Article # 138 – Penser contre soi-même, Nathan Devers, Éditions Albin Michel, 2024

J’ai lu pour vous

« Penser contre soi-même » de Nathan Devers paru en 2024 aux Éditions Albin Michel. Ce livre m’a ravi autant par son écriture, son caractère autobiographique et les propos de son auteur au sujet de la philosophie.

J’accorde à ce livre cinq étoiles sur cinq.


Couvertures

Article # 138

NATHAN DEVERS

Penser contre soi-même

Palmarès Les 100 livres de l’année 2024 – Lire Magazine

Prix Cazes – Brasserie LIPP 2024

Sélection de Printemps du Prix Renaudot

Éditions Albin Michel, 2024

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Données au catalogue

Penser contre soi-même

Nathan Devers

Date de sortie :  3 Janvier 2024

Auteur(s) : Nathan Devers

Éditeur : Albin Michel

Distributeur : Hachette

Date de parution : 03/01/2024

Collection : Itinéraires

EAN : 9782226483867

Nombre de pages : 336 Pages

Longueur : 20.6 cm

Largeur : 14.1 cm

Épaisseur : 2.7 cm

Poids : 438 g

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Présentation

TEXTE EN QUATRIÈME DE COUVERTURE

Pourquoi la philosophie ?

Qu’apporte-t-elle à l’existence ?

Que change-t-elle à nos vies ?

Nathan Devers a voulu répondre à ces questions de manière personnelle : pourquoi, alors qu’il avait choisi de devenir rabbin au terme d’une adolescence très croyante, a-t-il perdu la foi ? Comment a-t-il pu abandonner une vocation profonde au profit d’un univers sans dogme ?

Intense et puissant, avec sa poésie mais aussi sa violence, ce récit est une vibrante invitation à philosopher, c’est-à-dire à penser contre soi-même. Une quête universelle et pourtant difficile : le désir d’échapper à ses préjugés, de bouleverser ses certitudes, d’aller au-delà de l’identité déterminée par sa naissance.

C’est l’histoire d’une rupture vécue comme une aurore. Ou comment donner du sens à un monde qui en manque.

Nathan Devers est né en 1997. Normalien et agrégé de philosophie, il a publié l’essai Espace fumeur (Grasset, 2021) et deux romans : Ciel et terre (Flammarion, 2020), Prix du Cercle interallié du premier roman, et Les liens artificiels (Albin Michel, 2022) qui a connu un grand succès. Avec Penser contre soi-même, il signe son deuxième essai.

 » Un livre [..] disert, inventif, éclatant. Feu d’artifice d’écriture, il mêle intelligence et humour, rigueur et poésie. C’est brillant […]. » Roger Pol-Droit – Le Monde des livres

 » Un récit brillant et intense. » La Tribune du Dimanche

Source : Éditions Albin Michel.

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Sommaire

Dédicace

Exergue

Prologue

Partie I. Comment s’éteignent les commencements

  • Chapitre 1
  • Chapitre 2
  • Chapitre 3
  • Chapitre 4
  • Chapitre 5
  • Chapitre 6

Partie II. Les noms viennent d’ailleurs

  • Chapitre 1
  • Chapitre 2
  • Chapitre 3
  • Chapitre 4
  • Chapitre 5
  • Chapitre 6
  • Chapitre 7
  • Chapitre 8
  • Chapitre 9
  • Chapitre 10
  • Chapitre 11
  • Chapitre 12
  • Chapitre 13

Partie III. À qui répond l’appel

  • Chapitre 1
  • Chapitre 2
  • Chapitre 3
  • Chapitre 4
  • Chapitre 5

Partie IV. Le désert est une source

  • Chapitre 1
  • Chapitre 2
  • Chapitre 3
  • Chapitre 4
  • Chapitre 5
  • Chapitre 6
  • Chapitre 7
  • Chapitre 8
  • Chapitre 9
  • Chapitre 10
  • Chapitre 11

Partie V. Les choses sont des mots

  • Chapitre 1
  • Chapitre 2
  • Chapitre 3
  • Chapitre 4
  • Chapitre 5
  • Chapitre 6
  • Chapitre 7
  • Chapitre 8
  • Chapitre 9
  • Chapitre 10
  • Chapitre 11
  • Chapitre 12
  • Chapitre 13

Épilogue. Chercher

  • Chapitre 1
  • Chapitre 2
  • Chapitre 3
  • Chapitre 4
  • Chapitre 5
  • Chapitre 6

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Extraits

Ces extraits sont disponibles sur le site web Immateriel.fr

Prologue

Pourquoi la philosophie ?

Chaque rentrée universitaire, j’aime introduire mes cours en posant cette question. Je ne demande pas aux étudiants de la décortiquer à la manière d’un sujet de dissertation, encore moins d’en définir les termes. Mais de parler concrètement, depuis la vérité fuyante des intuitions vécues : pourquoi avez-vous choisi de vous orienter vers cette discipline étrange, qui ne répond à aucune fonction précise dans notre société ? Comment est née cette résolution d’apprendre un non-métier ? Que signifie, pour chacun d’entre nous, un tel commencement ?

Je tiens à partir de ce dialogue car je suis convaincu que la philosophie débute ainsi : par un saut intérieur. Un élan immédiat et lointain, qui tient tantôt à des hasards, souvent à des logiques, toujours à des orages, bonjours autant qu’adieux, ruptures et aubes mêlées. Un cheminement intime qui se raconte plutôt qu’il ne s’explique. Une quête, un instinct, peu importe le nom pourvu que cette recherche soit éprouvée avant toute analyse. Cette histoire mérite d’être aventurée en soi, à la première personne, comme un voyage décidant seul du monde, des récits et des voix qui en émergeront. C’est une expérience qui nous pense à mesure qu’elle s’écrit. Car la pensée s’incarne : nos existences sont des méditations.

Il s’agirait, non de discuter dans l’abstrait, qu’est-ce que la « philosophie » ?, mais de prendre le problème à l’envers, par son aspect premier : pourquoi, comment s’y engage-t-on ? D’où vient qu’encore étrangère cette voie nous attire déjà ? Quel est ce désir inconnu que la philosophie nous inspire dès le petit matin, avant même que nous n’ayons la moindre idée de ce qu’elle représente ?

Ce jour-là, dans la salle, je sentais des bonnes ondes. Le groupe me semblait souriant, dynamique, visiblement disposé à participer, et non à transcrire mécaniquement mes propos sur des ordinateurs. Je n’eus pas à attendre longtemps pour qu’une dizaine de mains se lèvent. Il y eut d’abord François qui, dans son adolescence, avait découvert avec fascination les podcasts de France Culture. Puis Inès, une future comédienne qui rêvait d’adapter, sur scène, les dialogues de Platon. Thomas, admirateur de Marx, espérait mieux déceler la vérité dans les rapports sociaux. Mathilde, européiste convaincue, ambitionnait de comprendre les doctrines du contrat social, persuadée que la politique était une théorie appliquée. Malo, amateur de boxe, entendait se plonger dans d’intenses et éclectiques lectures. Carla, passionnée de cinéma italien, était en quête du Beau. Hermione avait hâte d’être curieuse de tout, intéressée autant par la métaphysique que par l’éthique et les sciences humaines. Natacha, humoriste en devenir, était certaine que la philosophie l’aiderait à aiguiser son regard sur le potentiel comique de l’Humanité. Jawad étudiait la médecine. Et Antoine, vétérinaire polyglotte à la retraite, consacrait son temps libre à l’épistémologie.

Personne n’avait répondu la même chose à ma question. En à peine quelques minutes, la notion de philosophie avait perdu son centre de gravité pour s’ouvrir sur un bouquet de projets divergents, d’aspirations multiples et de passions mobiles. Comme si nous étions tous là pour des raisons qui n’avaient rien à voir les unes avec les autres, réunis par coïncidence autour d’un malentendu érigé en cursus universitaire : et si la « philosophie » n’était rien d’autre qu’une volière d’ascensions plurielles – un échangeur de trajectoires, d’itinéraires où chacun s’enfonce seul, en éclaireur de soi ?

Et pourtant, cette confusion était très cohérente. Derrière la variété de nos motifs, par-delà la singularité de nos visions respectives, nous regardions tous dans la même direction. À vrai dire, nous attendions de la philosophie quelque chose de simple, d’éternellement simple et de pourtant majeur : qu’elle donne du sens au mystère de la vie. Qu’elle nous permette de traverser autrement le phénomène de l’existence humaine. Qu’elle soit avant tout l’art d’une éternelle question. Une question infinie, qui trouverait en elle-même sa propre vérité. Une question vivante, déployée en spirale, et qu’aucun dogme, qu’aucune certitude, qu’aucune tradition ne pourra jamais clore. Une question à l’image de cette matinée de pré-automne, de cette rentrée universitaire, de cette nouvelle année : une question dont on ignore parfaitement ce qui en sortira. C’est avec ces pensées que j’entrai dans le tramway, ressentant un réel plaisir à l’idée que les cours reprennent. Quel bonheur, disait Stendhal, d’avoir pour métier sa passion.

Depuis le campus universitaire de Pessac jusqu’au centre-ville de Bordeaux, le trajet était d’environ vingt minutes. J’en profitai pour appeler Anaële, ma fiancée. Mais Anaële ne répondit pas. Je réessayai une deuxième fois. Toujours rien. Alors, je téléphonai à mon frère. Pas de tonalité. Je tapai le numéro de ma mère, puis de mon père. Silence radio. J’allais commencer à m’inquiéter quand un ami m’appela. Frédéric, photographe de son état, m’informait qu’il était à Bordeaux pour une prestation. Exceptionnellement, je devais justement y dormir, à cause d’une réunion de l’École doctorale qui aurait lieu le lendemain matin. Nous convînmes de nous retrouver à l’heure du petit-déjeuner, histoire de passer un peu de bon temps avant d’aller au travail.

Arrivé place de la Victoire, profitant du début de soirée, je me suis installé à une terrasse de café. Initialement, j’avais prévu d’aller directement à l’hôtel pour y poser mon sac. Mais c’est une disposition que je tiens de ma mère : le soleil crée en moi un étrange sentiment de culpabilité, m’obligeant à tout interrompre sur-le-champ pour profiter de lui. Sinon, j’ai la mauvaise conscience du tournesol à l’ombre. Aussi, en voyant le ciel se dégager, j’oubliai ma quasi-nuit blanche de la veille et m’assis à une table vide. J’en profitai pour descendre deux ou trois verres de rouge devant un texte de Heidegger, « Que veut dire penser ? », une conférence brève, d’une trentaine de pages, inspirée par un vers de Hölderlin : « Nous sommes un signe vide de sens ». C’est le premier écrit philosophique que j’aie lu, il y a bientôt dix ans. Depuis, je le relis assez régulièrement, en me réjouissant chaque fois que certains aspects, que certaines sentences, que certains reliefs me demeurent opaques. Comme si, à chaque redécouverte, les zones d’ombre de ces pages bougeaient d’une phrase à une autre. Comme si les difficultés et les évidences s’intervertissaient sans cesse. Une heure plus tard, le soleil se cacha entre deux immeubles et je demandai l’addition.

Mon hôtel était situé à quelques rues de l’opéra. J’avais choisi ce deux-étoiles sur un comparateur de prix, car il était le moins cher à cette date. Autant dire que je ne m’attendais pas à y découvrir une suite présidentielle. Et je ne fus pas déçu. Située au troisième étage d’un immeuble vétuste, ma chambre était presque aussi sale que chez moi, avec des draps froissés, de la poussière au sol et de l’humidité. Sa fenêtre donnait sur une cour intérieure. Je l’ouvris pour griller une cigarette et aérer la pièce. Dans l’immeuble d’en face, les appartements étaient éteints, à l’exception d’un seul, en vis-à-vis, où j’entrevoyais une silhouette furtive. Dans le carré de ciel que découpaient les toits, les nuages saignaient, c’était le crépuscule. Finalement, me dis-je en allumant ma clope, cet endroit me convenait à merveille. Rien de mieux qu’un lieu sale pour se vider la tête. Et puis, au moins, je n’aurais pas envie de m’y éterniser.

J’allais refermer la fenêtre quand j’entendis cette voix. Une voix de femme, la voix de la silhouette, qui se propageait à travers la cour. La femme chantait. Elle chantait en hébreu. Elle priait en hébreu. Et me revint alors une chose que j’avais parfaitement rayée de mon esprit, qu’Anaële, mon frère et mes parents m’avaient pourtant dite la veille : aujourd’hui, c’était Yom Kippour, le jour du Grand Pardon, la fête que les Juifs célèbrent au complet, incluant les athées convaincus et les provocateurs, les incroyants rigides et les bouffeurs de porc, les apostats sincères et les débauchés du dimanche, les amnésiques de Dieu et les renégats bourrés de haine de soi, les pires défroqués et autres aquabonistes – et ce jusqu’aux derniers marginaux de la communauté, tous rattrapés à l’occasion par un je-ne-sais-quoi de gêne ou de mélancolie.

C’était Yom Kippour et je fumais ma cigarette dans une chambre moite, digérant encore mon burger du déjeuner et mes verres de bordeaux. C’était Yom Kippour et je n’y avais pas songé une seule fois de toute la journée. C’était Yom Kippour et, dans ma vie, cette date ne signifiait plus rien. J’avais tellement oblitéré le judaïsme, mon judaïsme, que je ne me souvenais même plus de l’avoir déserté. C’était Yom Kippour et, à cette heure, il ne restait plus rien de religieux en moi.

La femme continuait de prier. Je n’avais pas entendu quelqu’un chanter en hébreu depuis une éternité. Cela faisait si longtemps, en cette soirée d’automne, que cette langue avait disparu de mon environnement. J’en avais expurgé chaque élément de son : chaque nom, chaque psaume, chaque verset, chaque verbe. L’hébreu était ma culture morte, remplacée par d’autres dictionnaires, d’autres livres, d’autres chemins de vie. Et pourtant, à présent que la voix de cette femme résonnait à travers le silence, je comprenais les mots qui sortaient de sa bouche, je connaissais par cœur la supplique qui la faisait vibrer. Il y était question d’un Dieu redoutable et puissant, qu’imploraient des humains assaillis de remords, faibles et miséreux, chargés de souvenirs honteux et de mauvaise conscience – qui, jusqu’au dernier moment, imploraient leur créateur, le rappelaient à l’éternelle noce qui l’unissait à eux.

Elle se rapprocha de la fenêtre, son corps s’immisça dans mon champ de vision. Elle avait la beauté des visages mystiques. Concentrée, perdue dans sa prière, elle ne se rendait même pas compte que je l’observais. Bientôt, ses joues s’inondèrent de larmes. Ces larmes, je les avais connues. Les larmes de l’extase, ces perles au goût de sel qui se mélangent aux mots, à la fatigue du jeûne, au sentiment étrange qui résulte de ce jeûne, à la joie d’avoir faim, de sentir son corps s’alléger, disparaître, appeler le Seigneur jusqu’à n’être plus rien. Le soleil se couchait et je ne pouvais quitter cette femme du regard, de plus en plus sublime, que sa voix transformait. Elle était là, à l’ombre d’un ciel où s’ébauchait la nuit, se dressant devant moi pour invoquer un Dieu dont l’absence régnait.

En l’espace d’une fraction de seconde, je fus tenté de croire que cette femme était une apparition biblique, semblable à ces fables talmudiques où la fiancée d’Israël se révèle aux âmes égarées pour leur montrer ce qu’elles ont perdu. Tous les symboles concordaient. Moi avec ma cigarette, respirant du feu dans une chambre terne. Elle dans sa robe noire, manifestation de toutes ces Juives qui, aux quatre coins de l’Histoire, avaient protégé l’alliance d’Abraham et la loi de Moïse. Voilà qu’elle tourna la tête. Son regard se planta dans le mien et ses pupilles, écarquillées comme des astres, dardaient des rayons de sanglots. En rivières, les larmes descendaient sur sa peau, irriguaient son semblant de sourire. Nous étions face à face, debout de chaque côté du vide. Et ses larmes la rendaient aveugle à l’absence des miennes. Et sa voix construisait un mur entre nos deux visages.

En cette micro-seconde, disais-je, j’eus l’impression que nous étions tous les deux suspendus à un fil. Il suffisait que j’ouvre la bouche pour chanter avec elle. Je retrouverais aussitôt ces paroles perdues. J’entrerais de nouveau dans le royaume des mots qui tournent autour du Nom. L’alliance reviendrait et, à la dernière minute, l’histoire connaîtrait une fin différente.

Mais non. J’ai fini par claquer la fenêtre et me suis allongé sur le lit. Alors, j’ai fermé les yeux et elle m’est apparue : je revis mon ombre, celle de l’autre Nathan. Le Nathan d’il y a presque dix ans. Je le reconnus tout de suite, même s’il avait vieilli. Orné d’une barbe fournie, il me dévisageait comme on contemple un spectre. Car ce Nathan revenait de la mort. Le Nathan que je devais devenir et que j’ai condamné. Un enfant envolé la kippa sur la tête, l’aspirant rabbin que j’ai assassiné.

PARTIE I

COMMENT S’ÉTEIGNENT LES COMMENCEMENTS

Chapitre 1

Tout avait pourtant débuté un jour de Kippour. Dans ma famille, Kippour était le seul jour où nous saisissions l’occasion d’être juifs à cent pour cent, du matin jusqu’au soir et de la tête aux pieds. En l’espace de vingt-cinq heures, nous avions carte blanche : plus d’école, plus de tables de multiplication ni de conjugaison, plus de cahier de texte, plus de cartable et de trafic de feuilles Diddl dans la cour de récréation, plus d’électricité à la maison, plus d’alimentation, plus d’eau, plus de douche ni de brossage de dents. C’est-à-dire plus rien. Kippour n’était pas seulement le festin de la religion juive ; c’était l’armistice de notre vie quotidienne, où toutes nos habitudes se voyaient annulées, mises entre parenthèses.

La fête commençait la veille au soir. Ma grand-mère, qui habitait en face de chez nous, rentrait de son magasin plus tôt que prévu et préparait un dîner aussi copieux que possible, histoire d’anticiper le jeûne. Autour d’une belle table, dressée à la va-vite et dans l’excitation – l’heure avançait, nous devions avoir fini le repas avant le coucher du soleil –, nous avalions des litres d’eau en nous goinfrant de poulet. Les cuisses du volatile disparaissaient une à une, broyées par nos mâchoires pressées. Nous avions l’appétit de ceux qui sentent la privation venir.

J’étais encore à l’école primaire. Religieusement, il n’était donc pas question que je me prive de nourriture à l’image des autres. Mais je tenais absolument à imiter l’exemple des adultes – au moins à essayer, histoire de battre mon record de l’année précédente. Alors, j’ingurgitais tout ce qui défilait sous mes yeux : d’immenses tranches de pain, des galettes de riz, une demi-bouteille d’Évian, des légumes, et même des bananes, fruit dont, en règle générale, je me méfiais comme de la peste. Ma grand-mère, décelant ce manège, semblait tiraillée entre deux sentiments contradictoires. D’un côté, je bouffais comme un porc – ce qui contrastait avec mes habitudes alimentaires, plutôt dignes d’un phasme anorexique. De l’autre, je m’apprêtais à défier mon corps, j’allais l’exposer à une épreuve dangereuse, réservée uniquement aux grands et aux bien-portants. Alors, elle se résignait à me laisser faire, tout en équilibrant sa tolérance d’une salve de sentences choisies : dans la vie, il ne faut pas être excessif… Il faut faire les choses étape par étape… Ce n’est pas une bonne idée, de jeûner à ton âge… Demain, au petit-déjeuner, si tu as faim, tu manges, ok… ? Non, ne te contente pas de répondre « Hum, hum »… Dis-moi : « Je te promets, mamie »… J’étais fourbe et gentil, je répondais oui et je pensais l’inverse.

Dix-huit minutes avant le crépuscule, Kippour commençait. Je me levais de table, lourd comme ces ballons de baudruche qu’on gonfle de liquide pour en faire des bombes, presque soulagé à l’idée que, désormais, mon ventre se viderait petit à petit mais inexorablement, semblable à un sablier où s’écoulerait une poudre invisible, la poudre de tous les fardeaux auxquels le corps était soumis le restant de l’année. Et, pour l’heure, à demi somnolents, nous marchions vers la synagogue le pas maladroit, tanguant comme des pendules, oscillant entre deux attentes incompatibles : la hâte d’avoir faim, la crainte des épreuves que cette hâte masquait.

Ce soir-là, les rues d’Auteuil étaient méconnaissables. Aux alentours de dix-neuf heures, elles se peuplaient soudain de petits groupes qui portaient une kippa et tenaient des livres de prières sur la couverture desquels trônaient des lettres hébraïques. Pour l’occasion, ils s’étaient endimanchés : costume noir et chemise blanche – ce qui, ajouté à leur pas chancelant, leur donnait de vagues airs de manchots empereurs. À mesure que nous remontions la rue Molitor, je m’étonnais auprès de mes parents de voir autant de Juifs autour de moi : mais où étaient-ils le reste de l’année ? C’était ça, Kippour, le seul jour où les Juifs existaient ? J’observais tous ces visages, sidéré d’en reconnaître certains : comment aurais-je pu deviner que le boulanger d’en bas était de notre peuple ? Lui qui vendait des jambon-beurre et des quiches lorraines ? Et ma maîtresse d’école, juive aussi ! Elle, Christine Lantier, qui nous racontait l’histoire de Vercingétorix comme s’il s’agissait de son ancêtre ! C’était à se demander si je ne rêvais pas… Mais non, aussi incroyable que cela puisse paraître, cette procession aux allures de parade Disney n’était pas une hallucination. Une fois par an, les Juifs d’Auteuil convergeaient en famille vers la synagogue, telles les fourmis regagnant leur cité souterraine après s’être éparpillées dehors, camouflées dans le monde comme des caméléons. Des fourmis-caméléons qui décidaient subitement de tomber le masque ensemble pour se déguiser en pingouins, voilà à quoi ressemblait le cortège des Juifs de Kippour dans le sud du XVIe arrondissement.

Car Auteuil n’était pas un quartier comme les autres : c’était un quartier profondément juif, mais secrètement juif – le quartier de Paris, et peut-être de France, où l’on comptait le plus de Juifs qui se comportaient comme des non-Juifs. À la différence de Passy et Neuilly, où les Juifs affirmaient davantage leur culture, du XIXe, où ils étaient plus pratiquants, et du Marais, où ils habitaient depuis des siècles, Auteuil était un quartier de Juifs de Kippour, c’est-à-dire de Juifs sans kippa, de Juifs sans accent, de Juifs sans hébreu, de Juifs sans Torah, de Juifs sans judaïsme – bref, de Juifs qui n’étaient jamais juifs. Auteuil, la Jérusalem des Juifs assimilés.

Notre synagogue, à Auteuil, n’était pas non plus une synagogue semblable aux autres synagogues. Elle s’appelait l’ENIO, l’École normale israélite orientale, et avait été fondée à la fin du XIXe siècle, à l’époque où, israélites jusqu’au bout des ongles, les Juifs de France se rêvaient normaliens. En apparence, d’ailleurs, l’ENIO n’avait rien d’un endroit religieux. Située dans un immeuble aussi banal que les autres, où s’était éteint le vénérable maréchal Foch, elle avait abrité pendant des décennies un collège-lycée dont le proviseur n’était autre qu’Emmanuel Levinas. Le philosophe avait passé sa vie à conjuguer les trésors de la pensée occidentale et ceux de la littérature juive ; il éduquait les pensionnaires de l’ENIO dans l’esprit de cette synthèse, les incitant à lire pêle-mêle Gogol et le Talmud, Descartes et le Cantique des cantiques. Dans ce lieu, la Bible côtoyait Victor Hugo depuis toujours ; il s’agissait des deux versants d’une même soif d’érudition. Pour cette raison, l’ENIO des années 1970 avait réussi un immense coup de force. Comme une parenthèse dans l’histoire des nations, elle avait conjugué deux recherches opposées : celle du grec ancien et celle de l’araméen. L’exigence d’Athènes et celle de Sion.

Depuis la mort de Levinas, et donc depuis ma naissance, les choses avaient un peu changé. Disons que l’école avait fermé, que l’exigence avait tari, que l’immeuble avait vieilli – et qu’il ne restait plus de l’ENIO qu’un sous-sol aux odeurs caverneuses, où s’improvisait une salle de prière peu fréquentée par les Juifs du quartier, sauf le jour de Kippour. Outre cette anomalie, l’ENIO était la seule synagogue de France où il n’y avait pas de rabbin. En théorie, l’ENIO fonctionnait comme une république, où chacun venait tel qu’il était, avec ses qualités et ses défauts, ses grandeurs et ses petitesses, et où personne ne se drapait dans la posture du prêtre. Dans les faits, bien sûr, cette absence de rabbin avait souvent l’effet inverse. Faute d’un chef unique, le pouvoir se répartissait entre trois ou quatre piliers de la communauté, qui avaient leurs affidés et leurs chouchous, leurs querelles permanentes et leurs tensions rivales. À cet égard, la liturgie suscitait sans cesse des luttes d’autorité, si bien que les offices se déroulaient comme des champs de bataille. Souvent, les rituels, aussi minimes fussent-ils, déclenchaient des tentatives de coup d’État plus ou moins maladroites : Choukroune essayait de psalmodier plus fort que Taieb, Benchetrit s’égosillait pour qu’on adopte ses mélodies tunisiennes, Guedj persiflait que les Juifs tunisiens ne savaient pas chanter, Touati et Sebbane prenaient un malin plaisir à corriger l’articulation approximative de Darmon, Cohen demandait à Lévi d’arrêter de bavarder avec Mamane, Larredo reprochait à Cohen de bavarder avec Lévi – et ainsi de suite jusqu’à ce que tout le monde s’en veuille. Arrivait toujours le moment fatidique. La goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Le casus belli. Chaque année, c’était Benkemoun et Chétrit qui se chargeaient de transformer l’anarchie en guerre civile : ils se disputaient pour monter sur l’estrade au moment des bénédictions. Benkemoun disait à Chétrit qu’il se prenait pour une star de l’Eurovision. Chétrit répondait à Benkemoun qu’il chantait comme la Castafiore. Alors, Benkemoun prenait ses meilleurs airs de tragédien. Feignant de pleurer, il sortait de la synagogue accompagné de toute sa famille et poussait des hurlements outragés : « Plus jamais vous ne me verrez dans ce sous- sol miteux ! ». Dix minutes plus tard, mi-penaud mi-triomphant, il revenait s’asseoir sur son siège – et, après moult embrassades et réconciliations, Chétrit, magnanime comme un lion victorieux mais investi d’un zeste de culpabilité, le suppliait de bien vouloir chanter.

Bien sûr, quand nous allions à la synagogue pour Kippour, toutes ces intrigues m’échappaient. Moi qui savais à peine lire, je ne comprenais pas grand-chose aux coulisses de cette fourmilière. D’ailleurs, je ne connaissais même pas le nom des personnages que, d’année en année, je retrouvais identiques, assis à la même chaise, chantant les mêmes prières avec les mêmes intonations, exprimant les mêmes mimiques, vêtus du même costume et des mêmes rictus. Alors, fasciné par la manière dont ils ne changeaient pas, émerveillé par leur allure de statues éternelles, je m’amusais à leur donner des surnoms. Il y avait d’abord le Roseau, un homme d’une soixantaine d’années qui priait tantôt en se balançant d’avant en arrière, tantôt en chavirant de gauche à droite, tantôt en pivotant d’un côté et de l’autre. Comme si son corps ployait et se courbait sous l’effet d’un vent invisible. Et comme s’il se soumettait de bonne grâce aux élans de ce souffle. Car, malgré son déhanchement constant, le Roseau ne cessait jamais de tenir sagement son livre de prières ouvert entre ses mains, dont il récitait pourtant le contenu par cœur. À sa droite, un visage de cire au front dégarni, au sourire éclatant et carnassier ; je l’appelais l’Acide, tant ses mâchoires me paraissaient crispées. Devant lui, assis au premier rang, l’un des trois califes de l’ENIO : le Kiffeur. Je le désignais ainsi car, malgré le sérieux avec lequel il présidait l’office, je ne pouvais m’empêcher de l’imaginer allongé sur un transat à Juan-les-Pins, en train de draguer des mamies et de fumer des cigarettes fines. Ses cheveux, plaqués en arrière sous une kippa noire, étaient encore gris – ce qui, comparé aux autres familiers de l’ENIO, faisait de lui un pré-adolescent. Quand il priait, son visage était sans cesse traversé par des tics qui semblaient rythmer les accents de sa voix rêche. À côté de lui, le deuxième calife de la synagogue : Papa-Triste, un sosie de mon père en triste. Si mon père était un sosie du jeune Woody Allen, Papa-Triste était son sosie au deuxième degré, à ceci près qu’avec ses yeux de chien battu et les commissures de ses lèvres pendantes, il semblait abattu par la vie. Enfin, à droite de Papa-Triste, le troisième calife du sous-sol, le plus fascinant d’entre tous : un homme que j’hésitais à baptiser Baba ou Obélix. Pourquoi Baba ? Parce qu’il enlaçait les gens en ponctuant ses câlins d’une phrase mystérieuse : « Comment ça va, Baba ! » (J’insiste sur le point d’exclamation ; chez lui, « Comment ça va » n’était pas une question, mais une véritable apostrophe, un ordre tacite). Pourquoi Obélix ? Non seulement parce qu’il était physiquement enveloppé, mais surtout parce que ce monsieur semblait être tombé dans le chaudron du judaïsme quand il était petit. Je me souviens aussi qu’il était le plus hyperactif de tous. Il parlait toujours très fort, chantait l’hébreu avec une voix de muezzin et n’hésitait pas à tancer violemment les autres quand ils commettaient une erreur de prononciation. C’était le plus captivant de cette confrérie.

Mais le personnage principal de l’ENIO n’avait pas de visage, ni même de surnom. Il s’agissait de celui pour lequel nous étions tous là. À savoir Dieu lui-même, invisible et nommé du début à la fin. Oui, je ressentais, du plus profond de mon cœur, l’émergence de Dieu dans cette cave miteuse. Non qu’il fût présent en soi dans notre synagogue, incorporé au lieu, caché sous les meubles à la manière d’une ombre. Rien, parmi les chaises, les tapis et les meubles n’indiquait qu’y logeait l’Éternel. Il surgissait plutôt comme un don de la langue, l’habitant de nos mots. Car les prières de Kippour étaient d’une intensité rare : nous étions tous là à supplier le créateur de l’univers d’accepter que nous l’aimions. Nous criions de toutes nos forces, nous trémulions et chantions à tue-tête. Dieu ne répondait pas, mais nous continuions. Pour qu’il nous écoute, nous lui rappelions les épreuves de nos ancêtres. Le jour où Abraham faillit égorger son propre fils sur l’autel du mont Moriah… La constance avec laquelle Isaac n’avait jamais quitté la terre d’Israël… L’énergie folle que Jacob déploya pour rester fidèle à la plénitude de sa mission… Puis la servitude en Égypte. Le courage des Hébreux qui s’aventurèrent dans le désert… La force de David et de Salomon qui construisirent la ville de Jérusalem… L’exil… Les persécutions… Les massacres… L’attente… Le désespoir… La fidélité à l’alliance contractée… Nous ne demandions rien… Seulement qu’il nous entende… Depuis le 6 de la rue Michel-Ange, en cette aube du troisième millénaire, des centaines de Juifs se réunissaient pour Dieu. Collés comme des sardines dans les tréfonds d’un souterrain humide, nos prières s’élevaient jusqu’au ciel. Elles brûlaient jusqu’à l’être qui dépassait tous les cieux.

Enveloppé sous son châle, mon père m’expliquait comment fonctionnait la prière juive. En règle générale, les enfants ne traînaient pas dans la synagogue : ils s’y montraient dix minutes pour faire bonne figure et se rejoignaient ensuite au rez-de-chaussée pour discuter entre eux de la dernière Game-Boy, de leurs chaussures hors de prix et des conneries qu’ils faisaient à l’école. En ce qui me concernait, je ne voulais pas rater une seule seconde de ce qui se jouait là. Je restais à la synagogue jusqu’au dernier moment. Je sentais, sans me le formuler, que le jour de Kippour était le plus beau, le seul qui comptait vraiment dans ma naissante vie.

À vrai dire, il y avait bien une chose qui me gênait un peu : pourquoi demandions-nous pardon à Dieu alors que nous reprendrions le cours de notre vie normale dès le lendemain ? Je regardais tous ces Juifs qui respectaient Kippour. À mesure que s’écoulaient les heures, ils se déversaient à l’ENIO, de plus en plus nombreux, de plus en plus bruyants. Bientôt, un parfum de sueur s’emparait du sous-sol. À droite et à gauche, des centaines, des milliers de Juifs de Kippour se dressaient, tous plus endimanchés les uns que les autres, tous plus fiers d’avoir répondu à l’appel du Pardon. Ils jacassaient, ils piaillaient, ils racontaient leur vie, ils paradaient entre eux, ils se prenaient en photo avec les yeux. On aurait dit qu’ils étaient contents d’avoir l’occasion de retrouver leur judaïsme une fois par an, histoire de se sentir en paix avec eux-mêmes, de se rassurer à l’idée qu’ils perpétuaient des habitudes millénaires. Ils savaient pertinemment que, quand Kippour serait fini, ils rentreraient chez eux et retrouveraient leur train-train : ils mangeraient de la viande interdite, ils ne prieraient plus, ils ne porteraient pas leur kippa, ils ne respecteraient ni le shabbat ni aucune des lois juives. S’ils se repentaient, c’était pour mieux récidiver en toute bonne conscience. Un peu comme quand je jurais à mes parents de ne plus faire de bêtises, tout en prévoyant dans ma tête le moment où je recommencerais… Que valaient ces excuses exprimées par des gens qui ne les pensaient pas ? N’étaient-elles pas des mensonges ? Mais alors, à quoi ressemblait notre synagogue, sinon à un théâtre, un bal de conventions – un grand jeu pour adultes ?

C’est ainsi que, du haut de ma petite enfance, je me fis un serment. En ce qui me concernait, je ne serais pas juif au gré de mes caprices. Il me faudrait trancher : me lier à Dieu à cent pour cent ou à zéro pour cent, mais je ne tricherais pas.

Avec le recul, je n’ai pas vraiment changé d’avis : la religion, telle que je la conçois, est tout sauf un amas de traditions folkloriques, une occupation communautaire ou une identité. C’est une liaison avec Dieu, impliquant de s’y engager de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit. Je continue de penser qu’il est incohérent de se comporter trois cent soixante quatre jours sans obéir aux commandements religieux et d’utiliser la journée restante pour s’en faire excuser. On ne peut pas célébrer Kippour et rentrer chez soi comme si de rien n’était. On ne peut pas être juif à la carte, en sélectionnant ce qui séduit dedans. On ne peut pas être juif par pur automatisme, par désir mimétique de se sentir juif, sans savoir ce que ce vocable recouvre. Car l’alternative est simple : ou vous pénétrez dans la question de Dieu, en admettant la divinité de la loi de Moïse, et vous la reconnaissez comme vôtre, quelles que soient les épreuves. Ou vous n’y pénétrez pas, et vous la rejetez en bloc, quelle que soit votre culpabilité. Orthodoxe ou rien. En matière de religion, il ne saurait y avoir d’entre-deux ou de demi-mesure, à moins d’être un tartuffe doublé d’un paresseux. Comment pourrait-on prendre à la légère une chose aussi essentielle que le sens de la vie ?

Ce refus de composer ne m’a jamais quitté. Mon aversion pour la demi-mesure, les concessions et les conforts mentaux serait à l’origine de mon devenir-rabbin. Elle engendrerait aussi ma rupture avec cet univers. Flamme d’un rouge absolu, elle ferait de moi le dévoré de mon intransigeance : l’embrasé et l’éteint d’un incendie-éclair. D’un extrême à l’autre sans passer par le centre.

Chapitre 2

Un mot sur ma famille : le détour par la généalogie s’avère inévitable pour comprendre, comme dirait Sartre, ce que j’ai fait de ce que les autres ont fait de moi.

L’histoire de mes ancêtres n’avait été qu’une longue succession d’exils imprévus, de départs soudains et de pays perdus. Il n’y avait pas une seule nation du pourtour méditerranéen dont ils n’avaient pas été expulsés à une époque ou une autre : mes ancêtres étaient des ostracisés en chef, experts en valises et en déménagements, sans cesse chassés par leurs voisins à grands coups de pied dans le cul. Ils avaient les fesses dures et l’œil sentimental. D’un siècle à l’autre, ils construisaient des châteaux de sable et s’étonnaient de les voir s’effondrer. Éternels locataires, docteurs en nomadisme, ils traînaient avec eux leur destin d’algues déracinées. Comme des nénuphars, ils dérivaient sur le lac de l’Histoire. Aussi, ils parlaient un dialecte impossible, absurde et absent des encyclopédies : le judio. Prenez toutes les langues du monde, mélangez-les, faites-les cuire ensemble, secouez bien le résultat et vous obtiendrez ce sabir incroyable. Il y avait de tout, dans le judio : de l’espagnol travesti en arabe, des restes d’hébreu transformés en berbère, peut-être même du chinois ou de l’indonésien. C’était un concentré de la parole humaine.

Le dernier pays où les miens vécurent avant de s’installer en France se situait en face d’Alicante, à une nuit de bateau des côtes andalouses : l’Algérie, rivage où un aïeul dont j’ignore jusqu’au nom avait échoué au terme d’interminables pérégrinations. Entre lui et la région d’Oran, ce fut le coup de foudre. Non que cette terre fût plus sûre que les autres. Mais le désert s’y traduisait en criques. Mais le soleil y brûlait à l’ombre des montagnes. Mais la mer y nageait entre les plantations. Alors, mes aînés s’installèrent dans le pourtour d’Oran, les uns aux environs de Mostaganem, les autres du côté d’Arzew, les derniers en contrebas du fort de Santa-Cruz. Les saisons passèrent et, un jour, on entendit des canons et des instituteurs : la France débarquait. Quarante ans plus tard, les Juifs d’Algérie avaient opté pour un nouveau déguisement : Mahlouf s’appelait désormais Jean-Christophe et Mahloufa Jean-Christine. À Oran, les Juifs se regroupèrent dans un quartier dont il ne reste, aujourd’hui, que des ruines et des cendres. Ils s’établirent autour de l’opéra municipal et édifièrent, à quelques rues de là, une immense synagogue aux airs de cathédrale. Directement inspirée des monuments toscans, elle avait la réputation d’être la plus belle d’Afrique. Dans son style baroque, elle cristallisait toutes les civilisations dont ces Juifs se souvenaient encore. Semblable à un navire encalminé, sa façade gardait la cicatrice de Jérusalem et d’Istanbul, de Grenade et de Rome. Cette synagogue-paquebot était un Titanic sans mer à traverser et sans destination.

Mes ancêtres n’étaient pas riches. Vendeurs ambulants, ils avaient fini par acheter un bazar situé à l’autre bout de la ville, dans le quartier de Miramar, là où les artères commerçantes s’improvisaient impasses. Ils y écoulaient un peu de tout et de n’importe quoi : des poupées et des bâtons de bois, des oranges et des bouts de ficelle. Pas de quoi se payer des virées à l’autre bout du monde, mais ils se contentaient d’escapades dans la forêt de Canastel. Parfois, il leur arrivait même de partir en vacances du côté de la métropole. Je crois qu’ils s’y plaisaient déjà beaucoup : l’un d’entre eux, rasséréné par l’air de Verdun, y perdit ses poumons en 1917, laissant derrière lui une famille d’orphelins.

Quelque vingt ans plus tard, par un beau matin d’automne, ces orphelins eurent une drôle de surprise : tout Jean-Christophe et Jean-Christine qu’ils étaient, la France les traitait désormais comme des pestiférés. Mes arrière-grands-parents, Armand et Paulette, venaient de se marier. Les noces étaient à peine consommées qu’Armand se vit convoqué à un nouveau voyage : direction Bedeau, l’un des rares camps de concentration d’Algérie. Là-bas, le service laissait un peu à désirer, raison pour laquelle, jusqu’au soir de sa vie, Armand demeura muet à propos de cette période de captivité. Quand les Américains le rendirent à ses habits civils après avoir libéré l’Algérie, ils lui donnèrent un nouvel uniforme et l’envoyèrent sur la côte d’Azur où, en guise de touristes, il fut attendu par des Allemands fort peu vacanciers. C’est ainsi que, de retour à Oran en 1945, Armand était l’un des rares Juifs à avoir connu à la fois les pyjamas rayés et le Débarquement. Entre-temps, son sosie miniature avait appris quelques mots de judio : Gérald, un bébé de trois ans qu’il n’avait pas vu grandir.

Trois ans plus tard naquit Geneviève, ma grand-mère, une petite fille qui dansait sur les toits et retombait sur ses pattes quand elle dégringolait. Quand elle eut six ans, Armand dépensa douze mois d’économies pour acheter une caméra dernier cri. Pendant que Geneviève se pétait la gueule en souriant sur les rochers d’Aïn El Turk, pendant qu’elle grimpait aux arbres déguisée en princesse, pendant que Paulette accouchait d’Yves, Armand les regardait d’un œil. De l’autre, il réglait son appareil, veillant à immortaliser toutes ces scènes de vie. Car autour de lui, il sentait peu à peu le vent tourner et souffler vers le nord. Ses amis, qui n’avaient pas tous eu la chance de voyager entre 1942 et 1944, le prenaient pour un paranoïaque ou un oiseau de malheur. Il n’empêche qu’Armand s’entêta. Un jour, s’écriait-il à tout bout de champ, il faudrait déguerpir. Ce n’était pas la première fois, certes, qu’on colonisait le sol d’Algérie. Mais jamais les colons ne s’étaient autant pris pour des libérateurs.

Par une matinée radieuse, en 1961, Armand et Paulette décidèrent de reprendre le large. Cette fois, ils emmenèrent leurs trois enfants et deux petites valises. À sept heures du matin, ils s’habillèrent en vitesse et allèrent dire aux voisins qu’ils seraient de retour la semaine prochaine. Puis ils montèrent dans une voiture et, depuis la lucarne, Geneviève aperçut sa chambre s’éloigner. Alors que les côtes algériennes disparaissaient à l’horizon, l’écho d’une explosion fut camouflé par le tango des vagues : une bombe venait de faire sauter l’immeuble où ils avaient vécu.

Chapitre 3

Cela faisait deux mille ans que les Juifs passaient leur temps à déplacer Jérusalem partout dans leur exil. D’Alexandrie à Séville, de Vilnius à Tétouan, de Moscou à New York, ils s’évertuaient à construire une galaxie de micro-Jérusalem. Ils s’inventaient des capitales de substitution qui ne remplaçaient rien. Toutes plus fragiles les unes que les autres, ces Sion en trompe-l’œil finissaient toujours par retrouver leur vocation de ruines. Au bout d’un ou deux siècles, elles prenaient feu, disparaissaient des mémoires et du globe. Alors, les Juifs continuaient de voyager. De génération en génération, ils migraient de Jérusalem fictives en fausses Jérusalem. Si bien qu’au bout du compte ils multipliaient à l’infini l’image de leur Jérusalem. Jérusalem : ce nom finissait par désigner toutes les villes où ils avaient vécu.

Sur le bateau, Armand et Paulette refusèrent de se mêler aux autres passagers, qui s’agglutinaient sur le pont pour dire adieu aux rivages d’Algérie. Cette terre acide venait de les vomir, le passé était mort. Au lieu de se languir de ce rejet de greffe, ils se tournèrent ensemble du côté de la proue. Dans leur dos, l’Afrique disparaissait, et ses faubourgs qui les avaient chassés. Mais cela ne les regardait plus. L’avenir dans les yeux, ils observaient la mer. En cette aube spéciale, l’eau scintillait à perte de vue, pleine de cristaux de toutes les couleurs. Elle ressemblait à un ciel endurci, à un paradis de nuages liquides qui flottaient indécis. Ils ne s’y trompaient pas : ce ciel de flotte cotonneux et ductile était leur seul appui. La nuée que traversent ceux qui ne naîtront jamais sur leur terre natale.

Où aller ? Quels mirages épouser ? Quelles illusions choisir ? Où transporter, une fois de plus, leur capitale de souvenirs éteints et de chimères errantes ? Quelle énième Jérusalem faudrait-il romancer ? Telles furent les questions que leur voyage posait. Ils avaient trois enfants. Au fil des années, chacun d’entre eux y répondrait d’une façon différente. Dès lors, l’avenir de ma famille, c’est-à-dire de mes songes, se répartirait comme une constellation, autour de trois étoiles où se miraient des rêves.

Il y aurait d’abord Nice.

C’est à Nice, en effet, que glissait le bateau. Euphorie immédiate en arrivant au port, puis en déambulant de boulevards en ruelles. Contrairement à Oran, qui surplombait les flots sans jamais s’y pencher, Nice s’allongeait tout entière sur la mer, ouvrant grand les bras de ses immeubles aux rayons du soleil. Cette ville était nue : pleine de fleurs, elle s’offrait à une fête de lumière et d’écume. Aussi, en découvrant la Promenade des Anglais, au milieu des casinos clinquants et des palaces dorés, des plages lascives et des marchés italiens, Armand et Paulette se sentirent pousser des ailes. Cinquante ans était un âge pour tout recommencer. De plus en plus débrouillard, Armand ne tarda pas à rebondir : cet éternel déménageur se reconvertit dans la vente de meubles. Un jour, le négoce porterait ses fruits. En attendant, Gérald étudiait la pharmacie, Geneviève allait au lycée et Yves au collège. Tous exilés de l’exil, ils adoptèrent à merveille cette seconde vie. Les étés s’écoulaient, Nice devenait peu à peu une terre où s’aimer.

Ces extraits sont disponibles sur le site web Immateriel.fr

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Au sujet de l’auteur

NATHAN DEVERS

Nathan Devers, pseudonyme de Nathan Naccache,
né le 8 décembre 1997, est un écrivain français.

Nathan Devers est né en 1997. Normalien et agrégé de philosophie, il a publié l’essai Espace fumeur (Grasset, 2021) et deux romans : Ciel et terre (Flammarion, 2020), Prix du Cercle interallié du premier roman, et Les liens artificiels (Albin Michel, 2022) qui a connu un grand succès. Avec Penser contre soi-même, il signe son deuxième essai.

Page Instagram de Nathan Devers

Page Wikipédia de Nathan Devers

Page Facebook de Nathan Devers

 * * *

Page de Nathan Devers (Nathan Naccache) sur le site web de l’École Normale Supérieure

Conférence « Le livre à l’ère du tweet », 18 mai 2017 – Séance dans le cadre du séminaire Actualité Critique de l’ENS, introduite par Emmanuelle Sordet et Frédéric Worms , avec les interventions de Déborah Lévy-Bertherat (maître de conférence au LILA à l’ENS),  Nathan Naccache (élève à l’ENS), Lénaïg Cariou (élève à l’ENS) et Sandra Lucbert (auteure de La Toile chez Gallimard).

Conférence « Le Louvre Abou Dhabi, musée miroir ? » Par Alexandre Kazerouni, chercheur à l’ENS, politologue, spécialiste du monde musulman contemporain et des pays du pourtour du golfe Persique en particulier. Séance introduite par Nathan Naccache, élève au département de philosophie de l’ENS.

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Du même auteur

Beaux livres

Les Ruines de Paris

Nathan Devers

Photographe : Yves Marchand

Photographe : Romain Meffre

Extrait

Prix J’aime le livre d’art 2024 – Décerné par un jury de 400 libraires

 » L’ouvrage à offrir à tous les fans inconditionnels d’Urbex. » Page des Libraires

 » Un grand album d’images d’un Paris imaginaire. […]. Chaque image est maginifique dans sa désolation romantique. » Le Nouvel Obs

Sélection 15 pépites sous le sapin – Aujourd’hui en France-Le Parisien

Les photographes Yves Marchand et Romain Meffre, grands spécialistes de l’urbex, explorent les limites actuelles des possibilités offertes par l’intelligence artificielle pour fantasmer un Paris abandonné. Leurs images poétiques et spectaculaires incarnent, par leur réalisme, nos inquiétudes face à l’IA, tant on pourrait croire qu’elle permet en effet de « photographier l’avenir », comme le souligne l’écrivain philosophe Nathan Devers qui signe le texte de cet ouvrage unique.

« À la fois projection et incarnation de nos craintes apocalyptiques, au moment même de la généralisation majeure des intelligences artificielles, les ruines de Paris sont la métaphore visuelle de cette inquiétude. » Romain Meffre et Yves Marchand

« Les ruines dialoguent avec l’imaginaire. Ruines de toujours, bien sûr : Pompéi. Ruines fraîches, encore un peu saignantes : un bout de mur à Berlin. Ruines d’avenir, surtout : l’idée de notre mort, l’image de cette idée. À quoi cette image pourrait-elle ressembler ? Peut-être aux rues de Paris telles qu’elles seront demain, imaginées par Marchand et Meffre. » Nathan Devers

L’ouvrage est un objet original, imaginé à la manière d’un journal ancien (pour rappeler ceux de l’époque de la Commune où de nombreux monuments parisiens ont été en ruines), imprimé sur papier offset, avec une couverture souple et la couture de reliure apparente sur le dos.

Source : Éditions Albin Michel.

Romans français

Les Liens artificiels

Nathan Devers

Finaliste Goncourt des Lycéens

Sélectionné pour le Prix Goncourt

Extrait

« Il fallait la raconter, cette spirale. La spirale de ceux qui tournent en rond entre le virtuel et la réalité. Qui perdent pied à mesure que s’estompe la frontière entre les écrans et les choses, les mirages et le réel, le monde et les réseaux. Le cercle vicieux d’une génération qui se connecte à tout, excepté à la vie. » N.D.

Alors que Julien s’enlise dans son petit quotidien, il découvre en ligne un monde « miroir » d’une précision diabolique où tout est possible : une seconde chance pour devenir ce qu’il aurait rêvé être…

Bienvenue dans l’Antimonde.

 » Si vous n’avez rien compris au métavers, ce roman est pour vous.  » Le Point

Choix Goncourt de l’Orient 2022

Choix Goncourt de L’Italie 2022

Choix Goncourt de l’Algérie 2022

Source : Éditions Albin Michel.

CHEZ D’AUTRES ÉDITEURS

(Cliquez sur les couvertures)

Comment naît une religion ? Quelles épreuves doit-elle traverser pour transposer la foi d’un fondateur spirituel en une structure sociale orchestrée autour du sacré ? Par quels processus parvient-elle à faire fructifier son héritage et à s’imposer comme liaison des hommes avec Dieu ? À quel prix la religion peut-elle devenir l’affaire d’un peuple ?

Entreprendre une généalogie de la religion, c’est assigner à la philosophie la tâche d’une démarche démystifiante : il s’agit de considérer la religion non comme résultat d’une histoire, mais comme source de celle-ci et comme processus. Dans cet essai, Nathan Devers se propose de « relire la Bible, à travers elle et contre elle ». Il revisite la trajectoire qui mène de l’inspiration solitaire d’Abraham à la révélation universelle de Moïse – et il s’attache à montrer qu’à cet égard, la religion, symbiose de l’idolâtrie et de son propre refus, se déploie dans la nostalgie d’un rendez-vous manqué avec Dieu.

Élève à l’École Normale Supérieure, Nathan Devers, codirige le séminaire d’élèves « Lectures de Heidegger », et se destine à la philosophie ainsi qu’à l’écriture.

Généalogie de la religion, Cerf, 2019, 252 p. (ISBN 978-2-2041-3399-9).

« Il y a quelques mois, j’étais encore un graphiste comme on en trouve des milliers à Paris. Et voici que j’ai tout abandonné, mon travail, mes tableaux numériques, mes amis – et ce pour quelle raison ? J’ai tout simplement habité en face d’un cimetière et j’ai passé un an à vivre sous sa fascination. Si je racontais cette histoire à quelqu’un, qui me prendrait au sérieux ? »

Cette histoire, c’est celle de Léonard, qui, en emménageant dans cet appartement, arrêtera aussi de fumer, se mettra à la musculation et aux jeux de hasard, et tentera de retrouver Alma, son premier amour. Est-ce la présence de ces morts, tout proches, qui l’incite à bouleverser sa vie ?

Dans ce singulier premier roman aux allures de quête existentielle, Nathan Devers rapproche les vivants et les morts pour tenter de faire émerger un sens à cette agitation que peut constituer la vie – entre ciel et terre.

Littérature française

Paru le 03/06/2020

Genre : Littérature française

192 pages – 137 x 209 mm Broché EAN : 9782081504301 ISBN : 9782081504301

Ciel et terre, Flammarion, 2020, 190 p. (ISBN 978-2-0815-0430-1).

Ce n’est ni une apologie du tabac ni un traité hygiéniste, mais un hommage, teinté d’humour et de mélancolie, adressé à cette espèce en voie de disparition qu’incarnent les fumeurs.

Peut-on s’arrêter de fumer sans oublier le fumeur qu’on a été ?

Dans ce livre à mi-chemin entre l’essai et le récit, Nathan Devers raconte sa vie à la lumière de la relation qu’il a entretenue, pendant plus de dix ans, avec le tabac. Il revient sur des expériences qu’ont sans doute partagées la plupart des fumeurs : la première cigarette, l’apparition de la dépendance, ses effets bénéfiques et néfastes, l’incapacité de faire quoi que ce soit sans « en allumer une », les vaines tentatives de sevrage – et puis l’invention d’une méthode, résolument personnelle, pour en finir avec cette addiction.

Parallèlement à cette confession, Nathan Devers développe une réflexion sur l’histoire de la cigarette et son imaginaire. Qu’est-ce qui distingue le fumeur mondain du fumeur invétéré ? Comment expliquer que les écrivains, si loquaces lorsqu’il s’agit de parler des drogues ou de l’alcool, aient accordé si peu de place à la cigarette ? Existe-t-il pour autant un espace fumeur de la littérature ? C’est un tel espace que l’auteur s’emploie à construire, en faisant dialoguer quelques fumeurs mythiques, de Michel Houellebecq à Pierre Louÿs en passant par Italo Svevo, Roland Barthes et un certain Maurice de Fleury…

A l’heure où la cigarette fait l’objet d’une quasi-prohibition, ce livre n’est ni une apologie du tabac ni un traité hygiéniste, mais un hommage, teinté d’humour et de mélancolie, adressé à cette espèce en voie de disparition qu’incarnent les fumeurs.

Espace fumeur, Grasset, 2021, 220 p. (ISBN 978-2-2468-2244-8).

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Nathan Devers pense contre lui-même – C à Vous – 11/01/2024

Brut Philo : penser contre soi-même

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Action nationale : Nathan Devers. Penser contre soi-même, par Carl Bergeron, 21 mars 2024

De BHL à CNews, le grand écart de Nathan Devers – Par Claire Julliard – Publié le 17 mars 2024 à 18h00, Nouvel Observateur du Monde

Nathan Devers : Tout quitter pour la philosophie – Juillet 19, 2024, Le contemporain.

Apprendre à penser contre soi-même – Article publié le 21 août 2018 – Par Conférence d’André Tricot, Les Cahiers Pédagogiques

BHL – Retenez bien ce nom : Nathan Devers – Le philosophe salue la naissance d’un écrivain qui, à 22 ans, publie son premier roman, « Ciel et terre », « portrait d’un chevalier à la triste figure ». 10/07/2020, Le Point.

Peut-on penser contre soi-même  ? Passer la foi au feu de la critique, c’est mettre en cause ses propres convictions. Mais c’est aussi une manière d’approfondir sa foi. Peut-on penser contre soi-même, douter, se contredire ? La question comporte aussi une dimension spirituelle. Christophe Henning, 05/02/2021. La Croix.

Nathan DEVERS – PENSER CONTRE SOI-MEME – Albin Michel, Paris, 2024, François BALTA

Réflexion post-lecture de Nathan Devers. Par Gérard Kleczewski, 14 mars 2025, Tribune Juive.

Conscience et subjectivité avec Lionel Naccache et Nathan Devers, Radio France, 28 février 2025.

Rencontre avec Nathan Devers, l’auteur de « Penser contre soi-même », Enghien-les-Bains, Le Journal de François, 6 mai 2024

Les grands entretiens – Nathan Devers, Disponible du 28 juin 2024 au 28 juin 2026, Chaîne parlementaire, politique et citoyenne, LCP.

Penser contre soi même, le nouveau livre de Nathan Devers, Par Frédéric Mercier, Magazine Transfuge, 05/02/2024

Nathan Devers : «Ma rupture avec la religion juive a été totale et définitive». Par  Minh Tran Huy, Figaro – Madame,12 avril 2024 à 18h09

“Penser contre soi-même” avec Nathan Devers, Radio France, 13 janvier 2024.

Une invitation à philosopher et penser contre soi-même avec Nathan Devers, Radio France, 1 mars 2024.

Nathan Devers pense contre lui-même, Radio France, 12 février 2024.

Questionnaire de Proust à Nathan Devers, L’Orient – Littéraire, 3 janvier 2024.

Nathan Devers, miroir à deux faces – « Penser contre soi-même » de Nathan Devers (Albin Michel, 2024), Jean-Paul Brighelli – Causeur, 7 janvier 2024.

Le nouveau livre de Nathan Devers, « Penser contre soi-même », chez Albin Michel. Par Camille Laurent, Causeur, 11 janvier 2024.

En toute vérité, Par Alexandre Devecchio avec Claire Koç, Nathan Devers, Comment penser contre soi-même à l’heure du communautarisme ? Épisode du dimanche 21 janvier 2024.

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Mon rapport de lecture

NATHAN DEVERS

Penser contre soi-même

Éditions Albin Michel

« Penser contre soi-même » de Nathan Devers m’a ravi autant par son écriture, son caractère autobiographique et les propos au sujet de la philosophie. Une écriture poétique, pleine de métaphores, à prendre au pied de la lettre, qui donnent des ailes à l’imagination, au récit de vie de cet auteur qui m’a pas encore trente ans. Je me range avec ceux et celles qui voient en Nathan Devers un auteur de grand talent. « Penser contre soi-même » est une prouesse littéraire autobiographique comme je les aime et beaucoup trop rare. Autobiographique de la vie quotidienne de l’âme et de l’esprit de l’auteur. Une histoire de ses pensées, de leur stagnation et de leur évolution, d’aboutissement en aboutissement, d’étonnement en étonnement, de détermination en détermination, d’hésitation en hésitation, de croyances, de doutes… et finalement de philosophie en philosophie.

Déterminé à devenir rabbin, le jeune Nathan Devers se plie à toutes les règles, y compris vestimentaire, quitte à liquider son anonymat et être pointé du doigt. Puis vint un « premier désir de “philosophie” ».

Mon premier désir de « philosophie » ne vint pas d’un événement spécial, ni d’une souffrance, ni d’un traumatisme, ni même d’un déclic, mais d’un pressentiment, d’un vertige angoissé : ma religion n’était-elle pas le simple phénomène de ma propre naissance ? Le buée de ma venue au monde ? Une constellation inventé par mon désir de croire ? Une monumentale et profonde vanité ? Mais alors où chercher le sens de la vie ?

Avais-je seulement besoin de lire l’Ecclésiaste pour éprouver ce vertige ? Ne l’avais-je pas rencontré en mon for intérieur ? Cela faisait un certain temps, en effet — depuis que j’étais tombé amoureux de la littérature, à vrai dire — que je n’écoutais plus le rav Kotmel de la même manière. Je tendais à ses paroles une oreille plus méfiante et sortais des séminaires avec un arrière-goût étrange, une sorte de déception.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 4, Éditions Albin Michel, 2024, p. 231.

P.S.: rav = rabbin.

Lorsque Nathan Devers écrit « ma religion n’était-elle pas le simple phénomène de ma propre naissance », il nous rappelle et rappellera tout au long de son livre, qu’on ne choisit pas d’être, de naître, son lieu de naissance, ses parents… et qui nous déterminent unilatéralement sans demander notre avis.

Ma naissance, était-ce le bien-fondé de toute mon existence ? Si j’avais surgi chez des parents musulman, chrétiens, athées ou bouddhistes, si j’avais grandi en Grèce antique, dans l’Arabie du VIIe siècle, en Inde médiévale, en 1910 dans une famille marxiste ou dans mille ans, aurais-je accordé la moindre importance à la Torah ? Aurais-je puisé mes vérité dans le Talmud ? Aurais-je respecté la Loi juive pour guider mes actions ? La réponse crevait les yeux : non.

Non à cette illusion de tenir pour absolue une religion dont j’aurais ou, si le démon de la naissance en avait décidé autrement, ignoré jusqu’au nom.

Non à ce conditionnement résultat du hasard.

Non à ce confort d’espérer que la Vérité me fit livrée au berceau, sous mes yeux depuis la tendre enfance.

Non à cette facilité de tenir mon identité pour le centre du monde.

Il me fallait me retourner contre ce que j’avais pris pour le fondement de mon être. Me défusionner de mon « moi ».

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 4, Éditions Albin Michel, 2024, p. 230.

Des questions et des constats ouvrant la porte à la philosophie et générant le pressentiment de l’auteur dont il identifie la source.

D’où Qohelet. C’était lui qui avait mis des mots sur mon pressentiment. Du moins l’avais-lu ainsi : comme un texte qui ne trichait pas avec la vérité, Qui creusait jusqu’au au fond de la perplexité.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 4, Éditions Albin Michel, 2024, p. 233.

« Qohelet » ? Il s’agit de l’auteur présumé de l’Ecclésiaste. Nathan Devers est invité à choisir à choisir ce texte pour son intervention lors d’un séminaire d’été organisé par son rabbin :

Que dirais-tu de commenter l’Ecclésiaste ? C’est un texte dense, à peine plus long que le Cantique des cantiques. Il compte douze chapitres, tu pourrais sectionner ton cours en autant de session d’une heure chacune. Et tu verras, tu auras de quoi faire : malgré sa simplicité apparente, ce livre est abyssal…

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 4, Éditions Albin Michel, 2024, p. 233.

La lecture et l’étude de l’Ecclésiaste poussera Nathan Devers à une conclusion étonnante, contraire à celles des rabbins : « (…) : ce livre dynamitait la Bible et avec lui toutes les bibles du monde. (…) »

On ne peut qu’imaginer le profond malaise accablant ce jeune juif orthodoxe à la suite de sa lecture de l’Ecclésiaste. Le texte le forçait , sans doute malgré lui, à une prise de recul qui s’avèrerait fatidique.

Au chapitre 5, Nathan Devers imagine que l’auteur de l’Ecclésiaste lui parle :

Et toi, tu peux monter et tu pourras descendre, mais rien ne réparera la cassure que j’ai dévoilée en toi. J’eus certes des lecteurs qui se remirent de ma méditation et continuèrent leur vie comme si de rien n’était. Mais je sens qu’en vacillant, ta foi n’aura pas le confort de nier sa faiblesse. Le Talmud a raison : tel que tu m’as lu, avec ta rage et ta naïveté, je contredis la Bible. Au milieu de son corpus, je surgis à tes yeux comme le texte en trop. Moi qui dialogue avec l’esprit de la lucidité, j’ai frayé dans ton âme un sentier vers l’ailleurs, vers un voyage sans but. Je t’ai vidé de toute ta naissance.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 5, Éditions Albin Michel, 2024, p. 237.

En écrivant « (…) mais rien ne réparera la cassure que j’ai dévoilée en toi » l’auteur me rejoint dans ce que je répète depuis mon adolescence : « La lumière entre par les failles ». Autour de moi, à cette époque tout aujourd’hui d’ailleurs, des gens qui se donnent raison et qui se précipitent pour colmater toute faille laissant pénétrer la lumière, aveuglés qu’ils sont par toute lumière parce qu’il y a trop longtemps qu’ils vivent dans le noir. La « cassure » dont parle Nathan Devers est une « faille » qui laisse entrer la lumière.

« L’Ecclésiaste, écrit l’auteur, avait tout dévasté sur son passage pour ne rien me donner ». Il ajoutera : « Qu’ils sont rares, les livres de cette trempe, ceux qu’on brûle de refermer pour en découvrir d’autres ».

La littérature ne me suffisait plus, il me fallait une alternative au cours du rav Kotmel, au commentaire biblique : découvrir une pensée aussi riche, aussi féconde que celle du Talmud, mais qui consente à faire sauter ses propres verrous. Qui se départisse de ses préjugés inconscients. De ses entraves secrètes. Qui fonctionne sans dogme et sans credo. Sans sacré et sans loi. Une pensée qui refuse d’être l’otage de ses impensés.

Où la trouver ? Il y avait bien ces personnes auxquelles rav Kotmel faisait parfois allusion dans ses cours : les philosophes… Ceux qui, comme lui, cherchaient à découvrir le sens de la vie. Mais qui, contrairement à lui, ne le cherchaient pas en commentant un texte sacré, eux qui préféraient s’appuyer sur le livre intérieur de leurs méditations, ceux qui posaient de grandes questions. Ceux qui ne feignaient pas de posséder la sagesse, mais se contentaient de la convoiter, en amis et en explorateurs.

N’étais-il pas là, le chemin : aller à la rencontre de cette pensée sans socle, qui paraissait incarner le trou noir des cours du rav Kotmel ? Tel fut le premier rapport que j’entretins avec la philosophie : un désir lointain et cependant vital. Une appétence d’ignorant assoiffé de connaître. Je ne savais rien de cette discipline mais j’avais la vague certitude qu’elle m’aiderait à m’orienter dans mes doutes. Bien que mystérieuse, elle m’apparut avec l’évidence des étrangetés. Il me semblait que ce mot, ce simple nom de « philosophie », résumait tout ce qui m’animait. Un besoin brûlant de comprendre ce que je foutais là, dans ce monde, dans cette vie, une ardeur de poser des milliards de questions — et de ne jamais me mentir à moi-même en prétendant avoir conquis l’ultime vérité. Découvrir ces auteurs dangereux dont parlait Kotmel. Renoncer à l’illusion de détenir des réponses. M’interroger et apprendre à penser.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 6, Éditions Albin Michel, 2024, pp. 240-241.

En écrivant au sujet de la philosophie « j’avais la vague certitude qu’elle m’aiderait à m’orienter dans mes doutes », Nathan Devers met le doigt sur un mot essentiel : « doute ». Dans mon livre à moi, le doute est le nom de faille qui laisse entrer la lumière en notre esprit.

Un jour, tandis que je traînais dans une bibliothèque, mon regard se porta sur un ouvrage blanc, ni petit ni volumineux, qui dégageait un je-ne-sais-quoi de non attirant : Essais et conférences, de Martin Heidegger. Furetant dans le sommaire, je fus aussitôt magnétisé par le titre d’une entrée : « Que veut dire penser ? ».

Ce texte semblait avoir été écrit pour répondre à ma situation. Dès la première page, il allait au vif su sujet qui m’animait : nous voulons, écrivait-il, apprendre à penser. Mais une telle ambition n’est possible que si nous commençons par reconnaître que nous ne pensons pas encore. Nous réfléchissons, nous lisons, nous blablatons, nous calculons, nous commentons, mais nous ne pensons pas. Car qu’est-ce qui occupe notre esprit ? Des ouvrages, l’actualité, l’état du monde, la culture, des décisions à prendre, des discussions entre amis : mille choses dispersées, éparpillées au vent de notre tête. Si bien que notre intellect est sans cesse affairé par l’illusion d’œuvrer.

Si. Il y a bien, relevait Heidegger, une discipline, une seule, qui prétend contenir le travail de penser : elle s’appelle philosophie et s’échine à convoiter une sagesse qui se montre de loin. Mais attention ! Ce n’est pas en fréquentant la philosophie qu’on réussira à entrer dans la pensée. Car la philosophie n’a pas à nous intéresser : inter-esse, ce terme veut dire « être entre et parmi les choses ». Une chose intéressante nous intér-esse toujours dans son indifférence. Elle nous captive un jour et nous ennuie demain. C’est un attachement futile, une ardeur passagère. Or, la philosophie ne doit pas être quelque chose qu’on « étudie » : il ne suffit pas de passer en revue les traités et écrits des grands penseurs pour penser par soi-même. Il faut échapper, avant tout, à l’illusion de philosopher.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 6, Éditions Albin Michel, 2024, pp. 241-242.

Je ne comprends pas qu’« Une chose intéressante nous intér-esse toujours dans son indifférence. ».


« L’indifférence, c’est un état sans douleur ni plaisir, sans crainte ni désir vis-à-vis de tous ou vis-à-vis d’une ou de plusieurs choses en particulier. L’indifférence, si elle n’est pas une pose, une affectation, n’a évidemment rien à voir avec la tolérance. Dans la mesure où la tolérance, c’est l’acceptation de la différence, celui qui affiche l’indifférence n’a aucunement besoin de pratiquer la tolérance envers qui que ce soit ou quoi que ce soit. Si tant est que l’indifférence soit un trait de la vieillesse Maurois pouvait écrire: «Le vrai mal de la vieillesse n’est pas l’affaiblissement du corps c’est l’indifférence de l’âme.» »

Jean-Paul Desbiens

Lorsque nous entendons le mot « indifférence » et l’expression « indifférence à autrui », les images suivantes nous viennent à l’esprit. Tout d’abord, des gens qui meurent dans la solitude la plus extrême et qu’on ne retrouve que des jours, des mois, voire des années après, alors qu’ils vivent en ville, dans des appartements ou dans leur maison, entourés d’une multitude de gens. Ensuite, cette autre image, liée à nos origines : ces cultivateurs d’Europe de l’Est, de Pologne et d’Ukraine, qui font pousser, comme si de rien n’était, leurs choux et leurs patates sur des charniers, non identifiés comme tels, où furent massacrés au total plus d’un million de Juifs vers 1941, dans le cadre de ce qu’on a appelé la « Shoah par balles ». Dans un tout autre ordre d’esprit, nous pensons au sage stoïcien, qui vit « dans une disposition de libre indifférence à l’égard de toutes les choses qui ne sont pas directement associées à sa fin ultime ou à sa vie morale et vertueuse.»

Cette variété du champ d’application d’un même terme nous amène à nous pencher sur sa définition. Alors que nous nous apprêtons à en préciser le sens, une certaine perplexité monte en nous. En effet, comme l’écrit le philosophe Louis Dugal, « De prime abord, il semble y avoir autant de conceptions de l’indifférence que d’auteurs qui en traitent. […] Dans la bouche des uns, l’indifférence sera une apathie destructrice, une résistance au changement ou un refus d’engagement, alors que dans celle des autres elle sera la condition de l’objectivité du chercheur, de la liberté du sujet ou de l’égalité de tous devant la société ou Dieu.» (1)

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(1) Louis Dugal, Éthique et indifférence. Questions pour Levinas. Mémoire de maîtrise en philosophie. Faculté de philosophie, Université Laval, Québec, 2009, p. 2.

Source : STAPINSKY, Stéphane, Indifférence – Indifférence : la mise en contexte d’un terme, L’agora une encyclopédie, 13 septembre 2020.


Il y a toujours le pouvoir de la « chose », de l’objet qui, par ses stimulus, appelle notre subjectivité. Un objet, quel qu’il soit, n’est jamais neutre en soi :

Nous aimons croire que nous sommes objectifs, que nous nous intéressons à des informations objectives. En réalité, si l’on ne devient pas subjectif face à une nouvelle information objective, on ne s’y intéresse pas et on n’est pas motivé par elle. Nous disons que nous jugeons objectivement, mais en réalité nous réagissons subjectivement.

Nous faisons continuellement des choix dans la vie quotidienne. Nous choisissons les « choses » qui nous attirent subjectivement, mais nous considérons ces choix comme objectifs.

« Le comportement d’un individu se base sur son schéma de références. Le schéma de références d’un individu détermine ses attitudes. Consciemment et inconsciemment, un individu acquiert des concepts qui deviennent une partie de lui-même et qui sont la base de toutes ses attitudes. Le schéma de références est acquis des parents, des enseignants, des relations et des amis, du type d’émissions de radio que nous entendons, des émissions de télévision que nous regardons et du type de livres, magazines et journaux que nous lisons. La plupart d’entre nous croyons tirer des faits de ces sources, non pas des attitudes. Nous pensons que nous avons accumulé des informations objectives, non pas un schéma de références. »

TEXTE ORIGINAL EN ANGLAIS

We like to believe that we are objective, that we are interested in objective information. Actually, unless one becomes subjective about a new objective information, he is not interested in it and is not motivated by it. We say we judge objectively, but actually we react subjectively.

We continually make choices in daily life. We choose the « things » which appeal to us subjectively, but we consider the choices objective. »

An individual’s behavior is based on his frame of refer-ence. A person’s frame of reference determines his attitudes. Consciously and unconsciously one acquires concepts that become part of him and are the basis of all his attitudes. The frame of reference is acquired from parents, teachers, relatives and friends, from the type of radio pro-grams we hear, the T.V. programs we watch and from the kind of books, magazines and newspapers we read. Most of us believe we acquire facts from these sources, not attitudes. We think we have accumulated objective information, not a frame of reference.

Source : Cheskin, Louis, Basis For marketing Decision, Liveright, New York, 1961, p. 82.


Nathan Devers écrit :

J’avais fait le deuil des vérités toutes faites. Mais ce deuil était un merveilleux printemps. Si rien n’était certain, alors chaque question s’ouvrait comme une croisée de voyages anarchiques : on pouvait penser dans toutes les directions. (…) pour la première fois, je pouvais réfléchir sans aucune limite. Ma quête du sens de la vie se décloisonnait enfin. Jusqu’alors elle avait toujours été close par quelque chose : par l’idée de Dieu, par mon désir de confirmer mes croyances, par un amas de socles spirituels et de barrières mentales. Et voilà, d’un coup, qu’elle n’avait plus de fondement. La vie n’avait pas de sens en soi. Il fallait le chercher.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 7, Éditions Albin Michel, 2024, pp. 245-246.

À « La vie n’avait pas de sens en soi. Il fallait le chercher. », je réponds que si la vie n’a pas de sens en soi, il faut, non pas le chercher, mais lui en donner un ou discerner celui qu’on lui donne inconsciemment et/ou involontairement au cours de notre vie. Et ce sens de la vie, de notre vie, n’est pas coulé dans le béton; il se transforme, voyage, se perd et meurt et, parfois, naît un nouveau sens. Je ne crois que la vie a un sens universel puisqu’il naît dans l’individualité.

Nathan Devers témoigne de sa quête philosophique où il court dans toutes les directions avec une panoplie de philosophes.

(…) Au hasard, je me mis à frapper aux portes des autres philosophes et voici qu’ils me répondaient. En parfait amateur, je les mettais tous sur le même plan : Lucrèce et Stirner, Montaigne ou bien Sénèque. Ils m’apparaissaient comme des rabbins sans Bible, des écrivains sans littérature. Pêle-mêle, ils traitaient de causes et de plaisirs, d’atomes et de mensonges, du mal et de la vie. Trompé par l’impression qu’ils dialoguaient ensemble, j’assimilais leurs concepts dans le plus grand chaos. C’était un pot-pourri de clinamens et de structures du signe, de moi absolu et de ceci-cela, je pataugeais en plein brouillard mentale. Pour me repérer, j’empruntais à la bibliothèque des manuels absurdes, résumant toute l’histoire de la philosophie en cent soixante-seize pages. D’Anaximandre à Derrida, chaque personnage avait le droit à deux ou trois extraits décontextualisés et à une fiche qui résumait leurs « thèses ». Sur internet, j’écoutais des podcasts, les voix de France Culture avaient cette alchimie de rendre intelligent n’importe quel sujet, même le plus prosaïque. Bientôt, le mirage s’empara de moi : j’eus l’illusion d’apprendre.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 7, Éditions Albin Michel, 2024, p. 246.

Je ne sais ni pourquoi ni comment, je n’ai jamais eu l’idée de me lancer dans la lecture des différentes œuvres philosophiques des grands penseurs. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que ces grands penseurs pouvaient créer en mon esprit d’adolescent une faille laissant ainsi pénétrer la lumière. Mon premier contact formel avec la philosophie, identifiée comme telle, constituée en discipline, fut lors de mes cours obligatoires en philosophie au collège et ce ne fut pas du tout le coup de foudre. J’écrivais dans mes rédactions ce que me donnais à penser les thèmes des devoirs imposés par le professeur et ce ne fut pas là non plus un succès. Je n’eus pas l’illusion d’apprendre quoi que ce soit. J’ai laissé tombé la philosophie à la fin de ces cours imposés au cursus de l’enseignement collégial au Québec.

On entre toujours dans la philosophie par la mauvaise porte. Si c’était à refaire, se dit-on après-coup, je n’aurais pas perdu tout ce temps à vouloir en gagner : j’aurais évité ces digressions que je prenais pour des raccourcis ; je n’aurais pas lu Y, mais directement X ; je n’aurais pas écouté le vulgarisateur W, mais le professeur Z ; je ne me saurais pas posé la question A, mais le problème B. Avec le recul, on se reproche de ne pas avoir avancé plus sûrement. Conscient de l’infinité des connaissances qu’il fallait englober, on s’est jeté à bras ouverts dans le syndrome de l’imposteur : par vergogne, on a sombré dans une boulimie de lecture, s’empêchant par là même de ruminer les textes. On a forcé les serrures qui étaient grandes ouvertes. On s’est cassé la tête en souhaitant l’ordonner. On s’est choisi des boussoles qui indiquaient le sud. Mais regrets sont des affects faux. En philosophie, il n’y a pas de bonne porte. Ni de porte tout court. Seulement des voies de garages. Des conduits dérobés. Des passages secrets. Rien n’a jamais introduit à la philosophie, elle n’est qu’extroduction : il s’agit, avec elle, de sortir de soi-même. Comment s’initierait-on à l’art de s’évader ?

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 7, Éditions Albin Michel, 2024, p. 247.

P.S. : Le soulignement est de nous et remplace l’italique dans le texte original.

« En philosophie, nous dit Nathan Devers,  il n’y a pas de bonne porte. Ni de porte tout court. » Je n’adhère pas à cette conclusion. J’y vois une généralisation à outrance, c’est-à-dire un biais cognitif, de son expérience à tous vents des philosophies plutôt que de LA philosophie. Aucune philosophie avancée par un grand ou un petit penseur ne constitue une porte de LA philosophie.

Nathan Devers écrit « Conscient de l’infinité des connaissances qu’il fallait englober (…) ». Il faut un arrêt sur image sur le mot « connaissances ». Peut-on parler des philosophies comme rapportant des connaissances vraies, conforme à la réalité ? Certainement pas. Les philosophes proposent et proposent uniquement. Il est probable que certaines propositions vous semblent évidentes mais l’évidence ne fait pas le vrai, la vérité.


Maurice Lagueux

Professeur de philosophie, Université de Montréal

“Peut-on parler de connaissance philosophique ?” *

Un article publié dans la revue DIALOGUE, no XXIX, 1990, pp. 415-440. Rubrique : Critical Notices/Études critiques.

Introduction

C’est bien à la question de savoir s’il est légitime de parler d’une connaissance philosophique, que Gilles-Gaston Granger a voulu répondre, et répondre par l’affirmative, en publiant son dernier livre intitulé Pour la connaissance philosophique [1]. À en juger pourtant par les réactions agacées que provoque souvent cette enquête constamment réouverte sur la nature de la philosophie, il se pourrait bien que nombre de philosophes trouvent un peu excessif de consacrer encore un ouvrage de près de trois cents pages à justifier la portée cognitive d’une discipline qui, au cours de sa longue histoire, a produit autant d’œuvres dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ont hautement contribué à enrichir le bagage culturel de l’humanité. Qui, parmi ceux qui vouent l’essentiel de leur vie à l’enseignement de la philosophie, accepterait de se voir refuser le droit de prétendre transmettre une connaissance authentique ? Pourtant, je voudrais soutenir ici que, compte tenu de son contexte, non seulement l’intervention de Granger n’était pas superflue mais qu’elle n’aura pas été suffisante pour établir de façon convaincante qu’il existe telle chose qu’une connaissance proprement philosophique.

Une question plus embarrassante qu’il ne semble

Si cette question méritait toute l’attention que Granger lui a portée, c’est que, pour ce philosophe, il n’est pas question de considérer la philosophie [416] comme une science et que, si elle n’en est pas moins une connaissance, elle ne saurait être qu’une connaissance sans objets. S’il fallait, en effet, voir dans la connaissance philosophique une connaissance d’objets particuliers, il serait assez normal de considérer cette connaissance comme la science de ces objets, au même titre que les autres sciences sont sciences de leurs objets respectifs, ce qui équivaudrait à passer à côté de ce qui fait de la philosophie une activité profondément originale. Si toutefois on reconnaît que cette discipline n’a pas d’objets, la réponse à la question de savoir en quel sens elle peut néanmoins être considérée comme une connaissance authentique est loin d’aller de soi. La tentation est même assez grande alors – et Granger en est fort conscient – de voir dans cette philosophie qui refuse d’être une science, soit une sorte de jeu de la pensée qui n’a pas à s’embarrasser des contraintes qu’impose à une connaissance le fait d’être justement connaissance de quelque chose, soit une activité qui se veut beaucoup plus sérieuse mais qui, se situant à un tout autre niveau que celui de la connaissance, s’apparente davantage à un art, voire à quelque forme de mysticisme.

Or, comme, pour Granger, une connaissance authentique doit être à la fois sérieuse et rigoureuse, il s’agira pour lui de montrer que la philosophie est bel et bien une connaissance authentique, même si on ne peut nullement lui attribuer les caractères de la connaissance scientifique. Plus précisément, il s’agira pour lui de montrer que la philosophie est bel et bien une connaissance authentique, même si, faute de renvoyer à des objets particuliers dont elle aurait alors pu rendre compte avec toute la rigueur désirée, elle renvoie plutôt à un univers de « significations » et à ce qui sera désigné par l’expression « totalité de l’expérience vécue ». La rigueur, on en conviendra, étant loin d’aller de soi dans un tel contexte, une réponse satisfaisante à la question de savoir si la philosophie constitue vraiment une connaissance authentique se révèle beaucoup plus difficile à fournir qu’on aurait pu le penser à première vue.

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* L’auteur tient à remercier Pierre Bellemare, Jocelyne Couture, Gérald Lafieur et Robert Nadeau, dont les remarques à propos d’une première version du présent texte ont été pour lui d’une très grande utilité.

[1] G.-G. Granger, Pour la connaissance philosophique, Paris, Éditions Odile Jacob, 1988, 286 p.

Source et lire la suite : LAGUEUX, Maurice, “Peut-on parler de connaissance philosophique ?”, revue DIALOGUE, no XXIX, 1990, pp. 415-440. Rubrique : Critical Notices/Études critiques, Les classiques des sciences sociales.


Fasciné à l’idée que chacun cherche constamment à se donner raison et à l’idée que l’on puisse prendre pour vrai ce que l’on pense uniquement parce qu’on le pense, c’est par un questionnement sur la connaissance que je me suis introduit en philosophie et, plus spécifiquement, par l’épistémologie, notamment son apport à la compréhension de la construction de la connaissance scientifique. La porte ouverte, je me suis dirigé vers la « Théorie de la connaissance ».


La théorie de la connaissance (Erkenntnistheorie en allemand), ou philosophie de la connaissance ou encore gnoséologie, est la branche de la philosophie qui se propose d’étudier la connaissance. Le terme « épistémologie » est parfois utilisé comme synonyme, bien qu’en français les deux concepts soient généralement distincts.

La théorie de la connaissance est un domaine majeur de la philosophie qui englobe les questions relatives aux conditions de la connaissance, à l’émergence de la connaissance et à d’autres formes de croyances. Elle étudie la nature, l’origine et la justification de nos connaissances, en questionnant la nature des idées et si nos sens en sont la source principale. Elle examine également ce qui constitue la certitude et la justification, ainsi que le type de doute qui peut objectivement exister à propos de tel ou tel type de croyance.[1], [2]

La théorie de la connaissance est devenue transdisciplinaire et n’est plus uniquement incluse dans le champ de la philosophie.

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  1. Lalande 2010, entrée : « Théorie de la connaissance », p. 1129. « On appelle théorie de la connaissance un ensemble de spéculations qui ont pour but d’assigner la valeur et les limites de nos connaissances »
  2. Nadeau 2016, p. 10-11. « qu’est-ce qu’une idée, un concept? Toutes nos connaissances viennent-elles obligatoirement de nos sens? Comment peut-on justifier une prétention à la connaissance? La connaissance peut-elle être définie comme une « croyance vraie et justifiée » ? La vérité concerne-t-elle la cohérence systématique des propositions entre elles ou plutôt la correspondance des énoncés avec les faits ? Un ensemble de questions hautement techniques s’est ainsi mis peu à peu en place dès le début de l’histoire de la philosophie et s’est graduellement enrichi et transformé à travers le temps : cet ensemble d’interrogations philosophiques s’est progres- sivement complexifié avec les médiévaux et avec les rationalistes classiques, il a connu un développement spectaculaire avec les empiristes anglais et avec Kant, qui s’émerveillait pour sa part du progrès de la connaissance accompli dans les travaux de Newton et se demandait comment une telle connaissance parfaite était possible. C’est à l’examen de cet ensemble de questions formant maintenant système que se consacrent les spécialistes de la «théorie de la connaissance » si on entend cette expression dans son sens strict. »

Source : La théorie de la connaissance, Wikipédia.


Définition de l’épistémologie

Lorsque l’on aborde l’épistémologie pour la première fois, il faut se montrer prudent car le sens du terme varie. Par epistemology, un anglophone réfère en général à une branche spécialisée de la philosophie, la théorie de la connaissance. Les francophones pour leur part se servent plutôt du terme pour désigner l’étude des théories scientifiques. En fait, comme le note avec justesse Pierre Jacob, les deux acceptions sont étymologiquement justifiées, car le « mot grec épistèmê (qui s’oppose au mot doxa qui signifie « opinion ») peut être tantôt traduit par le mot « science », tantôt par le mot « savoir » »1. On peut réconcilier ces deux acceptions en parlant, de manière très générale, de l’épistémologie comme de la théorie de la connaissance scientifique. Dans l’ensemble des textes que l’on trouvera sur ce site, on utilisera d’abord et avant tout ce sens, plus proche du versant français du terme.

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1 JACOB, P., L’épistémologie — L’âge de la science, Paris, Odile Jacob, 1989, p. 9.

Source et lire la suite : L’épistémologie, Université de Sherbrooke, Québec, Canada.

Voir aussi

THEORIE DE LA CONNAISSANCE DU POINT DE VUE PHENOMENOLOGIQUE, Denis Seron, Genève-Liège, Droz-Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et lettres, 2006.

Article # 75 – Les théories de la connaissance, Jean-Michel Besnier, Que sais-je?, Presses universitaires de France, 2021.


Évidemment, je dois reconnaître qu’il y a un escalier à gravir avant de frapper à la porte de LA philosophie. À chaque marche, un étonnement.

Adolescent, j’écrivais de la poésie. J’ai publié deux recueils : Lueur de solitude et La conscience aux heures et pointe. Mes professeurs me pressaient pour que je m’adonne à la lecture des grands poètes, notamment, Baudelaire et Nelligan. Mais je m’y refusais catégoriquement, Me sachant influençable — hypersensible —, je craignais de perdre mon originalité et ma naïveté. Il valait mieux que ma solitude me soit réservée en exclusivité. J’ai échappé de près à un destin aussi tragique que celui de Baudelaire et Nelligan.

C’est avec cette même crainte que j’aborde LES philosophies au profit de LA philosophie dont la base demeure la formation de l’esprit critique, nécessaire avant de se lancer dans la lecture des œuvres des grands penseurs. J’ai lu volontiers « Comment choisir son philosophe ? Guide de première urgence à l’usage des angoissés métaphysiques » d’Oreste Saint-Drôme » dont j’ai rapporté ma lecture sur ce site web. Il en va de même du livre « Comment nous pensons » de John Dewey dont j’ai aussi fait un rapport de ma lecture ici même, du livre « Penser par soi-même – Initiation à la philosophie » de Michel Tozzi (voir mon rapport de lecture) et plusieurs autres. Mais je me refuse toujours à la lecture des œuvres des grands penseurs ; je ne suis pas prêt à me lancer dans ce labyrinthe et qui sait si je serai prêt un jour.

Se lancer dans la lecture des œuvres des grands penseurs, c’est comme entrer dans le rez-de-chaussée bondé à craquer d’un hôtel en proie à une cacophonie insoutenable. On ne parvient pas au comptoir d’enregistrement telle la foule est dense. Alors, on jase avec tout un chacun, chacun ayant sa philosophie. On finit par avoir le tournis. Et si, de plus, on mène une double vie, on ne sait plus trop ce qu’on fait là au milieu de toutes ces philosophies.

Parfois je me demandais où me mènerait toute cette aventure. Pour l’instant, les changements n’étaient perceptibles qu’aux de ma conscience. Autour de moi, personne n’y voyait que du feu : je continuais à porter ma kippa, de prier trois fois par jour, d’aller à la synagogue — sans compter qu’en mon for intérieur je désirais encore devenir rabbin. Mais tiendrais-je longtemps le fil de cette double vie ? N’était-ce pas, en m’accrochant à la Torah autant qu’ à mes manuels, en train de vouloir conserver à tout prix mon petit bonheur intime ? Pourrais-je longtemps le beurre et l’argent du beurre, poursuivre de font ma vie religieuse et cette nouvelle aspiration à la lucidité ?

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 7, Éditions Albin Michel, 2024, pp. 247-248.

En un pareil contexte, les questions fussent de toutes parts et constitue en soi une démarche philosophique.

D’un autre côté, avais-je vraiment besoin de la philosophie pour m’éprendre de sagesse ? Cette discipline n’était-elle pas, au même titre que n’importe quelle religion, le fruit d’un contexte précis, d’une culture parmi d’autres ? Ne constituait-elle pas, elle aussi, la conséquence d’un particularisme ? Loin de désigner la pensée humaine, ne renvoyait-elle pas à une configuration historique fondamentalement relative, née en Grèce sept siècles avant notre ère ? N’étais-elle pas la réponse inventée par l’Europe pour répondre à l’absurdité du monde ? À quoi non, en ce cas, délaisser Jérusalem pour Athènes — quitter mon cocon pour son frère jumeau ? Ne fût-ce pas une vanité supplémentaires ?

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 7, Éditions Albin Michel, 2024, pp. 247-248.

Mais quand Nathan Devers fait référence à « LA » philosophie, en fait, il nous parle « DES » philosophies, des œuvres dans grands penseurs qu’il a lues. Qui plus est, il utilise le mot « discipline » comme si elle se constituait uniquement des différentes philosophies. Or, ces différentes philosophies sont les feuilles des branches attachées au tronc de l’arbre, lui-même attaché à ses racines cachées dans le sol. J’ai l’impression que notre cher Nathan a découvert l’arbre de LA philosophie par ses feuilles plutôt que par ses racines et son tronc qui doivent leur existence aux nutriments de l’esprit critique. Avait-il cet esprit critique avant même de se lancer dans LES philosophies ? A-t-il confondu ces dernières avec LA philosophie ?

Toujours est-il qu’un critique de l’un de ses discours à la synagogue conseilla à Nathan de lire Platon :

— Tiens je viens de citer Platon. Voilà quelqu’un que tu devrais lire sérieusement, en commençant par la lettre VII, un texte autobiographique où il revient sur les principaux dangers qui guettent les aspirant à la philosophie…

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 8, Éditions Albin Michel, 2024, pp. 253-254.

P.S. : Cliquez ici pour lire la lettre VII.

Ce critique, Jean-Pierre, devenu un nouvel ami qu’il prend désormais comme son « Maître », lui propose aussi de lire Nietzsche, La Naissance de la tragédie, chapitre 13 à 15.

Et voilà notre Nathan en plein débat sur la littérature et la philosophie.

Réconcilier la littérature et la philosophie, moi qui étais amoureux de l’une et religieux : n’était-elle pas là, la clé ? Ne plus voir des différence entre ces deux continents. Abolir le schisme séparant théorie et pratique. Conformer ses actions à ses idées, mais ne pas réduire celle-ci à la pure conceptualité. Élargir le spectre des instincts qu’on mobilise pour questionner le monde. Penser non seulement avec son cerveau, mais dans la plénitude de soi. Penser avec ses souvenirs et ses appréhensions, avec ses émotions, penser avec ses tripes et son imaginaire, ses lectures et ses divertissements, ses rires et ses ennuis, ses doutes et ses plaisirs. Penser en s’y engageant dans sa chair et sa raison mêlées, sans créer de rupture entre la philosophie et le restant de la vie. Penser par l’existence, penser de tout son être.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 8, Éditions Albin Michel, 2024, p. 261.

Eh ! Oui, la philosophie ne se limite pas un exercice intellectuel, elle déborde dans un exercice spirituel, dans une manière de vivre, un mode de vie.


Voir ces trois rapports de lecture sur ce site web

Article # 15 : La philosophie comme manière de vivre, Pierre Habot, Entretiens avec Jeanne Cartier et Arnold I Davidson, Le livre de poche – Biblio essais, Albin Michel, 2001

Article # 85 – La philosophie comme mode de vie, Daniel Desroches, Deuxième édition revue et corrigée, Coll. À propos, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 2019

Article # 105 – La philosophie antique comme exercice spirituel ? Un paradigme en question, Sylvain Roux, Les Belles Lettres, 2024


Le onzième chapitre de la cinquième partie du livre commence avec une question : « Qui avait raison par les philosophes ? »

Plus je lisais, et plus cette question me travaillait. Quand je prenais du recul par rapports aux ouvrages que Jean-Pierre me recommandait, quand je levais les yeux de la page et réfléchissais par moi-même, je me rendais compte que ces textes pourtant clairs remplissaient mon esprit d’une épaisse confusion. Tel philosophe démontrait par A + B que l’être humain était doté d’un libre arbitre ; tel autre établissait, avec autant de lucidité, que nous étions entièrement déterminés. Les déduction de X étaient implacables quand il montrait que l’univers était harmonieux, mais celles de Y, qui aboutissaient à la thèse contraire, ne souffraient d’aucune faille. Sur certains manuels, la page de gauche présentait une certaine théorie et celle de droit restituait la théories opposée : les deux s’équivalaient avec la même rigueur. J’étais bien incapable de dire laquelle me paraissait plus solide que l’autre. J’éprouvais ce syndrome que connaît quiconque s’engage dans la philosophie : le vertige du relativisme. J’avais beau me demander de quelle école je me sentais plus proche, la réponse était « aucune ». Personne, dans la pensée, ne résistait à l’armada de ses contradicteurs.

La philosophie, dans ces instants, me semblait n’être qu’un dialogue sans fin. Un drapeau d’idées contradictoires et de doctrine adverses. Un grand hémicycle rempli de partis pris où se jouaient de grands débats impossibles à trancher. (…)

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 11, Éditions Albin Michel, 2024, pp. 271-272.

Personnellement, je n’ai pas de philosophe préféré. Je vois Nathan, tombé du ciel, pris dans les branches et le feuillage de l’arbre tandis que je me barre les pieds sur ses racines au sol. Comment Nathan pouvait-il voir l’arbre dans son entier, avoir du recul, alors qu’il peinait à l’analyse de chacune des feuilles ? Au Québec, la seule province francophone du Canada, on n’aime pas les chicanes (Chicane : En France, une chicane est un obstacle volontairement mise en place sur la route afin de faire diminuer la vitesse des conducteurs. Au Québec, rien à voir, une chicane est synonyme de querelle ou de chamaille, Je parle québécois). L’ordre général des mamans, du moins à l’époque de mon enfance, était : « Ne vous chicanez pas ! ». Et si jamais des personnes se chicanaient sous leur toit, elles disaient « Pas d’chicane dans ma cabane (ma maison) ». Et c’est peut-être pourquoi les débats de toute nature, y compris philosophiques, n’ont que très peu de prise ici comparativement à la France.

Dans ce contexte, si vous parlez d’un dialogue sans fin, d’un drapeau d’idées contradictoires et de doctrine adverses, d’un grand hémicycle rempli de partis pris où se jouent de grands débats impossibles à trancher, le Québec n’est pas partant.

Nathan ne savais plus par où commencer : « (…) Quelle boussole donnerais-je à ma quête ? J’étais paralysé : non seulement j’ignorais quelles vérités je finirais bien par rencontrer au cours de mon chemin, vers quelle certitude me mèneraient mes interrogations, mais je ne savais surtout pas quel point de départ assigner à mes pérégrinations. (…) »

L’analytique a ce défaut d’avoir besoin de beaucoup d’information pour analyser toutes les facettes d’un sujet avant prendre une décision mais il se trouve souvent paralysé par son analyse, ne pouvant ainsi décider de quoi que ce soit. (Voir : Article # 30 – Les styles interpersonnels selon Larry Wilson).

Quoi de moins étonnant de voir Nathan, écartelé entre toutes les philosophies, trouver la lumière dans le scepticisme.

Je me souviens de la joie profonde qui m’assaillit lorsque je découvris qu’il existait une voie, une seule, qui ne levait en moi aucun doute, aucune hésitation, mais suscitait dans mon être une adhésion immédiate. J’étais au CDI de Betham où je feuilletais depuis une heure un volume poussiéreux de l’Encyclopaedia universalis, je tournais ces pages fines à la recherche d’un thème intéressant quand je tombai sur l’entrée « Scepticisme », rédigée par Jean-Paul Dumont. Ce fut une lumière.

Qui furent les septiques ? L’universitaire les décrivait comme des « philosophes de l’embarras, de la perplexité et de l’issue non-trouvée ». Des âmes qui ne prétendaient pas avoir conquis la vérité. Des esprit qui examinaient. comparaient, doutaient des choses autant que des idées. Qui refusaient d’ériger ces dernières en axiomes, en concepts tout faits. Les gardiens d’une bien étrange parole : la langue du « comprends pas », du «peut-être que oui mais peut-être aussi que non », du « pas plus ceci que cela » ; le verbe de l’indéterminé, du « je m’abstiens de juger », du « à toute affirmation est opposée une affirmation une affirmation égale » — la voix qui commence ses phrases par « il me semble que » et les achève par « pour moi ».

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 11, Éditions Albin Michel, 2024, p. 273.

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P.S. : lien vers l’entrée « Scepticisme » par Jean-Paul Dumont de l’Encyclopaedia universalis.

Nathan devers nous réfère ensuite à sa lecture de « Esquisses pyrrhoniennes » de Sextus Empiricus, « l’oeuvre-somme de la pensée sceptique ».

J’en sortis avec la conviction que Jean-Pierre avait raison : en philosophie, il est toit bonnement impossible de fonder ses propos. Comment se fier à la conscience commune alors qu’elle est l’expression d’un amas de particularités, de contingences, de perspectives étroites ? Comment écrire la moindre phrase qui ne procède pas d’un arrêt dogmatique, qui ne repose pas sur un axiome non prouvé, qui ne contienne pas de cercle logique ou qui ne conduise pas, si on veut la démontrer, à une régression vers l’infini ? Comment émettre la moindre pensée qui ne masque pas l’insuffisance de la pensée humaine ?

Si. Il y avait un moyen, un seul : se poser des questions. Faire en sorte que des points d’interrogations puissent être apposés à toutes ses sentences, à toutes ses décisions, à tous ses choix de vie, y compris le plus résolus. Exister en sceptique ?

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 11, Éditions Albin Michel, 2024, p. 275.

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P.S.: Voir aussi ce site web pour les écrits de SEXTUS EMPIRICUS.

Puis, durant ses temps libres lors d’un séminaire religieux au cours d’un été, il lu également « Husserl (L’Idée de la phénoménologie, une conférence dense sous une couverture rouge), Descartes (les Méditations, le Discours de la méthode), Platon (l’Apologie, la Lettre VII) et bien sûr Heidegger (les Essais et conférences) ».

Ces œuvres m’apparaissaient aussi cryptées que le Talmud jadis. Je n’y comprenais rien. Les raisonnements se mélangeaient dans ma tête, les concepts b avaient les uns sur les autres, les phrases résistaient : elles semblaient rédigées dans une langue étrangère. D’une page à l’autre, les réflexions se succédaient en chaos sous mes yeux embrouillés. Mais je persévérais. Une seule étincelle m’animait : il se jouait, dans ces textes dont le sens m,échappait, quelque chose d’absolument fondamental.

Parallèlement à cette lueurs, j’acquis la certitude que la philosophie n’était pas compatible avec la vie religieuse. Que m’apprenaient en effet ces livres dont les nuances me demeuraient opaques ? Que, pour s’engager dans la philosophie, il faut renoncer aux illusions de sa naissance : rompre avec ses préjugés, déchirer le rideau des traditions, renoncer aux bonheurs immédiats. (…)

(…)

(…) Tous ces penseurs témoignaient d’une quête identique. Pour s’aventurer vers la philosophie, clamaient-ils d’une seule voix, il fallait commencer par en payer le prix. Il importait, au préalable, de sacrifier tout ce qui, au sein de son esprit, entravait le travail de la vérité : refuser non seulement les tromperies des sens mais aussi les mirages spirituels, c’est-à-dire les évidences accumulées en soi depuis le tout début. Cette tâche est douloureuse. Elle suppose de reprendre son existence à zéro, De renier ses convictions, ses systèmes de valeurs, ses croyances, peut-être même ses doutes. De porter sur le choses – et sur les idées où se mirent les choses – un regard sempiternelle3ment naïf mais fort d’une candeur méfiante : la naïveté de celui qui est trop sincère pour voir des images à la place des ombres. À la mener jusqu’au bout, cette démarche implique de mettre sa vie sens dessus dessous, de couper en deux sa propre identité, d’assassiner l’«être normal » qu’on était jusqu’alors. En un mot : il s’agit d’un suicide intérieur.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 12, Éditions Albin Michel, 2024, pp. 279-280.

En écrivant qu’il faut « sacrifier tout ce qui, au sein de son esprit, entravait le travail de la vérité », Nathan Devers suppose et propose un lien entre la philosophie et la vérité, ce qui ne m’apparaît pas utile. Est-ce qu’il lisait toutes ces œuvres de philosophie en prétendant que leurs auteurs prétendaient à la vérité ? À mon humble avis, aucune philosophie ne peut prétendre à la vérité. La philosophie peut à peine prétendre à une connaissance dûment constituée et sujette au doute.

Si je m’accorde avec l’idée que la connaissance se construit sur la destruction du déjà-su, je ne réfute l’idée qu’il faille aller jusqu’au « suicide intérieur » car cela implique, selon moi, un suicide de la conscience elle-même, de l’esprit lui-même. Il n’en demeure pas moins que l’expression « suicide intérieur » présente une belle image de la table rase nécessaire pour se vider de toutes croyances, de tout ce que l’on prend pour la vérité, d’autant plus, que pour plusieurs « La vérité est ce en quoi vous croyez ».

Assassiner le Nathan que j’étais et que j’aurais dû devenir : voilà la condition pour m’insinuer sur les sentiers de la philosophie.

Tel fut mon premier point de vérité dans la philosophie. Un soir, vers les derniers jours du séminaire, je ne me suis pas présenté au réfectoire pour dîner, préférant rester dans ma chambre devant une bière et mon ordinateur. Toute la nuit durant, je n’ai pas bougé de mon bureau, écrivant jusqu’à l’aube. Sincère et maladroit, mon texte tournait autour d’une intuition unique : le suicide est la seule porte d’entrée vers l’aventure de la philosophie. Par cette affirmation, je ne visais pas le suicide physique, où l’individu porte atteinte à sa vie biologique, mais bel et bien ce que je nommais le suicide existentiel, consistant à détruire toutes les données de son identité (celle de la conscience autant que des actions) afin de la reconfigurer depuis le point de départ. Seul le second recevait, à mes yeux, la valeur de la renaissance spirituelle, lui qui permettait de penser contre son âme — c’est-à-dire précisément à la racine de la pensée ouverte.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 12, Éditions Albin Michel, 2024, p. 280.

P.S.: Le soulignement remplace l’italique dans le texte original.

Butant sur la définition de la philosophie, Nathan Devers écrit :

Mais cette impossibilité de savoir ce qu’est la philosophie n’empêche nullement de se demander qui est le philosophe. C’est quelqu’un qui pense contre lui-même. Penser contre soi-même : cette exigence inhumaine, je la définissais dans mon texte comme une envolée soudaine, un saut brusque, un bond vers l’absolu. Son objet ? Délier l’âme des rouages qui la déterminent du début à la fin. Accomplir la transition qui mène de la pensée naturelle vers la pensée philosophique.

DEVERS, Nathan, Penser contre soi-même, Partie V – Les choses sont des mots, Chapitre 12, Éditions Albin Michel, 2024, p. 282.

« Penser par moi-même » et « Penser contre soi-même », implique une conscience libre de conditionnement. Mais est-ce réellement possible ? Est-ce souhaitable de se déconscientiser ainsi pour ensuite se reconscientiser ? Est-ce sage de croire en une conscience entièrement libérée de conditionnement à force de raison ?


J’accorde au livre « Penser contre soi-même » de Nathan Devers cinq étoiles sur cinq parce qu’il m’a donné à penser… librement.

Cliquez ici pour acheter ce livre sur le site web leslibraires.ca



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Article #113 – Nexus – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Yuval Noah Harari, Albin Michel, Paris, 2024

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Article # 113

PARTIE 1 DE 2

J’AI LU POUR VOUS

Nexus

Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA

Yuval Noah Harari

Traduit de l’anglais par David Fauquemberg

editions-albin-michel-logo

Éditions Albin Michel, Paris

1er octobre 2024

243.00 mm x 170.00 mm

576 pages

EAN : 9782226494887

ISBN : 978-2-226-49488-7

Édition en anglais parue sous le titre : Nexus – A brief history of information networks from the stone age to AI chez Random House, an imprint and division of Penguin Random House LLC, New York © Yuval Noah Harari, 2024 Tous droits réservés

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TEXTE DE LA QUATRIÈME DE COUVERTURE

NEXUS

Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA

Les histoires nous ont réunis.

Les livres ont diffusé nos idées et nos mythologies.

Internet nous a promis le savoir infini.

Les algorithmes ont découvert nos secrets – et nous ont divisés.

Quel monde nous promet l’IA ?

Depuis cent mille ans, nous, les Sapiens, avons acquis un gigantesque pouvoir. Mais malgré nos découvertes, inventions et conquêtes, nous sommes aujourd’hui confrontés à une crise existentielle inédite. Le monde est au bord de l’effondrement écologique. Les tensions politiques se multiplient. La désinformation abonde. Et nous entrons de plain-pied dans l’ère de l’IA, un réseau d’information qui sera bientôt capable de nous dominer.

Avec ce nouvel ouvrage, Yuval Noah Harari, l’auteur du best-seller mondial Sapiens, revisite l’histoire de l’humanité pour comprendre comment les réseaux d’information ont fait et défait notre monde. Il aborde les choix cruciaux auxquels nous sommes – et serons – confrontés, au moment où l’IA révolutionne la médecine, la guerre, les démocraties, et menace notre existence même.

Nexus est un livre capital pour comprendre comment, en faisant des choix éclairés, il nous est encore possible d’empêcher le pire.

Traduit de l’anglais par David Fauquemberg

Source : Éditions Albin Michel.




SOMMAIRE

Prologue

La vision naïve de l’information

Google vs Goethe

L’information faite arme

Ce chemin à parcourir

Première partie

RÉSEAUX HUMAINS

  1. Qu’est-ce que l’information

Qu’est-ce que la vérité ?

Ce que fait l’information

L’information dans l’histoire de l’humanité

  1. Histoires : connexions illimitées

Entités intersubjectives

Le pouvoir des histoires

Le noble mensonge

L’éternel dilemme

  1. Documents : la morsure des tigres de papier

Prêt à tuer

Bureaucratie

Bureaucratie et recherche de la vérité

L’État profond

Les drames biologiques

Tuer tous les gens de loi

Le document miracle

  1. Erreurs : le fantasme de l’infaillibilité

Les limites de l’autocorrection

Enlever les humains de la boucle

L’infaillible technologie

L’élaboration de la Bible hébraïque

L’institution contre-attaque

La Bible de la discorde

La chambre d’écho

Imprimerie, science et sorcières

L’inquisition espagnole à la rescousse

La découverte de l’ignorance

Les mécanismes d’autocorrection

Le DSM et la Bible

Publier ou périr

  1. Décisions : une brève histoire de la démocratie et du totalitarisme

La dictature de la majorité

Le peuple vs la vérité

L’assaut populiste

Mesurer la force des démocraties

Les démocraties de l’âge de pierre

César président !

Les médias de masse rendent la démocratie de masse possible

Le XXè siècle : démocratie de masse, mais aussi totalitarisme de masse

Brève histoire du totalitarisme

Sparte et l’empire Qin

La trinité totalitaire

Contrôle total

Les koulaks

Les Soviétiques une grande famille heureuse

Le Parti et l’Église

Comment l’information circule

Nul n’est parfait

Le pendule technologique

Deuxième partie

LE RÉSEAU INORGANIQUE

  1. Les nouveaux membres : en quoi les ordinateurs sont différents des presses à imprimer

Des maillons de la chaîne

Pirater le système d’exploitation de la civilisation humaine

Quelles sont les implications ?

Assumer nos responsabilités

Droite et gauche

Pas de déterminisme

  1. Implacable : le réseau est toujours actif

Des agents qui jamais ne dorment

Surveillés de l’intérieur

La fin de la vie privée

Différents types de surveillance

Le système de crédit social

Toujours actif

  1. Faillible : le réseau a souvent tort

La dictature du like

Rejeter la faute sur les humains

Le problème de l’alignement

Le Napoléon des trombones

La filière corse

Le nazi kantien

Calculer la souffrance

Mythologie informatique

Les nouvelles sorcières

Biais informatiques

Les nouveaux dieux ?

Troisième partie

POLITIQUE INFORMATIQUE

  1. Démocratie : une conversation impossible ?

La voie démocratique

La démocratie au défi du changement

Le suicide des conservateurs

Impénétrable

Le droit à une explication

Chute libre

Anarchie numérique

Bannir les bots

L’avenir de la démocratie

  1. Totalitarisme : le pouvoir aux algorithmes ?

La prison des bots

Prise de pouvoir algorithmique

Le dilemme du dictateur

  1. Le rideau de silicium : empire mondial ou division mondiale?

L’essor des empires numériques

Colonialisme des données

De la toile au cocon

Une scission planétaire du corps et de l’esprit

De la guerre du code à la guerre chaude

Le lien mondial

Le choix humain

Épilogue

Extinction des plus intelligents

Notes

Remerciements


EXTRAIT DU PROLOGUE

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Source : Éditions Albin Michel.

Nous avons baptisé notre espèce Homo sapiens – l’homme sage. Mais on est en droit de se demander dans quelle mesure nous avons fait honneur à ce nom.

Au cours des cent mille dernières années, nous autres, Sapiens, avons certes accumulé un pouvoir immense. La simple liste de nos découvertes, inventions et conquêtes noircirait des volumes entiers. Mais pouvoir n’est pas sagesse, et après cent mille ans de découvertes, d’inventions et de conquêtes, l’humanité s’est elle-même précipitée dans une crise existentielle. Nous sommes au bord de l’effondrement écologique, conséquence du mauvais usage que nous faisons de notre pouvoir. Nous sommes par ailleurs occupés à créer de nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle (IA), potentiellement capables d’échapper à notre contrôle et de nous réduire en esclavage ou de nous annihiler. Pourtant, à l’heure où notre espèce devrait s’unir pour affronter ces défis existentiels, les tensions internationales ne cessent de croître, la coopération à l’échelle mondiale se fait de plus en plus difficile, certains pays constituent des stocks d’armes apocalyptiques et une nouvelle guerre mondiale ne paraît pas impossible.

Si nous sommes si sages, nous autres Sapiens, pourquoi faisons-nous preuve d’une telle tendance à l’autodestruction ?

Plus fondamentalement, les quantités d’informations que nous avons amassées sur absolument tout, des molécules d’ADN aux galaxies les plus lointaines, ne semblent pas nous avoir apporté de réponse aux grandes questions existentielles : Qui sommes-nous ? À quoi devons-nous aspirer ? Qu’est-ce qu’une vie bonne, et comment devrions-nous la vivre ? Malgré la masse démesurée d’informations dont nous disposons, nous sommes tout aussi enclins que nos lointains ancêtres aux illusions et aux fantasmes. Le nazisme et le stalinisme ne sont que deux exemples récents, parmi tant d’autres, de la folie collective qui s’empare parfois des sociétés, même les plus modernes. Nul ne conteste le fait que les humains d’aujourd’hui possèdent bien plus d’informations et de pouvoir que ceux de l’âge de pierre – mais notre compréhension de nous-mêmes et de notre rôle dans l’univers a-t-elle réellement progressé ? Rien n’est moins sûr.

Pourquoi sommes-nous si forts pour emmagasiner toujours plus d’informations et de pouvoir, mais beaucoup moins pour acquérir de la sagesse ? Au fil des âges, bien des traditions ont considéré qu’un défaut dans notre nature nous poussait à vouloir posséder des pouvoirs que nous étions incapables de maîtriser. Le mythe grec de Phaéton raconte ainsi l’histoire d’un jeune homme découvrant qu’il est le fils d’Hélios, le dieu Soleil. Désireux de prouver son origine divine, Phaéton réclame le privilège de conduire le char du soleil. Hélios le met en garde sur le fait qu’aucun humain ne saurait contrôler les chevaux célestes qui tirent le char solaire. Mais Phaéton insiste tant que le dieu Soleil finit par céder. Après s’être fièrement élevé dans le ciel, Phaéton perd bel et bien le contrôle du char. Le soleil dévie de sa course, brûlant toute végétation, tuant d’innombrables créatures et menaçant d’embraser la Terre entière. Zeus intervient alors et foudroie Phaéton. Notre humain vaniteux, lui-même en proie aux flammes, tombe du ciel telle une étoile filante. Reprenant le contrôle du ciel, les dieux sauvent le monde.

Deux mille ans plus tard, alors que la révolution industrielle faisait ses premiers pas et que les machines commençaient à remplacer les humains dans de nombreuses tâches, Johann Wolfgang von Goethe publia un conte moral du même ordre, intitulé « L’apprenti sorcier ». Ce poème (que Walt Disney rendra plus tard célèbre sous la forme d’un court-métrage d’animation dans lequel Mickey Mouse interprète le rôle-titre) évoque un vieux sorcier qui, devant s’absenter, demande à son jeune apprenti de veiller sur son atelier et lui confie quelques corvées – aller chercher, entre autres, de l’eau à la rivière. L’apprenti décide de se faciliter la vie : empruntant au sorcier l’un de ses sortilèges, il enchante un balai afin qu’il aille puiser l’eau à sa place. Mais l’apprenti ne sait pas comment arrêter le balai, qui ne cesse plus de rapporter des seaux, menaçant d’inonder l’atelier. Pris de panique, l’apprenti tranche alors le balai d’un coup de hache, avec pour seul résultat que chacune des moitiés s’anime sous ses yeux : ce sont à présent non plus un, mais deux balais enchantés qui déversent leur eau dans l’atelier ! Quand le vieux sorcier revient, l’apprenti l’implore de l’aider : « Les esprits que j’ai invoqués, je ne peux plus m’en débarrasser. » Le sorcier brise aussi- tôt le sortilège et met fin au déluge. La leçon adressée à l’apprenti – et à l’humanité en général – est claire : ne jamais invoquer des pouvoirs qu’on ne peut maîtriser.

Que nous disent les fables de l’apprenti et de Phaéton en ce début de XXIe siècle ? Nous autres, les humains, sommes manifestement restés sourds à leurs avertissements. Nous avons d’ores et déjà déséquilibré le climat terrestre et invoqué des milliards de balais enchantés, de drones, de chatbots et autres esprits algorithmiques qui pourraient échapper à notre contrôle et provoquer un déferlement de conséquences involontaires.

Mais alors, que devons-nous faire ? Ces fables n’offrent aucune solution, si ce n’est attendre qu’un dieu ou un sorcier vole à notre secours. Ce qui constitue, bien sûr, un message extrêmement dangereux : il encourage les gens à se décharger de toute responsabilité pour s’en remettre aux dieux ou aux sorciers. Pire encore, ce message méconnaît le fait que dieux et sorciers sont eux-mêmes des inventions humaines – au même titre que les chars, les balais et les algorithmes. La tendance à créer des choses puissantes aux conséquences imprévisibles n’est pas née avec l’invention de la machine à vapeur ou de l’IA, mais avec celle de la religion. Prophètes et théologiens n’ont cessé d’invoquer des esprits puissants censés apporter l’amour et la joie, mais qui, parfois, ont ensanglanté le monde.

Si le mythe de Phaéton et le poème de Goethe échouent à nous fournir des conseils utiles, c’est parce qu’ils se méprennent sur la manière dont les hommes acquièrent leur pouvoir. Dans ces deux récits, un seul être humain se retrouve investi d’un pouvoir immense, mais il est alors corrompu par l’avidité et son orgueil démesuré. Dès lors, une conclusion s’impose : c’est l’imperfection de notre psychologie individuelle qui nous pousse à abuser de notre pouvoir. Ce que ne saisit pas cette analyse grossière, c’est que le pouvoir des hommes ne résulte jamais d’une initiative individuelle : il découle toujours d’une coopération entre un grand nombre d’êtres humains.

Par conséquent, ce n’est pas notre psychologie individuelle qui nous conduit à abuser de ce pouvoir. Après tout, les hommes ne sont pas seulement capables d’avidité, d’orgueil et de cruauté, mais aussi d’amour, de compassion, d’humilité et de joie. Certes, chez les pires représentants de notre espèce, avidité et cruauté règnent en maîtres et poussent ces acteurs malintentionnés à abuser de leur pouvoir. Mais pourquoi les sociétés humaines décideraient-elles de confier le pou- voir à leurs pires représentants ? En 1933, par exemple, la plupart des Allemands n’étaient pas des psychopathes. Pourquoi, alors, ont-ils voté pour Hitler ?

Notre tendance à invoquer des pouvoirs que nous ne maîtrisons pas ne naît pas de notre psychologie individuelle mais de la capacité unique de notre espèce à coopérer à grande échelle. L’argument central de ce livre, c’est que l’humanité acquiert énormément de pouvoir en construisant d’immenses réseaux de coopération, mais que la manière dont ces derniers sont conçus les prédispose à un usage déraisonnable de ce pouvoir. Notre problème est donc un problème de réseau.

Pour être plus précis encore, il s’agit d’un problème d’information. L’information est la colle qui fait tenir ensemble les réseaux. Mais depuis des dizaines de milliers d’années, les Sapiens ont bâti et pérennisé des réseaux à grande échelle en inventant et en diffusant des fictions, des fantasmes et des illusions collectives – au sujet des dieux, de balais enchantés, au sujet de l’IA et de tout un tas d’autres choses. Si ce qui intéresse en général chaque individu humain, c’est de connaître la vérité sur lui-même et sur le monde, les réseaux à grande échelle s’appuient, pour relier leurs membres et instaurer l’ordre, sur des fictions et des fantasmes. C’est ce qui nous a conduits, notamment, au nazisme et au stalinisme : deux réseaux extraordinairement puissants, dont la cohésion reposait sur des idées extraordinairement fallacieuses. Pour citer la fameuse phrase de George Orwell : l’ignorance, c’est la force.

Le fait que les régimes nazi et stalinien aient été fondés sur de cruels fantasmes et des mensonges éhontés n’avait rien d’exceptionnel au regard de l’histoire, pas plus qu’il ne les prédestinait à s’effondrer. Nazisme et stalinisme font partie des réseaux les plus solides jamais créés par l’homme. À la fin de l’année 1941 et au début de la suivante, les puissances de l’Axe furent à deux doigts de remporter la Seconde Guerre mondiale. Staline sortit finalement vainqueur de ce conflit1 et, au cours des années 1950 et 1960, le dirigeant soviétique puis ses héritiers eurent également de raisonnables chances de gagner la guerre froide. Dans les années 1990, les démocraties libérales finirent par prendre le dessus, mais cette victoire semble aujourd’hui n’avoir été que temporaire. Au XXIe siècle, un nouveau régime totalitaire pourrait bien réussir là où Hitler et Staline ont échoué, et créer un réseau tout- puissant capable d’empêcher toute tentative de la part des générations futures de ne serait-ce qu’essayer de dénoncer ses mensonges et ses fictions. Nous ne devrions pas partir du principe que les réseaux dévoyés sont voués à l’échec. Si nous voulons les empêcher de triompher, il va falloir nous retrousser les manches.

La vision naïve de l’information

La force des réseaux dévoyés est difficile à mesurer, à cause d’un malentendu plus général au sujet de la manière dont opèrent les grands réseaux d’information – qu’ils soient ou non fondés sur des illusions. On peut résumer ce malentendu à ce que j’appellerai la « vision naïve de l’information ». Là où des fables comme le mythe de Phaéton et

« L’apprenti sorcier » offrent une vision pessimiste de la psychologie individuelle des hommes, la vision naïve de l’information voit d’un œil exagérément optimiste les réseaux humains à grande échelle.

Cette vision naïve soutient en effet qu’en collectant et en traitant bien plus d’informations que ne pourraient le faire des individus, les grands réseaux accèdent à une meilleure compréhension de la médecine, de la physique, de l’économie et de nombreux autres domaines, ce qui les rend non seulement puissants, mais sages. Ainsi, grâce aux informations récoltées sur des agents pathogènes, laboratoires pharmaceutiques et services de santé sont capables de déterminer les véritables causes de nombreuses maladies, ce qui leur permet de développer des médicaments plus efficaces et de déterminer leur usage de manière mieux avisée. Cette vision pose comme principe que, recueillie en quantité suffisante, l’information mène à la vérité, laquelle mène à son tour au pouvoir et à la sagesse. L’ignorance, en revanche, semble ne mener nulle part. Si des réseaux dévoyés ou trompeurs peuvent parfois surgir dans des moments de crise historique, ils sont à long terme condamnés à céder devant des rivaux plus clairvoyants et plus honnêtes. Un service de santé qui ne tient pas compte des informations sur les agents pathogènes, ou une multinationale pharmaceutique qui se livre à une entreprise de désinformation, finiront toujours par être terrassés par des concurrents qui font un usage plus raisonnable des informations. La vision naïve implique donc que les réseaux dévoyés sont forcément des aberrations et qu’on peut généralement faire confiance aux grands réseaux pour exercer le pouvoir avec discernement.

Sans titre

Bien sûr, la vision naïve reconnaît que le chemin qui mène de l’information à la vérité est semé d’embûches. Nous pouvons commettre des erreurs de bonne foi en récoltant et en traitant les informations. Des acteurs malintentionnés mus par l’avidité ou la haine peuvent dis- simuler des faits cruciaux ou tenter de nous tromper. Avec pour conséquence que l’information mène parfois à l’erreur plutôt qu’à la vérité. Des informations incomplètes, par exemple, des analyses erronées ou des campagnes de désinformation peuvent conduire les spécialistes eux-mêmes à mal identifier la cause véritable de telle ou telle maladie.

Néanmoins, la vision naïve postule que l’antidote à la plupart des problèmes rencontrés dans la collecte et le traitement des informations consiste à en collecter et à en traiter toujours plus. Bien qu’on ne soit jamais à l’abri d’une erreur, dans la plupart des cas, plus il y a d’informations, plus on se rapproche de l’exactitude. Un seul médecin cherchant à identifier la cause d’une épidémie en examinant un seul patient a moins de chances d’y parvenir que des milliers de médecins récoltant les données de millions de patients. Et si les médecins complotent entre eux pour dissimuler la vérité, le fait de rendre les informations médicales plus accessibles au grand public et aux journalistes d’investigation permettra tôt ou tard de révéler la fraude. Dans cette vision, plus le réseau d’information est grand, plus il tend nécessaire- ment vers la vérité.

Naturellement, le simple fait d’analyser avec justesse des informations et de mettre au jour d’importantes vérités ne garantit en rien que nous utiliserons avec sagesse les capacités qui en résultent. On entend généralement par sagesse l’aptitude à « prendre de bonnes décisions », mais le sens de « bonnes » dépend ici de jugements de valeur qui diffèrent d’une personne, d’une culture et d’une idéologie à l’autre. Des scientifiques qui découvrent un nouvel agent pathogène pourront développer un vaccin pour protéger les populations. Mais si ces scientifiques – ou leurs supérieurs politiques – adhèrent à une idéologie raciste soutenant que certaines races sont inférieures et qu’il faut les exterminer, ces nouvelles connaissances médicales pourront aussi servir à créer une arme biologique capable de tuer des millions de personnes.

Là encore, selon la vision naïve de l’information, un surcroît d’informations offre au moins un remède partiel : à y regarder de plus près, postule cette vision, les désaccords au sujet des valeurs se révèlent être le fruit soit d’un manque d’informations, soit d’une désinformation délibérée. Les racistes seraient donc des personnes mal informées, qui ignorent simplement les faits biologiques et historiques. Des théories du complot bidon leur ont lavé le cerveau, et ils croient que la « race » est une catégorie biologique valable. Par conséquent, le remède au racisme consiste à fournir aux gens davantage de faits historiques et biologiques. Cela prendra sans doute un certain temps, mais dans un libre marché de l’information, tôt ou tard, la vérité s’imposera.

La vision naïve est bien sûr plus nuancée et réfléchie qu’on ne saurait l’expliquer en quelques paragraphes, mais son postulat de départ est que l’information est une chose fondamentalement bonne, et que plus nous en possédons, mieux c’est. Avec suffisamment d’informations et de temps, nous découvrirons forcément la vérité sur tout un tas de sujets, allant des infections virales aux préjugés racistes, et développerons par conséquent non seulement notre pouvoir mais aussi la sagesse nécessaire pour en faire bon usage.

Cette vision naïve, qui justifie la quête de technologies de l’information toujours plus puissantes, constitue depuis le début l’idéologie semi-officielle de l’ère informatique et d’Internet. En juin 1989, quelques mois avant la chute du mur de Berlin et du rideau de fer, Ronald Reagan déclare ainsi que « le Goliath du contrôle totalitaire ne tardera pas à être abattu par le David de la puce électronique », et que « le plus grand de tous les Big Brother est de plus en plus impuissant face aux technologies de la communication. […] L’information est l’oxygène des temps modernes. […] Elle s’infiltre dans les murs cou- ronnés de fils barbelés. Elle flotte par-delà les frontières électrifiées et minées. Des brises de rayons électroniques soufflent à travers le rideau de fer comme si c’était de la dentelle2. » En novembre 2009, Barack Obama prononce un discours assez similaire lors d’une visite à Shanghai, déclarant à ses hôtes chinois : « Je crois beaucoup en la technologie et je crois beaucoup en l’ouverture en ce qui concerne les flux d’information. Je crois que plus l’information circule librement, plus la société devient forte3. »

Entrepreneurs et PDG ont souvent exprimé une vision tout aussi optimiste des technologies de l’information. En 1858, déjà, dans The New ffnglander un éditorial consacré à l’invention du télégraphe pro- clamait : « Il est impossible que les préjugés et les hostilités d’antan continuent d’exister, maintenant qu’un tel instrument a été créé afin de permettre l’échange d’idées entre toutes les nations de la Terre4. » Près de deux siècles et deux guerres mondiales plus tard, Mark Zuckerberg décrit ainsi l’objectif de Facebook : « Aider les gens à partager davantage afin de rendre le monde plus ouvert et favoriser la compréhension entre les hommes5. »

Dans son ouvrage The Singularity is Nearer, publié en 2024, l’éminent futurologue et entrepreneur Ray Kurzweil, retraçant l’histoire des technologies de l’information, parvient à cette conclusion : « La réalité, c’est que pratiquement tous les aspects de la vie s’améliorent peu à peu grâce aux progrès exponentiels de la technologie. » Passant en revue la grande histoire de l’humanité, il s’appuie sur des exemples comme l’invention de l’imprimerie pour démontrer que, par leur nature même, les technologies de l’information tendent à engendrer un « cercle vertueux permettant de faire progresser quasiment tous les aspects du bien-être humain, notamment l’alphabétisation, l’éducation, la santé, la démocratisation et la réduction de la violence6 ».

C’est sans doute dans la déclaration de mission de Google que cette vision naïve de l’information est le plus succinctement condensée : « organiser les informations du monde et les rendre universellement accessibles et utiles ». La réponse de Google à la mise en garde de Goethe est que si un seul apprenti chapardant le livre de sortilèges secret de son maître a toutes les chances de provoquer une catastrophe, dès lors qu’on offre à un grand nombre d’apprentis un accès libre à toute l’information du monde, non seulement ils créeront des balais enchantés utiles, mais ils apprendront à s’en servir avec discernement.

Google vs Goethe

Force est de reconnaître que, dans bien des cas, le fait de disposer de plus d’informations a bel et bien permis aux hommes de mieux com- prendre le monde et de faire un usage mieux avisé de leur pouvoir. Prenez, par exemple, la baisse spectaculaire de la mortalité infantile. Johann Wolfgang von Goethe était l’aîné d’une fratrie de sept, mais seuls sa sœur Cornelia et lui fêtèrent leur septième anniversaire. La maladie emporta leur frère Hermann Jacob à l’âge de six ans, leur sœur Catharina Elisabeth à quatre ans, leur sœur Johanna Maria à deux ans et leur frère Georg Adolf à l’âge de huit mois ; un cinquième enfant, mort-né, n’eut même pas le temps d’être baptisé. Cornelia succomba ensuite à une maladie à l’âge de vingt-six ans, faisant de Johann Wolfgang von Goethe l’unique survivant de la famille7.

Johann Wolfgang von Goethe eut lui-même cinq enfants, qui, à l’exception du fils aîné, August, moururent tous dans les deux semaines qui suivirent leur naissance. Selon toute probabilité, la cause en était une incompatibilité entre le groupe sanguin de l’épouse de Goethe, Christiane, et celui de son premier enfant, après la naissance duquel elle se mit à produire des anticorps, phénomène aux conséquences fâcheuses pour les grossesses suivantes. Cette pathologie, connue sous le nom de…

Source : Éditions Albin Michel.


Du même auteur

Yuval Noah Harari

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Sapiens : une brève histoire de l’humanité
Albin Michel, 2015

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Homo deus : une brève histoire du futur
Albin Michel, 2017

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21 leçons pour le xxie siècle
Albin Michel, 2018

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Nous les indomptables
Illustrateur : Ricard Zaplana Ruiz
Albin Michel, 2022


Au sujet de l’auteur

Yuval Noah Harari

Yuval Noah Harari at the 2024 Frankfurt Book Fair 2024 - 16 October 2024 - Image: Martin Kraft (photo.martinkraft.com) License: CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons.
Yuval Noah Harari at the 2024 Frankfurt Book Fair 2024 – 16 October 2024 – Image: Martin Kraft (photo.martinkraft.com) License: CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons.

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Présentation de l’auteur sur le site web officiel de l’auteur

Le Professeur Yuval Noah Harari est historien, philosophe, et auteur des bestsellers Sapiens, une brève histoire de l’humanité, Homo Deus, une brève histoire de l’avenir, 21 leçons pour le XXIe siècle, de la série d’essais dessinés Sapiens, de Nous, les indomptables, et de Nexus, une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA. Ses livres se sont vendus à plus de 45 millions d’exemplaires et ont été traduits dans 65 langues, et il est considéré comme l’un des plus grands penseurs contemporains.

Né en 1976 à Haïfa, en Israël, il obtient son doctorat à l’Université d’Oxford en 2002 et est actuellement chercheur émérite au Centre pour l’étude des risques existentiels de l’université de Cambridge. En 2019, à la suite du succès de ses livres, Yuval Noah Harari et Itzik Yahav ont co-fondé Sapienship : une entreprise à but social avec des projets dans les domaines de l’éducation et de la fiction. Le principal objectif de Sapienship est de focaliser le débat public sur les défis cruciaux auxquels le monde est aujourd’hui confronté.

En 2018 puis en 2020, Yuval Noah Harari a prononcé le discours inaugural sur le futur de l’humanité lors des deux réunions annuelles du Forum économique mondial à Davos. Il rencontre régulièrement des chefs d’État pour aborder différents problèmes internationaux, et il a participé à des débats publics avec le Chancelier autrichien Sébastian Kurz, le Premier ministre des Pays Bas Mark Rutter et le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis. Il a également rencontré le Président Emmanuel Macron, la Chancelière allemande Angela Merkel, le Président argentin Mauricio Macri, le Président allemand Franck-Walter Steinmeier, et le maire de Shangaï Ying Yong. En 2018, Yuval Noah Harari a présenté la première conférence TED donnée par un avatar numérique, et en 2019, il a participé à un débat filmé organisé entre lui et le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, sur la technologie et l’avenir de notre société. En 2021, il a fait l’objet d’un reportage dans l’émission « 60 Minutes » (CBS).

Yuval Noah Harari s’est d’abord spécialisé dans l’histoire internationale, l’histoire médiévale et l’histoire militaire. Ses recherches actuelles portent sur des questions de macro-histoire : Quelle relation existe-t-il entre l’histoire et la biologie ? Qu’est-ce qui distingue Homo Sapiens des autres animaux ? L’histoire est-elle juste ? L’histoire a-t-elle un but ? Les gens sont-ils plus heureux aujourd’hui qu’auparavant ? Quelles questions éthiques la science et la technologie posent-elles au XXIe siècle ?

Publié en 2014, Sapiens, une brève histoire de l’humanité est devenu un succès mondial, avec 25 millions d’exemplaires vendus. Aux États-Unis, il est resté dans le palmarès des meilleures ventes du New York Times pendant plus de la moitié du temps les 6 premières années après sa parution. Au Royaume-Uni, il est resté dans le top 3 du palmarès du Sunday Times pendant plus de 96 semaines consécutives. Sapiens a été recommandé par Barack Obama, Bill Gates, Natalie Portman, Janelle Monáe, Chris Evans et beaucoup d’autres. Pour le Guardian, Sapiens a révolutionné le marché de la non-fiction et contribué à populariser les « livres intelligents ». En 2024, Sapiens a figuré dans la rubrique du New York Times « Readers Pick Their 100 Best Books of the 21st Century » (Les lecteurs choisissent leurs 100 meilleurs livres du 21e siècle) et est arrivé en 10e position sur la liste du Sunday Times des « 100 livres les plus vendus au cours des 50 dernières années » (où Homo Deus est également apparu en 44e position).

En 2016, le Professeur Harari revient avec Homo Deus, une brève histoire de l’avenir, un livre acclamé par la critique qui examine les grands défis auxquels l’humanité sera confrontée au XXIe siècle. Homo Deus met en garde contre la menace que représentent de nouveaux pouvoirs technologiques sans précédents, qui pourraient permettre à certains Homo sapiens d’augmenter artificiellement leur corps et leur esprit, tandis que d’autres membres de la société seraient laissés pour compte.

En 2018, Yuval Noah Harari publie 21 leçons pour le XXIe siècle. Après avoir exploré le passé puis le futur, il se concentre sur les questions cruciales du présent et prend le pouls du climat mondial. Que se passe-t-il réellement maintenant ? Quels sont les plus grands défis et choix de notre temps ? A quoi devrions-nous prêter attention ?

En 2020, Yuval Noah Harari (en tant que créateur et co-scénariste) fait équipe avec les artistes de bande-dessinée David Vandermeulen (co-scénariste) et Daniel Casanave (dessinateur). Ensemble, ils créent le premier volume de Sapiens, une adaptation du Sapiens originel en une série de romans graphiques débordant d’intelligence, d’humour et de couleurs. Ce livre illustré met en scène Yuval Noah Harari dans le rôle du guide, qui emmène le lecteur à travers toute l’histoire de l’espèce humaine, accompagné d’un éventail de personnages fictifs, à travers le temps, l’espace et les références culturelles populaires. La série sera publiée en quatre tomes, dont les trois premiers sont déjà disponibles.

À l’automne 2022, Harari s’est aventuré pour la première fois dans l’univers des livres pour enfants, avec la série pour adolescents Nous, les indomptables. Il y raconte l’incroyable histoire des humains – notre espèce conquérante et insatiable – d’une manière accessible aux enfants. La série sera publiée en quatre volumes immersifs, avec des illustrations en couleurs de Ricard Zaplana Ruiz, à commencer par Nous, les indomptables : Comment les humains ont conquis le monde. Ce livre est rapidement devenu un best-seller cité parmi les meilleurs livres pour enfants de 2022 du New York Times, et a été chaleureusement recommandé par Jeff Kinney, Kristen Bell et Kirkus Review. La série continue avec le tome 2 : Pourquoi le monde est-il injuste ? sorti fin 2023.

Fin 2024, Yuval Noah Harari a publié un nouvel essai majeur sur l’évolution de l’humanité dans l’ère de l’information – Nexus : une brève histoire des réseaux d’information, de l’âge de pierre à l’IA. Nous donnant des clés essentielles pour comprendre les promesses et les menaces de la révolution actuelle de l’IA, Nexus retrace l’histoire des réseaux d’information, de l’âge de pierre à la résurgence des populismes actuels, en passant par la Bible, les chasses aux sorcières du début de l’époque moderne, le stalinisme et le nazisme. Cet essai interroge la relation complexe entre l’information et la vérité, les systèmes bureaucratiques et la mythologie, la sagesse et la puissance, et questionne les choix urgents auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, alors que l’intelligence artificielle menace notre existence même. Nexus a connu un succès immédiat, en 2 e position sur la liste des bestsellers du New York Times, du Times et d’Audible dans la semaine qui a suivi sa parution. Numéro 1 de la liste des audiolivres du New York Times pour le mois de septembre 2024, Nexus a été recommandé notamment par Mustafa Suleyman, Stephen Fry et Kristalina Georgieva.

Le Professeur Yuval Noah Harari a reçu de nombreuses récompenses. En 2020, il a reçu un doctorat honoraire de l’Université Libre de Bruxelles et le prix CITIC de l’auteur en Chine pour Sapiens – t.1 : La Naissance de l’humanité. En 2019, 21 leçons pour le XXIe siècle a été désigné comme « Livre scientifique de l’année » par le magazine allemand Bild der Wissenschaft, et Sapiens a reçu le Prix du livre académique de l’année lors des Academic Book Trade Awards au Royaume-Uni. En 2017, Homo Deus a reçu le prix allemand « Handelblatt » du livre économique « le plus réfléchi et influent » de l’année et, en 2015 Sapiens a reçu le Wenjin Book Award en Chine. Yuval Noah Harari a remporté le prix Polonsky pour la créativité et l’originalité à deux reprises, en 2009 puis en 2012. En 2011, il s’est également vu décerner le Society for Military History’s Moncado Award, pour ses articles exceptionnels sur l’histoire militaire.

Le Professeur Harari donne régulièrement des conférences à travers le monde sur les sujets abordés dans ses livres et ses articles, et écrit pour des journaux tels que The Guardian, The Financial Times, The New York Times, TIME, The Washington Post et The Economist. En 2020, il a écrit et a été interviewé à de très nombreuses reprises sur les principales chaînes d’informations, dont CNN et la BBC, à propos de la crise mondiale du coronavirus, et des conséquences de la pandémie. En 2022, il a publiquement commenté l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Son article sur le sujet est devenu celui de la rubrique « Opinion » du Guardian le plus lu de tous les temps. Depuis 2023, Harari a pris position et écrit de nombreux articles sur la guerre à Gaza.

Source : Site web officiel de Yuval Noah Harari.

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wikipedia-1pceYuval Noah Harari, en hébreu : יובל נח הררי, né le 24 février 1976 à Kiryat-Ata en Israël, est un historien et professeur d’histoire à l’université hébraïque de Jérusalem, il est l’auteur du best-seller international Sapiens : Une brève histoire de l’humanité et de sa suite Homo Deus : Une brève histoire de l’avenir puis 21 leçons pour le XXIe siècle.

Yuval Harari est né à Kiryat-Ata en Israël de parents juifs libanais séfarades(1) et juifs ashkénazes roumains, ayant émigré d’Europe de l’Est(2). Il se spécialise en histoire médiévale et militaire et obtient son doctorat au Jesus College de l’université d’Oxford en 2002. Il devient enseignant de World History à l’université hébraïque de Jérusalem en 2005.

Harari pratique la méditation vipassana depuis 2003(3), telle qu’enseignée par S. N. Goenka et ses assistants-enseignants, dans la tradition de Sayagyi U Ba Khin (en). Son livre Homo Deus est d’ailleurs dédié à son maître S. N. Goenka(4). Il médite deux heures par jour et fait souvent de longues retraites d´une dizaine de jours à plusieurs mois(5).

En écrivant Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, Yuval Harari s’est documenté en zootechnie, sur le traitement des animaux dans l’industrie de la viande, des produits laitiers et des œufs jusqu’à en être horrifié, ce qui l’a amené à devenir végan3,6. Le sort des animaux, en particulier des animaux d’élevage, est traité à plusieurs reprises dans ses ouvrages.

Il est homosexuel, ce qui lui permet selon lui « de remettre en question les idées reçues »5, et vit avec son mari7 et manager Itzik Yahav8 dans le moshav (communauté agricole coopérative) Mesilat Zion près de Jérusalem.

Ses conférences en hébreu sur l’histoire du monde ont été visionnées par des dizaines de milliers d’internautes en Israël. Yuval Harari a proposé également en 2014 une série de cours en ligne gratuits en anglais (MOOC) intitulée « A Brief History of Humankind »9. Plus de 100 000 personnes y étaient inscrites. Harari a pu se faire connaître dans le monde entier par le biais de ses Ted talks10.

Source et lire la suite : Yuval Noah Harari, Wikipédia.


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Revue de presse

Émission sur ARTE-TV – UN LIVRE POUR MA VIE (VIÉDO EN LIGNE)

Yuval Noah Harari, la rock star des historiens qui défrise les scientifiques – Il revendique 45 millions de lecteurs à travers le monde avec « Sapiens » ou « Homo Deus ». Celui qui s’est vu affubler du titre de « premier intellectuel global du XXIe siècle » continue de creuser son sillon avec un nouveau livre, « Nexus », publié jeudi. Article rédigé par Pierre Godon, France Télévision.

Elon Musk devrait lire ce livre (au plus vite), Alexandre Sirois, La Presse.

L’avantage comparatif de l’espèce humaine, BRUCE EDWARDS, Fonds monétaire internationale, Décembre 2024

“Nexus”, de Yuval Noah Harari : l’information, c’est de la dynamite ! – Une recension de Apolline Guillot, PHILOSOPHIE MAGAZINE, publié le 24 septembre 2024

D’où vient le succès fulgurant de Yuval Noah Harari, l’historien aux 20 millions de livres vendus ? Ouest-France, Patrice BOLLON pour Lire Magazine. Publié le 21/10/2024 à 11h00

Yuval Noah Harari : « Nous avons tellement de pouvoir, de savoir, et nous sommes sur le point de nous détruire » Radio France – France Inter, Publié le samedi 28 septembre 2024

« Nexus » de Yuval Noah Harari : la démocratie mise au défi par l’IA, Critique, LA CROIX, Marie Boëton, le 03/10/2024

Pour Yuval Noah Harari, les IA pourraient signer « la fin de l’histoire humaine », Pablo Maillé, 3 mai 2023, Usbek & Rica


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PARTIE 2 DE 2

Mon rapport de lecture du livre

Nexus

Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA

Yuval Noah Harari

Albin Michel, Paris, 2024

Le livre Nexus – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA signé par Yuval Noah Harari donne à penser que les civilisations se transforment avec la capacité de l’homme à produire, recueillir, centraliser et contrôler ou à diffuser l’information au fil des grandes innovations, de la tablette d’argile à l’intelligence artificielle (IA) en passant par l’imprimerie, le télégraphe, l’imprimerie, la presse écrite, la radio, la télévision, l’ordinateur et l’internet.

Difficile pour la presse de passer sous silence un auteur avec plus de 45 millions d’exemplaires vendus de ses livres témoigne les trois exemples ci-dessous.


philosophie-magazine-001“Nexus”, de Yuval Noah Harari : l’information, c’est de la dynamite !

Après avoir narré l’histoire de notre espèce, Harari propose, dans son nouvel opus, de la relire à la lumière de ses réseaux d’information. Moins sexy, à première vue. Pourtant, l’historien parvient à dramatiser les livres de comptes mésopotamiens et les querelles d’interprétation de l’Ancien Testament comme s’il s’agissait de la dernière saison de Game of Thrones. Un constat de départ : alors que nous sommes doués pour emmagasiner de l’information, cela ne nous a pas rendus plus sages au fil des millénaires. Pour lui, c’est un problème de réseau et de pouvoir : « L’humanité acquiert énormément de pouvoir en construisant d’immenses réseaux [d’information] mais la manière dont ces derniers sont conçus les prédispose à un usage déraisonnable de ce pouvoir. » Là où la vision « naïve » de l’information voit en elle la solution à tous les maux – il faudrait seulement la « factchecker », la rendre transparente, la faire circuler, la corriger –, Harari soutient qu’elle est, par nature, ambiguë. N’en déplaisent aux gourous de la Silicon Valley, collecter et partager plus d’information ne nous fait pas tendre vers la vérité et la justice. Il n’y a qu’à se souvenir du rôle joué par la diffusion de la Bible dans les guerres civiles européennes. L’information n’est pas ce tissu de signes bien sages : c’est à la fois la colle qui fait tenir les civilisations et la dynamite qui les fait imploser – elle donne forme au réel.

Source : GUILLOT, Apolline, “Nexus”, de Yuval Noah Harari : l’information, c’est de la dynamite ! Philosophie magazine, 24 septembre 2024.

L'Express_Logo.svgYuval Noah Harari : « Nos connaissances sont mises au service de mythologies parfois délirantes »

Idées. IA, religions, Israël… L’historien, auteur de « Nexus » et « Sapiens », montre comment les révolutions de l’information ont transformé nos sociétés, de la Bible jusqu’à l’actuel conflit au Proche-Orient. Vertigineux !

Des médias français ont un peu rapidement présenté Nexus (Albin Michel) comme un livre sur l’intelligence artificielle. C’est comme réduire le Nouveau Testament au Livre de l’Apocalypse. Car dans cette fresque vertigineuse, dix ans après Sapiens, Yuval Noah Harari revient une nouvelle fois sur l’histoire de l’humanité, mais à travers les réseaux d’information. Des mythes anciens jusqu’à l’IA en passant par la Bible, l’imprimerie et les médias de masse, l’historien israélien, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, montre comment chaque révolution technologique a entraîné de profonds bouleversements politiques, économiques et sociaux, pour le meilleur comme le pire.

Considéré comme l’un des intellectuels les plus influents de la planète, l’homme aux 45 millions d’ouvrages vendus livre à L’Express ses analyses percutantes sur la technologie, les religions, les mythes nationaux et le monde de demain. (…)

Source : MAHLER, Thomas, Yuval Noah Harari : « Nos connaissances sont mises au service de mythologies parfois délirantes », L’Express, 13 octobre 2024.

Le_monde_logo.svgYuval Noah Harari, prophète contesté de la « big history », des origines de l’homme à l’intelligence artificielle

L’historien israélien, auteur à succès de « Sapiens » et de « Nexus », brosse de grands récits allant des origines du cosmos au développement à venir de l’espèce humaine. Un sens de la généralisation que lui reprochent ses détracteurs.

Costume sombre et chaussettes fantaisie dépareillées, silhouette d’ascète, Yuval Noah Harari apparaît sur la scène de la Cité des sciences et de l’industrie sous les applaudissements de 800 spectateurs. Le 7 novembre, l’auteur israélien de 48 ans est de passage à Paris pour présenter son dernier ouvrage, Nexus (Albin Michel, 576 pages, 24,90 euros), un récit historique promis aux têtes des ventes qui raconte la façon dont les révolutions de l’information ont transformé nos sociétés « de la Bible aux intelligences artificielles [IA] ».

Source : FAURE, Valentine, Yuval Noah Harari, prophète contesté de la « big history », des origines de l’homme à l’intelligence artificielle, Le Monde, 15 décembre 2024.


Je classe ce livre dans ma bibliothèque aux côtés de Pour comprendre les médias du sociologue canadien Marshall McLuhan, le Choc du futur , de l’écrivain, sociologue et futurologue américain Alvin Toffler et Entre le boom et l’écho de l’économiste et démographe canadien David K. Foot, des ouvrages de grande influence sur ma compréhension du monde à leur époque.

Je me range facilement du côté de l’auteur Yuval Noah Harari lorsqu’il explique que l’information n’est pas nécessairement et obligatoirement « vérité » ou conforme à la réalité. Une information, nous le savons tous aujourd’hui, n’est pas vraie par elle-même.

Première partie – Réseaux humains

Chapitre 1 – Qu’est ce que l’information

(…)

On le voit donc, l’information ne saurait être définie comme un ou plusieurs types spécifiques d’objets matériels. En fonction du contexte, tout objet — une étoile, un volet, un pigeon — peut devenir une information. Mais alors, quel contexte, au juste, définit de tels objets comme des « informations » ? À en croire la vision naïve de l’information, c’est dans le contexte d’une recherche de la vérité que les objets se définissent comme des informations. Un chose est une information dès lors qu’on l’utilise pour tenter de découvrir la vérité. Cette vision associe le concept d’information au concept de vérité, partant du principe que l’information a pour fonction essentielles de représenter la réalité. Il existe une réalité « extérieure », et l’information en est la représentation, de sorte que nous pouvons nous en servir pour en apprendre davantage sur la réalité. (…)

(…)

Qu’est-ce que la vérité ?

Tout au long de ce livre, la « vérité » est entendue comme ce qui représente fidèlement tel ou tel aspect de la réalité. La notion même de vérité repose sur l’idée qu’il n’existe qu’une seule réalité universelle. Tout ce qui a existé jusqu’ici ou qui existera jamais dans l’univers — depuis l’étoile Polaire jusqu’au pigeons du réseau NILI, en passant par les sites d’astrologie en ligne — fait partie de cette unique réalité. C’est ce qui permet à la quête de la vérité d’être un projet universel. Si différentes personnes, nations ou cultures peuvent se nourrir des croyances ou des sentiments divergents, elles ne sauraient posséder des vérités contradictoires, puisqu’elles partagent toutes une même réalité universelle. Quiconque rejette l’universalisme, rejette la vérité.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 1 – Qu’est ce que l’information ?, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp.40-42.

P.S.: Le lien dans cette citation est de nous.

En 1972, alors âgé de 15 ans, j’entrais dans le monde des médias à titre de chroniqueur pour notre hebdomadaire régional, La Tribune de Lévis. Sous le titre « Salut les poètes ! », j’informais et orientais les poètes de la région vers la Société des poètes canadiens-français dont j’étais le plus jeune des directeurs. La chronique eu aussi son pendant à la station de radio locale où je lisais des poèmes en ondes le dimanche soir. Ainsi, j’adhérais déjà à « ce que fait l’information » selon Yuval Noah Harari, c’est-à-dire réseauter.

Ce qu’illustre le cas de l’astrologie, c’est que erreurs, mensonges, fantasmes et fictions sont aussi des informations. Contrairement à ce qu’affirme la vision naïve de l’information, celle-ci n’a pas de lien essentiel avec la vérité, et son rôle dans l’histoire ne consiste pas à représenter une réalité préexistante. Ce que fait l’information, c’est plutôt créer des nouvelles réalités en connectant entre eux des éléments disparates — qu’il s’agisse de couples ou d’empires. Sa caractéristique essentielle, ce qui la définit, ce n’est pas tant la représentation que la connexion : l’information est ce qui relie différents points pour former un réseau. L’information ne nous informe pas nécessairement sur les choses – elle met plutôt les choses « en forme », c’est-à-dire qu’elle les agence. Les horoscopes disposent ainsi les amoureux en formations astrologiques, les bulletins de propagandes disposent les électeurs en formations politiques, et les chants de marche dispose les soldats en formations militaires.

Prenons ce cas paradigmatique qu’est la musique. La plupart des symphonies, des mélodies et des morceaux ne représentent rien — demander s’ils sont vrais ou faux n’aurait aucun sens. Au fil des siècles, les hommes ont créé beaucoup de mauvaise musique, mais pas de fausse musique. La musique a beau ne rien représenter, elle n’en est pas moins remarquablement efficace pour connecter un grand nombre de personnes, synchroniser leurs émotions et leurs mouvements. Elle sait nous faire danser en discothèque et batte des mains en cadence à l’église, faire chanter en chœur les supporters et défiler au pas les soldats.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 1 – Qu’est ce que l’information ?, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp.46-47.

Avec ma chronique, je cherchais à recruter d’aussi jeunes poètes que moi au sein de la Société des poètes canadiens-français. Je me représentais l’information comme « un vecteur de lien social ».

L’information dans l’histoire de l’humanité

Envisager l’information comme un nexus, un vecteur de lien social, permet de mieux comprendre plusieurs aspects de l’histoire humaine qui mettent à mal la vision naïve de l’information comme représentation. Cela explique le succès à travers le siècles non seulement de l’astrologie mais de choses bien plus importantes, comme la Bible. Si certains dénigrent l’astrologie en la présentant comme un aspect aussi mineur que pittoresque de l’histoire de l’humanité, nul ne peut nier le rôle central qu’y a joué la Bible. Si la principale fonction de l’information était de représenter fidèlement la réalité, il serait difficile d’expliquer comment la Bible a pu devenir l’un des textes les plus influents de l’histoire.

La Bible multiplie les erreurs flagrantes dans sa description des affaires humaines et des processus naturels. (…)

(…)

Pourtant, bien que la représentation qu’elle donne de la réalité des origines de l’humanité, de ses migrations et des épidémies qui la frappent laisse grandement à désirer, la Bible ne s’en est pas moins montrée très efficace pour connecter des milliards d’hommes et créer les religions juives et chrétienne. De la même manière que l’ADN enclenche des processus chimiques qui relient entre elles des milliards de cellules pour former des réseaux organiques, la Bible a enclenché des processus sociaux qui ont relié entre eux des milliards d’êtres humains pour former des réseaux religieux. (…)

Pour conclure, l’information représente tantôt la réalité, tantôt non. Mais toujours, elle connecte. C’est sa caractéristique fondamentale. Par conséquent, lorsqu’on étudie le rôle de l’information dans l’histoire, bien qu’il soit parfois pertinent de demander : Avec quelle exactitude représente-t-elle la réalité ? Est-elle vraie ou fausse, les questions les plus cruciales sont généralement les suivantes : « Dans quelle mesure connecte-t-elle les gens ? Quel nouveau réseau crée-t-elle ? »

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 1 – Qu’est ce que l’information ?, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 49-51.

P.S.: le soulignement remplace le mot en italique dans le texte original.

À la suite de ma chronique « Salut les poètes ! », j’ai convaincu le rédacteur en chef de La Tribune de Lévis qu’il nous fallait informer les parents de ce qui passe dans les écoles de leurs enfants, ces derniers ne leurs parlant peu ou pas du tout de leur vie d’étudiant. Un page entière de l’hebdomadaire régional ne fut accorder pour y tenir une toute nouvelle chronique, « La Semaine Étudiante ». Je passais des heures et des heures au téléphones avec des étudiants de différentes institutions scolaires des niveaux élémentaires, secondaires et collégial pour m’informer des activités de leur milieu de vie respectif. J’ai ainsi créée un réseau d’information ayant à sa source les étudiants comme émetteurs et les parents comme récepteurs, le journal étant lu avant tout pas les parents. C’était aussi un nouveau réseau entre les étudiants des différentes écoles et un autre entre les parents. Les étudiants devinrent des lecteurs de la chronique découvrant ainsi ce qui se passait dans les autres écoles de la région. Et ceux et celles qui faisaient la une de la chronique en soutenait la promotion auprès de leurs confrères et consœurs dans leurs écoles. La chronique répondait à une demande de mise en réseaux. Le succès de ma chronique dans le journal fut tel qu’elle donna naissance à une émission hebdomadaire en direct à la station de télévision locale que j’animais avec plaisir. Chacune des émissions était suivie d’une rencontre en personne des téléspectateurs avec l’animateur et ses invités dans un bar de la région. Et une fois par mois, tous les téléspectateurs étudiants se regroupaient par milliers lors d’une soirée dansante dans la plus grande école de la région, le CÉGEP Lévis-Lauzon.

Chers lecteurs, vous comprenez déjà beaucoup mieux mon intérêt pour les médias. Et si je donne une place au livre NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA dans cet Observatoire de la philothérapie, c’est pour questionner le rôle des technologies de l’information dans la diffusion de la philosophie, de l’Antiquité à nos jours, et la perception que nous avons des philosophies apparues au fil du temps.

En contemplant l’histoire de l’information de l’âge de pierre à l’âge du silicium, nous assistons donc à un accroissement constant de la connectivité. qui ne s’accompagne pas d’un progrès en termes de véracité ou de sagesse. Contrairement à ce que professe la vision naïve, nous autres Homo sapiens n’avons pas conquis le monde grâce à notre talent pour transformer les informations en une carte fidèle de la réalité.

Non, le secret de notre réussite, c'est avant tout notre faculté à utiliser les informations pour connecter un grand nombre d'individus. Malheureusement, cette capacité va souvent de pair avec une propension à croire aux mensonges, aux erreurs et aux fantasmes.

Non, le secret de notre réussite, c’est avant tout notre faculté à utiliser les informations pour connecter un grand nombre d’individus. Malheureusement, cette capacité va souvent de pair avec une propension à croire aux mensonges, aux erreurs et aux fantasmes. C’est pour cette raison que même des sociétés aussi avancées d’un point de vue technologique que l’Allemagne nazie ou l’Union soviétique ont pu nourrir des idées délirantes, sans forcément que ces illusions les affaiblissent. À vrai dire, les délires de masses des idéologies nazie et stalinienne, notamment concernant les questions de race et de classes sociales, les ont en fait aidées à faire marcher d’un même pas des dizaines de millions de personnes.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 1 – Qu’est ce que l’information ?, Édition Albin Michel, Paris, 2024, p. 52.

P.S.: le caractère gras et l’encadrement du texte sont de nous.


Encore et encore ce fameux verbe : « CROIRE ». Est-ce là un besoin fondamental de l’être humain ? Vivons-nous pour croire ? Faut-il croire dans la vérité ? La vérité est-elle conditionnelle à sa croyance ? Croire quelque chose est-ce en reconnaître la vérité ? Que je crois ou non dans la réalité universelle, cette dernière demeure la seule vraie réalité. Ce que je crois n’est pas nécessairement vrai. Alors pourquoi je fais de la vérité une croyance ? Je n’ai pas besoin de croire pour que ce soit vrai.


« Les histoires furent la première technologie de l’information décisive inventée par l’homme » écrit Yuval Noah Harari. Lorsque l’homme abandonne le nomadisme pour prendre racine et donner lieu à ce que nous appelons la révolution néolithique, les histoires circulent entre les habitants du village sans pour autant circuler d’un village à l’autre, à moins de contacts entre eux. Chaque village d’autosuffisant grâce à l’agriculture et à élevage, il n’y avait pas lieu de partir à la découverte des autres villages dont on ignorait souvent l’existence. Mais l’homme étant ce qu’il est, il a tout de même rencontrer sur son chemin d’autres villages avec lesquels il a partagé ses histoires et inaugurer le commerce. On connaît la suite. Des villages sont devenus des villes, puis des villes-états, incapable de s’autosuffire et ainsi pousser à la spécialisation de certains de ses habitants (artisans) en plus d’être dans l’obligation de commercer avec d’autres villes-états.

(…) Contrairement aux poèmes et au mythes nationaux, qui peuvent être stockés dans nos cerveaux, les systèmes de taxation et d’administration plus complexes des États ont nécessité, pour pouvoir fonctionner, une technologie de l’information unique, non organique. Cette technologie, c’est le document écrit.

Prêt à tuer

Le document écrit a été inventé plusieurs fois, à plusieurs endroits différents. Certains des ses plus anciens exemples remontent à la Mésopotamie antique. Une tablette d’argile cunéiforme datée du vingt-huitième jour du dixième mois de la quarante et unième année du règne du roi Shulgi d’Ur (v. 2053-2054 av. J.C.) tenait ainsi compte des livraisons mensuelles de moutons et des chèvres : 14 moutons avaient été livré le deuxième jour du mois, 7 moutons les troisième jours du mois, (…) Au total, nous apprend cette tablette d’argile, 896 animaux furent livrés ce mois-là. Il était essentiel pour l’administration royale de garder la trace de toutes ces livraisons, afin de contrôler l’obéissance du peuple et d’assurer le suivi des ressources disponibles. Si enregistrer tous ces éléments dans l’esprit d’un humain représentait un insurmontable défi, un scribe pouvait sans peine les inscrire sur une tablette d’argile.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 3 – Document : la morsure des tigres de papier, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 82-83.

P.S.: (…) = passage non cité dans cet article mais présent dans le texte original.

Évidemment, les documents écrits ne sont pas exempts de toute erreur uniquement parce qu’ils sont écrits. Yuval Noah Harari souligne d’ailleurs une erreur sur la tablette d’Ur. Cette dernière dénombrait 896 animaux alors que les chercheurs modernes en compte 898.

Mais qu’ils soient justes ou erronés, les documents écrits ont créé de nouvelles réalités. En enregistrant des listes de biens, d’impôts et de paiements, ils ont grandement facilité la mise en place de systèmes administratifs, des royaumes, d’organisations religieuses et de réseaux commerciaux. Ou, pour être plus précis, ces documents ont transformé la méthode utilisée pour créer des réalités intersubjectives. Dans les cultures orales, les réalités intersubjectives étaient créées en racontant une histoire que de nombreuses personnes répétaient avec leur bouche et mémorisaient dans leur cerveau. Par conséquent, les capacités de ce dernier imposait une limite aux genres de réalités intersubjectives que les humains pouvaient créer. Les hommes ne pouvaient pas fabriquer des réalités intersubjectives que leur cerveau était incapable de retenir.

Les documents écrits, eux, permettaient de dépasser cette limite. Ils ne représentaient pas une réalité empirique objective : la réalité, c’étaient les documents eux-mêmes. Comme nous le verrons aux chapitres suivants, les documents écrits constituaient donc des précédents et des modèles qui seraient ensuite utilisés par les ordinateurs, La faculté des ordinateurs à créer des réalités intersubjectives est une extension du pouvoir des tablettes d’argile et des feuilles de papier.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 3 – Document : la morsure des tigres de papier, Édition Albin Michel, Paris, 2024, p. 83.

Mais pourquoi le sous titre « Prêt à tuer » ?

Le pouvoir qu’on les documents de créer des réalités intersubjectives s’incarne magnifiquement dans l’ancien dialecte assyrien, qui traitait les documents comme des choses vivantes qu’on pouvait également faire mourir. Dans cette langue, les contrats de prêt étaient en effet « tués » (duãkum) dès le remboursement de la dette en question. Ce que l’on faisait en détruisant la tablette, en y ajoutant une marque ou en brisant le sceau. Le contrat de prêt ne représentait par la réalité : il était la réalité. Si quelqu’un remboursait l’emprunt mais omettait de «tuer le document», la dette demeurait exigible. À l’inverse, si l’on ne remboursait pas l’emprunt mais que le document «mourrait» d’une autre manière — disons, croqué par un chien —, le dette disparaissait. Cela vaut aussi pour l’argent : si votre chien mange un billet de cent dollars, ces cent dollars cessent d’exister.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 3 – Document : la morsure des tigres de papier, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 84-85.

Puis vient le sous-titre « Bureaucratie » avec cette anecdote en ouverture :

Chaque nouvelle technologie de l’information comporte des goulets d’étranglement inattendus. Elle résout d’anciens problèmes, mais en crée de nouveaux. Au début des années 1730 av. J.C., Marâmtani, prêtresse de la ville mésopotamienne de Sippar. écrit une lettre (sur une tablette d’argile) à un membre de sa famille, pour demander à celui-ci de lui faire parvenir les tablettes entreposées dans sa maison. Elle lui expliquait qu’on lui contestait ses droits sur un héritage, et qu’elle avait besoin de faire valoir ces documents devant un tribunal. Elle achevait son message par cet appel : «Surtout, ne me néglige pas !»

Nous ignorons ce qui s’est passé ensuite, mais imaginez un instant que ce proche ait fouillé partout sans pouvoir retrouver les tablettes manquantes… La quantité de documents produits ne cessant de croître au fil du temps, il s’est avéré de plus en plus difficile de la localiser. Cela représentait un défi particulièrement ardu pour les rois, les prêtres, les marchands, et tous ceux qui amassaient dans leurs archives des milliers de documents. Comment remettre la main sur le bon registre fiscal, le bon reçu de paiement ou le bon contrat commercial lorsque vous en avez besoin ? Les document écrits étaient bien meilleurs que les cerveaux humains pour mémoriser certains types d’information. Mais ils créaient un nouveau problème, particulièrement épineux : celui de leur récupération.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 3 – Document : la morsure des tigres de papier, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 85-86.

Ainsi naîtra la bureaucratie ! Si l’évolution de l’homme a équipé ce dernier pour se débrouiller dans un monde organique : « (…) si vous cherchez une pomme, il faut d’abord localiser un pommier, puis lever la tête. En vivant dans la forêt, les hommes apprennent cet ordre organique.»), il en va tout autrement avec les documents inorganiques, tels que les documents écrits.

Il en va tout autrement avec les archives. Les documents n’étant pas des organismes, il n’obéissent à aucune loi biologique et l’évolution ne les a pas organisés pour nous. Les déclarations fiscale ne poussent par sur une étagère à déclaration fiscales. Il faut les y déposer. Pour ce faire, quelqu’un doit d’abord avoir l’idée de catégoriser les informations par étagères, et déterminer quels documents doivent être déposés sur quelles étagères. Contrairement au cueilleurs, qui n’ont qu’à découvrir l’ordre préexistant de la forêt, les archivistes sont obligés de concevoir un nouvel ordre pour le monde. Cet ordre est ce qu’on appelle la bureaucratie.

La bureaucratie est la manière dont les hommes, dans les organisations de grande ampleur, ont résolu le problème de la récupération et, ce faisant, ont créé des réseaux d’information plus vastes et plus puissants.

Mais comme la mythologie, la bureaucratie a tendance a sacrifier la vérité au nom de l'ordre.

Mais comme la mythologie, la bureaucratie a tendance a sacrifier la vérité au nom de l’ordre. En inventant un nouvel ordre et en l’imposant au monde, la bureaucratie a déformé de manière tout à fait unique notre compréhension du monde. Une bonne partie des problèmes rencontrés par nos réseaux d’information du XXIè siècle — pensez aux algorithme biaisés qui cataloguent mal les gens, ou aux protocoles trop rigides qui ne tiennent par compte des besoins et sentiments humains — ne sont pas nouveaux, ni propres à l’ère informatique. Ces problèmes typiquement bureaucratiques existaient déjà bien avant que quiconque ait pu les imaginer les ordinateurs.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 3 – Document : la morsure des tigres de papier, Édition Albin Michel, Paris, 2024, p. 87.

P.S.: l’encadré est de nous.

Je retiens de cette citation :

  1. « catégoriser les informations »
  2. « concevoir un nouvel ordre pour le monde »
  3. « sacrifier la vérité au nom de l’ordre »
  4. « a déformé de manière tout à fait unique notre compréhension du monde »

Puisque le simple fait de créer des catégories pour classer les informations n’est pas un processus naturel, c’est-à-dire, relatif à une réalité préexistante dans le monde, cette catégorisation débouche sur un nouvel ordre intersubjectif pour le monde, et ce dernier priorisant l’ordre au détriment de la vérité (de la conformité avec la réalité), elle résulte en une déformation de notre compréhension du monde.

Bureaucratie et recherche de la vérité

Le terme bureaucratie signifie littéralement le « pouvoir du bureau ». Il fut inventé dans la France du XVIIIe siècle, où les fonctionnaires étaient généralement assis devant une table dotée de tiroirs – le fameux bureau. Le tiroir se trouve donc au cœur de l’ordre bureaucratique. La bureaucratie s’attache à résoudre le problème de la récupération des données en divisant le monde en une série de tiroirs, et en déterminant quel document va venir dans quel tiroir.

Le principe demeure le même, que le document soit placé au fond d’un tiroir, sur une étagère, dans un panier, un pot, un fichier informatique ou tout autre réceptacle : diviser pour régner. Diviser le monde en une série de contenants, et les séparer pour que les documents ne se mélangent pas. Cependant, ce principe a un prix : au lieu de se concentrer sur la compréhension du monde tel qu’il est, la bureaucratie s’acharne souvent à imposer au monde un nouvel ordre, artificiel. Les bureaucrates comment par inventer toute une variété de tiroirs, lesquels sont des réalités intersubjectives que ne correspondent pas nécessairement à de quelconques divisions objectives existant dans le monde. Les bureaucrates tentent alors de faire entrer de force le monde dans ces tiroirs, et si ça coince aux entournures, ils forcent un peu. Quiconque a eu l’occasion de remplir un formulaire administratif ne le sait que trop bien. Il arrive qu’aucune des options proposées par le document ne corresponde à notre situation particulière. On est alors contraint de s’adapter au formulaire, plutôt que l’inverse. Réduire le désordre de la réalité en un nombre limités de tiroirs fixes aide les bureaucrates à instaurer l’ordre, mais ce la se fait au détriment de la vérité. Obnubilés par leurs tiroirs — même lorsque la réalité est beaucoup plus complexe —, les bureaucrates finissent souvent par développer une compréhension déformée du monde.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 3 – Document : la morsure des tigres de papier, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 87-88.

Et les documents ne font pas que remonter à la bureaucratie, cette dernière conçoit, édite et diffuse des documents, ces derniers devant lui revenir. Et il n’est pas aisé de contrôler une bureaucratie, même pour les politiciens.

En 1985, Année internationale de la Jeunesse, en pleine crise économique, le taux de chômage chez les jeunes est très élevé et le gouvernement du Québec a déjà mis en place des programmes d’aides pour les jeunes ayant des projets en tête pour s’en sortir, notamment pour créer leurs propres emplois. Mais le Premier ministre du Québec, Renée Lévesque, est informé au sujet du blocage de l’attribution de ces aides aux jeunes par les bureaucrates. Il décide alors de passer outre la bureaucratie et de recruter lui-même une trentaine de jeunes à intégrer à la bureaucratie et dont la seule et unique fonction sera d’aider les jeunes qui demandent l’aide de l’État pour leurs projets.

Le tout se fait à la hâte, un vendredi soir, alors que le gouvernement du Québec est en pause pour la fin de semaine, je reçois un appel d’un ami fonctionnaire au ministère des communications qui tâte mon intérêt ce travail. « Je suis intéressé. » Il me répond : « Alors du dois de rendre dès demain à 15h.00 au bureau du Premier ministre à Montréal. » C’est à plus de 200 kilomètres de chez-moi et un véhicule du gouvernement est à ma disposition.

Le lendemain, samedi, je me présente au bureau du Premier ministre et je suis dirigé vers une salle de conférence avec tous les autres jeunes provenant de tous les coins du Québec. Le Premier ministre fait son entrée et prend place avec nous à l’énorme table ronde de la salle de conférence. Il nous explique son programme baptisé « Déclic Jeunesse ».

Nous, les jeunes, allons être déployés dans tous les bureaux régionaux de Communication Québec (centre de renseignements de l’ensemble du gouvernement au service de la population). Notre tâche, recevoir les jeunes qui souhaitent recevoir une aide financière de l’État pour leurs projets, les aider à compléter leurs formulaires de demandes dans l’optique avouée qu’ils soient approuvées pour l’obtention de l’aide. Autrement, faire sortir au plus vite  les subventions pour les jeunes !

Si le Premier ministre du Québec procède ainsi, plutôt que de confier la tâche à son ministre des communications, ce dernier la confiant à ses fonctionnaire, ce qui est la procédure normale, c’est parce que les fonctionnaires sont au centre du problème : ils ne collaborent pas avec les jeunes et les jeunes les boycottent. L’argent de l’aide de l’État pour les jeunes dort au fond d’un tiroir. Le Premier ministre court-circuite la hiérarchie et passe outre le protocole pour engager lui-même une escouade de jeunes pour venir en aide aux jeunes en mal de financement de leurs projets. Évidemment, la publicité dira toute autre chose :

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La bureaucratie est un pouvoir en soi, un pouvoir avec ses propres règles de gouvernance et travaille à son propre rythme. Elle se trouve entre les politiciens et la population.

Après quelques jours de travail au Centre Déclic-Jeunesse, je réalise que les fonctionnaires classent très rapidement les formulaire de demande de subvention des jeunes et je découvre comment ils procèdent. Il faut — disons — que la somme d’argent inscrite à la case F de la première colonne égale la somme d’argent inscrite à la case K de la deuxième colonne et ainsi de suite. C’est la vérification qu’effectue les fonctionnaires pour accepter ou non d’examiner un projet, peu importe s’il s’agit d’une simple erreur, peu importe la pertinence du projet, ses chances de réussite.

Je réunis toutes ces procédures dans un immense cahier et je prends l’initiative de le photocopier pour mes collègues des autres bureaux. Et imaginez ce qui se passe quand je demande au patron du bureau de Communication Québec (là où se trouve le Centre Déclic-Jeunesse) le budget pour envoyer ces cahiers par la poste. Il refuse. Je fais donc parvenir mon cahier au Premier ministre lui avec une note explicative. Je ne connais pas la suite de l’histoire puisque j’ai quitté mes fonctions.

 * * *

Yuval Noah Harari intitule le quatrième chapitre de son ouvrage, « Erreurs : le fantasme de l’infaillibilité », et y traite des mécanismes d’autocorrection nécessaires à tout réseau d’information.

Pour pouvoir fonctionner, les mécanisme d’autocorrection ont besoin de légitimité. Si les humains sont enclins à commettre des erreurs, comment imaginer raisonnablement que les mécanisme d’autocorrection en soient exempts ? Pour échapper à cette boucle apparemment sans fin, les humains ont souvent nourri le fantasme d’un mécanisme suprahumain, absolument infaillible, sur lequel ils pourraient s’appuyer pour identifier et corriger leurs propres erreurs. Aujourd’hui, c’est l’IA qui porte cet espoir comme en atteste ce que déclarait Elon Musk en avril 2023 : « Je vais lancer quelque chose que j’appelle Truth GPT, une IA qui recherche la vérité maximale et essaie de comprendre la nature de l’univers. » Nous verrons dans les prochains chapitres pourquoi il s’agit là d’un dangereux fantasme. Lequel a pu, par le passé, se manifester sous une autre forme : la religion.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 4 – Erreurs : le fantasme de l’infaillibilité, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 109-110.

Nous voilà aux portes de la création du livre saint tels que la Bible et le Coran, dit infaillible.

Le livre s’est imposé, au cours du premier millénaire avant notre ère, comme une importante technologie religieuse. Après des dizaines de milliers d’années où les dieux s’étaient adressés aux humains via des chamans, des prêtres, des prophètes, des oracles, entre autres messagers humains, des mouvements religieux tels que le judaïsme se sont mis à défendre l’idée que les dieux s’exprimaient à travers cette technologie nouvelle qu’était le livre. Selon eux, il existe un livre bien précis, dont les nombreux chapitres contiennent toutes les paroles divines à propos de tout, de la création de l’univers aux préceptes alimentaires. Surtout, nul prêtre ou prophète, nulle institution humaine ne pourra oublier ou modifier ces paroles divine, car il sera toujours possible de confronter ce qu’avancent les humains faillibles à ce qui est gravé dans l’infaillible livre.

Mais les religions du Livre avaient elles aussi leurs problèmes, dont le plus évident était celui-ci : qui décide ce qu’il faut inclure dans le livre saint ? Le premier exemplaire n’est pas tombé du ciel : il a fallu que des humains le compilent. (…)

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 4 – Erreurs : le fantasme de l’infaillibilité, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 113-114.

P.S.: (…) = passage non cité dans cet article mais présent dans le texte original.

Nous connaissons la suite, on discuta âprement des contenus à sélectionner pour constituer le livre saint et du livre saint infaillible nous sommes passé à l’institution infaillible (l’Église) dans son interprétation du livre saint, puis à la multiplication du livre saint à la suite de l’invention de l’imprimerie :

Deuxième enjeu, plus crucial encore : le fait de disposer de nombreux exemplaires du même livre empêchait toute altération du texte. Puisqu’il en existait des milliers de copies identiques en de nombreux endroits, il sera facile de dénoncer comme une imposture toute tentative de changer ne serait-ce qu’une malheureuse lettre de ce code sacré. En rendant disponible une multitude d’exemplaires de la Bible dans des lieux fort éloignés les uns des autres, les juifs remplaçaient donc le despotisme humain par une souveraineté divine. L’ordre social était désormais garanti par l’infaillible technologie du livre. C’est du moins ce qu’ils croyaient.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 4 – Erreurs : le fantasme de l’infaillibilité, Édition Albin Michel, Paris, 2024, p. 118.

Les livres saints ont ainsi constitué chacun leur réseau d’information, dont certain incluant plus d’un milliard de personnes, et ce, de partout à travers le monde, et chacun sous l’égide d’une Église… infaillible ! Il n’en fallait pas plus pour que des guerres entre les religions éclatent.

Le cinquième chapitre, sous le titre « Décisions : une brève histoire de la démocratie et du totalitarisme ».

Les réseaux d’information dictatoriaux sont centralisés à l’extrême. Ce qui signifie deux choses. Premièrement, le pouvoir central jouissant d’une autorité illimitée, l’information a tendance à affluer vers le centre névralgique, où sont prise les décisions les plus importantes. Dans l’Empire romains, tous les chemins menaient à Rome ; dans l’Allemagne nazie, les informations convergeaient vers Berlin ; et en Union soviétique, vers Moscou. Parfois, le gouvernement central tente de concentrer entre ses mains toute l’information, et d’imposer lui-même toutes les décisions, contrôlant ainsi complètement la vie des gens. Cette forme de dictature totalisante, pratiquée par des dirigeants comme Hitler ou Staline, est connu sous le nom de totalitarisme. Mais toutes les dictatures ne sont pas totalitaires. Nous le verrons, des difficultés techniques empêchent souvent les dictateurs de devenir totalitaires. L’empereur romain Néron, par exemple, ne disposait pas des moyens permettant de microgérer les vies des millions de paysans dans les lointains villages aux confins de l’empire. Une bonne partie des régimes dictatoriaux laissent donc une part d’autonomie considérable aux individus, aux entreprises et aux communautés. Cependant, les dictateurs se réservent toujours le pouvoir d’intervenir dans la vie des gens. Dans la Rome de Néron, la liberté n’était pas un idéal mais un corolaire de l’incapacité du gouvernement à exercer un contrôle totalitaire.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 5 – Décisions : une brève histoire de la démocratie et du totalitarisme, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 161-162.

Dans les années 1970-1980, nous sommes passés de « Le pouvoir est à celui qui détient l’information » à « Le pouvoir est à celui qui diffuse l’information ».

L'information est le pouvoir. Mais comme tout pouvoir, il y a ceux qui veulent le garder pour eux.

Aaron Swartz, Informaticien (1986 - 2013)

C’est pourquoi j’endosse personnellement et professionnellement la culture de gratuité sur internet. J’ai édité de nombreux livres dont les auteurs acceptaient d’en offrir gratuitement la version numérique. À notre libraire en ligne fut donc ajoutée une bibliothèque de livres numériques gratuits qui connaît encore beaucoup de succès depuis sa création il y a plus de vingt ans déjà.

J’ai appliqué la même politique de diffusion de l’information que je détenais lorsque je me suis lancé en recherche marketing (étude des motivations d’achat des consommateurs). J’adressais à mes clients potentiels un document de 24 pages bien tassé, aux allures d’un article de presse écrite, avec toute l’information nécessaire pour bien comprendre en détails mon offre de services. J’optais pour un document d’information plutôt qu’un document de publicité ou de propagande. Que le client potentiel donne suite ou non à sa lecture de mon document, il avait tout de même appris quelque chose d’important. Les conseillers en publicité et en marketing conseillaient à cet époque (années 1990) de se limiter à une brochure sous prétexte que les gens d’affaires et les dirigeants d’entreprise n’ont pas le temps de lire. Toujours selon ces conseillers, je devais m’attendre à une réponse de seulement 20% des clients potentiels à qui j’avais adressé mon document. Or, ce fut le contraire. Plus de 80% des clients potentiels ayant reçu mon document voulaient aller plus loin avec moi et ma partenaire en retenant nos services. Et puisque nous n’étions que deux dans notre entreprise, nous avons du réduire passablement les envois de ce document pour éviter d’être débordés par la demande. Le pouvoir est donc vraiment à celui qui détient l’information ET LA DIFFUSE !

La centralisation de l’information dans les régimes totalitaires sans aucune instance d’autocorrection indépendante du pouvoir entraîne souvent des erreurs décisionnelles fatales telles que les famines soviétiques de 1931-1933 et la Grande famine chinoise de 1959 à 1961.

Heureusement, il y aussi les démocraties.

En résumé, une dictature est un réseau d’information centralisé, dénué de mécanisme d’autocorrection puissants. Une démocratie, en revanche, est un réseau d’information décentralisé, qui possède de solides mécanismes d’autocorrection. Lorsqu’on observe un réseau d’information démocratique, on y trouve certes un centre névralgique. Le gouvernement est le pouvoir exécutif le plus puissant d’une démocratie, et les organismes publics collectent et stockent donc d’immenses quantités d’informations. Mais il existe de nombreux canaux d’information supplémentaires, qui connectent une multiplicité de nœuds indépendants. Organes législatifs, partis politiques, tribunaux, presses, entreprises, communautés locales, ONG et citoyens individuels communiquent entre eux librement et directement, de sorte que la majeure partie des informations ne transitent jamais par aucun organisme gouvernemental, et que nombre de décisions importantes se prennent ailleurs. Les individus décident eux-mêmes de leur lieu de vie, de l’endroit où ils travaillent et de la personne qu’ils épousent. Les entreprises font leurs propres choix concernant le lieu d’implantation d’une succursale, les sommes à investir dans tel ou tel projet, les montants a facturer pour les biens et les services qu’elles proposent. Les communautés décident par elles-mêmes d’organiser des œuvres de bienfaisance, des événements sportifs et des fêtes religieuses. L’autonomie n’est pas une simple conséquence de l’inefficacité du gouvernement : elle constitue l’idéal démocratique.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 5 – Décisions : une brève histoire de la démocratie et du totalitarisme, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 162-163.

« L’autonomie », oui mais conditionnée, formatées et souvent inconsciente de l’être. Aucun régime n’est parfait, loin de là, mais il y en a de meilleurs.

La dictature de la majorité

La définition de la démocratie comme un réseau d’information décentralisé doté de solides mécanisme d’autocorrection contraste fortement avec l’idée fausse, quoique très répandue, qui assimile la démocratie aux seules élections. Celles-ci sont un élément essentiel de la boîte à outils démocratique, mais elles ne sont pas la démocratie. En l’absence de mécanismes d’autocorrection supplémentaires, les élections peuvent facilement être truquées. Et même lorsqu’elles sont totalement libres et équitables, cela ne suffit pas non plus à garantir la démocratie. Car la démocratie n’est pas une dictature de la majorité.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 5 – Décisions : une brève histoire de la démocratie et du totalitarisme, Édition Albin Michel, Paris, 2024, p. 165.

Les droits de l’Homme et les droits civiques protègent tout un chacun, minoritaire et majoritaire, et limitent le pouvoir du gouvernement. La liberté et l’égalité pour tous sont essentielles à toute démocratie.

Il est important de noter que droits de l’homme et droits civiques n’ont pas pour seul effet de de limiter le pouvoir du gouvernement central : ils lui imposent en outre de nombreuses obligations positives. Il ne suffit pas qu’un gouvernement démocratique s’abstienne d’enfreindre les droits de l’homme et du citoyen — il doit prendre des mesures pour les sauvegarder. Ainsi, le droit à la vie impose au gouvernement démocratique de protéger ses citoyens contre les violences criminelles. Si un gouvernement ne tue personne, mais ne fait par ailleurs aucun effort pour protéger ses citoyens du meurtre, nous n’avons plus affaire à une démocratie mais à l’anarchie.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 5 – Décisions : une brève histoire de la démocratie et du totalitarisme, Édition Albin Michel, Paris, 2024, p. 168.

Une seule question me vient à l’esprit : est-ce que le gouvernement des États-Unis d’Amérique en fait suffisamment pour « protéger ses citoyens contre les violences criminelles » en refusant de réglementer davantage l’accès, le port et l’usage des armes à feu ?


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Les Décodeurs – Histoire des États-Unis

Pourquoi le droit de s’armer reste ancré dans la culture et la politique américaines

Par Adel Miliani, publié le 15 février 2024 à 14h32, modifié le 19 février 2024.

Adopté il y a plus de deux cent trente ans, le deuxième amendement de la Déclaration des droits américaine demeure fondamental pour la population, en dépit des fusillades à répétition.

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Cinq faits qui expliquent pourquoi la violence armée a été déclarée crise de santé publique aux États-Unis

La rédaction, Role, BBC News Mundo, 17 août 2024

La plupart des Américains ou des membres de leur famille ont été confrontés à des incidents de violence armée.

C’est l’un des faits contenus dans un rapport sans précédent présenté par le Surgeon General des États-Unis, Vivek Murthy, sur la base duquel il a déclaré que la violence par arme à feu constituait une crise de santé publique aux États-Unis.

Dans le texte, Murthy explique que l’objectif de cette déclaration est de réduire le nombre de victimes dans le pays qui occupe la première place mondiale dans les statistiques sur les décès par arme à feu.

Selon le rapport, depuis 2022, un total de 48 204 personnes sont mortes de blessures liées aux armes à feu, y compris les suicides, les homicides et les décès accidentels. Cela représente 8 000 décès de plus qu’en 2019 et près de 16 000 de plus qu’en 2010.

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Télécharger ce rapport « Firearm Violence in America ».


Lorsque le candidat à la présidentielle américaine annonce qu’il veut réglementer davantage l’achat, le port et l’usage des armes à feu, il perd des votes. Si le candidat adverse à l’élection présidentielle américaine annonce qu’il protègera le deuxième amendement de la constitution du pays ( Traduction : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. » Original : « A well regulated militia being necessary to the security of a free State, the right of the People to keep and bear arms shall not be infringed. », il gagne des votes. À mon avis, c’est de l’anarchie.

Il est particulièrement important de se rappeler que les élections ne sont pas une méthode pour découvrir la vérité, mais bien plutôt une méthode pour maintenir l’ordre en opérant un arbitrage entre les désirs contradictoires des uns et des autres. Les élections établissent non pas ce qu’est la vérité, mais ce que désire la majorité des gens. Or, les gens désirent souvent que la vérité soit autre chose que ce qu’elle est. Les réseaux démocratiques se dotent donc de mécanismes d’autocorrection pour protéger la vérité, y compris contre la volonté de la majorité.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Première partie – Réseaux humains, chapitre 5 – Décisions : une brève histoire de la démocratie et du totalitarisme,  Édition Albin Michel, Paris, 2024, p. 169.

Des « mécanismes d’autocorrection pour protéger la vérité, y compris contre la volonté de la majorité », dites-vous ? Ce n’est pas le cas aux États-Unis d’Amérique dans le dossier des armes à feu. Et que dire lorsque le président de ce pays ridiculise les mécanismes d’autocorrection que sont les médias ?

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Article # 22 – La faiblesse du vrai, Myriam Revault d’Allones, Seuil

L’irruption de la notion de « post-vérité », désignée comme mot de l’année 2016 par le dictionnaire d’Oxford, a suscité beaucoup de commentaires journalistiques, notamment sur le phénomène des fake news, mais peu de réflexions de fond. Or, cette notion ne concerne pas seulement les liens entre politique et vérité, elle brouille la distinction essentielle du vrai et du faux, portant atteinte à notre capacité à vivre ensemble dans un monde commun.

En questionnant les rapports conflictuels entre politique et vérité, Myriam Revault d’Allonnes déconstruit nombre d’approximations et de confusions. Elle montre que le problème majeur de la politique n’est pas celui de sa conformité à la vérité mais qu’il est lié à la constitution de l’opinion publique et à l’exercice du jugement. L’exploration du « régime de vérité » de la politique éclaire ce qui distingue fondamentalement les systèmes démocratiques, exposés en permanence à la dissolution des repères de la certitude, à la tentation du relativisme et à la transformation des « vérités de fait » en opinions, des systèmes totalitaires, où la toute-puissance de l’idéologie fabrique un monde entièrement fictif.

Loin d’enrichir le monde, la « post-vérité » appauvrit l’imaginaire social et met en cause les jugements et les expériences sensibles que nous pouvons partager. Il est urgent de prendre conscience de la nature et de la portée du phénomène si nous voulons en conjurer les effets éthiques et politiques.

Myriam Revault d’Allonnes est professeur à l’École pratique des hautes études. Elle a publié de nombreux essais au Seuil, et notamment La Crise sans fin. Essai sur l’expérience moderne du temps (2012).

Source : Éditions du Seuil.


(...) les démocratie ne meurent pas uniquement quand les gens ne sont pas libres de parler, mais aussi quand les gens ne veulent pas ou ne peuvent pas écouter.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS - Une brève histoire des réseaux d'information de l'âge de pierre à l'IA, Première partie - Réseaux humains, chapitre 5 - Décisions : une brève histoire de la démocratie et du totalitarisme,  Édition Albin Michel, Paris, 2024, p. 180.

Écouter pour parler, pour déformer ce qu’on a écouter. Souvent, le problème n’est pas que les gens ne veulent pas écouter et réfléchir à ce qu’ils ont écouté, non, le problème c’est que les gens ont une écoute très active, c’est-à-dire qu’ils déforment instantanément ce qu’ils entendent en opinion. Le relais de la réflexion ne fonctionne pas. L’écoute active, jadis une force dans la communication, n’est plus qu’une chaîne de réactions subjectives même face à une information objective ou, si vous préférez face à la réalité.


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Pourquoi est-ce important de savoir bien communiquer?

Pour bien communiquer, il ne suffit pas de parler. Cela nécessite aussi une écoute active, de l’authenticité et de l’empathie. Dans le cadre de la communication, l’écoute active est une façon structurée d’écouter son interlocuteur et de lui répondre. Lorsque vous écoutez de façon active, votre attention se porte sur l’autre personne pour vous permettre de comprendre, d’interpréter et d’évaluer ce qu’elle vous dit.

L’essentiel est de communiquer sans porter de jugement. En milieu de travail, vous pouvez collaborer avec les gens pour établir des objectifs de rendement individuels réalistes, établir un calendrier de rétroaction et mesurer les progrès vers l’atteinte de ces objectifs. Ces techniques faciliteront l’établissement d’une relation de travail plus efficace et plus positive.

Source : Santé mentale, Centre canadien hygiène et de sécurité au travail, Gouvernement du Canada.


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Article # 38 – Verbalisation à outrance : «Je ne suis pas la poubelle de tes pensées instantanées.»

Tweets, sms, emails, posts, etc. se multiplient et rebondissent, circulant à une telle vitesse qu’ils deviennent irrattrapables — les agressifs et les toxiques aussi vite relayés que les sympathiques. La facilité et la rapidité avec lesquelles nous pouvons nous exprimer tout autant que l’idée que nous existons que si nous communiquons nous ont fait oublier les vertus du silence. Happés par ce tourbillon compulsif et communicationnel, nous devons réapprendre à nous taire pour redevenir conscients de ce que nous ressentons avant de le dire, pour redonner du poids et de la bienveillance à notre communication , pour ne pas regretter d’avoir parlé . Savoir se taire est la force cachée de la personne qui agit en pleine conscience et sait s’exprimer à bon escient et avec les mots justes .

Source : www.hachette.fr.

 * * *

Le Dr Jean-Christophe Seznec, psychiatre français, a été interrogé par la journaliste Pascale Senk du quotidien Le Figaro au sujet de son livre Savoir se taire, savoir parler, coécrit avec Laurent Carouana et paru en 2017. Le titre de l’article a retenu mon attention : Psychologie: «il faut sortir de l’hystérie de la parole».

L’expression « hystérie de la parole » me plaît car elle reflète fort bien les gens qui parlent beaucoup trop et sans arrêt, qui verbalisent à outrance, souvent en sautant du coq à l’âne ou en se perdant dans moult détails. J’ai déjà interrompu une telle personne en lui disant : « Je ne suis pas la poubelle de tes pensées instantanées ».


La deuxième partie de NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA s’intitule « Le réseau inorganique », c’est-à-dire le réseau d’information dont les membres sont inorganiques, soient les ordinateurs, contrairement aux êtres organiques que nous sommes et qui assuraient jusque-là les échanges.

Nous analyserons les relations précises entre les termes « ordinateurs », « algorithme » et « IA » dans la dernière partie du présent chapitre une que nous aurons acquis une meilleure compréhension de l’histoire des ordinateurs. Pour le moment, nous nous contenterons de préciser qu’en substance, un ordinateur est une machine potentiellement capable d’accomplir deux choses remarquables : prendre d’elle-même des décisions, et créer d’elle-même de nouvelles idées. (…)

L’avènement de machines intelligentes capables de prendre des décisions et de créer de nouvelles idées signifie que, pour la première fois dans l’histoire, le pouvoir s’éloigne de l’homme et glisse vers une autre entité. (…)

(…) En termes d’intelligence, ils (ordinateurs) dépassent de loin non seulement les bombes atomiques, mais toutes les technologies de l’information antérieures, comme les tablettes d’argile, les presses à imprimer et les postes de radio. (…) Là où presses à imprimer et postes de radio n’étaient que des outils passifs dans la main de l’homme, les ordinateur sont en passe de devenir des agents actifs échappant à notre contrôle et à notre compréhension, et sont à même de prendre des initiatives pour façonner la société, la culture et l’histoire.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Deuxième partie – Le réseau inorganique, chapitre 6 – Les nouveaux membres: en quoi les ordinateurs sont différents des presses à imprimer, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 241-243.

Bref, les technologies étaient alors des outils maniés par les agents organiques (humains) alors que les ordinateurs sont des agents inorganiques capables de prendre des décisions et de créer de nouvelles idées par eux-mêmes. Cette nouvelle entité inorganique suscite la peur au fur et à mesure qu’elle monte en puissance décisionnelle et créatrice par auto-apprentissage (IA). La science fiction a souvent mise en scène cette peur notamment dans le célèbre film 2001 : l’odyssée de l’espace en avril 1968.

La peur d’ordinateurs puissants n’a commencé à hanter l’humanité qu’au début de l’ère informatique, au mitant du XXe siècle. Mais depuis toujours, les humains sont hantés par une peur beaucoup plus profonde : nous avons toujours eu conscience du pouvoir qu’avaient les histoires et les images de manipuler nos esprits et de créer des illusions. Par conséquent, depuis la nuit des temps, les humains ont toujours craint d’être enfermés dans un monde d’illusions. Dans la Grèce antique, déjà, Platon livrait sa fameuse allégorie de la caverne, dans laquelle un groupe d’individus passent toute leur vie enchaînés au fond d’une grotte, face à une paroi nu — un écran. Sur cet écran, ils voient défiler différentes ombres projetées. Les prisonniers prennent à tort ces illusions qui s’offrent à leur regard pour la réalité. Dans l’Inde antique, les sages bouddhistes et hindous affirmaient que tous les humains vivaient emprisonnées à l’intérieur de la Mãyã — le monde des illusions. Ce que nous prenons généralement pour la « réalité » n’est souvent qu’une simple fiction dans nos esprits. Les hommes sont parfois prêts à mener des guerres atroces, à tuer et à accepter le risque d’être eux-mêmes tués, à cause de leur croyance en telle ou telle illusion. Au début de XVIIe siècle, Renée Descartes craignait d’être maintenu enfermé dans un monde d’illusions par un « mauvais génie » qui créerait tout ce qu’il voyait et entendait. La révolution numérique nous confronte aujourd’hui à la caverne de Platon, à la Mãyã, au mauvais génie de Descartes.

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Deuxième partie – Le réseau inorganique, chapitre 6 – Les nouveaux membres: en quoi les ordinateurs sont différents des presses à imprimer, Édition Albin Michel, Paris, 2024, p. 263.

Yuval Noah Harari ne parle quasiment pas de la philosophie dans son livre NEXUS. La citation ci-dessus est l’un des seuls exemples, un peu élaboré. On n’a une idée du pourquoi au sous-titre « Le nazi kantien » au chapitre 8 intitulé « Faillible : les réseau a souvent tort ». Le texte de ce sous-titre est beaucoup trop simpliste pour associer « nazi » et « kantien ». Voici un très court passage de ce sous-titre qui, même hors contexte, place l’historien Yuval Noah Harari en porte-à-faux avec la philosophie.

La nazi kantien

Depuis des millénaires, les philosophes n’ont cessé de chercher une définition du but ultime qui ne repose pas sur l’alignement avec un but plus élevé encore. Tous ont été attirés par deux solutions potentielles, connues dans le jargon philosophique sous les noms de déontologisme et d’utilitarisme. Les déontologistes (du grec deon, qui signifie « devoir ») pensent qu’il existe des devoirs moraux universels qui s’appliquent à tout le monde. Ces règles morales ne reposent pas sur l’alignement avec un but plus élevé : elles sont intrinsèquement bonnes. Si de telles règles existent réellement, et que nous parvenons à trouver un moyen de les programmer dans des ordinateurs, alors nous pourrons faire en sorte que le réseau informatique soit une force au service du bien.

Mais que signifie « intrinsèquement bonnes, au juste ? On doit la plus célèbre tentative de définir une règle intrinsèquement bonne au philosophe Emmanuel Kant, un contemporain de Clausewitz et Napoléon. D’après Kant, toute règle que je souhaiterait rendre universelle est intrinsèquement bonne. En vertu de ce conception, une personne sur le point d’en assassiner une autre devrait s’arrêter et se soumettre au processus suivant : « Je vais assassiner un être humain. Aimerais-je établir une règle universelle stipulant qu’il n’y a pas de mal à tuer des êtres humains ? Si une telle règle universelle est mise en place, alors n’importe qui pourrait m’assassiner. Donc, il ne devrai pas exister de règle universelle autorisant le meurtre. D’où il s’ensuit que moi non plus, je ne devais pas tuer. » Pour le dire simplement, Kant reformule la règle d’or immémoriale : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux » (Mathieu 7:12).

Cela semble une idée simpliste évidente : chacun de nous devrait se comporter de la manière dont il voudrait que tous les autres se comportent. Mais les idées qui semblent bonne dans le royaume éthéré de la philosophie ont souvent du mal à se transposer sur les terres rugueuses de l’histoire. La question clé que tout historien poserait à Kant est la suivante : quand vous parlez de règles universelles, quelle définition donnez-vous à cet adjectif ? C’est ce qu’on fait, par exemple, Wirathu et les autres extrémistes anti-Rohingyas. En que que moine bouddhiste, Wirathu était certainement opposé à l’idée universelle d’assassiner des humains. Mais il n’estimait pas que cette règle universelle s’appliquait lorsqu’on tuait des Rohingyas, considérés comme des sous-hommes. (…)

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Deuxième partie – Le réseau inorganique, chapitre 8 – Faillible : le réseau a souvent tort, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 334-335.

À mes yeux, Yuval Noah Harari perd toute crédibilité face au rôle de la philosophie dans l’histoire en nommant la discipline comme un « royaume », et ce royaume comme étant « éthéré » et qu’il soutient que les idées philosophiques « ont souvent du mal à se transposer sur les terres rugueuses de l’histoire ». La philosophie ne se compare pas et de loin avec un royaume où un roi gouvernent ses sujets. Aucun philosophe ne s’est imposé ou s’impose de nos jours comme un roi ou chef d’un royaume. Et la philosophie est loin de s’élever au-dessus des choses terrestres puisqu’elle elle-même reconnue comme un mode de vie.

Aussi, une question a retenu mon attention tout au long de ma lecture de NEXUS : quel rôle les réseaux d’information ont joué dans la propagation de la philosophie et, par conséquent, son influence sur l’histoire humaine ? NEXUS ne répond pas à cette question même si la philosophie constitue en soi un « nexus », un réseau d’information dont l’influence pèse lourd sur l’histoire de l’humanité depuis plus de deux milles ans. Et rares sont les réseaux d’information ayant ainsi entrer dans le langage populaire.


Livre numérique gratuit (PDF)

tous-philosophes-charles-robinCharles Robin

Tous philosophes ?

L’inconscient philosophique

Saviez-vous qu’un enfant qui dit « Je n’ai pas fait exprès » manifestait en fait son adhésion à la morale déontologiste de Kant ?

Saviez-vous que le fait de dire « Je fais ce que je veux » traduisait un net penchant pour l’existentialisme de Sartre et son rejet du déterminisme ?

Saviez-vous enfin que quelqu’un qui vous disait « Je t’aime » était en réalité victime d’un stratagème de la nature ? Aimer, pour Schopenhauer, c’est d’abord vouloir… reproduire l’espèce !

Avant-propos

Honnie par les foules et combattue par les hommes de pouvoir, la philosophie est parfois obligée de trouver refuge dans les interstices du langage quotidien pour continuer à survivre. C’est de manière invisible (et imprévisible) qu’elle s’immisce dans nos paroles les plus triviales, au point, bien souvent, de nous laisser perplexes quant à la profondeur que certains esprits fantaisistes voudraient leur prêter.

Que notre lecteur soit prévenu : nous faisons partie de ces esprits-là !

Le langage est le véhicule de la philosophie, comme il est le véhicule de toute pensée qui cherche à s’exprimer. Sans langage, la pensée est pour ainsi dire réduite à l’isolement. Elle a besoin d’un canal de diffusion pour pouvoir se faire connaître et communiquer avec d’autres pensées. Le langage est ce canal.

C’est par les phrases que nous prononçons chaque jour que nous informons nos interlocuteurs sur notre personnalité philosophique : nos convictions, nos croyances, nos doutes, nos préjugés…

Lorsque nous formulons une opinion, aussi anodine puisse-t- elle nous sembler, c’est toute une conception philosophique que nous engageons avec elle. Y compris inconsciemment. Surtout inconsciemment.

La question du langage occupe une place centrale dans la psychanalyse, qui en fait l’un des supports de révélation privilégiés de

l’inconscient. S’il est vrai que nos mots peuvent parfois dépasser notre pensée, ils peuvent également la trahir en la faisant remonter à la surface de nos lèvres, contre son gré en quelque sorte. On citera ici un exemple bien connu, celui du lapsus (dit précisément révélateur pour cette raison) que les psychanalystes interprètent comme un symptôme de la pression exercée sur nos pensées par nos désirs refoulés dans l’inconscient.

C’est à dévoiler l’inconscient philosophique de nos petites phrases de tous les jours que ce livre souhaiterait contribuer.

Des petites phrases qui, à force d’être entendues et répétées autour de nous, finissent par ne plus susciter aucun questionnement de notre part. Des petites phrases que l’habitude a condamnées à

l’indifférence, alors qu’elles sont le miroir dans lequel se reflètent nos pensées les plus enracinées.

Lorsque nous prononçons une phrase aussi banale que « Je fais ce que je veux », sommes-nous vraiment sûrs d’en mesurer toutes les implications ? Avons-nous jamais réfléchi à ce que signifiait le fait de dire « Chacun sa vérité » quand notre intention était seulement de plaider pour le respect de la pluralité des opinions ? Comment expliquer l’appréhension qui accompagne si souvent les mots « Je t’aime » qui ne devraient théoriquement faire naître que bonheur et légèreté ? Tel est le type de réflexion auquel nous invitons notre lecteur.

Une réflexion sur ce que nos paroles révèlent sur notre époque et sur nous-mêmes, à l’heure où le sens des mots tend de plus en plus à se diluer dans la profusion des messages et le règne médiatique du slogan.

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Pour conclure ce rapport de lecture, je retiens la proposition de Yuval Noah Harari à savoir le création d’un droit à l’explication lorsque la décision prise implique un algorithme opaque. L’auteur se réfère à L’affaire Loomis mettant en cause la peine prononcée contre l’accusée Eric Loomis par la Cour de justice de l’État du Wisconsin aux États-Unis.


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L’affaire Loomis

Les fantômes de Descartes et de Grotius à l’assaut de la justice ? 1

Khaled DIKA – 20 avril 2020

Résumé : Nous présentons dans cet article l’affaire E. Loomis (State v. Loo- mis, 881 N.W.2d 749 (Wis. 2016)). Cette affaire a eu un grand retentissement à cause de l’utilisation dans l’instance d’un algorithme qui estime une probabilité de récidive et surtout à cause des conséquences dramatiques de cette utilisation. Nous parlons de l’algorithme secret de COMPAS et de son rôle au cœur de cette affaire. Nous présentons des analyses de plusieurs juristes qui ont conclu à une violation de droits fondamentaux dans l’affaire Loomis et nous apportons nos propres contributions à ce débat. Nous déconstruisons ensuite quelques dis- cours axés sur le caractère disruptif de l’usage des « nouvelles technologies » en montrant l’ancrage de ces discours dans des courants philosophiques du XVIIe siècle. Nous analysons l’éventualité d’un usage des algorithmes d’évaluation du risque de récidive dans une décision qui porte sur la libération conditionnelle, pour montrer le caractère non constitutionnel d’un tel usage hypothétique. Dans la conclusion nous plaidons l’importance des analyses relevant de la philosophie du droit pour mieux comprendre les enjeux de cette affaire et afin de ne pas restreindre les débats à des considérations techniques de « validité statistique » ou de performance d’un modèle.

Source et télécharger cet article : Khaled Dika. L’affaire Loomis. 2020. https://hal.science/hal-02566382v1

Voir aussi : Commentaire de la décision State v. Loomis de la Cour Suprême du Wisconsin : le droit à un procès équitable à l’épreuve de l’opacité algorithmique dans les systèmes de Justice américain et européen – Soumis le 26/02/2020 par Baptiste Malapert dans MBDE / Numérique, Les blogs pédagogiques, Université Paris Nanterre.

Voir aussi : Compas : un homme condamné à six ans de prison par un algorithme, lebigdate.fr.

Vois aussi : Delphine Jung, La justice prédictive : application inquiétante de l’IA ?, Droit-Inc – Le journal des avocats et juristes du Québec, 2018-05-28.

Voir aussi : Clarisse Valmalette. L’algorithme de dangerosité pénale aux États-Unis : vers une érosion des droits fondamentaux du procès. Annuaire internationale de justice constitutionnelle, 2020, XXXV. https://hal.science/hal-03169476v1.


c.nexus.1a(…) Au début des années 2020, les citoyens de nombreux pays se voient régulièrement infliger des peines d’emprisonnement fondées en partie sur une évaluation des risques par des algorithmes auxquels ni les juges ni les accusés ne comprennent rien. Et encore, ces peines de prison ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Le droit à une explication

Outre les peines d’emprisonnement, les algorithmes jouent un rôle sans cesse plus important dans de nombreuses décisions nous concernant, certaines insignifiantes, d’autres à même de changer le cours d’une vie : nous admettre à l’université, nous offrir un travail, nous accorder de l’aide sociale ou un prêt. Ils contribuent également à déterminer quels traitements médicaux nous recevons, le montant de nos primes d’assurance, les actualités qui nous parviennent et qui pourrait vouloir sortir avec nous.

En confiant une proportions dans cesse croissante des décisions aux ordinateurs, les sociétés mettent en péril la viabilité même des mécanismes d’autocorrection démocratique, mais aussi de la transparence et de l’obligation de rendre des comptes propres à la démocratie. Comment des fonctionnaires élus pourraient-ils réglementer des algorithmes impénétrables ? La consécration d’un nouveau droit de l’homme est par conséquent de plus en plus réclamée : le droit à une explication. (…)

NOAH HARARI, Yuval, NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA, Troisième partie – Politique informatique, chapitre 9 – Démocraties : une conversation impossible ?, Édition Albin Michel, Paris, 2024, pp. 392-393.

Propriétés d’entreprises privées, les algorithmes sont des secrets commerciaux dont elles me veulent pas révéler la méthodologie, même lorsqu’il s’agit de décisions prisent par des administrations publiques sur la base de ces algorithmes. Je pense que le droit à une explication doit être précédé d’un droit à la divulgation et à l’identification de l’algorithme impliqué dans la décision qui nous concerne.


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J’accorde 5 étoiles sur 5 à NEXUS – Une brève histoire des réseaux d’information de l’âge de pierre à l’IA par l’historien et philosophe Yuval Noah Harari paru aux Éditions Albin Michel en 2024. L’auteur nous livre une vision historique singulière fort intéressante des réseaux d’information dont le lecteur comprendra aisément leurs apports d’hier à aujourd’hui. Un livre essentiel pour statuer le rôle de l’information en réseaux au fil de l’histoire.


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Articles du dossier

Article # 1 : Introduction

Témoignage de ma recherche personnelle au sujet de la philothérapie (philosophie + thérapie) ou, si vous préférez, de la pratique de la philosophie en clinique. Il s’agit de consultation individuel ou de groupe offert par un philosophe praticien pour nous venir en aide. Elle se distingue de la « psychothérapie » (psychologie + thérapie) en ce qu’elle utilise des ressources et des procédés et poursuit de objectifs propres à la philosophie. On peut aussi parler de « philosophie appliquée ».

Article # 2 : Mise en garde contre le copinage entre la philosophie et la psychologie

La philothérapie gagne lentement mais sûrement en popularité grâce à des publications de plus en plus accessibles au grand public (voir l’Introduction de ce dossier).

L’un des titres tout en haut de la liste s’intitule « Platon, pas Prozac! » signé par Lou Marinoff paru en français en l’an 2000 aux Éditions Logiques. Ce livre m’a ouvert à la philothérapie.

L’auteur est professeur de philosophie au City College de New York, fondateur de l’Association américaine des praticiens de la philosophie (American Philosophical Practitioners Association) et auteurs de plusieurs livres.

Article # 3 : Philothérapie – Libérez-vous par la philosophie, Nathanaël Masselot, Les Éditions de l’Opportun

Présentation du livre Philothérapie – Libérez-vous par la philosophie suivie de mes commentaires de lecture.

Article # 4 : Sur le divan d’un philosophe – La consultation philosophie : une nouvelle démarche pour se connaître, changer de perspective, repenser sa vie. Jean-Eudes Arnoux, Éditions Favre

Présentation du livre Sur le divan d’un philosophe – La consultation philosophie : une nouvelle démarche pour se connaître, changer de perspective, repenser sa vie suivie de mes commentaires de lecture.

Article # 5 : Philosopher pour se retrouver – La pratique de la philo pour devenir libre et oser être vrai, Laurence Bouchet, Éditions Marabout

Cet article présente et relate ma lecture du livre « Philosopher pour se retrouver – La pratique de la philo pour devenir libre et oser être vrai », de Laurence Bouchet aux Éditions Marabout. Malheureusement ce livre n’est plus disponible à la vente tel que mentionné sur le site web de l’éditeur. Heureusement on peut encore le trouver et l’acheter dans différentes librairies en ligne.

Article # 6 : Une danse dangereuse avec le philothérapeute Patrick Sorrel

Cet article se penche sur l’offre du philothérapeute Patrick Sorrel.

Article # 7 : La consultation philosophique – L’art d’éclairer l’existence, Eugénie Vegleris

Le livre « La consultation philosophique – L’art d’éclairer l’existence » de Madame Eugénie Vegleris aux Éditions Eyrolles se classe en tête de ma liste des meilleurs essais que j’ai lu à ce jour au sujet de la « philothérapie ».

Article # 8 : Guérir la vie par la philosophie, Laurence Devillairs, Presses universitaires de France

À ce jour, tous les livres dont j’ai fait rapport de ma lecture dans ce dossier sont l’œuvre de philosophes consultants témoignant de leurs pratiques fondées sur le dialogue. Le livre « Guérir la vie par la philosophie » de Laurence Devillairs aux Presses universitaires de France (PUF) diffère des précédents parce que l’auteure offre à ses lecteurs une aide direct à la réflexion sur différents thèmes.

Article # 9 : Du bien-être au marché du malaise – La société du développement personnel – par Nicolas Marquis aux Presses universitaires de France

J’ai lu ce livre à reculons. J’ai appliqué les feins dès les premières pages. L’objectivité sociologique de l’auteur m’a déplu. Ce livre présente aux lecteurs des observations, que des observations. L’auteur n’en tire aucune conclusion.

Article # 10 : Happycratie : comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, Eva Illouz et Edgar Cabanas, Premier Parallèle, 2018

J’accorde à ce livre cinq étoiles sur cinq parce qu’il m’a révélé les coulisses de la quête du bonheur au cœur de notre société néo-libérale. Je savais que cette obsession du bonheur circulait au sein de la population, notamment par le biais des coach de vie et des agents de développement personnel, mais je n’aurais jamais imaginé qu’elle cachait une véritable industrie soutenue par une idéologie psychologisante. Jusque-là, je ne connaissais de cette industrie que le commerce des livres et la montée en puissance des coachs de vie dédiés à la recherche du bonheur.

Article # 11 : La consultation philosophique, Oscar Brenifier, Éditions Alcofribas, 2020

J’ai adoré ce livre. Il est dense, très dense. On ne peut pas le lire comme un roman. Me voici enfin devant un auteur qui dit tout, où, quand, comment il observe, comment il pense, comment il chemine, comment il voit, comment il entend, comment il anticipe, comment il tire ses conclusions… Bref, un auteur qui expose son propre système de pensée dans un essai plus que formateur pour le nôtre.

Article # 12 : Fin du chapitre : Oscar Brenifier, philosophe praticien

La lecture du livre «La consultation philosophique» signé par le philosophe praticien Oscar Brenifier (voir article #11 de notre dossier «Consulter un philosophe – Quand la philosophie nous aide») nous apprend qu’il adresse un document à ses clients potentiels. J’ai écrit à monsieur Brenifier pour lui demander s’il pouvait me faire parvenir ce document.

Article # 13 : La philo-thérapie, Éric Suárez, Éditions Eyrolles, 2007

Cet article présente et relate ma lecture du livre du «La philo-thérapie» de Éric Suárez, Docteur en philosophie de l’Université Laval (Québec), philosophe praticien (Lausanne), publié en 2007 aux Éditions Eyrolles. Ce livre traite de la consultation philosophique ou, si vous préférez, de la philo-thérapie, d’un point de vue pratique. En fait, il s’agit d’un guide pour le lecteur intéressé à acquérir sa propre approche du philosopher pour son bénéfice personnel. Éric Suárez rassemble dans son ouvrage vingt exemples de consultation philosophiques regroupés sous cinq grands thèmes : L’amour, L’image de soi, La famille, Le travail et le Deuil.

Article # 14 : Comment choisir son philosophe ? Guide de première urgence à l’usage des angoissés métaphysiques, Oreste Saint-Drôme avec le renfort de Frédéric Pagès, La Découverte, 2000

Ce livre se caractérise par l’humour de son auteur et se révèle ainsi très aisé à lire. D’ailleurs l’éditeur nous prédispose au caractère divertissant de ce livre en quatrième de couverture : «Étudier in extenso la pensée des grands théoriciens et en extraire un mode de réflexion agissant est une mission impossible pour l’honnête homme/femme. C’est pourquoi l’auteur de cet ouvrage aussi divertissant que sérieux propose des voies surprenantes au premier abord, mais qui se révèlent fort praticables à l’usage. L’une passe par la rencontre avec la vie et la personnalité du philosophe : la voie des affinités électives».

Article # 15 : La philosophie comme manière de vivre, Pierre Habot, Entretiens avec Jeanne Cartier et Arnold I Davidson, Le livre de poche – Biblio essais, Albin Michel, 2001

Référencé par un auteur à mon programme de lecture, le livre «La philosophie comme manière de vivre» m’a paru important à lire. Avec un titre aussi accrocheur, je me devais de pousser plus loin ma curiosité. Je ne connaissais pas l’auteur Pierre Hadot : «Pierre Hadot (né à Paris, le 21 février 1922, et mort à Orsay, le 24 avril 20101) est un philosophe, historien et philologue français, spécialiste de l’Antiquité, profond connaisseur de la période hellénistique et en particulier du néoplatonisme et de Plotin. Pierre Hadot est l’auteur d’une œuvre développée notamment autour de la notion d’exercice spirituel et de la philosophie comme manière de vivre.» (Source : Wikipédia)

Article # 16 : La philosophie, un art de vivre de vivre, Collectif sous la direction de Jean-François Buisson, Les Éditions Cabédita, 2021

Jeanne Hersch, éminente philosophe genevoise, constate une autre rupture encore, celle entre le langage et la réalité : « Par-delà l’expression verbale, il n’y a pas de réalité et, par conséquent, les problèmes ont cessé de se poser (…). Dans notre société occidentale, l’homme cultivé vit la plus grande partie de sa vie dans le langage. Le résultat est qu’il prend l’expression par le langage pour la vie même. » (L’étonnement philosophique, Jeanne Hersch, Éd. Gallimard.) / On comprend par là qu’aujourd’hui l’exercice du langage se suffit à lui-même et que, par conséquent, la philosophie se soit déconnectée des problèmes de la vie quotidienne.» Source : La philosophie, un art de vivre, Collectif sous la direction de Jean-François Buisson, Les Éditions Cabédita, 2021, Préface,  p. 9.

Article # 17 : Socrate à l’agora : que peut la parole philosophique ?, Collectif sous la direction de Mieke de Moor, Éditions Vrin, 2017

J’ai trouvé mon bonheur dès l’Avant-propos de ce livre : «Laura Candiotto, en insistant sur le rôle joué par les émotions dans le dialogue socratique ancien et sur l’horizon éthique de celui-ci, vise à justifier théoriquement un «dialogue socratique intégral», c’est-à-dire une pratique du dialogue socratique qui prend en compte des émotions pour la connaissance.» Enfin, ai-je pensé, il ne s’agit plus de réprimer les émotions au profit de la raison mais de les respecter dans la pratique du dialogue socratique. Wow ! Je suis réconforté à la suite de ma lecture et de mon expérience avec Oscar Brenifier dont j’ai témoigné dans les articles 11 et 12 de ce dossier.

Article # 18 : La philosophie, c’est la vie – Réponses aux grandes et aux petites questions de l’existence, Lou Marinoff, La table ronde, 2004

Lou Marinoff occupe le devant de la scène mondiale de la consultation philosophique depuis la parution de son livre PLATON, PAS PROJAC! en 1999 et devenu presque’intantément un succès de vente. Je l’ai lu dès sa publication avec beaucoup d’intérêt. Ce livre a marqué un tournant dans mon rapport à la philosophie. Aujourd’hui traduit en 27 langues, ce livre est devenu la bible du conseil philosophique partout sur la planète. Le livre dont nous parlons dans cet article, «  La philosophie, c’est la vie – Réponses aux grandes et aux petites questions de l’existence », est l’une des 13 traductions du titre original « The Big Questions – How Philosophy Can Change Your Life » paru en 2003.

Article # 19 : S’aider soi-même – Une psychothérapie par la raison, Lucien Auger, Les Éditions de l’Homme

J’ai acheté et lu « S’aider soi-même » de Lucien Auger parce qu’il fait appel à la raison : « Une psychothérapie par la raison ». Les lecteurs des articles de ce dossier savent que je priorise d’abord et avant tout la philothérapie en place et lieu de la psychothérapie. Mais cette affiliation à la raison dans un livre de psychothérapie m’a intrigué. D’emblée, je me suis dit que la psychologie tentait ici une récupération d’un sujet normalement associé à la philosophie. J’ai accepté le compromis sur la base du statut de l’auteur : « Philosophe, psychologue et professeur ». « Il est également titulaire de deux doctorats, l’un en philosophie et l’autre en psychologie » précise Wikipédia. Lucien Auger était un adepte de la psychothérapie émotivo-rationnelle créée par le Dr Albert Ellis, psychologue américain. Cette méthode trouve son origine chez les stoïciens dans l’antiquité.

Article # 20 (1/2) : Penser par soi-même – Initiation à la philosophie, Michel Tozzi, Chronique sociale

J’accorde à ce livre cinq étoiles sur cinq et je peux même en rajouter une de plus, une sixième, pour souligner son importance et sa pertinence. Il faut le lire absolument ! Je le recommande à tous car il nous faut tous sortir de ce monde où l’opinion règne en roi et maître sur nos pensées.

Article # 20 (2/2) : Penser par soi-même – Initiation à la philosophie, Michel Tozzi, Chronique sociale

Dans la première partie de ce rapport de lecture du livre « Penser par soi-même – Initiation à la philosophie » de Michel Tozzi, je vous recommandais fortement la lecture de ce livre : « J’accorde à ce livre cinq étoiles sur cinq et je peux même en rajouter une de plus, une sixième, pour souligner son importance et sa pertinence. Il faut le lire absolument ! Je le recommande à tous car il nous faut tous sortir de ce monde où l’opinion règne en roi et maître sur nos pensées.» Je suis dans l’obligation d’ajouter cette deuxième partie à mon rapport de lecture de ce livre en raison de ma relecture des chapitres 6 et suivants en raison de quelques affirmations de l’auteur en contradiction avec ma conception de la philosophie.

Article # 21 – Agir et penser comme Nietzsche, Nathanaël Masselot, Les Éditions de l’Opportun

J’accorde au livre Agir et penser comme Nietzsche de Nathanaël Masselot cinq étoiles sur cinq. Aussi facile à lire qu’à comprendre, ce livre offre aux lecteurs une excellente vulgarisation de la philosophie de Friedricha Wilhelm Nietzsche. On ne peut pas passer sous silence l’originalité et la créativité de l’auteur dans son invitation à parcourir son œuvre en traçant notre propre chemin suivant les thèmes qui nous interpellent.

Article # 22 – La faiblesse du vrai, Myriam Revault d’Allones, Seuil

Tout commence avec une entrevue de Myriam Revault d’Allonnes au sujet de son livre LA FAIBLESSE DU VRAI à l’antenne de la radio et Radio-Canada dans le cadre de l’émission Plus on de fous, plus on lit. Frappé par le titre du livre, j’oublierai le propos de l’auteur pour en faire la commande à mon libraire.

Article # 23 – Pour une philothérapie balisée

Le développement personnel fourmille de personnes de tout acabit qui se sont improvisées conseillers, coachs, thérapeutes, conférenciers, essayistes, formateurs… et auxquelles s’ajoutent des praticiens issus des fausses sciences, notamment, divinatoires et occultes, des médecines et des thérapies alternatives. Bref, le développement personnel attire toute sorte de monde tirant dans toutes les directions.

Article # 24 – Comment nous pensons, John Dewey, Les empêcheurs de penser en rond / Seuil

Je n’aime pas cette traduction française du livre How we think de John Dewey. « Traduit de l’anglais (États-Unis) par Ovide Decroly », Comment nous pensons parait aux Éditions Les empêcheurs de penser en rond / Seuil en 2004. – Le principal point d’appui de mon aversion pour traduction française repose sur le fait que le mot anglais « belief » est traduit par « opinion », une faute majeure impardonnable dans un livre de philosophie, et ce, dès les premiers paragraphes du premier chapitre « Qu’entend-on par penser ? »

Article # 25 – Une philothérapie libre axée sur nos besoins et nos croyances avec Patrick Sorrel

Hier j’ai assisté la conférence Devenir philothérapeute : une conférence de Patrick Sorrel. J’ai beaucoup aimé le conférencier et ses propos. J’ai déjà critiqué l’offre de ce philothérapeute. À la suite de conférence d’hier, j’ai changé d’idée puisque je comprends la référence de Patrick Sorrel au «système de croyance». Il affirme que le «système de croyance» est une autre expression pour le «système de penser». Ce faisant, toute pensée est aussi une croyance.

Article # 26 – Une pratique philosophique sans cœur

J’éprouve un malaise face à la pratique philosophique ayant pour objectif de faire prendre conscience aux gens de leur ignorance, soit le but poursuivi par Socrate. Conduire un dialogue avec une personne avec l’intention inavouée de lui faire prendre conscience qu’elle est ignorante des choses de la vie et de sa vie repose sur un présupposé (Ce qui est supposé et non exposé dans un énoncé, Le Robert), celui à l’effet que la personne ne sait rien sur le sens des choses avant même de dialoguer avec elle. On peut aussi parler d’un préjugé philosophique.

Article # 27 – Êtes-vous prisonnier de vos opinions ?

Si votre opinion est faite et que vous n’êtes pas capable d’en déroger, vous êtes prisonnier de votre opinion. Si votre opinion est faite et que vous êtes ouvert à son évolution ou prêt à l’abandonner pour une autre, vous êtes prisonnier de l’opinion. Si votre opinion compte davantage en valeur et en vérité que les faits, vous êtes prisonnier de vos opinions. Si votre opinion est la seule manière d’exprimer vos connaissances, vous êtes prisonnier de vos opinions. Si vous pensez que l’opinion est le seul résultat de votre faculté de penser, vous êtes prisonnier de vos opinions. Si vous prenez vos opinion pour vraies, vous êtes prisonnier de vos opinions.

Article # 28 – La pratique philosophique – Une méthode contemporaine pour mettre la sagesse au service de votre bien-être, Jérôme Lecoq, Eyrolles, 2014

J’ai mis beaucoup de temps à me décider à lire « La pratique philosophique » de Jérôme Lecoq. L’auteur est un émule d’Oscar Brenifier, un autre praticien philosophe. J’ai vécu l’enfer lors de mes consultations philosophiques avec Oscar Brenifier. Ainsi toute association de près ou de loin avec Oscar Brenifier m’incite à la plus grande des prudences. Jérôme Lecoq souligne l’apport d’Oscar Brenifier dans les Remerciements en première page de son livre « La pratique philosophique ».

Article # 29 – Je sais parce que je connais

Quelle est la différence entre « savoir » et « connaissance » ? J’exprime cette différence dans l’expression « Je sais parce que je connais ». Ainsi, le savoir est fruit de la connaissance. Voici quatre explications en réponse à la question « Quelle est la différence entre savoir et connaissance ? ».

Article # 30 – Les styles interpersonnels selon Larry Wilson

J’ai décidé de publier les informations au sujet des styles interpersonnels selon Larry Wilson parce que je me soucie beaucoup de l’approche de la personne en consultation philosophique. Il m’apparaît important de déterminer, dès le début de la séance de philothérapie, le style interpersonnel de la personne. Il s’agit de respecter la personnalité de la personne plutôt que de la réprimer comme le font les praticiens socratiques dogmatiques. J’ai expérimenté la mise en œuvre de ces styles inter-personnels avec succès.

Article # 31 – La confiance en soi – Une philosophie, Charles Pépin, Allary Éditions, 2018

Le livre « La confiance en soi – Une philosophie » de Charles Pépin se lit avec une grande aisance. Le sujet, habituellement dévolue à la psychologie, nous propose une philosophie de la confiance. Sous entendu, la philosophie peut s’appliquer à tous les sujets concernant notre bien-être avec sa propre perspective.

Article # 32 – Les émotions en philothérapie

J’ai vécu une sévère répression de mes émotions lors deux consultations philosophiques personnelles animées par un philosophe praticien dogmatique de la méthode inventée par Socrate. J’ai témoigné de cette expérience dans deux de mes articles précédents dans ce dossier.

Article # 33 – Chanson « Le voyage » par Raôul Duguay, poète, chanteur, philosophe, peintre… bref, omnicréateur québécois

Vouloir savoir être au pouvoir de soi est l’ultime avoir / Le voyage / Il n’y a de repos que pour celui qui cherche / Il n’y a de repos que pour celui qui trouve / Tout est toujours à recommencer

Article # 34 – « Ah ! Là je comprends » ou quand la pensée se fait révélation

Que se passe-t-il dans notre système de pensée lorsque nous nous exclamons « Ah ! Là je comprends » ? Soit nous avons eu une pensée qui vient finalement nous permettre de comprendre quelque chose. Soit une personne vient de nous expliquer quelque chose d’une façon telle que nous la comprenons enfin. Dans le deux cas, il s’agit d’une révélation à la suite d’une explication.

Article # 35 – La lumière entre par les failles

Âgé de 15 ans, je réservais mes dimanches soirs à mes devoirs scolaires. Puis j’écoutais l’émission Par quatre chemins animée par Jacques Languirand diffusée à l’antenne de la radio de Radio-Canada de 20h00 à 22h00. L’un de ces dimanches, j’ai entendu monsieur Languirand dire à son micro : « La lumière entre par les failles».

Article # 36 – Les biais cognitifs et la philothérapie

Le succès d’une consultation philosophique (philothérapie) repose en partie sur la prise en compte des biais cognitifs, même si ces derniers relèvent avant tout de la psychologie (thérapie cognitive). Une application dogmatique du dialogue socratique passe outre les biais cognitifs, ce qui augmente les risques d’échec.

Article # 37 – L’impossible pleine conscience

Depuis mon adolescence, il y a plus de 50 ans, je pense qu’il est impossible à l’Homme d’avoir une conscience pleine et entière de soi et du monde parce qu’il ne la supporterait pas et mourrait sur le champ. Avoir une pleine conscience de tout ce qui se passe sur Terre et dans tout l’Univers conduirait à une surchauffe mortelle de notre corps. Il en va de même avec une pleine conscience de soi et de son corps.

Article # 38 – Verbalisation à outrance : «Je ne suis pas la poubelle de tes pensées instantanées.»

Le Dr Jean-Christophe Seznec, psychiatre français, a été interrogé par la journaliste Pascale Senk du quotidien Le Figaro au sujet de son livre Savoir se taire, savoir parler, coécrit avec Laurent Carouana et paru en 2017. Le titre de l’article a retenu mon attention : Psychologie: «il faut sortir de l’hystérie de la parole».

Article # 39 – Comment dialoguer de manière constructive ? par Julien Lecomte, Philosophie, médias et société

Reproduction de l’article « Comment dialoguer de manière constructive ? », un texte de Julien Lecomte publié sur son site web PHILOSOPHIE, MÉDIAS ET SOCIÉTÉ. https://www.philomedia.be/. Echanger sur des sujets de fond est une de mes passions. Cela fait plusieurs années que je m’interroge sur les moyens de faire progresser la connaissance, d’apprendre de nouvelles choses. Dans cet article, je reviens sur le cheminement qui m’anime depuis tout ce temps, pour ensuite donner des pistes sur les manières de le mettre en pratique concrètement.

Article # 40 – Le récit d’initiation en spirale

Dans le récit initiatique, il s’agit de partir du point A pour aller au point B afin que le lecteur ou l’auditeur chemine dans sa pensée vers une révélation permettant une meilleure compréhension de lui-même et/ou du monde. La référence à la spirale indique une progression dans le récit où l’on revient sur le même sujet en l’élargissant de plus en plus de façon à guider la pensée vers une nouvelle prise de conscience. Souvent, l’auteur commence son récit en abordant un sujet d’intérêt personnel (point A) pour évoluer vers son vis-à-vis universel (point B). L’auteur peut aussi se référer à un personnage dont il fait évoluer la pensée.

Article # 41 – La philothérapie – Un état des lieux par Serge-André Guay, Observatoire québécois de la philothérapie

Cet article présente un état des lieux de la philothérapie (consultation philosophique) en Europe et en Amérique du Nord. Après un bref historique, l’auteur se penche sur les pratiques et les débats en cours. Il analyse les différentes publications, conférences et offres de services des philosophes consultants.

Article # 42 – L’erreur de Descartes, Antonio Damasio, Odile Jacob, 1995

J’ai découvert le livre « L’erreur de Descartes » du neuropsychologue Antonio R. Damasio à la lecture d’un autre livre : L’intelligence émotionnelle de Daniel Goleman. L’édition originale de ce livre est parue en 1995 en anglais et j’ai lu la traduction française à l’été 1998 parue un an auparavant chez Robert Laffont. Diplômé de l’université Harvard et docteur en psychologie clinique et développement personnel, puis journaliste au New York Times, où il suit particulièrement les sciences du comportement, Daniel Goleman nous informe dans son livre « L’intelligence émotionnel » au sujet de la découverte spectaculaire pour ne pas dire révolutionnaire de Antonio R. Damasio à l’effet que la raison a toujours besoin d’un coup des émotions pour prendre des décisions. Jusque-là, il était coutume de soutenir que les émotions perturbaient la raison, d’où l’idée de les contrôler.

Article # 43 – Éloge de la pratique philosophique, Sophie Geoffrion, Éditions Uppr, 2018

Ma lecture du livre ÉLOGE DE LA PRATIQUE PHILOSOPHIQUE de la philosophe praticienne SOPHIE GEOFFRION fut agréable et fort utile. Enfin, un ouvrage court ou concis (le texte occupe 65 des 96 pages du livre), très bien écrit, qui va droit au but. La clarté des explications nous implique dans la compréhension de la pratique philosophique. Bref, voilà un éloge bien réussi. Merci madame Geoffrion de me l’avoir fait parvenir.

Article # 44 – Consultation philosophique : s’attarder à l’opinion ou au système de pensée ?

Dans cet article, je m’interroge à savoir la consultation philosophique doit s’attarder à l’opinion ou au système pensée du client. OPINION – Le philosophe praticien cible l’opinion de son client en vue de démontrer l’ignorance sur laquelle elle repose et, par conséquent, l’absence de valeur de vérité qu’elle recèle. Cette pratique repose sur le « questionnement philosophique ».

Article # 45 – Sentir et savoir – Une nouvelle théorie de la conscience, Antonio Damasio, Éditions Odile Jacob

Dans son livre « Sentir et savoir », Antonio Damasio propose « Une nouvelle théorie de la conscience ». Il démontre que la conscience ne peut pas exister sans le corps. Il identifie dans le corps la capacité de sentir comme préalable à la conscience.

Article # 46 – Dépression et philosophie : Du mal du siècle au mal de ce siècle, Robert Redeker, Editions Pleins Feux, 2007

Un si petit livre, seulement 46 pages et en format réduit, mais tellement informatif. Une preuve de plus qu’il ne faut se fier aux apparences. Un livre signé ROBERT REDEKER, agrégé de philosophie originaire de la France, connaît fort bien le sujet en titre de son œuvre : DÉPRESSION ET PHILOSOPHIE.

Article # 47 – Savoir se taire, savoir parler, Dr Jean-Christophe Seznec et Laurent Carouana, InterÉditions, 2017

La plupart des intervenants en psychologie affirment des choses. Ils soutiennent «C’est comme ceci» ou «Vous êtes comme cela». Le lecteur a le choix de croire ou de ne pas croire ce que disent et écrivent les psychologues et psychiatres. Nous ne sommes pas invités à réfléchir, à remettre en cause les propos des professionnels de la psychologie, pour bâtir notre propre psychologie. Le lecteur peut se reconnaître ou pas dans ces affirmations, souvent catégoriques. Enfin, ces affirmations s’apparentent à des jugements. Le livre Savoir se taire, savoir dire de Jean-Christophe Seznec et Laurent Carouana ne fait pas exception.

Article # 48 – Penser sa vie – Une introduction à la philosophie, Fernando Savater, Éditions du Seuil, 2000

Chapitre 1 – La mort pour commencer – Contrairement au philosophe Fernando Savater dans PENSER SA VIE – UNE INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE, je ne définie pas la vie en relation avec la mort, avec son contraire. Je réfléchie et je parle souvent de la mort car il s’agit de l’un de mes sujets préféré depuis mon adolescence. Certaines personnes de mon entourage pensent et affirment que si je parle aussi souvent de la mort, c’est parce que j’ai peur de mourir. Or, je n’ai aucune peur de la mort, de ma mort, de celles de mes proches. Je m’inquiète plutôt des conséquences de la mort sur ceux et celles qui restent, y compris sur moi-même.

Article # 49 – Pourquoi avons-nous des couleurs de peau et des physiques si différents ?

À la lumière du documentaire LE SOLEIL ET DES HOMMES, notamment l’extrait vidéo ci-dessus, je ne crois plus au concept de race. Les différences physiques entre les hommes découlent de l’évolution naturelle et conséquente de nos lointains ancêtres sous l’influence du soleil et de la nature terrestre, et non pas du désir du soleil et de la nature de créer des races. On sait déjà que les races et le concept même de race furent inventés par l’homme en se basant sur nos différences physiques. J’abandonne donc la définition de « race » selon des critères morphologiques…

Article # 50 – Extrait du mémoire de maîtrise «Formation de l’esprit critique et société de consommation» par Stéphanie Déziel

Dans le cadre de notre dossier « Consulter un philosophe », la publication d’un extrait du mémoire de maîtrise « Formation de l’esprit critique et société de consommation » de Stéphanie Déziel s’impose en raison de sa pertinence. Ce mémoire nous aide à comprendre l’importance de l’esprit critique appliqué à la société de consommation dans laquelle évoluent, non seule les jeunes, mais l’ensemble de la population.

Article # 51 – « En fait, c’est dans son incertitude même que réside largement la valeur de la philosophie. » Bertrand Russell

Je reproduis ci-dessous une citation bien connue sur le web au sujet de « la valeur de la philosophie » tirée du livre « Problèmes de philosophie » signé par Bertrand Russell en 1912. Mathématicien, logicien, philosophe, épistémologue, homme politique et moraliste britannique, Bertrand Russell soutient que la valeur de la philosophie réside dans son incertitude. À la suite de cette citation, vous trouverez le texte de Caroline Vincent, professeur de philosophie et auteure du site web « Apprendre la philosophie » et celui de Gabriel Gay-Para tiré se son site web ggpphilo. Des informations tirées de l’Encyclopédie Wikipédia au sujet de Bertrand Russell et du livre « Problèmes de philosophie » et mon commentaire complètent cet article.

Article # 52 – Socrate et la formation de l’esprit critique par Stéphanie Déziel

Passez donc sans vous arrêter, amis, au milieu des Marchands de Sommeil; et, s’ils vous arrêtent, répondez-leur que vous ne cherchez ni un système ni un lit. Ne vous lassez pas d’examiner et de comprendre. (…) Lisez, écoutez, discutez, jugez; ne craignez pas d’ébranler des systèmes; marchez sur des ruines, restez enfants. (…) Socrate vous a paru un mauvais maître. Mais vous êtes revenus à lui; vous avez compris, en l’écoutant, que la pensée ne se mesure pas à l’aune, et que les conclusions ne sont pas l’important; restez éveillés, tel est le but. Les Marchands de Sommeil de ce temps-là tuèrent Socrate, mais Socrate n’est point mort; partout où des hommes libres discutent, Socrate vient s’asseoir, en souriant, le doigt sur la bouche. Socrate n’est point mort; Socrate n’est point vieux. (…) – Alain, (Emile Charrier), Vigiles de l’esprit.

Article # 53 – J’ai un problème avec la vérité

Tout au long de ma vie, j’ai vu la vérité malmenée, tassée d’un bord puis de l’autre, devenir une propriété personnelle (ma vérité — ta vérité — à chacun sa vérité), tantôt objet de monopôle, tantôt reconnue, tantôt niée et reniée… Ah ! La vérité. Quel chaos ! Je me demande depuis longtemps pourquoi la vérité, si elle existe, ne triomphe pas à tout coup, pourquoi elle ne s’impose à tous d’elle-même. Contestée de toutes parts, la vérité, si elle existe, n’a d’intérêt que pour l’opinion qu’on en a et les débats qui s’ensuivent. On va jusqu’à donner à la vérité une mauvaise réputation eu égard à son influence néfaste sur la société et les civilisations. Et que dire de toutes ces croyances qui se prennent pour la vérité ? Et c’est sans compter l’observation récente à l’effet que nous venons d’entrer dans une « ère de post-vérité ».

Article # 54 – Petit manuel philosophique à l’intention des grands émotifs, Iaria Gaspard, Presses Universitaires de France, 2022

J’accorde à ce livre trois étoiles sur cinq. Le titre « Petit manuel philosophique à l’intention des grands émotifs » a attiré mon attention. Et ce passage du texte en quatrième de couverture m’a séduit : «En proposant une voyage philosophique à travers l’histoire des émotions, Iaria Gaspari bouscule les préjugés sur notre vie émotionnelle et nous invite à ne plus percevoir nos d’états d’âme comme des contrainte ». J’ai décidé de commander et de lire ce livre. Les premières pages m’ont déçu. Et les suivantes aussi. Rendu à la moitié du livre, je me suis rendu à l’évidence qu’il s’agissait d’un témoignage de l’auteure, un témoignage très personnelle de ses propres difficultés avec ses émotions. Je ne m’y attendais pas, d’où ma déception. Je rien contre de tels témoignages personnels qu’ils mettent en cause la philosophie, la psychologie, la religion ou d’autres disciplines. Cependant, je préfère et de loin lorsque l’auteur demeure dans une position d’observateur alors que son analyse se veut la plus objective possible.

Article # 55 – Savoir, connaissance, opinion, croyance

Tout repose sur le Savoir. L’expérience personnelle et/ou professionnelle qu’on fait du Savoir, après en avoir pris conscience, se retrouve à la base des Connaissances que nous possédons. Les Opinions expriment des Jugements des connaissances et inspirent souvent les Croyances.

Article # 56 – Philosophie, science, savoir, connaissance

La philosophie, mère de toutes les sciences, recherche la sagesse et se définie comme l’Amour de la Sagesse. La sagesse peut être atteinte par la pensée critique et s’adopte comme Mode de vie. • La philosophie soutient la Science et contribue à la naissance et au développement de la méthode scientifique, notamment avec l’épistémologie.

Article # 57 – La philosophie encore et toujours prisonnière de son passé ?

La philothérapie, principale pratique de la philosophie de nos jours, met sans cesse de l’avant les philosophes de l’Antiquité et de l’époque Moderne. S’il faut reconnaître l’apport exceptionnel de ces philosophes, j’ai parfois l’impression que la philothérapie est prisonnière du passé de la philosophie, à l’instar de la philosophie elle-même.

Article # 58 – Le Québec, un désert philosophique

Au Québec, la seule province canadienne à majorité francophone, il n’y a pas de tradition philosophique populaire. La philosophie demeure dans sa tour universitaire. Très rares sont les interventions des philosophes québécois dans l’espace public, y compris dans les médias, contrairement, par exemple, à la France. Et plus rares encore sont les bouquins québécois de philosophie en tête des ventes chez nos libraires. Seuls des livres de philosophes étrangers connaissent un certain succès. Bref, l’espace public québécois n’offre pas une terre fertile à la Philosophie.

Article # 59 – La naissance du savoir – Dans la tête des grands scientifiques, Nicolas Martin, Éditions Les Arènes, 2023.

J’accorde à ce livre cinq étoiles sur cinq parce qu’il me permet d’en apprendre beaucoup plus sur la pensée scientifique telle que pratiquée par de grands scientifiques. L’auteur, Nicolas Martin, propose une œuvre originale en adressant les mêmes questions, à quelques variantes près, à 17 grands scientifiques.

Article # 60 – Pourquoi est-il impossible d’atteindre l’équilibre entre développement personnel et développement spirituel ou philosophique ?

Cet article répond à ce commentaire lu sur LinkedIn : « L’équilibre entre développement personnel et développement spirituel ou philosophique est indispensable. » Il m’apparaît impossible de viser « L’équilibre entre développement personnel et développement spirituel ou philosophique » et de prétendre que cet équilibre entre les trois disciplines soit « indispensable ». D’une part, le développement personnel est devenu un véritable fourre-tout où l’ivraie et le bon grain se mélangent sans distinction, chacun avançant sa recette à l’aveugle.

Article # 61 – Le commerce extrême de la philosophie avec les « philopreneurs »

En ne s’unissant pas au sein d’une association nationale professionnelle fixant des normes et des standards à l’instar des philosophes consultants ou praticiens en d’autres pays, ceux de la France nous laissent croire qu’ils n’accordent pas à leur disciple tout l’intérêt supérieur qu’elle mérite. Si chacun des philosophes consultants ou praticiens français continuent de s’affairer chacun dans son coin, ils verront leur discipline vite récupérée à mauvais escient par les philopreneurs et la masse des coachs.

Article # 62 – Soigner par la philosophie, En marche – Journal de la Mutualité chrétienne (Belgique)

“ Après les succès d’Épicure 500 vous permettant de faire dix repas par jour sans ballonnements, après Spinoza 200 notre inhibiteur de culpabilité, les laboratoires Laron, vous proposent Philonium 3000 Flash, un médicament révolutionnaire capable d’agir sur n’importe quelle souffrance physique ou mentale : une huile essentielle d’Heidegger pour une angoisse existentielle, une substance active de Kant pour une douleur morale…. Retrouvez sagesse et vitalité en un instant ”, s’amusaient les chroniqueurs radio de France Inter dans une parodie publicitaire diffusée à l’occasion d’une émission ayant pour thème : la philosophie peut-elle soigner le corps ?

Article # 63 – Contre le développement personnel. Thierry Jobard, Éditions Rue de l’échiquier, 2021

J’attribue quatre étoiles sur cinq à ce livre. Les lecteurs assidus de mes articles connaissent fort bien ma position plus que défavorable face au développement personnel. À l’instar de Thiery Jobard, je suis contre le développement personnel. Je qualifie le développement personnel d’arnaque extrêmement dangereuse pour ses adeptes et notre société.

Article # 64 – Apocalypse cognitive – La face obscure de notre cerveau, Gérald Bronner, Presses Universitaires de France (PUF), 2021

Le philothérapeute (philosophe consultant ou philosophe praticien) a l’obligation de très bien connaître le contexte dans lequel évolue son client. Le développement de l’esprit critique de ce client passe inévitablement par une prise de conscience de sa cognition en vue de comprendre comment il connaît. Si, dès le départ, le client n’a pas conscience de son mode de pensées, il lui sera difficile de participer activement au dialogue avec son philothérapeute. L’objectif primaire du philosophe consultant demeure de déceler et de corriger les biais cognitifs de son client avant même d’abord une question philosophique. Bref, si la »machine à pensée » du client est corrompu par des «virus cognitifs », une «réinitialisation » s’impose en début de séance de consultation.

Article # 65 – Développement (im)personnel – Le succès d’une imposture, Julia de Funès, Éditions de l’observatoire/Humensis, 2019

Dans son livre « Développement (im) personnel, Julia de Funès, docteure en philosophie, soutient que le développement personnel offre la même recette à tous et qu’à ce titre il ne peut donc pas se qualifier sa démarche de « personnel ». Selon ma compréhension, le développement personnel devrait mettre de l’avant un développement personnalisé, c’est-à-dire adapté à chaque individu intéressé pour se targuer d’être personnel.

Article # 66 – Savoirs, opinions, croyances – Une réponse laïque et didactique aux contestations de la science en classe, Guillaume Lecointre, Édition Belin / Humensis, 2018

Mon intérêt pour la pensée scientifique remonte à plus de 25 ans. Alors âgé d’une quarantaine d’année, PDG d’une firme d’étude des motivations d’achat des consommateurs, je profite des enseignements et de l’étude du processus scientifique de différentes sources. Je me concentre vite sur l’épistémologie…

Article # 67 – À l’école du doute – Apprendre à penser juste en découvrant pourquoi l’on pense faux, Marc Romainville, Presses Universitaires de France / Humensis, 2023

Ce livre m’a déçu en raison de la faiblesse de sa structure indigne de son genre littéraire, l’essai. L’auteur offre aux lecteurs une foule d’information mais elle demeure difficile à suivre en l’absence de sous-titres appropriés et de numérotation utile pour le repérage des énumérations noyés dans un style plus littéraire qu’analytique.

Article # 68 – Ébauche d’un annuaire : philothérapeutes, philosophes consultants, philosophes praticiens

En l’absence d’une association d’accréditation des philothérapeutes, philosophes consultants ou praticiens en francophonie, il est difficile de les repérer. Il ne nous reste plus que de nombreuses recherches à effectuer sur le web pour dresser une liste, aussi préliminaire soit-elle. Les intervenants en philothérapie ne se présentent pas tous sous la même appellation : « philothérapeute », « philosophe consultant » ou « philosophe praticien » « conseiller philosophique » « philosophe en entreprise », « philosophe en management » et autres.

Article # 69 – Guérir l’impossible – Une philosophie pour transformer nos souffrances en forces, Christopher Laquieze, Guy Trédaniel Éditeur, 2023

J’ai lu le livre GUÉRIR L’IMPOSSIBLE en me rappelant à chaque page que son auteur, Christopher Laquieze, est à la fois philosophe et thérapeute spécialisé en analyse comportementale. Pourquoi ? Parce que ce livre nous offre à la fois un voyage psychologique et philosophique, ce à quoi je ne m’attendais pas au départ. Ce livre se présente comme « Une philosophie pour transformer nous souffrances en forces ». Or, cette philosophie se base davantage sur la psychologie que la philosophie. Bref, c’est le « thérapeute spécialisé en analyse comportementale » qui prend le dessus sur le « philosophe ».

Article # 70 – Agir et penser comme Platon – Sage, penseur, philosophe, juste, courageux …, Nathanaël Masselot, Les Éditions de l’Opportun

Nathaniel Masselot maîtrise fort bien son écriture visiblement axée sur son accessibilité et sa compréhension par tous. Loin de la vulgarisation simpliste, l’auteur nous parle comme nous parlons. Loin de l’écriture hermétique, l’auteur n’a pas la tête dans les nuages et isolé dans une tour surplombant la société; il marche auprès de nous. Avec ses références à l’actualité, il campe son lecteur dans la réalité quotidienne où il évolue.

Article # 71 – 7 règles pour une vie (presque) sans problème, Simon Delannoy, 2022

Ma lecture de ce livre m’a procuré beaucoup de plaisir et de bonheur. Je recherche dans mes lectures les auteurs et les œuvres permettant aux lecteurs d’évoluer de prise de conscience en prise de conscience de la première à la dernière page, de ne plus être le même à la fin de la lecture. Et c’est ce que les lecteurs vivront à la lecture de ce livre.

Article # 72 – Les philo-cognitifs – Ils n’aiment que penser et penser autrement…, Fanny Nusbaum, Olivier Revol, Dominic Sappey-Marinier, Odile Jacob, Paris, 2019

Je n’ai pas aimé ce livre parce que son titre, LES PHILO-COGNITIFS, se réfère à la philosophie sans pour autant faire un traitement philosophique de son sujet. Mon achat reposait entièrement sur le titre de ce livre et je m’attendais à un livre de philosophie. Mais il s’agit d’un livre de psychologie. Mon achat fut intuitif. J’avais pleinement confiance dans l’usage du mot « PHILO » en titre d’un ouvrage pour que ce dernier ne puisse traiter d’un autre sujet que philosophique. Mais ce n’est pas le cas.

Article # 73 – Qu’est-ce que la philosophie ? Michel Meyer, Le livre de poche, Librairie générale française, Paris, 1997

J’aime beaucoup les livres d’introduction et de présentation de la philosophie parce qu’ils ramènent toujours les lecteurs à l’essentiel, aux bases de la discipline. À la question « Qu’est-ce que la philosophie ? », Michel Meyer répond : « La philosophie est depuis toujours questionnement radical. C’est pourquoi il importe aujourd’hui de questionner le questionnement, même si on ne l’a jamais fait auparavant. » MEYER, Michel, Qu’est-ce que la philosophie ? – Les questions ultime de la pensée, Le livre de poche © Librairie Générale Française, Paris, 1997. p. 18.

Article # 74 – Présentations de la philosophie, André Comte-Sponville, Éditions Albin Michel, Le livre de poche, 2000

À l’instar de ma lecture précédente (Qu’est-ce que la philosophie ? de Michel Meyer), le livre PRÉSENTATIONS DE LA PHILOSOPHIE du philosophe ANDRÉ COMTE-SPONVILLE m’a plu parce qu’il met en avant les bases mêmes de la philosophie et, dans ce cas précis, appliquées à une douzaine de sujets…

Article # 75 – Les théories de la connaissance, Jean-Michel Besnier, Que sais-je?, Presses universitaires de France, 2021

J’ai dévoré le livre LES THÉORIES DE LA CONNAISSANCE par JEAN-MICHEL BESNIER avec un grand intérêt puisque la connaissance de la connaissance me captive. Amateur d’épistémologie, ce livre a satisfait une part de ma curiosité. Évidemment, je n’ai pas tout compris et une seule lecture suffit rarement à maîtriser le contenu d’un livre traitant de l’épistémologie, notamment, de son histoire enchevêtrée de différents courants de pensée, parfois complémentaires, par opposés. Jean-Michel Besnier dresse un portrait historique très intéressant de la quête philosophique pour comprendre la connaissance elle-même.

Article # 76 – Philosophie de la connaissance – Croyance, connaissance, justification, textes réunis par Julien Dutant et Pascal Engel, Libraire philosophique J. Vrin, 2005

Ce livre n’était pas pour moi en raison de l’érudition des auteurs au sujet de la philosophie de connaissance. En fait, contrairement à ce que je croyais, il ne s’agit d’un livre de vulgarisation, loin de là. J’ai décroché dès la seizième page de l’Introduction générale lorsque je me suis buté à la première équation logique. Je ne parviens pas à comprendre de telles équations logiques mais je comprends fort bien qu’elles soient essentielles pour un tel livre sur-spécialisé. Et mon problème de compréhension prend racine dans mon adolescence lors des études secondaires à l’occasion du tout premier cours d’algèbre. Littéraire avant tout, je n’ai pas compris pourquoi des « x » et « y » se retrouvaient dans des équations algébriques. Pour moi, toutes lettres de l’alphabet relevaient du littéraire. Même avec des cours privés, je ne comprenais toujours pas. Et alors que je devais choisir une option d’orientation scolaire, j’ai soutenu que je voulais une carrière fondée sur l’alphabet plutôt que sur les nombres. Ce fut un choix fondé sur l’usage des symboles utilisés dans le futur métier ou profession que j’allais exercer. Bref, j’ai choisi les sciences humaines plutôt que les sciences pures.

Article # 77 – Problèmes de philosophie, Bertrand Russell, Nouvelle traduction, Éditions Payot, 1989

Quelle agréable lecture ! J’ai beaucoup aimé ce livre. Les problèmes de philosophie soulevés par Bertrand Russell et les réponses qu’il propose et analyse étonnent. Le livre PROBLÈMES DE PHILOSOPHIE écrit par BERTRAND RUSSELL date de 1912 mais demeure d’une grande actualité, du moins, selon moi, simple amateur de philosophie. Facile à lire et à comprendre, ce livre est un «tourne-page» (page-turner).

Article # 78 – La dictature des ressentis – Sauver la liberté de penser, Eugénie Bastié, Éditions Plon, 2023

La compréhension de ce recueil de chroniques signées EUGÉNIE BASTIÉ dans le quotidien LE FIGARO exige une excellence connaissance de la vie intellectuelle, politique, culturelle, sociale, économique et de l’actualité française. Malheureusement, je ne dispose pas d’une telle connaissance à l’instar de la majorité de mes compatriotes canadiens et québécois. J’éprouve déjà de la difficulté à suivre l’ensemble de l’actualité de la vie politique, culturelle, sociale, et économique québécoise. Quant à la vie intellectuelle québécoise, elle demeure en vase clos et peu de médias en font le suivi. Dans ce contexte, le temps venu de prendre connaissance de la vie intellectuelle française, je ne profite des références utiles pour comprendre aisément. Ma lecture du livre LA DICTATURE DES RESSENTIS d’EUGÉNIE BASTIÉ m’a tout de même donné une bonne occasion de me plonger au cœur de cette vie intellectuelle française.

Article # 79 – À la découverte de la sagesse stoïcienne: L’histoire improbable du stoïcisme suivie du Manuel de la vie bonne, Dr Chuck Chakrapani, Éditions Stoa Gallica, 2023

À titre d’éditeur, je n’ai pas aimé ce livre qui n’en est pas un car il n’en possède aucune des caractéristiques professionnelles de conceptions et de mise en page. Il s’agit de la reproduction d’un texte par Amazon. Si la première de couverture donne l’impression d’un livre standard, ce n’est pas le cas des pages intérieures du… document. La mise en page ne répond pas aux standards de l’édition française, notamment, en ne respectant pas les normes typographiques.

Article # 80 – Le changement personnel – Histoire Mythes Réalités, sous la direction de Nicolas Marquis, Sciences Humaines Éditions, 2015

J’ai lu avec un grand intérêt le livre LE CHANGEMENT PERSONNEL sous la direction de NICOLAS MARQUIS. «Cet ouvrage a été conçu à partir d’articles tirés du magazine Sciences Humaines, revus et actualisés pour la présente édition ainsi que de contributions inédites. Les encadrés non signés sont de la rédaction.» J’en recommande vivement la lecture pour son éruditions sous les aspects du changement personnel exposé par différents spécialistes et experts tout aussi captivant les uns les autres.

Article # 81 – L’empire des coachs – Une nouvelle forme de contrôle social, Roland Gori et Pierre Le Coz, Éditions Albin Michel, 2006

À la lecture de ce livre fort intéressent, j’ai compris pourquoi j’ai depuis toujours une dent contre le développement personnel et professionnel, connu sous le nom « coaching ». Les intervenants de cette industrie ont réponse à tout, à toutes critiques. Ils évoluent dans un système de pensée circulaire sans cesse en renouvellement créatif voire poétique, système qui, malheureusement, tourne sur lui-même. Et ce type de système est observable dans plusieurs disciplines des sciences humaines au sein de notre société où la foi en de multiples opinions et croyances s’exprime avec une conviction à se donner raison. Les coachs prennent pour vrai ce qu’ils pensent parce qu’ils le pensent. Ils sont dans la caverne de Platon et ils nous invitent à les rejoindre.

Article # 82 – À quoi sert la philosophie ?, Marc Sautet, Éditions Pleins Feux, 1997

Ce petit livre d’une soixantaine de pages nous offre la retranscription de la conférence « À QUOI SERT LA PHILOSOPHIE ? » animée par Marc Sautet, philosophe ayant ouvert le premier cabinet de consultation philosophique en France et également fondateur des Cafés Philo en France.

Article # 83 – Raviver de l’esprit en ce monde – Diagnostic du contemporain, François Jullien, Éditions de l’Observatoire, 2023

L’essai RAVIVER DE L’ESPRIT EN CE MONDE – UN DIAGNOSTIC CONTEMPORAIN par FRANÇOIS JULLIEN chez les Éditions de l’Observatoire, parue en 2023, offre aux lecteurs une prise de recul philosophique révélatrice de notre monde. Un tel recul est rare et fort instructif.

Article # 84 – La philosophie appelle à une révélation suivie d’une conversion

La philosophie a pour but l’adoption d’un mode de vie sain. On parle donc de la philosophie comme un mode de vie ou une manière de vivre. La philosophie ne se possède pas, elle se vit. La philosophie souhaite engendrer un changement de comportement, d’un mode de vie à celui qu’elle propose. Il s’agit ni plus ni moins d’enclencher et de soutenir une conversion à la philosophie.

Article # 85 – La philosophie comme mode de vie, Daniel Desroches, Deuxième édition revue et corrigée, Coll. À propos, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 2019

La lecture de cet essai fut très agréable, instructive et formatrice pour l’amateur de philosophie que je suis. Elle s’inscrit fort bien à la suite de ma lecture de « La philosophie comme manière de vivre » de Pierre Habot (Entretiens avec Jeanne Cartier et Arnold I Davidson, Le livre de poche – Biblio essais, Albin Michel, 2001).

Article # 86 – Les consolations de la philosophie, Alain De Botton, Mercure de France, 2001, Pocket

La lecture du livre Les consolations de la philosophie, une édition en livre de poche abondamment illustrée, fut très agréable et instructive. L’auteur Alain de Botton, journaliste, philosophe et écrivain suisse, nous adresse son propos dans une langue et un vocabulaire à la portée de tous.

Article # 87 – La philothérapie – Philosophie pratique à l’international

L’Observatoire de la philothérapie a consacré ses deux premières années d’activités à la France, puis à la francophonie. Aujourd’hui, l’Observatoire de la philothérapie s’ouvre à d’autres nations et à la scène internationale.

Article # 88 – L’approche intellectuelle en philothérapie et en philosophie pratique

Certaines personnes croient le conseiller philosophique intervient auprès de son client en tenant un « discours purement intellectuel ». C’est le cas de Dorothy Cantor, ancienne présidente de l’American Psychological Association, dont les propos furent rapportés dans The Philosophers’ Magazine en se référant à un autre article parue dans The New York Times.

Article # 89 – En thérapie avec… Épicure – Combattre votre anxiété – 40 antidotes du philosophe antique, Nathanaël Masselot, Les Éditions de l’Opportun, Paris, 2024

Nathaniel Masselot maîtrise fort bien son écriture visiblement axée sur son accessibilité et sa compréhension par tous. Loin de la vulgarisation simpliste, l’auteur nous parle comme nous parlons. Loin de l’écriture hermétique, l’auteur n’a pas la tête dans les nuages et isolé dans une tour surplombant la société; il marche auprès de nous. Avec ses références à l’actualité, il campe son lecteur dans la réalité quotidienne où il évolue.

Article # 90 – Êtes-vous sûr d’avoir raison ?, Gilles Vervisch, Flammarion, 2022

De lecture agréable et truffé d’humour, le livre ÊTES-VOUS SÛR D’AVOIR RAISON ? de GILLES VERVISCH, agrégé de philosophie, pose la question la plus embêtante à tous ceux qui passent leur vie à se donner raison.

Article # 91 – L’approche interrogative et l’approche conversationnelle dans la pratique philosophique

Dans un article intitulé « Se retirer du jeu » et publié sur son site web Dialogon, le philosophe praticien Jérôme Lecoq, témoigne des « résistances simultanées » qu’il rencontre lors de ses ateliers, « surtout dans les équipes en entreprise » : « L’animation d’un atelier de “pratique philosophique” implique que chacun puisse se « retirer de soi-même », i.e. abandonner toute volonté d’avoir raison, d’en imposer aux autres, de convaincre ou persuader autrui, ou même de se “faire valider” par les autres. Vous avez une valeur a priori donc il n’est pas nécessaire de l’obtenir d’autrui. » (LECOQ, Jérôme, Se retirer du jeu, Dialogon, mai 2024.)

Article # 92 – Introduction à la philosophie, Karl Jaspers, Plon, coll. 10-18, 2001

« Jaspers incarne, en Allemagne, l’existentialisme chrétien » peut-on lire en quatrième de couverture de son livre INTRODUCTION À PHILOSOPHIE. Je ne crois plus en Dieu depuis vingt ans. Baptisé et élevé par défaut au sein d’une famille catholique qui finira pas abandonner la religion, marié protestant, aujourd’hui J’adhère à l’affirmation d’un ami philosophe à l’effet que « Toutes les divinités sont des inventions humaines ». Dieu est une idée, un concept, rien de plus, rien de moins. / Dans ce contexte, ma lecture de l’œuvre INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE de KARL JASPERS fut quelque peu contraignante à titre d’incroyant. Je me suis donc concentré sur les propos de JASPERS au sujet de la philosophie elle-même.

Article # 93 – Le rôle social des idées – Esquisse d’une philosophie de l’histoire contemporaine, Max Lamberty, Éditions de la Cité Chrétienne, 1936

« La philosophie a gouverné toute la vie de notre époque dans ses traits les plus typiques et les plus importants » (LAMBERTY, Max, Le rôle social des idées, Chapitre premier – La souveraineté des idées ou La généalogie de notre temps, Les Éditions de la Cité Chrétienne (Bruxelles) / P. Lethielleux (Paris), 1936, p. 41) – la démonstration du rôle social des idées par Max Lamberty doit impérativement se poursuivre de nos jours en raison des défis qui se posent à nous, maintenant et demain, et ce, dans tous les domaines. – Et puisque les idées philosophiques mènent encore et toujours le monde, nous nous devons d’interroger le rôle social des idées en philosophie pratique. Quelle idée du vrai proposent les nouvelles pratiques philosophiques ? Les praticiens ont-ils conscience du rôle social des idées qu’ils véhiculent dans les consultations et les ateliers philosophiques ?

Article # 94 – L’étonnement philosophique – Une histoire de la philosophie, Jeanne Hersch, Gallimard, coll. Folio Essai, 1993

J’aime beaucoup ce livre. Les nombreuses mises en contexte historique en lien avec celui dans lequel nous sommes aujourd’hui permettent de mieux comprendre cette histoire de la philosophie et d’éviter les mésinterprétations. L’auteure Jeanne Hersch nous fait découvrir les différentes étonnements philosophiques de plusieurs grands philosophes à l’origine de leurs quêtes d’une meilleure compréhension de l’Être et du monde.

Article # 95 – Qu’est-ce que la Deep Philosophy ? – Philosopher depuis notre profondeur intérieure, Ran Lahav, Loyev Books, 2023

Mon intérêt pour ce livre s’est dégradé au fil de ma lecture en raison de sa faible qualité littéraire, des nombreuses répétitions et de l’aveu de l’auteur à rendre compte de son sujet, la Deep Philosophy. / Dans le texte d’introduction de la PARTIE A – Première rencontre avec la Deep Philosophy, l’auteur Ran Lahav amorce son texte avec ce constat : « Il n’est pas facile de donner un compte rendu systématique de la Deep Philosophy ». Dans le paragraphe suivant, il écrit : « Néanmoins, un tel exposé, même s’il est quelque peu forcé, pourrait contribuer à éclairer la nature de la Deep Philosophy, pour autant qu’il soit compris comme une esquisse approximative ». Je suis à la première page du livre et j’apprends que l’auteur m’offre un exposé quelque peu forcé et que je dois considérer son œuvre comme une esquisse approximative. Ces précisions ont réduit passablement mon enthousiasme. À partir de là, ma lecture fut un devoir, une obligation, avec le minimum de motivation.

Article # 96 – Se réaliser – Petite philosophie de l’épanouissement personnel, Michel Lacroix, (Marabout), Éditions Robert Laffont, 2009

J’ai beaucoup aimé ce livre de Michel Lacroix, Se réaliser — Petite philosophie de l’épanouissement personnel. Il m’importe de vous préciser que j’ai lu l’édition originale de 2009 aux Éditions Robert Laffont car d’autres éditions sont parues, du moins si je me rapporte aux différentes premières et quatrièmes de couverture affichées sur le web. Ce livre ne doit pas être confondu avec un ouvrage plus récent de Michel Lacroix : Philosophie de la réalisation personnelle – Se construire dans la liberté parue en 2013 et qui sera l’objet d’une rapport de lecture dans ce dossier.

Article # 97 – Une histoire de la raison par François Châtelet – Entretiens avec Émile Noël, Édition du Seuil, 1992

Personnellement, je me suis limité à lecture du livre car je préfère et de loin l’écrit à l’audio. J’aime le titre donné à ce livre, « Une histoire de la raison », plutôt que « L’histoire de la raison », parce qu’il laisse transparaître une certaine humilité dans l’interprétation.

Article # 98 – La raison, Bertrand Saint-Sernin, Presses universitaires de France, coll. Que sais-je, Paris, 2003

Les ouvrages de la collection Que sais-je ? des PUF (Presses universitaires de France) permettent aux lecteurs de s’aventurer dans les moult détails d’un sujet, ce qui rend difficile d’en faire un rapport de lecture, à moins de se limiter à ceux qui attirent et retient davantage notre attention, souvent en raison de leur formulation. Et c’est d’entrée de jeu le cas dans le tout premier paragraphe de l’Introduction. L’auteur écrit, parlant de la raison (le soulignement est de moi) : « (…) elle est une instance intérieure à l’être humain, dont il n’est pas assuré qu’elle puisse bien fonctionner en situation de risque ou dans un état trouble ».

Article # 99 – Philosophie de la réalisation personnelle – Se construire dans la liberté, Michel Lacroix, Éditions Robert Laffont, 2013

Dans son livre « Philosophie de la réalisation personnelle – Se construire dans la liberté », le philosophe Michel Lacroix s’engage clairement en faveur du développement personnel. Il le présente comme l’héritier des efforts déployés par la philosophie dans le domaine de la réalisation de soi au cours siècles passés. À mon avis et si c’est effectivement le cas, le mouvement du développement personnel a vite fait de dilapider cet héritage de la philosophie en le déchiquetant en petits slogans vide de sens.

Article # 100 – Vivre dans un monde où tout un chacun se donne raison, en réponse à l’article « L’art de couper les cheveux en quatre » d’Alexandre Lacroix publié dans Philosophie magazine, juin 2024

Dans le dossier de son édition de juin 2024, Philosophie magazine tente de répondre à cette question en titre : « Comment savoir quand on a raison ? » Il n’en fallait pas plus pour me motiver à l’achat d’un exemplaire chez mon marchand de journaux.

Article # 101 – Loin de moi – Étude sur l’identité, Clément Rosset, Les Éditions de Minuit, 1999

Le texte en quatrième de couverture de LOIN DE SOI de CLÉMENT ROSSET confronte tous les lecteurs ayant en tête la célèbre maxime grecque gravés sur le fronton du temple de Delphes et interprété par Socrate : « Connais-toi toi-même » : « La connaissance de soi est à la fois inutile et inappétissante. Qui souvent s’examine n’avance guère dans la connaissance de lui-même. Et moins on se connaît, mieux on se porte. » ROSSET, Clément, Loin de moi – Étude sur l’identité, Les Éditions de Minuit, 1999, quatrième de couverture.

Article # 102 – Penser par soi-même, Sous la direction de Maud Navarre, Sciences Humaines Éditions, 2024

Avec ses dix-sept articles de différents auteurs, le recueil PENSER PAR SOI-MÊME , sous la direction de MAUD NAVARRE, docteure en sociologie et journaliste scientifique, chez SCIENCES HUMAINES ÉDITIONS paru en 2024, complète et bonifie généreusement le dossier du même nom de l’édition de mars 2020 du magazine Sciences Humaines.

Article # 103 – Éloge du point d’interrogation – Tous philosophes ? Patrick Moulin, Les Éditions du Net, 2022

Je n’ai pas aimé ce livre en raison de mon aversion face au style d’écriture de l’auteur. J’ai abandonné ma lecture au trois quarts du livre. Je n’en pouvais plus des trop nombreuses fioritures littéraires. Elles donnent au livre les allures d’un sous-bois amazonien aussi dense que sauvage où il est à charge du lecteur de se frayer un chemin, machette à la main. Ce livre a attiré mon attention, l’a retenue et l’auteur pouvait alors profiter de l’occasion pour communiquer avec moi. Mais les ornements littéraires agissent comme de la friture sur la ligne de cette communication. J’ai finalement raccroché.

Article # 104 – Grandeur et misère de la modernité, Charles Taylor, Coll. L’essentiel, Éditions Bellarmin (Éditions Fides), 1992

Notre place dans le monde s’inscrit dans notre identité. Construire sa propre philosophie de vie bonne exige non seulement de se connaître soi-même mais aussi de connaître le monde dans lequel nous existons. C’est l’« Être-au-monde » selon de Martin Heidegger. Bref, voilà donc pourquoi cet Observatoire de la philothérapie – Quand la philosophie nous aide dépasse son sujet avec le livre GRANDEUR ET MISÈRE DE LA MODERNITÉ du philosophe CHARLES TAYLOR paru en 1992, il y a plus de trente ans.

Article # 105 – La philosophie antique comme exercice spirituel ? Un paradigme en question, Sylvain Roux, Les Belles Lettres, 2024

J’aime beaucoup ce livre. Tout philosophe se doit de le lire. Voici une enquête essentielle, à la fois très bien documentée, fine et facile à suivre. Elle questionne la conclusion du philosophe Pierre Hadot à l’effet que la philosophie est une manière de vivre. Sous le titre « La philosophie comme exercice spirituel ? – Un paradigme en question », le professeur de philosophie ancienne à l’université de Poitiers, Sylvain Roux, déterre les racines de la philosophie pour en montrer leur enchevêtrement

Article #106 – Crise de soi – Construire son identité à l’ère des réseaux sociaux et du développement personnel, Thierry Jobard, coll. Amorce, Éditions 10/18, 2024

L’essayiste Thierry Jobard nous propose trois ouvres : 1. CONTRE LE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL (voir mon rapport de lecture); 2. JE CROIS DONC JE SUIS : LE GRAND BAZAR DES CROYANCES CONTEMPORAINE; 3. CRISE DE SOI – CONSTRUIRE SON IDENTITÉ À L’ÈRE DES RÉSEAUX SOCIAUX ET DU DÉVELOPPEMENT PERSONNEL. — Avec ce troisième essai, Thierry Jobard approfondit encore davantage son sujet démontrant ainsi une maîtrise de plus en plus grande des aléas de l’identité, cette fois-ci, sous l’influence des réseaux sociaux et du développement personnel.

Article #107 – Le parler de soi, Vincent Descombes, Collections Folio. Essais, Éditions Gallimard, 2014

Si vous avez aimez cet extrait, vous aimerez ce livre car il est représentatif de l’ensemble de l’œuvre. Personnellement, je cherchais des indices pour répondre à la question « Qui suis-je ? » et ce livre n’en offre pas. En revanche, j’aime bien quand un auteur remonte à la source de son sujet et le retrace dans le contexte historique. Vincent Descombes excelle en ce sens dans PARLER DE SOI. C’est pourquoi je me suis rendu jusqu’à la page 248 des 366 pages de son texte (Appendices exclues) avant d’abandonner ma lecture. J’aime bien m’informer de l’histoire d’une idée comme le fait si bien Vincent Descombes mais la vue sous microscope du fil historique de chaque détail a fini par me lasser. J’ai tenu bon dans l’espoir de me faire une vision d’ensemble de l’évolution du concept mais je ne suis pas parvenu à prendre le recul utile face à une telle multitude de détails.

Article #108 – La philosophie fait-elle votre bonheur ? Dossier, Revue Les Libraires, no 145, 2024

Peut-être vous dites-vous : « La philosophie, pas pour moi, non merci! » Pourtant, à partir du moment où une question germe dans votre tête et que vos neurones s’activent à faire des liens, à envisager des hypothèses, à analyser les pour et les contre, à réfuter certaines pistes, à emprunter d’autres foulées, à mettre en parallèle ou en confrontation des idées, vous êtes en train de philosopher.

Article #109 – Quatre moyens d’en finir avec la pointeuse, Clara Degiovanni, Dossier / “Comment trouver le bon rythme ?”, Philosophie magazine, no 183, octobre 2024

CITATION « 4. Raconter sa journée / 18 heures. Vous rejoignez un ami pour prendre un verre après le travail. Vous lui racontez votre journée, qui était finalement très réussie. Intéressé et sincèrement content pour vous, il vous invite à évoquer les perspectives qui s’offrent à vous dans votre entreprise actuelle. »

Article #110 – Pascal Chabot-Hélène L’Heuillet : silence, ça pulse !, propos recueillis par Cédric Enjalbert, Dossier / “Comment trouver le bon rythme ?”, Philosophie magazine, no 183, octobre 2024

Philosophe, spécialiste du burn-out, Pascal Chabot vient de publier une enquête cherchant Un sens à la vie et montrant qu’il est toujours ouvert et dynamique. Hélène L’Heuillet, philosophe et psychanalyste, fait non seulement reparaître son Éloge du retard mais elle signe également un ouvrage sur Le Vide qui est en nous. Ensemble, ils montrent comment rythme de vie et sens de la vie se répondent !

Article #111 – Émile Durkheim : l’individu, ferment de la société, par Athénaïs Gagey, Philosophie magazine, no 183, octobre 2024

Fondateur de la sociologie moderne, Émile Durkheim pense l’individu comme la partie d’un tout. Alors que les fractures sociales sont légion dans notre société, sa lecture est une proposition pour tenter de (re)faire société.

Article #112 – Histoire de la pensée philosophique – De l’homme grec à l’homme post-moderne, Jean-Marie Nicolle, Bréal, 2015

Le livre « Histoire de la pensée philosophique – De l’homme grec à l’homme post-moderne » par Jean-Marie Nicolle se classe parmi les meilleurs, sinon comme le meilleur, que j’ai pu lire. Jean-Marie Nicolle fait preuve d’une maîtrise quasi absolue de son sujet et en témoigne par des explications simples dans une écriture compréhensible par tous accompagnée de graphiques fort utiles. Ce livre rempli toutes ses promesses.

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