable état des choses, à ce qui fait l’existence des choses, à leurs caractères. Nous avons plutôt l’habitude de considérer l’idée que nous avons des choses comme vraie, poussés et satisfaits par les premières évidences, par ce qui nous saute aux yeux, et la confiance souvent aveugle en notre intelligence. Ce que nous pensons d’une chose nous importe davantage que la chose elle-même ou, pis encore, nous confondons inconsciemment l’un avec l’autre, d’où notre difficulté à vérifier si la chose est conforme à l’idée que nous en avons et d’où que nous préférions vérifier si l’idée que nous avons de la chose est conforme à la chose. Travailler à la recherche de sens à partir de notre définition d’une chose nous semble plus facile que de procéder d’abord avec la chose elle-même.
Mais dans les deux cas, nous aurons fait un premier pas en reconnaissant que les caractères propres de la réalité de la vie, du monde et de chaque chose nous dépassent, c’est-à-dire que nous ne les saisissons pas tous, pas plus que nous comprenons entièrement chaque caractère porté à notre connaissance. Il y a toujours des caractères ou des éléments de caractères qui sont loin d’être évidents à notre esprit. La confiance aveugle en notre intelligence – souvent réduite à la seule capacité de se faire une opinion − n’améliore pas la situation.
À nouveau, tout est une question d’attitudes, dans ce cas-ci, de l’esprit humain en présence de la vérité.
« Le témoignage de la conscience et l’expérience quotidienne démontrent que l’intelligence humaine, faite pour la vérité, ne s’y achemine qu’à petits pas. Ce n’est que d’une façon fort incomplète que l’esprit humain arrive tout d’abord au vrai. Et il en a la possession parfaite qu’après avoir passé par différents stades. Au reste, la nature de l’intelligence explique aussi ces différentes attitudes. Ne pouvant atteindre la vérité par intuition, immédiatement, elle a recours à des moyens termes, à des points de comparaison; elle déduit les conclusions des principes donnés, bref elle raisonne. Mais des causes d’ordre intrinsèque : passion, préjugés, un empressement trop hâtif, l’empêchent d’arriver du premier coup à la possession totale et parfaite du vrai ».21
« L’esprit humain a cinq attitudes différentes vis-à-vis de la vérité. En effet, ou il ignore la vérité, ou il la méconnaît, c’est-à-dire, ne l’admet pas comme telle. Dans le premier cas, l’attitude de l’esprit s’appelle ignorance, dans le second cas, erreur. Entre ces deux états extrêmes l’esprit peut se mouvoir. Entre l’ignorer et le méconnaître il y a le connaître avec ses différents degrés. La connaissance est initiale, possible, on l’appelle doute; de possible elle devient probable, c’est l’opinion; de probable elle devient évidente, c’est la certitude. Ainsi, donc, cinq attitudes : l’ignorance, le doute, l’opinion, la certitude et l’erreur ».22
« L’ignorance est le manque de connaissance dans quelqu’un capable de l’avoir ».23 « Quand l’esprit humain n’adhère ni à l’une ni à l’autre des deux parties qui sollicitent son adhésion, il est dans l’état de doute. Il a fait un pas de plus, il n’ignore pas, il entrevoit quelque peu la vérité, il n’y adhère pas encore ».24 « Il arrive qu’après avoir douté, l’esprit commence à adhérer à ce qu’on lui propose, il incline vers une partie plutôt que vers l’autre; c’est le soupçon. Ce n’est pas encore l’adhésion, mais un commencement d’adhésion ».25 « Si l’esprit adhère à ce qu’on lui propose, tout de même, sans crainte de se tromper, alors on dit qu’il opine. C’est l’opinion. Ce n’est pas encore la ferme adhésion qui ne laisse aucune place à la crainte de se tromper, mais cependant, c’est une adhésion basée sur des motifs qui la justifient. Dans l’opinion, la vérité n’apparaît pas encore à l’esprit sous un jour complet, dans toute sa réalité; ce n’est pas encore la pleine lumière chassant toutes les ombres; c’est une lumière, tout de même, mais vacillante; elle éclaire, mais imparfaitement. La proposition apparaît à l’esprit comme probable ».26 « » La probabilité est cette lumière imparfaite sous laquelle le vrai apparaît souvent à notre esprit ».27 « La probabilité d’une opinion varie avec la valeur des motifs qui sollicitent notre assentiment ».28 « Enfin, l’esprit arrive à la possession totale, parfaite, de la vérité. C’est la certitude. Si nous comparons cet état aux autres, nous pourrions l’appeler l’état de béatitude. Dans la certitude, en effet, la vérité se manifeste clairement à l’esprit, elle apparaît dans toute sa splendeur, en un mot, elle est évidente. Se présentant comme telle, la vérité ne peut pas ne pas solliciter l’adhésion de l’intelligence; et, comme telle, aussi, elle exclut toute possibilité d’errer. Cette adhésion ferme de l’intelligence, excluant toute crainte de se tromper, appelée certitude, est un état subjectif; je suis certain, disons-nous couramment. La splendeur de la vérité, cette lumière sous laquelle le vrai apparaît d’une façon parfaite à l’esprit, c’est une qualité de l’objet, c’est objectif. C’est l’évidence. Cela est évident ».29 « L’erreur est la méconnaissance de la vérité. Elle n’est donc pas la vérité limitée mais bien la négation complète de la vérité. Est dans l’erreur celui qui juge qu’une chose est lorsqu’elle n’est pas – et réciproquement. L’erreur et la fausseté ne doivent pas se confondre. La fausseté regarde l’objet, l’erreur se rapporte au sujet. On dit d’une chose qu’elle est fausse et de quelqu’un qu’il est dans l’erreur ».30 Mettons un bémol : « la possession totale, parfaite, de la vérité » n’est pas de ce monde, d’où qu’il est toujours une possibilité d’errer et que toute vérité demeure relative.
Si l’esprit s’achemine vers la possession de la vérité habituellement à petits pas, passant de l’ignorance au doute, du doute au soupçon, du soupçon à l’opinion, de l’opinion à la certitude, quand il ne tombe pas dans l’erreur, il en va autrement avec la vérité « révélée » à l’esprit par la pensée initiatique où l’on passe directement à la certitude par un grand pas en avant.
Cette voie rapide inquiète la plupart des observateurs de la pensée initiatique. Ces observateurs questionnent généralement la vérité morale ou la véracité de la révélation (conformité du langage – témoignage de la vérité – avec la pensée – révélation dans l’esprit). Le fait que la personne recevant une révélation soit souvent dépassée et marquée par un événement (traumatisme ou découverte) alimente le doute sur sa capacité de prendre conscience de ses pensées et d’en témoigner.
Le doute s’amenuise passablement dans le cas d’une révélation tout à fait logique, par exemple, « La lumière entre par les failles ». Le doute augmente grandement dans le cas d’une révélation d’ordre morale (certitude de bien ou de mal) et divine (certitude de foi). Même certaines révélations d’ordre essentiellement physique soulèvent de forts doutes, généralement dans les cas d’exceptions où les phénomènes échappent aux lois physiques connues (certitude d’exceptions physiques − ex. : guérison inexpliquée). Enfin, certaines révélations d’ordre scientifique laissent planer un doute, surtout dans le cas des vérités indémontrables, ces vérités comprises immédiatement, par évidences, mais dont on ne peut faire la preuve suivant la logique scientifique (certitude de science – trouver un ex. :…).31
Si la vérification de la conformité du langage avec la pensée est présentée comme une question de morale par l’abbé A. Robert, c’est sans doute pour nous inciter à éviter le mensonge et pour insister sur l’obligation de dire la vérité, du moins, d’avoir l’assurance de bien traduire sa pensée dans un langage aussi vrai que la pensée. Personnellement, je ne connais pas d’autres explications à ce lien avec la morale. Aussi, dans ce contexte vérité-mensonge, la vérification de la conformité du langage avec la pensée vise à éliminer tout doute sur la vérité, toute possibilité de mensonge. Le proverbe devient : « » Dans le doute, abstiens-toi » « car tu risques le mensonge », plutôt que de se référer au risque d’erreurs.
Quoi qu’il en soit, l’étude de la conformité du langage avec la pensée relève de la logique formelle ou de la dialectique, « la science des opérations de l’esprit humain en elle-même et des lois qui les régissent »,32 un domaine de connaissances relevant aujourd’hui de plusieurs philosophies spécialisées.
Si vous creusez le sujet, vous apprendrez que la dialectique tente, entre autres, de déterminer l’influence de la pensée sur le langage et l’influence du langage sur la pensée. Ce champ d’investigation de la dialectique rejoint en quelque sorte la pensée initiatique car cette dernière communique ses révélations oralement. En fait, la pensée initiatique peut faire de la communication orale une expérience traumatisante ou une découverte porteuse d’une double révélation, la première dévoilant la puissance de la communication orale (contenant), la seconde enseignant une vérité profonde sur le sujet même de la communication (contenu).
Si des événements peuvent être la source de traumatismes et la recherche source de découvertes à effets révélateurs, l’expérience orale de la pensée initiatique a ceci de particulier qu’elle implique une relation interpersonnelle. L’esprit qui tient la communication transforme la compréhension de celui (ou de ceux) à qui il s’adresse, et ce, avec la pleine conscience de l’exercice. C’est ici que la définition suivante du mot « initier » prend tout son sens : « Admettre quelqu’un à la connaissance d’un savoir peu répandu ».33 Voici une définition plus conforme à mon expérience personnelle de la pensée initiatique : admettre quelqu’un à la conscience d’une compréhension, nouvelle ou plus large, peu commune et/ou d’une dimension profonde de l’esprit et du cœur humain.
Les expressions « peu répandu » et « peu commune » introduisent la notion de secret, d’où qu’il soit question depuis le commencement de ce chapitre de la recherche du « sens caché » (de la vie, du monde et des choses). Or, je veux être très clair sur le sujet : la pensée initiatique n’a rien en commun avec l’occultisme,34 que j’associe personnellement à de l’escroquerie (parfois diabolique), et l’ésotérisme,35 que je considère personnellement comme une psychologie de logique douteuse déguisée une philosophie/sagesse mystique de travail sur soi en vue d’une fausse acceptation de soi consistant en fait à une négation de soi (elle incite à mourir à soi-même) par déconditionnement de l’esprit soi-disant limité par l’instinct de conservation (qui a jusqu’ici assuré la survie de l’homme) avec la promesse ultime de libérer l’esprit de son corps et de retourner à la lumière d’où l’on vient. Ouf ! Compliqué, n’est-ce pas ? C’est que l’ésotérisme prétend unifier tout ce qui bouge en une sagesse universelle, en une religion des religions sous prétexte que plus on s’élève (sur la voie dite initiatique), plus les différences s’estompent alors que les courants en apparence opposés se complètent. Désolé car pour ce faire il faut mettre de côté une foule de petits détails en apparence insignifiants mais qui se révèlent de première importance pour se rendre à destination ou, si vous préférez, pour notre Salut. À suivre dans La pensée divine.
La pensée initiatique ne vous demande pas d’entreprendre un éternel chantier de travail sur vous-mêmes pour vous changer, elle vous change en vous livrant sur un plateau une meilleure compréhension de la vie, du monde et des choses. Vous n’avez qu’à garder votre esprit ouvert, à ne pas prendre pour acquis que vous comprenez déjà la vie, le monde et les choses pour le mieux, à admettre que vous pouvez comprendre davantage, que de nouvelles connaissances peuvent élargir votre esprit et, parfois, simplement, à tendre l’oreille. Le sens de la vie, du monde et des choses n’est pas caché parce qu’il se cache lui-même mais très souvent simplement parce que nous sommes bornés à nous-mêmes, ultras concentrés sur nous-mêmes. « The truth is out there » − « La vérité est ailleurs. La vérité du sens caché n’est pas en nous si ce n’est qu’en partie et plus profondément enfouie que nous le pensons, autrement, avec une telle obsession sur nous-mêmes, nous l’aurions trouvée depuis longtemps. La vérité du sens caché est là-bas, à l’extérieur de vous.
Où ça, là-bas ? Mais partout, sur le perron de votre porte jusqu’aux confins de l’univers. À commencer par l’existence jusqu’à la finalité de la vie, du monde et de chaque chose. Qui a dit que la vie n’avait pas de sens, que le monde non plus n’avait pas de sens et que les choses avaient encore moins de sens ? Vous ? Regardez-y un peu plus près et vous verrez le sens. Bien sûr, parfois, le sens paraît tout croche mais il y a là tout de même espoir d’un sens. Quand le sens nous paraît tout croche, ne se-rait-ce pas un peu beaucoup parce que nous avons l’esprit tout croche? Nos yeux louchent sur le bout de notre nez. Il faut porter notre regard plus loin, nous intéresser à ce qui ne nous intéresse pas.
Et si nous reconnaissions que toute existence a un but, ne nous serait-il pas plus facile d’en découvrir le sens ? Quel est le but de la vie, le but du monde et le but particulier de chaque chose ? La vie, le monde et les choses font sens ou sont plus intelligibles lorsqu’on leur reconnaît un but. Après tout, le sens est une idée intelligible « qui sert à expliquer, à justifier une existence »,36 à reconnaître une raison d’être. Pourquoi ne pas trouver cette idée intelligible dans un but, une finalité ? Un sens, c’est somme toute aussi une direction.
Personnellement, ma vie n’aurait pas de sens si elle n’avait pas un but. Autrement dit, je reconnais le sens réel de ma vie dans le but que je me suis donné. Voici mon but : faire triompher l’amour et la vérité dans ma vie pour le plus grand bénéfice d’autrui. Mon intérêt personnel ne prime que dans les situations de survie où je dois laisser mon instinct de conservation veiller sur moi. Ainsi, je permets à mon instinct de survie d’avoir uniquement une portée à court terme car à moyen et à long terme il m’empêcherait de pratiquer le don de soi, le véritable don de soi, celui sans espoir de retour, si ce n’est que la satisfaction de voir l’autre heureux, dans l’amour et la vérité.
Je vis plutôt dangereusement car le court terme m’empêche d’accumuler toutes les réserves en cas de pénurie accidentelle le moindrement persistante. Mais j’ai regardé autour de moi les autres ayant privilégié le moyen et le long terme pour vivre aujourd’hui une retraite soi-disant dorée et très peu d’entre eux me semblent nager en plein bonheur, entourés de l’amour de leurs proches et éclairés par la vérité. Le moyen et le long terme obligent généralement des sacrifices, non seulement personnels mais aussi interpersonnels, comme les ressources allouées aux proches, y compris aux enfants, et le temps pour entretenir une vie de couple solide et de vraies amitiés, d’où que la richesse matérielle des aînés s’accompagne souvent d’une grande solitude et d’une vérité-sagesse trop étroite pour la briser.
Toute personne figée dans ses opinions, souvent en raison de préjugés tenaces, éloigne davantage de gens qu’elle en rassemble autour d’elle. Et à l’instar de l’empiriste37 face à la morale du don de soi, la personne cherche plutôt « son » intérêt en toute chose, d’où l’abondance de ses ressources matérielles et la pauvreté de ses ressources morales et spirituelles.
Pour tout vous dire, je méprise la poursuite d’un but strictement personnel à des fins essentiellement égocentriques car je crois qu’un tel but reconnaît à la vie un sens trop limité pour en contenir tous les aspects. Chaque être est un élément d’une composante parmi d’autres dans un vaste ensemble et le sens réel de la vie d’un être humain se révèle uniquement dans la participation active à la vie de l’ensemble des êtres humains, à commencer par celle des proches.
Bref, la vie a un sens réel que si elle se tourne vers autrui plutôt que vers soi-même, vers l’extérieur plutôt que vers l’intérieur. C’est dans sa relation avec autrui que le sens réel de votre vie se cache. Cette philosophie altruiste s’accorde avec la pensée initiatique car elle porte en elle des révélations profitables que si elles sont partagées, que si elles profitent à l’ensemble. De plus, pour disposer notre esprit à ces révélations, il faut concentrer notre attention sur les éléments extérieurs,38 non pas sur soi-même, contrairement à la pensée ésotérique privilégiant la concentration sur soi.
Autrement, nous sommes vite dépassés par l’ensemble et, par conséquent, le sens réel de la vie, du monde et des choses nous est caché. Dans ce contexte, l’idée même de Dieu apparaîtra comme insensée. À suivre dans La pensée divine.
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NOTES
1. Lenoble, Robert, Conseils pratiques aux jeunes philosophes, J. De Gigor, Éditeur, Paris, 1960. p. 212.
2. Ibid.
3. Le Petit Robert.
4. Cheskin, Louis, Secrets of marketing success, Trident Press, New York, 1967, p. 150. (Voir aussi note # 171). « I can understand why marketing and advertising men can-not grasp the significance of sensation transference, because I could not grasp it. I accepted it only after I had seen several tests with hundreds of individuals. I had difficulty accepting it because it was contrary to my frame of reference ; it was contradictory to my education ; it was in opposition to my orientation. It was a reality I could not face. But without facing it, without accepting it, I would not be able to solve marketing problems. »
5. Cheskin, Louis, Basis For marketing Decision, Liveright, New York, 1961, p. 82. » An individual’s behavior is based on his frame of refer-ence. A person’s frame of reference determines his attitudes. Consciously and unconsciously one acquires concepts that become part of him and are the basis of all his attitudes. The frame of reference is acquired from parents, teachers, relatives and friends, from the type of radio pro-grams we hear, the T.V. programs we watch and from the kind of books, magazines and newspapers we read. Most of us believe we acquire facts from these sources, not attitudes. We think we have accumulated objective information, not a frame of reference. »
6. Le Petit Robert.
7. Robert, op. cit., p. 88.
8. Ibid., p. 89.
9. Ibid., p. 90.
10. Ibid., p. 91.
11. Le Petit Robert.
12. « En résumé comprendre, c’est saisir dans un ensemble, faire entrer dans un système. Le principe de systématisation peut être plus ou moins rigoureux : ce que l’on comprend le mieux ce sont les mathématiques, parce qu’elles sont fondées sur le principe d’identité, puis la physique, qui suppose le déterminisme; la classification, enfin, est le moyen de comprendre les êtres que nous ne pouvons pas produire, et dont les causes nous restent cachées. » Lenoble, Ibib. p. 215.
13. Le Petit Robert.
14. Ibid.
15. Ibid.
16. Ibid.
17. Ibid.
18. Robert, op. cit., p. 90.
19. Le Petit Robert.
20. Robert, op. cit., p. 90.
21. Ibid., p. 92.
22. Ibid., pp. 92-93.
23. Ibid., p. 93.
24. Ibid., pp. 94-95.
25. Ibid., pp. 95-96.
26. Ibid., p. 96.
27. Ibid., p. 96. Note originale de l’auteur : « Cfr. Lahr, Philosophie, T.I., p. 550. »
28. Ibid., p. 96.
29. Ibid., p. 98.
30. Ibid., pp. 99-99.
31. Trouver un exemple.
32. Ibid., p. 12.
33. Le Petit Robert.
34. Occultisme : « Croyance à l’existence de réalités suprasensibles qui seraient perceptibles par les méthodes des sciences occultes; ensemble des sciences occultes et des sciences qui s’y rattachent. » Sciences occultes : doctrines et pratiques secrètes faisant intervenir des forces qui ne sont reconnues ni par la science ni par la religion et requérant une initiation (alchimie, astrologie, cartomancie, chiromancie, divination, magie, nécromancie, radiesthésie, sorcellerie, télépathie »). Le Petit Robert.
35. Ésotérisme : « Doctrine suivant laquelle des connaissances ne peuvent ou ne doivent pas être vulgarisées, mais communiquées seulement à un petit nombre de disciples ». Ésotérique : « Se dit de toute doctrine ou connaissance qui se transmet par tradition orale à des adeptes qualifiés », « Dont le sens est caché, réservé à des initiés ». Le Petit Robert.
36. Le Petit Robert.
37. « L’empirisme est une doctrine qui prétend que toute la vie de l’esprit s’explique par la seule expérience sensible. Attention. N’oubliez pas, dans cette définition, l’adjectif : sensible. Il a plus d’importance que le substantif : l’expérience. » Dans le contexte où tout système prétend s’appuyer sur l’expérience, « ce qui caractérise l’empirisme, c’est que pour lui il n’y a qu’un type d’expérience, l’expérience sensible. L’esprit reçoit tout des sens ; il n’y a pas de principes innés capables de dépasser ce qui apparaît dans le temps et dans l’espace : il est un assemblage de données sensibles. Croire que toute la connaissance et l’esprit lui-même viennent de données sensibles, et doivent y demeurer, c’est cela l’empirisme, et cela seulement. » Lenoble, op. cit. pp. 22-23.
38. Par exemple, comme je le mentionnais, sur tout ce qui ne nous intéresse pas, sur les opinions différentes des nôtres, sur la vie d’autrui.
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« Je peux comprendre pourquoi les gens de marketing et de publicité ne peuvent pas saisir la signification du transfert de sensations, parce que je ne pouvais pas la saisir moi-même. J’ai accepté le transfert de sensations seulement après avoir vu plusieurs tests réalisés auprès des centaines d’individus. J’avais de la difficulté à accepter le transfert de sensations parce que ce dernier était contraire à mon schéma de références; contraire à mon éducation; en opposition avec mon orientation. Le transfert de sensations était une réalité et je ne pouvais pas l’affronter. Mais en n’y faisant pas face, en ne l’acceptant pas, je n’aurais pas été capable de résoudre des problèmes de marketing. »4
« Le comportement d’un individu se base sur son schéma de références. Le schéma de références d’un individu détermine ses attitudes. Consciemment et inconsciemment, un individu acquiert des concepts qui deviennent une partie de lui-même et qui sont la base de toutes ses attitudes. Le schéma de références est acquis des parents, des enseignants, des relations et des amis, du type d’émissions de radio que nous entendons, des émissions de télévision que nous regardons et du type de livres, magazines et journaux que nous lisons. La plupart d’entre nous croyons tirer des faits de ces sources, non pas des attitudes. Nous pensons que nous avons accumulé des informations objectives, non pas un schéma de références. »5










































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